CA Douai, ch. 1 sect. 1, 12 janvier 2009, n° 07/08112
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roussel
Conseillers :
Mme Metteau, Mme Marchand
Avoués :
SCP Carlier-Regnier, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Me Vandenbussche, Me Zimmermann
Exposé des faits
Par jugement rendu le 30 novembre 2007, le Tribunal de Grande Instance de LILLE a :
condamné in solidum Monsieur Pierre V. et Madame Françoise D. épouse V. à payer à Monsieur Yves D. et Madame Bernadette M. épouse D. les sommes suivantes :
38.430 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2006, à titre principal, ♦ 3.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2006, ♦ 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
ordonné la capitalisation des intérêts,
prononcé l'exécution provisoire,
condamné in solidum Monsieur Pierre V. et Madame Françoise D. épouse V. aux dépens.
Madame Françoise D. épouse V. et Monsieur Pierre V. ont interjeté appel de cette décision le 19 décembre 2007.
Il sera fait référence pour l'exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières écritures déposées le : 11 juin 2008 pour Monsieur Yves D. et Madame Bernadette M. épouse D.
8 avril 2008 pour Monsieur Pierre V. et Madame Françoise D. épouse V.
RAPPEL DES DONNEES UTILES DU LITIGE :
Le 18 septembre 1962, Maître PROUVOST, Notaire à Roubaix, a reçu
l'acte de constitution d'une société civile de construction du petit Cottignies ayant pour objet la construction d'un lotissement de 80 maisons individuelles sur la commune de WASQUEHAL, rues Louise M. et Coli. Ce même notaire a reçu, le 2 mai 1963, le règlement du cahier des charges. Un plan du lotissement a été intégré au cadastre, la même année, laissant apparaître la distinction entre les parties communes et les parties privatives.
Le ... est décrit au règlement du cahier des charges comme étant constitué d'une parcelle de 247 m² destinée à la construction d'une maison d'habitation. Ce lot a été cadastré section B n°566P (numéro 5 de la rue Molière). En 1967, le cadastre a été remanié et le lot n°47 du lotissement a été repris section AO, n°187, pour une contenance de 430 m², l'espace vert bordant la parcelle ayant été intégré dans ce lot. La même erreur a été faite pour plusieurs lots.
Monsieur et Madame V. ont acquis le 25 juillet 1991, la maison d'habitation située rue Molière n°5, fonds de construction et terrain en dépendant, l'acte notarié mentionnant que le bien était repris au cadastre section AO n°187 « pour 4 ares 30 centiares ».
La maison a été revendue par acte notarié du 1er février 1996 à Monsieur et Madame D., la contenance indiquée étant de 430 m², la référence cadastrale ayant à nouveau changé pour devenir section AO n°921.
Par arrêt rendu le 28 février 2005, la Cour d'Appel de DOUAI a notamment :
dit que les parcelles du ... situé à Wasquehal, rue Louise Michel et rue Coli, section AO, prises selon leur numérotation en vigueur en août 2000 au cadastre de cette commune notamment concernant la parcelle 921 de Monsieur et Madame D. pour 183 m², constituaient des parties communes du groupe d'habitation du Petit Cottignies, • ordonné aux propriétaires de cette parcelle la restitution des espaces verts aux copropriétaires des parties communes sous astreinte.
Monsieur et Madame D. invoquant une éviction immobilière ont, suite à cet arrêt, fait assigner par acte d'huissier du 8 juin 2006, leurs vendeurs, Monsieur et Madame V. devant le Tribunal de Grande Instance de LILLE aux fins d'obtenir une indemnisation outre des dommages et intérêts.
La décision déférée a été rendue dans ces conditions.
Monsieur et Madame V. demandent à la Cour de :
réformer le jugement, • déclarer les époux D. irrecevables à agir, • à titre subsidiaire, les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions, • à titre infiniment subsidiaire, rejeter en l'état ou réduire leurs prétentions compte tenu de la valeur du bien litigieux en 1996 et l'absence de faute de leur part, en toute hypothèse, condamner Monsieur et Madame D. à leur verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.
Ils estiment que les conditions d'application de l'article 1626 du Code Civil prévoyant la garantie d'éviction ne sont pas réunies dans la mesure où l'article 1627 du même code permet d'écarter par des conventions particulières cette garantie, ce qui a été fait dans le paragraphe « charges et conditions » de l'acte notarié de vente lequel stipule que le bien est vendu en l'état sans que les acheteurs puissent demander d'indemnité notamment pour une moindre contenance. Ils font valoir qu'il n'existe aucune différence entre cette notion de moindre contenance et celle d'éviction.
A titre subsidiaire, ils relèvent que la garantie d'éviction doit être refusée puisque l'erreur est uniquement imputable au cadastre dont le plan défectueux a inclus dans leur lot, une portion de terrain appartenant à un tiers et que la seule action en responsabilité possible doit être exercée contre l'Etat. Ils ajoutent qu'aucune faute ne peut leur être imputée puisque l'erreur remonte à 1967 et qu'ils n'ont acquis le bien qu'en 1991, sans qu'ils n'aient connaissance de la moindre difficulté.
Ils affirment, en tout état de cause, que l'indemnité ne pourrait être que du montant de la réduction de prix qui aurait été faite, à la date de l'achat en 1996, si la difficulté avait été connue ainsi que la moindre contenance du terrain.
Monsieur et Madame D. sollicitent le rejet de l'appel, la confirmation du jugement en ce qu'il a accueilli la demande en garantie d'éviction. Ils demandent de :
• recevoir leur appel incident, • condamner les époux V. à leur payer :
♦ la somme de 43.371 euros au titre de l'éviction immobilière ♦ la somme de 10.907,05 euros à titre de dommages et intérêts
• confirmer le jugement en ce qu'il leur a accordé les intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2006, date de l'assignation et ordonné la capitalisation des intérêts, • confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux V. à leur payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens, • les condamner in solidum à leur payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens de l'appel.
Selon eux, l'éviction n'est pas assimilable à un simple défaut de contenance dès lors que c'est leur qualité de propriétaire qui a été remise en cause pour une partie importante de l'immeuble vendu. Ils ajoutent qu'en toute hypothèse l'article 1628 du Code Civil prévoit que le vendeur doit garantie de son fait personnel, toute convention contraire étant nulle et qu'en conséquence, leur action est recevable.
Ils estiment que l'erreur imputée au cadastre ne décharge pas les vendeurs dans la mesure où cette erreur était antérieure à la vente.
Ils font valoir que le problème était connu des vendeurs puisque dès 1994, un procès verbal de l'association syndicale ayant décidé de revenir à la situation cadastrale antérieure, certains des propriétaires s'étaient vivement opposés à cette décision. Ils affirment que non seulement les époux V. leur ont caché cette situation mais qu'ils les ont induits en erreur, leur indiquant qu'ils pouvaient construire sur les espaces verts (rattachés depuis à la copropriété) un garage. Ils en concluent que la mauvaise foi des vendeurs est établie.
Ils demandent l'indemnisation du préjudice subi à hauteur de 237 euros le m², par référence aux prix habituellement pratiqués dans le secteur et pour tenir compte du fait qu'ils n'ont pas pu construire le garage qu'ils souhaitaient réaliser contribuant ainsi à la dévalorisation du bien. Ils précisent que l'éviction qui doit être indemnisée date de l'arrêt de la Cour d'Appel de DOUAI soit 2005.
Ils expliquent avoir également subi un préjudice du fait de la procédure d'éviction qu'ils ont dû supporter, croyant de bonne foi, sur les indications de leurs vendeurs être dans leur droit, cette procédure ayant entraîné non seulement des frais mais également des tracas, l'hostilité de certains voisins pendant presque 10 ans.
Motifs
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes :
L'article 1626 du Code Civil prévoit que quoique lors de la vente il n ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet et non déclarées lors de la vente'. L'article 1627 précise toutefois que les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie.
S'il apparaît que l'acte notarié de vente signé le 1er février 1996 entre Monsieur et madame V. d'une part et Monsieur et Madame D. d'autre part, dispose que la partie acquéreuse s'oblige expressément à exécuter, savoir :
#1 1) De prendre le bien vendu dans l'état où il se trouve actuellement, sans pouvoir demande aucune indemnité, ni diminution du prix ci-dessus fixé pour mitoyenneté, défaut d'alignement, vices de constructions apparents ou cachés, vétusté des bâtiments, champignon, mauvais état du sol ou du sous sol, ou quelque autre cause que ce soit, ni pour moindre mesure qui pourrait exister entre la contenance réelle et celle sus-indiquée, cette différence excédât-elle un/vingtième', cette clause de non-garantie de désignation et de contenance ne dispense pas les vendeurs de garantir les acheteurs contre l'éviction de la chose vendue. En effet, en l'espèce ce n'est pas seulement la consistance du bien qui est remise en cause, mais la qualité même de propriétaire des acquéreurs.
En conséquence, Monsieur et Madame V. sont recevables à agir contre leurs vendeurs sur le fondement de la garantie d'éviction malgré la clause de non-garantie de contenance de l'acte de vente.
Sur la demande d'indemnité :
Il découle des dispositions de l'article 1627 du Code Civil que la garantie est due par les vendeurs à la condition que :
- les circonstances conduisant à l'éviction soient antérieures à la vente
- les acquéreurs n'aient pas pu en empêcher les effets ou que le trouble ne soit pas imputable à l'acquéreur
En l'espèce, il y a lieu de constater que l'éviction est le fait non d'une autorité publique mais de certains propriétaires du lotissement du Petit Cottignies ayant demandé le retour des parcelles rattachées par erreur aux lots de propriétaires lors du remaniement cadastral de 1967.
En conséquence, l'erreur de l'administration ayant conduit à l'éviction est bien antérieure à la vente de 1996 et Monsieur et Madame V. n'ont pas pu en empêcher les effets et ne sont en rien dans la survenance du trouble.
Ils sont donc fondés à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 1626 du Code Civil sans que la bonne foi ou la mauvaise de leurs vendeurs ait une quelconque conséquence sur le bien fondé de leur action.
Cependant, il sera également constaté que Monsieur et Madame V. ne pouvaient ignorer la situation et le litige existant au moins en germe lors de la vente, dans la mesure où un jugement rendu par le Tribunal d'Instance de ROUBAIX le 3 novembre 1997 dans le cadre du même litige, constatait que les difficultés entre 9 propriétaires, dont les époux V. et les autres propriétaires du lotissement concernant le caractère privatif ou non des zones vertes, remontaient à divers procès verbaux datés de 1994.
Par ailleurs, il ressort de l'attestation de Monsieur C., que ce dernier entretenait régulièrement (en alternance avec un autre habitant de la résidence) l'espace vert contigu au terrain des époux V. et objet du litige : or, si les vendeurs n'avaient eu aucun doute sur leur qualité de propriétaire de cet espace vert, il est certain qu'ils n'auraient pas laissé un tiers y intervenir (comme il le faisait sur les autres espaces verts communs) sans observations.
Sur le montant de l'indemnisation :
L'article 1633 du Code Civil prévoit que si la chose se trouve avoir augmenté de prix à l'époque de l'éviction, indépendamment même du fait de l'acquéreur, le vendeur est tenu de lui payer ce qu'elle vaut au-dessus du prix de la vente.
Dès lors, les vendeurs sont tenus d'indemniser leurs acquéreurs de la valeur du bien dont ils sont évincés, à la date de la décision d'éviction.
En l'espèce, Monsieur et Madame D. ont subi cette éviction suite à la décision de la Cour d'Appel de DOUAI du 28 février 2005 pour 183 m².
Le premier juge a justement retenu, à partir de l'attestation de valeur de la SCP de notaires DANJOU-DURNEZ et DESWARTE relativement à la valeur au m² des terrains vendus début 2005 dans le même secteur, une valeur moyenne de 210 euros le m² soit un préjudice de 38.430 euros. Cette somme répare l'entier préjudice découlant de l'éviction, quelqu'aient pu être les projets des acquéreurs pour cette parcelle.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2006, date de l'assignation en application des dispositions de l'article 1153 du Code Civil.
Sur les dommages et intérêts demandés par les époux D. :
Monsieur et Madame V. bien que connaissant les contestations liées à la superficie du bien vendu et à l'intégration dans leur parcelle des espaces verts bordant cette dernière, n'ont donné à ce sujet à leurs acquéreurs aucune indication, gardant dans ce domaine un silence fautif lors de la vente.
Ils ont ainsi causé à leurs acquéreurs un préjudice moral certain, consécutif aux tracas liés à cette découverte peu après la vente ainsi qu'aux mauvaises relations de voisinage qui ont pu en découler.
Cependant, Monsieur et Madame V. ne peuvent être tenus responsables de l'entier préjudice découlant des procédures judiciaires qui ont suivi et ont abouti à l'éviction, celles ci résultant de la position même des époux D. qui ont refusé de reconnaître l'erreur cadastrale.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé le préjudice subi à 3.000 euros, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
La capitalisation des intérêts doit être ordonnée en application des dispositions de l'article 1154 du Code Civil.
En définitive, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens d'appel :
#2 Il paraît inéquitable de laisser à Monsieur et Madame D. la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. Monsieur et Madame V. seront condamnés à leur payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Succombant, ils seront condamnés aux dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y AJOUTANT :
CONDAMNE Monsieur Pierre V. et Madame Françoise D. épouse V. à payer à Monsieur Yves D. et Madame Bernadette M. épouse D. la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel ;
CONDAMNE Monsieur Pierre V. et Madame Françoise D. épouse V. aux dépens dont distraction au profit de la SCP DELEFORGE FRANCHI.