CA Riom, 3e ch. civ. et com., 29 mai 2019, n° 18/00026
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Captain's Cabin (Sté)
Défendeur :
Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
M. Kheitmi, Mme Theuil-Dif
Avocats :
Me Dos Santos, Me Loir, SCP Vignancour Associes
EXPOSE DU LITIGE
Mme D... B... épouse E... est propriétaire de l'immeuble sis 18 avenue des Etats
Unis à Clermont-Ferrand.
Le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand est propriétaire de l'immeuble voisin, situé au 20 avenue des Etats Unis.
Suivant acte notarié du 6 décembre 1988, le CHU a consenti à la SARL CAPTAIN'S CABIN un bail commercial de neuf ans portant sur un immeuble sis 18, 20 avenue des Etats Unis, locaux loués et affectés à l'exercice d'une activité d'exploitation d'un bar restaurant. Le bail a été renouvelé pour une durée de neuf ans par acte notarié du 9 janvier 1996, puis pour une nouvelle période de neuf ans par acte notarié du 29 mars 2005.
Le 6 novembre 2009, la SARL CAPTAIN'S CABIN a acquis un droit au bail de la SARL CARDS SHOP, bail consenti par le CHU sur des locaux situés dans le même immeuble.
Suivant acte reçu le 30 juin 2010 par Me I..., notaire à Clermont-Ferrand, le CHU a renouvelé pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2010, notamment les deux baux susmentionnés au profit de la SARL CAPTAIN'S CABIN pour l'exploitation d'un fonds de commerce de bar restaurant.
La SARL CAPTAIN'S CABIN avait pour projet d'engager des travaux conséquents pour réunir les deux locaux d'exploitation, agrandir sa surface d'accueil du public et ses capacités d'exploitation.
Un litige s'est élevé avec le propriétaire voisin, revendiquant la propriété exclusive d'une cage d'escalier commune aux deux immeubles, ainsi que sur des parties d'immeubles sur plusieurs niveaux figurant dans la désignation des biens loués par la SARL CAPTAIN'S CABIN.
Par avenant du 29 mars 2012 reçu par Maître I..., le CHU et la SARL CAPTAIN'S CABIN, ont convenu d'une diminution du montant du loyer annuel hors charges à la somme de 18 000 euros au lieu de 30 000 euros, eu égard à ce projet de travaux.
Par lettre du 4 octobre 2012, le CHU a accordé le renouvellement sollicité par le locataire, pour l'année 2013, de la diminution du montant du loyer, en précisant qu'il avait accepté les travaux de rénovation du local commercial depuis 2011 et que le propriétaire de l'immeuble voisin dont l'entrée était commune avec celui du CHU, avait autorisé les travaux des portes donnant sur le palier du 1er étage, ainsi que le remplacement de la porte d'entrée de l'immeuble selon le projet présenté en 2011.
Il a ajouté que les difficultés juridiques soulevées par la SARL CAPTAIN'S CABIN concernaient exclusivement le CHU en qualité de propriétaire.
Par acte d'huissier de justice du 6 novembre 2012, la SARL CAPTAIN'S CABIN a fait assigner le CHU devant le président du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, statuant en référé, aux fins de voir condamné ce dernier sous astreinte à lui fournir, outre le métré de l'immeuble, l'autorisation par acte authentique conclue entre le CHU et le tiers, pour l'usage comme issue de secours de la cage d'escalier commune avec l'immeuble voisin, ainsi que de voir ordonnée une expertise judiciaire sur la faisabilité des travaux d'extension projetés au vu de la configuration des lieux et, sur l'évaluation des pertes d'exploitation liées au retard pris dans l'ouverture de la surface de commercialisation.
Par acte d'huissier de justice du 16 janvier 2013, la SARL CAPTAIN'S CABIN a appelé en cause M. et Mme E....
Par ordonnance du 9 avril 2013, le retrait du rôle de l'affaire a été ordonné.
Après réinscription, le juge des référés a par ordonnance du 17 décembre 2013, ordonné :
- une expertise de délimitation de propriété sur les propriétés foncières du CHU et des époux E..., confiée à M. A... ;
- une expertise de comptabilité, afin notamment de chiffrer les pertes d'exploitation alléguées de la SARL CAPTAIN'S CABIN, confiée à Mme G... ;
- une expertise en matière de bâtiment, en lien avec des travaux d'installation de porte effectués par la SARL CAPTAIN'S CABIN qui auraient causé des dégradations à l'immeuble de Mme E..., confiée à M. H... ;
- une expertise en matière acoustique, consécutive aux griefs de nuisances sonores formés par les époux E... contre la SARL CAPTAIN'S CABIN, confiée à M. C....
Les époux E... n'ayant pas procédé aux consignations mises à leur charge pour les deux dernières expertises, deux ordonnances de caducité ont été rendues le 5 juin 2014.
M. A... a déposé son rapport le 10 décembre 2014 concluant que la cage d'escalier des caves au 3ème étage est indivise au CHU pour 2/5 et aux consorts E... pour 3/5, et que l'alcôve 1 du 1er étage, le WC du rez-de-chaussée, la cave 5, l'entrée et la cave 4 accédant rue de l'Etoile sont la propriété du CHU, et préconisant de faire effectuer une division en volume pour identifier les parties imbriquées.
Mme G... a déposé son rapport le 12 octobre 2015.
Par acte d'huissier de justice du 15 juillet 2016, la SARL CAPTAIN'S CABIN a fait assigner le CHU et les époux E... devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand aux fins d'indemnisation des préjudices subis, à raison de la paralysie de son projet d'extension de surface d'exploitation du fonds de commerce.
Dans ses dernières conclusions, elle a notamment sollicité :
- une indemnité de 1 272 817 euros en réparation des pertes d'exploitation subies de mai 2011 à juillet 2016 ;
- une indemnité de 15 000 euros en indemnisation des préjudices financiers.
Par jugement du 12 décembre 2017, le tribunal a :
- déclaré recevables les demandes indemnitaires formées par la SARL CAPTAIN'S CABIN à l'encontre du CHU au titre des années 2011, 2012 et 2013 ;
- rejeté les demandes de dommages et intérêts de la SARL CAPTAIN'S CABIN ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- fait masse des dépens et condamné les parties à en supporter chacune un tiers.
Relevant que la SARL CAPTAIN'S CABIN n'avait pas exprimé, en contrepartie de la réduction du montant du loyer, de consentement à une renonciation à ses réclamations indemnitaires, le tribunal a considéré qu'il n'existait pas de transaction pouvant être invoquée par le CHU.
Sur les responsabilités, s'agissant du bailleur, le tribunal a écarté tout manquement à l'obligation d'éviction et à l'obligation de délivrance. Il a toutefois retenu que les incertitudes entourant les droits de propriété et le statut de certaines parties des locaux étaient de nature à créer une insécurité juridique que ne pouvait pas maintenir en l'état le CHU en sa qualité de bailleur, peu important le fait qu'en définitive, l'expert judiciaire, quatre ans après les observations des propriétaires voisins, ait validé sa position. Il lui appartenait d'agir avant que le locataire ne soit conduit à saisir une juridiction pour obtenir en référé une expertise pour débloquer la situation.
S'agissant des époux E..., il a tout d'abord considéré que l'abus de droit de la part de M. E..., non propriétaire, n'était pas caractérisé, et a également rejeté l'existence d'un trouble anormal du voisinage. Concernant Mme E..., il a estimé que jusqu'au dépôt du rapport d'expertise, elle avait commis une faute vis-à-vis de la SARL CAPTAIN'S CABIN, en soulevant des difficultés et en avançant des revendications sans employer les moyens permettant qu'elles soient tranchées, paralysant ainsi le projet d'extension de la société jusqu'à la clarification de la situation juridique au regard des droits réels sur l'immeuble donné à bail.
Toutefois, le tribunal a conclu que l'élaboration du projet d'extension de la société était conditionné dans son intégralité à la possibilité d'utiliser la sortie du premier étage vers l'escalier commun comme issue de secours, cette utilisation étant elle-même subordonnée à l'obtention d'une autorisation avec le tiers concerné, formalisée par acte authentique ; que la SARL CAPTAIN'S CABIN avait commis une faute en s'abstenant de solliciter l'autorisation auprès de Mme E..., si besoin en la convoquant chez un notaire ; que la question de l'absence d'autorisation d'utilisation de la cage d'escalier comme issue de secours occupait un rôle causal déterminant dans le préjudice.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 3 janvier 2018, la SARL CAPTAIN'S CABIN a interjeté appel du jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes de dommages et intérêts.
Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe en date du 6 mars 2019, l'appelante demande à la cour de réformer le jugement en ses dispositions contestées, et statuant à nouveau, au visa des articles 1134, 1382 et 1719 du code civil, de :
- condamner le CHU et les époux E... in solidum à lui payer :
une indemnité de 1 738 919 euros en réparation des pertes d'exploitation subies de mai 2011 jusqu'à mai 2019 en raison de la paralysie du projet d'extension de la surface d'exploitation du fonds de commerce ;
·
sauf à parfaire de 17 927 euros du 1er juin 2019 jusqu'à l'autorisation effective de faire les travaux et à défaut jusqu'à l'arrêt de la cour ;
·
une indemnité de 15 000 euros en indemnisation des préjudices financiers ;
·
une indemnité de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
·
- débouter le CHU et les époux E... de leurs demandes ;
- les condamner aux dépens qui comprendront les frais d'expertises judiciaires, dont distraction au profit de Me DOS SANTOS.
Elle considère que la motivation du tribunal est contradictoire et que celui-ci n'a pas tiré les conséquences juridiques, en termes de causalité, des fautes retenues : à partir d'un raisonnement plutôt juste, quant à la responsabilité contractuelle du CHU à l'égard de son locataire, et la responsabilité quasi délictuelle des époux E... à l'égard de leur voisin, le tribunal a fini par considérer qu'une seule faute était à l'origine du préjudice subi par la société, à savoir ne pas avoir demandé dans les formes d'un acte authentique requis, l'autorisation de réaliser les travaux.
Elle conteste tout d'abord l'existence d'une transaction s'agissant de ses préjudices sur les années 2011, 2012 et 2013 : l'exigence de forme n'est pas respectée et il n'y a pas de renonciation expresse de sa part au droit indemnitaire (la réduction du montant du loyer n'avait pas pour contrepartie l'abandon des dommages intérêts en raison du préjudice subi, c'était tout au plus une avance sur indemnités).
Elle rappelle qu'elle est locataire, titulaire d'un bail notarié, et qu'à ce titre, son bailleur est tenu à une délivrance de la chose conforme à l'acte et à la destination contractuelle, il doit lui garantir la jouissance des lieux pour lesquels elle paye un loyer et une garantie d'éviction de droit ou de fait, c'est à dire contre les revendications de propriété des voisins. Le CHU a toujours entretenu une situation confuse vis-à-vis de ses locataires et voisins, il a dissimulé des pièces, il n'a pas engagé d'action en revendication de propriété.
Elle constate, en outre, que depuis le dépôt du rapport d'expertise du géomètre, qui a donné tort aux époux E..., personne n'a fait la moindre diligence pour lui permettre de réaliser ses travaux, les conclusions de M. A... n'ont toujours pas été converties en règlement de copropriété et procès-verbal de délimitation. Or, elle estime que tant que la question préalable des droits réels n'est pas clarifiée, elle ne peut pas entamer ses travaux.
Par ailleurs, elle fait valoir que ce n'est pas un bail commercial qui confère des droits personnels, qui pourrait lui donner une qualité quelconque pour aller signer chez un notaire avec un tiers (non concerné par le bail) une autorisation à un acte quelconque, aboutissant à une modification des droits réels des deux voisins.
Elle précise que l'action exercée contre M. E... est fondée sur l'article 1382 du code civil et la théorie de l'abus de droit, aussi il doit rester dans la cause pour répondre de ses fautes civiles.
Elle considère que l'attitude des époux E... consacre un abus de droit de propriété, une volonté délibérée de nuire à leur voisin et une obstination à imposer l'arrêt des travaux.
Elle estime que les fautes des époux E... sont démontrées :
- le rapport d'expertise de M. A... a fait litière de leur revendication de propriété sur les lieux qui lui sont loués ;
- leur refus de payer les consignations d'expertise démontre le peu de sérieux de leur attitude procédurale ;
- les revirements et atermoiements qu'ils affichent depuis octobre 2015 montrent une volonté fautive d'empêcher son exploitation commerciale.
Elle constate que Mme E... se réserve le droit encore aujourd'hui de demander à la juridiction d'entériner le projet d'état descriptif de division en volume et d'ordonner sa publication au service de la publicité foncière, sans formuler cette demande en justice.
Elle chiffre son préjudice sur la base du rapport de Mme G... qui a retenu une perte mensuelle d'exploitation de 17 927 euros.
Dans ses dernières conclusions reçues au greffe en date du 7 mars 2019, le CHU de
Clermont-Ferrand demande la confirmation du jugement.
Il demande en tout état de cause au visa des articles 1719 et suivants du code civil, à la cour de :
- homologuer le rapport A... ;
- donner acte aux époux E... de leur accord pour la réalisation des travaux de modification de l'ouverture donnant sur la cage d'escalier commune, dans les conditions du projet à eux soumis dès le mois de janvier 2012, et pour se rendre chez un notaire pour l'accorder ;
- dire qu'il a respecté l'intégralité de ses obligations au titre du bail ;
- dire que la SARL CAPTAIN'S CABIN peut réaliser les travaux projetés et qu'il lui appartiendra de requérir elle-même les autorisations notariées du tiers utiles à son nouveau projet qui lui feraient défaut ;
- juger que la SARL CAPTAIN'S CABIN a déjà été indemnisée de ses préjudices pour les années
2011, 2012 et 2013 après exécution par le CHU de l'avenant du 29 mars 2012 valant transaction et qui a autorité de chose jugée entre les parties en application de l'article 2052 alinéa 1 du code civil, et la déclarer irrecevable en ses demandes sur ces périodes ;
- dire que la SARL CAPTAIN'S CABIN ne justifie pas d'un préjudice subi entre 2011 et 2019 en lien de causalité avec des agissements du bailleur ;
- juger que les troubles subis par le locataire du fait du tiers sont des troubles de fait et que la SARL CAPTAIN'S CABIN n'est pas en mesure de demander à son bailleur une indemnisation à ce titre ;
- débouter la SARL CAPTAIN'S CABIN de ses demandes à son encontre ;
- débouter les époux E... de leurs demandes à son encontre, et plus particulièrement de leur demande de garantie ;
- condamner les époux E..., auteurs des troubles, à garantir le CHU de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre au profit de la SARL CAPTAIN'S CABIN, en application des articles 1240 et suivants du code civil ;
- condamner la SARL CAPTAIN'S CABIN in solidum avec les époux E... à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
A titre subsidiaire, il demande de :
- dire que la perte de chiffre d'affaires du fait de l'absence de création des 15 places du 1er étage, telle qu'évaluée par l'expert G..., a été compensée par la baisse des loyers consentie par le CHU (1 000 euros par mois en 2012 et 2013), et dire n'y avoir lieu à indemnisation de ce chef ;
- réduire dans de très fortes proportions les demandes présentées pour les années postérieures qui seraient retenues, en considération des motifs ci-dessus développés, du rapport G... et faute de preuve du préjudice réellement subi qui doit s'apprécier en termes de perte de chance, au regard de l'absence de production et d'accessibilité de ses comptes par la SARL CAPTAIN'S CABIN depuis l'expertise judiciaire, et dès lors qu'une occupation est déjà possible et réelle jusqu'à 100personnes dans les lieux loués comme le précise Mme E....
Aux termes de leurs dernières conclusions reçues au greffe en date du 22 janvier 2019, M. L... E... et Mme D... B... épouse E... sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas mis M. E... hors de cause, et sa confirmation pour le surplus.
A titre principal, ils demandent à la cour de :
- mettre hors de cause M. E... ;
- constater que des démarches sont en cours entre Mme E... et le CHU en vue d'organiser les modalités de leurs droits de propriété respectifs sur l'immeuble du 18 avenue des Etats Unis ;
- débouter la SARL CAPTAIN'S CABIN et le CHU de toutes leurs demandes dirigées contre eux.
A titre subsidiaire, ils demandent que le CHU soit condamné à les garantir de toutes les condamnations qui pourront être prononcées à leur encontre.
En toute hypothèse, ils sollicitent la condamnation in solidum du CHU et de la SARL CAPTAIN'S CABIN à leur payer la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Mme E... expose qu'elle a vu ses titres de propriété contredits par les conclusions de l'expert A..., mais qu'elle est néanmoins d'accord pour accepter ces conclusions et de reconnaître que leCHU est propriétaire d'une fraction des locaux dont elle était présentée comme l'unique propriétaire.
Depuis le dépôt du rapport et le jugement, le CHU est resté taisant et n'a apporté aucun retour à ses propositions : il fait obstacle au règlement juridique de ce dossier.
M. E... n'étant pas propriétaire, il demande d'être mis hors de cause : il ne peut abuser d'un droit qu'il n'a pas.
Par ailleurs, les époux E... estiment que la SARL CAPTAIN'S CABIN est mal fondée à leur adresser le moindre reproche pour une autorisation que Mme E... n'est aucunement obligée de lui délivrer. De plus, ils observent que par courrier du 10 mars 2012, Mme E... répondant à une demande qui lui avait été soumise par le CHU, a autorisé à remplacer la porte d'entrée de l'immeuble du 18 avenue des Etats Unis selon le projet architectural daté de juin 2011 (porte-imposte et châssis vitré-verre identique) et à changer la porte du 1er étage donnant accès au bar le CAPTAIN'S CABIN. Or, la société n'a pas mis en oeuvre les travaux. Elle semble aujourd'hui vouloir mettre en oeuvre des travaux plus importants, à savoir élargir le passage par cette porte du 1er étage pour le porter à 90 cm, travaux pour lesquels aucune autorisation n'a jamais été sollicitée.
Elle constate qu'elle et le CHU ont finalement été saisis officiellement d'une demande d'autorisation le 19 juillet 2018, et considère qu'elle ne peut donner son accord à un projet inachevé.
Ils contestent subsidiairement les préjudices invoqués, et sollicitent la garantie du CHU, considérant que c'est lui qui en signant des baux avec la SARL CAPTAIN'S CABIN sans tenir compte des droits de Mme E..., et sans concertation avec elle, qui est à l'origine du litige.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I- Sur la recevabilité des demandes
Le CHU de Clermont-Ferrand demande à la cour de déclarer irrecevable la SARL CAPTAIN'S CABIN en ses demandes sur les périodes 2011, 2012 et 2013 considérants que celle-ci a déjà été indemnisée de ses préjudices pour ces années après exécution par le CHU de l'avenant du 29 mars 2012 valant transaction et qui a autorité de chose jugée entre les parties en application de l'article 2052 alinéa 1 du code civil.
L'article 2044 du code civil énonce que la transaction est un contrat par lequel les parties par des concessions réciproques terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit.
Selon l'article 2048, les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui est y faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.
Selon l'article 2049, les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé.
Suivant avenant au contrat de bail reçu par Maître I... le 29 mars 2012, la SARL CAPTAIN'S CABIN et le CHU de Clermont-Ferrand ont convenu d'une diminution provisoire du loyer à compter du 1er janvier 2012, à la somme annuelle de 18 000 euros hors charges, 'compte tenu des travaux à effectuer par le locataire dans les locaux susvisés'. Par application de la clause prévoyant que cette baisse de loyer serait renouvelable à la demande du preneur en fonction de l'avancement des travaux à réaliser par le locataire, le CHU de Clermont-Ferrand, par lettre du 4 octobre 2012, a accepté la reconduction de cet avenant pour l'année 2013.
Ainsi que l'a relevé le tribunal, les réductions de loyers liées aux travaux ne concernent pas l'année 2011 aux termes de l'avenant.
Par ailleurs, l'examen des stipulations de cet acte fait apparaître que le CHU de Clermont-Ferrand a concédé la réduction du montant du loyer initialement fixé à 30 000 euros, pour tenir compte des travaux à réaliser par son locataire. Toutefois, la SARL CAPTAIN'S CABIN n'a pas en contrepartie, exprimé de consentement à une quelconque renonciation à ses réclamations indemnitaires.
Tout au contraire, il ressort des différents courriers échangés entre les parties que la SARL CAPTAIN'S CABIN a exprimé son intention de réserver son droit de réclamer ultérieurement son indemnisation (courriers des 3 janvier 2012, du 6 février 2012, du 13 septembre 2012).
Ainsi, les demandes indemnitaires formées par la SARL CAPTAIN'S CABIN au titre des années 2011, 2012 et 2013 sont recevables, et le jugement sera confirmé sur ce point.
II- Sur les responsabilités
Il convient de rappeler à titre liminaire le contexte du litige.
Le CHU de Clermont-Ferrand produit aux débats la pièce S2 intitulée 'lettre de M. J... au
CHU en date du 12/03/2009 faisant part de son projet d'agrandissement du RC'.
Il s'agit d'un courrier de M. J..., gérant de la SARL CAPTAIN'S CABIN adressé au CHU de Clermont-Ferrand en date du 12 mars 2009, dans lequel il informe le CHU de son souhait d'acquérir le fonds de commerce de la Carterie mis en vente, dans le but d'agrandir la surface d'exploitation du rez-de-chaussée du CAPTAIN'S CABIN, et courrier dans lequel il sollicite son accord sur la possibilité de faire les travaux nécessaires, à savoir pratiquer une ouverture dans le mur mitoyen et mettre le rez-de-chaussée dans la même configuration d'exploitation que le premier étage.
Depuis un acte notarié en date du 6 décembre 1988, le CHU a consenti à la SARL CAPTAIN'S CABIN un bail commercial portant sur l'immeuble sis 18, 20 avenue des Etats Unis, locaux loués et affectés à l'exercice d'une activité d'exploitation d'un bar restaurant. Ce bail a été renouvelé pour une durée de neuf ans par acte notarié du 9 janvier 1996, puis pour une nouvelle période de neuf ans par acte notarié du 29 mars 2005.
Le 6 novembre 2009, la SARL CAPTAIN'S CABIN a acquis le droit au bail de la SARL CARDS SHOP (« la Carterie » mentionnée dans le courrier du 12 mars 2009 précité), bail consenti par le CHU sur des locaux situés dans le même immeuble.
Puis, suivant acte notarié du 30 juin 2010 de Me I..., notaire à Clermont-Ferrand, le CHU a renouvelé pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2010, notamment les deux baux susmentionnés au profit de la SARL CAPTAIN'S CABIN pour l'exploitation d'un fonds de commerce de bar restaurant.
Il est versé par les époux E... la pièce 13 intitulée « Extrait expertise perte d'exploitation commerciale adressée par la SARL CAPTAIN'S CABIN à Madame G... » récapitulant le projet de la société CAPTAIN'S CABIN et les travaux envisagés.
Le projet était décrit de la manière suivante :
« Afin de développer le chiffre d’affaires du CAPTAIN'S CABIN, nous avons décidé d'aménager les locaux de façon à pouvoir utiliser les plages horaires (8h du matin / 18 h) jusque là jamais exploitées, notre établissement n'étant pas adapté à une clientèle de jour.
La création d'un restaurant et d'un coffee bar nous permettra d'atteindre cet objectif.
Cette extension nous permettra également d'agrandir notre capacité d'accueil donc notre chiffre d'affaires, en effet par manque de places, nous refusons énormément de personnes les week-ends ».
Les travaux envisagés étaient ensuite énoncés comme suit :
« Les travaux consistent à :
Au sous-sol : faire une ouverture entre la cave du Captain's et celle de la carterie pour installer une cuisine (dans l'actuel cave du Captain's) et une salle de restaurant (dans la cave de la carterie) ;
Au RDC : faire une ouverture entre le captain's et la carterie pour créer une seule salle avec comptoir, installer des toilettes aux normes handicapées, créer un escalier aux normes pour accéder au sous-sol;
A l'étage : refaire entièrement la salle en partant d'une feuille blanche (mise à nue des murs), faire en sorte que cette salle soit adaptée au service de restauration.
Ces travaux nous permettront d'avoir :
Au sous-sol, une cuisine et une salle de restauration de 33 places ;
Au RDC : une salle avec 36 places assises + 12 places au comptoir + 24 places en terrasse ;
A l'étage : une salle de 100 places assises + 10 places au comptoir ;
soit un gain total de 80 places. »
Or, la SARL CAPTAIN'S CABIN verse aux débats en pièce 14 un courrier en date du 7 décembre 2012 de la SELARL MINES Architectes, dans lequel cette société indique se trouver dans l'impossibilité de déposer un permis de construire pouvant être accepté par les services instructeurs, et notamment par les services incendie. Il est rappelé que depuis le démarrage des études, il existe un point bloquant l'avancement du projet : ce projet exige que la sortie du premier étage vers l'escalier commun puisse être utilisée comme issue de secours. Le règlement de sécurité contre l'incendie, relatif aux EPR (établissements recevant du public) exige en son article PE§4 que « la porte d'intercommunication avec les tiers visée à l'article PE 6 (§1) compte dans les dégagements exigibles. L'exploitant doit alors justifier d'accords contractuels avec le tiers concerné, sous forme d'acte authentique ». Selon l'architecte, le permis de construire ne peut donc être déposé sans la pièce manquante, à savoir l'autorisation du tiers par acte authentique.
- sur la responsabilité du bailleur
La SARL CAPTAIN'S CABIN fonde sa demande de dommages et intérêts à l'encontre du CHU de Clermont-Ferrand sur l'existence d'un manquement du bailleur à ses obligations. Elle invoque à cet effet divers types de manquements.
Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin de stipulation particulière, notamment :
1° de délivrer au preneur la chose louée ;
3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
S'agissant de l'obligation de délivrance conforme, il sera rappelé que la délivrance est la remise au preneur de la disposition de la chose qui fait l'objet du contrat. Elle porte sur la chose louée telle que définie au bail et les accessoires indispensables à son utilisation normale.
Ainsi que l'a relevé le tribunal, le CHU de Clermont-Ferrand n'a pas privé la SARL CAPTAIN'S CABIN de l'usage des locaux mentionnés au bail. En tant que bailleur, il a donné son autorisation à la réalisation des travaux projetés par la société sur les locaux loués et n'a donc nullement empêché que les locaux donnés à bail puissent faire l'objet de l'exploitation commerciale à laquelle ils étaient destinés.
S'agissant de la garantie d'éviction, le bailleur doit protéger le preneur contre certains agissements émanant de tiers, de nature à restreindre le droit de jouissance de celui-ci, et doit répondre de leurs conséquences dommageables. La garantie est en principe limitée aux troubles de droit, c'est à dire aux revendications par un tiers d'un droit réel sur la chose louée ou aux voies de fait qui les accompagnent éventuellement. Il y a trouble de droit à la condition que le tiers invoque à son profit contre le locataire un droit réel s'exerçant sur la chose faisant l'objet du bail : droit de propriété, d'usage, servitude.
Or, ainsi que l'a retenu le tribunal, il est établi que les époux E... n'ont entrepris aucune action afin de faire reconnaître l'existence de droits réels sur les locaux objets du projet d'aménagement de la SARL CAPTAIN'S CABIN ; que si le risque d'éviction a pu suffire à justifier la mise en oeuvre de la garantie due à ce titre par le bailleur, cette extension du périmètre de l'obligation de la garantie d'éviction doit être réservée au cas où l'exploitation des locaux objets du bail est soumise au bon vouloir d'un tiers disposant de droits incontestables de nature à contredire ceux conférés par le bailleur au preneur. Or, les revendications élevées par les époux E... qui n'ont pas été reconnues, ne peuvent être assimilées à des droits réels incontestables.
Toutefois, le tribunal a ensuite retenu un manquement du CHU à son obligation de garantie de jouissance paisible : il a rappelé que les époux E... avaient dès 2010, et jusqu'au dépôt du rapport d'expertise de M. A..., fait valoir être propriétaires d'une partie des locaux objets du bail conclu avec le CHU, et il a considéré que les allégations des époux E... recelaient un risque non négligeable qu'à terme, l'accroissement des capacités d'accueil envisagées soit menacé par des droits réels sur les locaux concernés. Il a retenu que le CHU n'était pas étranger à ce trouble de jouissance souffert par la SARL CAPTAIN'S CABIN car il ne justifiait pas avoir pris l'initiative d'une action permettant de paralyser les revendications émises par les époux E..., l'accord donné par ces derniers ne concernant que deux points (la porte d'entrée et la porte au 1er étage) ne pouvait sécuriser la situation au regard de l'ensemble du projet qui se heurtaient à d'autres revendications.
Néanmoins, il convient reprendre le déroulement des faits et d'analyser la position du CHU de Clermont-Ferrand.
L'ensemble de l'immeuble situé 18-20 avenue des Etats-Unis et 1 rue de l'Etoile cadastré IV 129 sur la commune de Clermont-Ferrand, loué à la SARL CAPTAIN'S CABIN, appartient au CHU. La désignation des lieux dans l'acte authentique est claire et conforme au titre de propriété. La SARL CAPTAIN'S CABIN en a effectivement la jouissance totale. Le rapport d'expertise de M. A... a confirmé cet état de fait.
Par ailleurs, les travaux envisagés par la SARL CAPTAIN'S CABIN ont été expressément autorisés par le bailleur. Cet accord a été rappelé dans un courrier du 4 octobre 2012 adressé par le CHU au conseil de la SARL CAPTAIN'S CABIN.
Le CHU a accepté de diminuer le montant du loyer commercial pour les années 2012 et 2013 (18 000 euros annuels au lieu de 30 000 euros) au regard des difficultés rencontrées par la SARL CAPTAIN'S CABIN pour qu'elle puisse réaliser son projet dans les temps.
Il a rappelé dans le courrier précité du 4 octobre 2012, qu'il disposait d'un écrit des époux E... en date du 10 mars 2012 autorisant le remplacement de la porte d'entrée de l'immeuble du 18 avenue des Etats-Unis selon le projet architectural de juin 2011 et le changement de la porte du 1er étage.
Ainsi que le relève le CHU, si la société SOCOTEC précise le 25 octobre 2012 que l'exploitant doit détenir un acte authentique autorisant l'utilisation de la cage d'escalier commune du 18 avenue des Etats-Unis comme issue de secours, cette obligation pèse sur l'exploitant. Il appartenait en effet à la SARL CAPTAIN'S CABIN de requérir cette autorisation du tiers en convoquant ce dernier (Mme E...) et en tant que de besoin, avec son bailleur, le CHU. Or, la SARL CAPTAIN'S CABIN n'a jamais formé une telle demande auprès de son bailleur.
Par ailleurs, si l'acte notarié du 30 juin 2010 fait référence à une modification cadastrale à intervenir, cette modification envisagée avant la vente projetée par le CHU est relative à des références cadastrales inexistantes à ce jour, et ne concerne pas l'appartenance des locaux. Si elle n'est pas encore intervenue, elle n'est pas de nature à remettre en cause le droit du preneur sur les lieux loués qui sont la propriété du CHU. La SARL CAPTAIN'S CABIN n'a pas à entrer dans la discussion des limites de propriété. Ces difficultés sont toujours en cours de traitement par les notaires du CHU et de Mme E....
Par ailleurs, à la suite du dépôt du rapport d'expertise de M. A... qui a conclu :
« La cage d'escalier des caves au 3ème étage est indivise au CHU pour 2/5 et aux consorts E... aux 3/5.
L'alcôve 1 du 1er étage, le WC du rez-de-chaussée, la cave 5, l'entrée et la cave 4 accédant rue de l'Etoile sont la propriété du CHU.
Nous conseillons de faire effectuer une division en volume pour identifier les parties imbriquées : l'alcôve du 1er étage, l'entrée et la cave 4 rue de l'Etoile, la cage d'escalier, les caves 5 et 6, et de faire un acte notarié rectificatif » ; des démarches ont été entreprises par Mme E... et le CHU.
Elles ne sont pas de nature à remettre en cause le droit du preneur sur les lieux loués car elles concernent le projet de vente future du bien par le CHU.
Comme le mentionne le CHU dans ses écritures, les copropriétaires indivis de la cage d'escalier peuvent donner leur accord devant notaire, indépendamment des démarches relatives à la division en volume, puisqu'il s'agit contrairement à ce qu'a énoncé le tribunal, du seul point de blocage des travaux d'extension. Par un courrier du 23 avril 2018 du conseil du CHU adressé au conseil des époux E..., le CHU a rappelé la possibilité de donner immédiatement l'autorisation à la SARL CAPTAIN'S CABIN de créer l'issue de secours qu'elle réclame indépendamment de l'état de division.
Suite au jugement du 12 décembre 2017, le conseil de la SARL CAPTAIN'S CABIN par courrier du 19 juillet 2018 adressé à l'ensemble des parties, à leurs conseils et notaires respectifs, a sollicité l'autorisation notariée pour réaliser ses travaux, rappelant :
« L’intégralité du projet d'aménagement des issues débouchant sur la cage d'escalier reconnue indivise, à savoir :
1. le courrier du Cabinet MINE ARCHITECTES du 17 juillet 2018 annonçant les différents éléments du projet au stade avant-projet définitif d'ores et déjà fournis en 2010-2011 ;
2. l'avant-projet définitif avec les croquis de principe datés de juin 2018 concernant :
a. la mise aux normes de la porte issue de secours au rez-de-chaussée ;
b. la mise aux normes de la porte issue de secours au premier étage ;
3. le certificat du bureau d'études structures du 13 mai 2018 confirmant la faisabilité de l'élargissement de la porte existante au premier étage ;
4. le rapport de l'APAVE du 28 juin 2015 déjà communiqué dans le cadre de la procédure au sujet du diagnostic sécurité incendie de dégagement sur l'escalier commun ;
5. et les plans de l'avant-projet définitif mentionnant en rouge les interventions sur les issues concernées ».
Le CHU a fait établir un projet d'acte notarié d'autorisation des travaux en septembre 2018 versé aux débats.
Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les conseils de la SARL CAPTAIN'S CABIN et des époux E... ont échangé entre eux sur le projet et les travaux projetés jusqu'au début de l'année 2019. L'acte notarié n'est toujours pas signé. Le CHU n'est pas responsable de cet état de fait.
Ainsi, aucune faute contractuelle ne peut être retenue à ....
- sur la responsabilité du tiers
Mme E... est seule propriétaire de l'immeuble objet du litige, M. E... n'est titulaire d'aucun droit réel sur le bien.
Il est invoqué à l'encontre de M. E... un abus de droit en raison de son attitude d'obstruction intempestive. Toutefois, il convient de confirmer l'analyse du tribunal sur cet aspect du litige, à savoir que le titre de propriété de Mme E... permettait d'émettre des doutes sur la compatibilité des travaux projetés par la SARL CAPTAIN'S CABIN et qu'en ayant relayé les intérêts de son épouse sur les points de difficultés juridiques que les titres laissaient apparaître, M. E... n'a pas commis un abus. Il a uniquement entendu venir en aide à son épouse dans les difficultés qui l'opposaient au CHU quant à la détermination des droits de propriété de ce dernier dans l'immeuble du 18 avenue des Etats-Unis et à la SARL CAPTAIN'S CABIN quant aux travaux qu'elle veut réaliser dans l'immeuble. Aucune intention de nuire n'est établie, les allégations de nuisances sonores ou de mise en péril de la structure par l'exécution des travaux n'étant pas suffisantes à la caractériser.
De même, ainsi que l'a relevé le tribunal, un trouble anormal du voisinage suppose établi un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage : la naissance de difficultés juridiques reposant sur des éléments sérieux ne constitue pas un incident anormal dans les relations de voisinage.
S'agissant de Mme E..., c'est par une juste analyse que le tribunal a considéré que jusqu'au dépôt du rapport d'expertise, celle-ci, en soulevant des difficultés et en avançant des revendications de propriété sans employer les moyens permettant qu'elles soient tranchées, avait commis une faute vis-à-vis de la SARL CAPTAIN'S CABIN dont le projet d'extension était de fait paralysé jusqu'à la clarification de la situation juridique au regard des droits réels sur l'immeuble.
Toutefois, il a été précisé ci-dessus que le projet d'extension de la SARL CAPTAIN'S CABIN était conditionné à la possibilité d'utiliser la sortie du premier étage vers l'escalier commun comme issue de secours, utilisation conditionnée à l'obtention d'une autorisation par Mme E..., formalisée dans un acte authentique. Ainsi que l'a jugé le tribunal, Mme E..., pouvait parfaitement conférer à la SARL CAPTAIN'S CABIN un droit d'usage sur la cage d'escalier, que celle-ci soit commune avec le CHU ou privative, et cette autorisation pouvait être recherchée par la société CAPTAIN'S CABIN malgré les autres points de blocage. Par conséquent, en s'abstenant de solliciter expressément cette autorisation, la SARL CAPTAIN'S CABIN a commis une faute en lien avec l'absence de réalisation des travaux, faute présentant un caractère déterminant dans la réalisation du préjudice.
La SARL CAPTAIN'S CABIN a, depuis le jugement, formalisé par écrit auprès de l'ensemble des parties, une demande d'autorisation notariée pour la réalisation des travaux le 29 juillet 2018.
Depuis cette date, une 'discussion' s'est instaurée entre la SARL CAPTAIN'S CABIN et Mme
E..., par le biais de leurs conseils respectifs, le CHU de Clermont-Ferrand ayant admis que cette autorisation pouvait être donnée par acte notarié indépendamment de la question non résolue du sort de la cage d'escalier commune à Mme E... et au CHU.
Si Mme E... est fondée à demander que ses droits soient respectés, et qu'elle n'était pas obligée de délivrer la dite autorisation, il convient néanmoins de tenir compte de l'autorisation écrite qu'elle avait donnée par le biais de son mari le 10 mars 2012, à savoir :
« - remplacer la porte d'entrée de l'immeuble du 18 avenue des Etats-Unis selon le projet architectural daté de juin 2011 (porte-imposte et chassis vitré -verre identique),
- changer la porte au 1er étage donnant accès au bar Captain's Cabin ».
Dans ses dernières conclusions, elle estime que la SARL CAPTAIN'S CABIN « parait vouloir mettre en oeuvre un projet de travaux plus importants affectant la cage d'escalier », qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir autorisé des travaux, finalement non mis en œuvre, à propos desquels aucune précision ne lui a été communiquée.
Toutefois, le projet d'extension de la SARL CAPTAIN'S CABIN est toujours le même depuis 2010, le courrier du 10 mars 2012 mentionne un « projet architectural » et il doit être considéré que le revirement de Mme E... fondé sur les observations techniques de M. F..., architecte consulté par ses soins en 2018, constitue une faute délictuelle.
- sur le préjudice
La SARL CAPTAIN'S CABIN sera indemnisée de son préjudice sur la période postérieure à sa demande d'autorisation de travaux par acte notarié, soit à partir du 1er août 2018.
L'expert judiciaire Mme G..., avait pour mission de chiffrer les éventuelles pertes d'exploitations commerciales de la SARL CAPTAIN'S CABIN depuis la date qu'elle alléguait comme étant constitutive du retard dans l'ouverture de sa surface agrandie de commercialisation. Son rapport est daté du 12 octobre 2015 et repose notamment sur les comptes de la société de 2014.
Elle indique que seule la création de quinze places supplémentaires à l'étage semble réellement susceptible d'être entravée, du fait de la nécessité de modifier l'ouverture de l'issue de secours. Sur les autres modifications, à savoir : jours d'ouverture, création des places supplémentaires, restauration, coffee shop, M. J... (gérant de la SARL CAPTAIN'S CABIN) indique qu'il s'agit d'un projet global et qu'il ne lui apparaît pas possible de le faire alors que des incertitudes sur les limites de propriété existent.
L'expert mentionne que la méthode utilisée est la valorisation des marges sur coûts variables de chaque composante du projet car la marge sur coûts variables est représentative des pertes ou manques à gagner.
S'agissant des places à l'étage, elle retient une marge sur coûts variables de 1 247 euros par mois.
Elle évalue ensuite la marge sur coûts variables mensuelle qu'aurait pu générer chacune des modifications envisagées :
- la restauration du midi : 4 875 euros ;
- la restauration du soir : 3 750 euros ;
- l'activité de coffee shop : 4 125 euros ;
- les places au rez-de-chaussée et terrasse : 3 518 euros ;
- l'ouverture les lundis : 412 euros.
Le projet d'agrandissement soutenu par la SARL CAPTAIN'S CABIN présente un caractère global, atteignant différents niveaux et différentes parties des locaux loués. Sans l'autorisation imposée par la réglementation en matière de protection contre les risques incendie, la société ne pouvait pas démarrer ses travaux.
Le préjudice doit donc inclure la totalité des pertes commerciales liée à l'absence de réalisation des travaux, soit 17 927 euros par mois.
Néanmoins, il s'agit d'indemniser ici une perte de chance de réaliser les résultats tels qu'évalués par l'expert : la société devait prendre la décision de démarrer les travaux, les travaux auraient dûs être réalisés dans un temps donné et sans désordre et enfin, les résultats attendus évalués par l'expert devaient être obtenus car il convient de rappeler qu'il s'agit d'une activité de restauration.
Dans ces conditions, Mme E... sera tenue d'indemniser la SARL CAPTAIN'S CABIN de la perte de chance de réaliser les résultats attendus grâce aux travaux d'extension et de mener à bien ses projets, et ce, à hauteur de 25 %. Ainsi, elle sera condamnée à lui verser la somme de 44 817,50 euros (17 927 euros x 25 % x 10 mois), le préjudice étant liquidé au jour où la cour statue. Au-delà, le préjudice invoqué ne présente pas un caractère certain.
La SARL CAPTAIN'S CABIN sera déboutée de sa demande d'indemnisation à hauteur de 15 000 euros au titre d'un préjudice financier qui n'est nullement établi.
Il n'y a pas lieu de condamner le CHU de Clermont-Ferrand à garantir Mme E... des condamnations prononcées à son encontre, en l'absence de faute de ce dernier.
III- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant principalement à l'instance, Mme E... sera condamnée aux dépens de première instance incluant les frais d'expertises judiciaires, et d'appel.
La distraction des dépens sera ordonnée au profit de Me DOS SANTOS, avocat.
Toutefois, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- déclaré les demandes indemnitaires formées par la SARL CAPTAIN'S CABIN à l'encontre du Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand au titre des années 2011, 2012 et 2013 recevables ;
- rejeté les demandes indemnitaires présentées par la SARL CAPTAIN'S CABIN à l'encontre du Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand ;
- rejeté les demandes indemnitaires formées par la SARL CAPTAIN'S CABIN à l'encontre de M. L... E... ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
Condamne Mme D... B... épouse E... à payer à la SARL CAPTAIN'S CABIN la somme 44 817,50 euros au titre de l'indemnisation de la perte de chance ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme D... B... épouse E... aux dépens de première instance incluant les frais d'expertises judiciaires, et d'appel ;
Accorde à Me DOS SANTOS, avocat, le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont il aura fait l'avance sans en avoir reçu provision.