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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 30 mars 2023, n° 21/02922

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ender Kebab (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocats :

Me Hartemann-De Cicco, Me Callies, Me Posta

T. com. Vienne, du 27 mai 2021, n° 2020J…

27 mai 2021

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 6 avril 2018, la SARL SAB a cédé à la SARL Ender Kebab un fonds de commerce de restauration rapide et sandwicherie situé [Adresse 2] à [Localité 6], à l'enseigne Isère Kebab.

L'acte de vente comportait une clause interdisant à la société SAB, à M. [I] [S] et à M. [M] [S] d'exercer une activité en tout ou partie identique à celle faisant l'objet de la cession.

Se prévalant de la réinstallation de M. [M] [S] dans un fonds de commerce de restauration rapide, la société Ender Kebab lui a rappelé les termes de la clause de non concurrence par courriers recommandés des 8 octobre et 23 décembre 2019, avant de le mettre en demeure de procéder à la fermeture de son établissement «Istanbul Kebab» par lettre recommandée du 16 avril 2020.

Sur l'assignation délivrée par la société Ender Kebab le 1er juillet 2020 et par jugement du 27 mai 2021, le tribunal de commerce de Vienne a :

- jugé nulle et de nul effet la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de cession conclu le 6 avril 2018 entre la société SAB et la société Ender Kebab,

- débouté la société Ender Kebab de l'ensemble de ses demandes principales et subsidiaires,

- débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle

- condamné la société Ender Kebab à payer à M. [S] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire,

- condamné la société Ender Kebab aux dépens.

Suivant déclaration au greffe du 30 juin 2021, la société Ender Kebab a relevé appel de cette décision, en ce qu'elle a :

- débouté la société Ender Kebab de l'ensemble de ses demandes principales et subsidiaires,

- débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Ender Kebab à payer à M. [S] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Ender Kebab aux dépens.

Prétentions et moyens de la société Ender Kebab:

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 24 mai 2022, la société Ender Kebab demande à la cour de :

- déclarer l'appel fondé,

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau,

- à titre principal, sur la violation de la clause de non concurrence insérée à l'acte de cession du fonds de commerce,

- juger que M. [M] [S] reconnaît exploiter une activité de restauration rapide et sandwicherie au [Adresse 3] à [Localité 6] depuis le 1er janvier 2020, cette activité étant similaire à celle exploitée par la SARL Ender Kebab au [Adresse 1] à [Localité 6],

- juger que M. [M] [S] a violé la clause de non concurrence insérée dans l'acte du 6 Avril 2018 par lequel la société SAB, dont il était l'associé, a cédé le fonds de commerce de restauration rapide et sandwicherie à la SARL Ender Kebab situé au [Adresse 1] à [Localité 6],

- à titre subsidiaire,

- en réduire la durée,

- juger que la clause de non-concurrence est valable pour une durée de cinq années et prendra fin le 6 avril 2023,

- dans tous les cas,

- ordonner la cessation de toute activité de restauration rapide et sandwicherie exploitée par M. [M] [S] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6] et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- ordonner la fermeture du fonds de commerce exploité par M. [S] [M] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6], et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- condamner M. [M] [S] à verser la somme de 66.500 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par la clause de non concurrence, somme arrêtée au 12 mai 2020 et à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, étant précisé que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 16 avril 2020, date de la première mise en demeure,

- à titre subsidiaire, sur la violation de l'obligation légale de garantie d'éviction,

- juger que M. [M] [S] a manqué à son obligation légale de garantie d'éviction en se rétablissant à proximité du fonds de commerce cédé à la SARL Ender Kebab pour exercer une activité similaire de restauration rapide et sandwicherie et en détournant ainsi la clientèle attachée à ce fonds de commerce cédé,

- ordonner la cessation de toute activité de restauration rapide et sandwicherie exploitée par M. [M] [S] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6] et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- ordonner la fermeture du fonds de commerce exploité par M. [S] [M] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6], et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- condamner M. [M] [S] à restituer à la SARL Ender Kebab la somme de 15.000 euros correspondant à la moitié de la valeur du fonds de commerce,

- condamner M. [M] [S] à verser à la SARL Ender Kebab la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait du manquement à l'obligation de garantie d'éviction,

- à titre infiniment subsidiaire, sur la concurrence déloyale,

- juger que M. [M] [S] coupable d'agissements déloyaux envers la société Ender Kebab,

- ordonner la cessation de toute activite de restauration rapide et sandwicherie exploitée par M. [M] [S] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6] et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- ordonner la fermeture du fonds de commerce exploité par M. [S] [M] sous l'enseigne «Istanbul Kebab» au [Adresse 3] à [Localité 6], et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- condamner M. [M] [S] à verser à la SARL Ender Kebab la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait du manquement à l'obligation de garantie d'éviction,

- en tout état de cause

- condamner M. [M] [S] à verser à la SARL Ender Kebab la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner en tous les dépens, tant de première instance que d'appel avec recouvrement direct au profit de Maitre Hartemann-De Cicco, avocat.

La société Ender Kebab fait valoir que dans ses réponses à ses sommations, M. [S] a expressément reconnu exercer une activité de restauration rapide et de sanwicherie sur la commune de [Localité 6] en violation de la clause de

non concurrence, ce que confirme les constat d'huissier et rapport d'investigations.

Elle soutient que la clause est valable pour être limitée dans le temps et géographiquement au département de l'Isère, qu'elle ne souffre que d'une erreur matérielle dans la désignation de la zone géographique ; que M. [S] n'a pu se méprendre en régularisant l'acte et que la clause doit s'interpréter d'après la commune intention des parties.

Elle considère que le délai de dix ans est proportionné aux intérêts légitimes protégés, la renommée de M. [S] étant de nature à vider le fonds cédé de toute valeur économique en cas de réinstallation, que la clause n'interdit pas à M. [S] d'exercer son activité de cuisinier dans un domaine autre que la restauration rapide - sanwicherie et qu'elle n'a pas renoncé au bénéfice de la clause en l'embauchant quelques mois en qualité de serveur.

Elle ajoute que le juge a la faculté de réduire l'obligation s'il l'estime excessive.

A titre subsidiaire, elle se prévaut de la garantie d'éviction que lui doit son vendeur qui interdit à ce dernier de détourner la clientèle du fonds vendu et de tout acte en diminuant l'achalandage.

Elle soutient qu'en présence d'une personne morale, cette obligation pèse également sur son dirigeant ou les personnes interposées pour y échapper et que M. [S] est le dirigeant de fait de la société SAB.

Elle expose qu'en se rétablissant à 750 m du fonds cédé, dans une activité de restauration similaire, M.[S] détourne la clientèle qu'il lui a cédée et lui fait perdre une chance de réaliser le chiffre d'affaires espéré.

Elle ajoute que M [S] a entamé sa nouvelle activité sous le prête-nom d'un tiers et en utilisant sa renommée antérieure, employant ainsi des moyens déloyaux pour capter et détourner la clientèle.

Prétentions et moyens de M. [S] :

Selon ses dernières conclusions notifiées le 13 mai 2022, M. [S] entend voir :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter la société Ender Kebab de l'ensemble de ses demandes en la déclarant non fondée

- y ajouter,

- condamner la SARL Ender Kebab au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL Ender Kebab aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Pyramide Avocats.

M. [S] soutient que la clause de non concurrence insérée dans l'acte de vente est nulle en raison :

- de son imprécision de ses limites géographiques, puisqu'elle désigne «la commune de l'Isère 38»,

- du caractère illimité de l'activité visée,

- du caractère excessif de sa durée,

- de sa disproportion par rapport à l'objet du contrat et aux intérêts légitimes à protéger.

Il fait valoir qu'il n'était pas partie à l'acte de cession, n'y étant intervenu qu'au titre de l'engagement de non concurrence et qu'il n'est donc pas débiteur de la garantie d'éviction qui pèse sur la société SAB, dont il n'était qu'un simple associé.

Il considère que la société Ender Kebab ne justifie pas en quoi elle aurait été évincée du fonds, qu'elle ne rapporte pas la preuve du détournement de clientèle allégué.

Il conteste tout acte de concurrence déloyale au titre de la reprise du droit au bail d'un local exploitant une activité de sandwicherie, kébab à consommer sur place ou à emporter, relevant que l'activité de la société Ender Kebab ne présente aucun caractère spécifique sur la commune de [Localité 6].

La procédure a été clôturée par ordonnance du 20 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la clause de non concurrence :

Selon les termes de sa déclaration d'appel, la société Ender Kebab a limité son recours et n'a pas relevé appel de la disposition du jugement par lequel le tribunal de commerce a : «jugé nulle et de nul effet la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de cession conclu le 6 avril 2018 entre la société SAB et la société Ender Kebab».

Cette disposition du jugement répondait à la demande présentée par M. [S] dans ses conclusions tendant au prononcé de la nullité de la clause de non concurrence.

Le jugement non contesté sur ce point est donc définitif en ce qu'il a statué sur la nullité de cette clause et la cour n'étant pas saisie, ne pourra statuer sur ce point.

2°) sur la garantie d'éviction :

En vertu des dispositions de l'article 1626 du code civil, le cédant d'un droit de propriété corporel ou incorporel s'oblige à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il pourrait subir en tout ou partie de l'objet vendu.

Cette obligation légale impose au vendeur d'un fonds de commerce le devoir de s'abstenir de tout acte de nature à diminuer l'achalandage et à détourner la clientèle du fonds cédé et il est de principe que si le vendeur est une personne morale, l'interdiction pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou sur les personnes qu'il pourrait interposer pour échapper à ses obligations.

L'acte de cession a été régularisé entre la SARL SAB, cédante de son fonds de commerce et la société Ender Kebab, cessionnaire.

Il ressort de l'acte de cession que la SARL SAB a pour gérant M. [I] [S] et que M. [M] [S] n'en est que l'associé.

Ce dernier est intervenu à l'acte de vente d'une part en vertu d'un mandat qui lui a été donné le 28 mars 2018 par le gérant de droit aux fins de signer les actes relatifs à la cession ; d'autre part au titre de l'engagement de non concurrence.

Ces seuls éléments ne permettent pas de caractériser la gérance de fait de M. [M] [S] qui le rendrait débiteur, au même titre que la société SAB, de la garantie d'éviction.

La société Ender Kebab est en conséquence mal fondée à rechercher sa condamnation au titre de cette garantie.

3°) sur la concurrence déloyale :

Le principe de la liberté du commerce autorise toute personne à exploiter tel négoce ou exercer telle industrie que bon lui semble et lui confère la liberté d'attirer la clientèle, y compris de ses concurrents, sans engager sa responsabilité.

A l'aune de ces principes, ne peut être constitutif de concurrence déloyale, que l'exercice fautif de ces libertés, conduisant à détourner la clientèle d'un concurrent, à nuire à ses intérêts par des moyens contraires à la loi, aux usages loyaux du commerce ou à l'honnêteté professionnelle.

Il n'est pas discuté entre les parties qu'en début d'année 2020, M. [M] [S] a ouvert un nouveau fonds de restauration à l'enseigne Istanbul Kebab «Chez [M]» au [Adresse 3] à [Localité 6], ce que confirment un constat d'huissier et un rapport d'investigations privées produits aux débats, ainsi que la publication au BODACC de la création par M.[S] à cette adresse d'une activité de sandwicherie, kebab à consommer sur place ou emporter à compter du 20 février 2020.

Si la société Ender Kebab soutient que cette reprise d'activité s'est effectuée dès le 1er janvier 2020 sous le prête-nom d'un tiers, elle ne fournit aucun élément de nature à étayer ses affirmations, alors que M [S] produit un bail commercial à son nom à effet du 17 février 2020.

Elle ne produit aucun document comptable illustrant son activité entre les mois d'avril 2018 et de janvier 2020 de nature à démontrer la réalité des pertes d'exploitation qu'elle affirme avoir subies du fait de la réinstallation, en février 2020, de M.[S] dans une activité concurrente, vingt deux mois après la cession du fonds de commerce de la société SAB et dans un local situé à 750 m du sien.

L'augmentation, attestée par son comptable, de ses chiffres d'affaires du mercredi (+ 15 à 20 %) depuis mai 2021, des mois de juillet et août 2021 (+ 15,34 et 23,64 %) par rapport à ceux de 2020 sont inopérants à démontrer un détournement de la clientèle de son fonds par M.[S].

Ce dernier n'étant pas astreint au respect d'une clause de non concurrence jugée nulle et de nul effet, il n'est démontré à son encontre aucun acte de concurrence déloyale.

Il résulte de ces développements que la cour confirmera le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société Ender Kebab de l'ensemble de ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Vienne en date du 27 mai 2021 en ses chefs de dispositif soumis à la cour,

y ajoutant,

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SARL Ender Kebab aux dépens de l'instance d'appel et autorise la SCP Pyramide Avocats à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.