Cass. com., 1 juin 2023, n° 21-18.367
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SAS Buk Lament-Robillot, SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouin-Palat et Boucard
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [V], Mme [R] [G] et M. [W] [G] et aux sociétés Adequen et Bauland Carboni Martinez et associés, ès qualités, aux droits de laquelle vient la société Ajassociés, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [A], en sa qualité de liquidateur judiciaire du GIE Hôtel Mont Vernon, M. [J] et la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie Seine.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mars 2021), par acte authentique reçu le 21 décembre 1989 au sein d'une société notariale aux droits de laquelle est venue la SCP Hebert-Jacques-Collanges puis la SCP Renaud et Thierry Collanges (la société notariale), la société Clasa a vendu un bien immobilier à la société Adequen, dont [M] [G], Mme [V], Mme [R] [G] et M. [W] [G] étaient les associés, l'acquisition étant financée par un prêt souscrit auprès de la société Comptoir des entrepreneurs, devenue la société Le Crédit foncier de France (la société CFF). [M] [G] est décédé le 18 janvier 2005, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [V], et ses deux enfants, Mme [R] [G] et M. [W] [G] (les consorts [G]). La société Adequen a été inscrite au registre de commerce et des sociétés le 2 janvier 1990. Le 21 novembre 2006, elle a vendu le bien immobilier à M. [J]. Elle a été dissoute amiablement le 3 avril 2007 et radiée du registre du commerce et des sociétés le 30 août 2007, avec effet rétroactif au 31 décembre 2006. Le 12 avril 2010, la société Clasa a été mise en liquidation judiciaire.
3. Par actes des 14, 17 et 18 juin 2013, les consorts [G] ont assigné la société Clasa, prise en la personne de son liquidateur, la société Fides, la société notariale et son assureur, la société MMA IARD, la société CFF et la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Haute-Normandie en restitution du prix de la vente immobilière du 21 décembre 1989, en raison de la nullité de cet acte fondée sur le défaut de personnalité morale de la société Adequen à cette date, et en paiement de dommages et intérêts.
4. Par conclusions du 8 décembre 2017, la société Bauland Carboni Martinez et associés, aux droits de laquelle vient la société Ajassociés, est intervenue volontairement à l'instance en qualité d'administrateur ad hoc de la société Adequen.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de restitution des intérêts du prêt et la demande tendant à la condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à garantir le remboursement des intérêts d'emprunt
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de restitution au titre du prix de vente ainsi que toutes autres demande, dont celles tendant à obtenir la condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à garantir la restitution du prix de vente, réunis
Enoncé des moyens
6. Par le premier moyen, les consorts [G] font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables à agir en recouvrement de créances nées dans le patrimoine de la société Adequen dissoute, alors « que la clôture de la liquidation d'une société a pour effet de transférer en indivision à ses anciens associés les biens sociaux dont fait partie le droit d'agir de la société en restitution et en réparation lié à l'acquisition d'un bien immobilier entachée de nullité, de sorte que ces derniers ont qualité pour agir en leur nom personnel en recouvrement des créances de restitution et de réparation nées dans le patrimoine de la société dissoute ; qu'en énonçant, pour juger que les consorts [G] devaient être déclarés irrecevables faute de qualité pour agir, que la société Adequen, dissoute amiablement le 3 avril 2007 et radiée du registre du commerce et des sociétés le 30 août 2007 avec effet rétroactif au 31 décembre 2006, n'avait plus d'existence depuis la publication de la clôture de sa liquidation et que ses anciens associés n'avaient pas qualité pour agir en recouvrement d'une créance sociale née dans le patrimoine de la société dissoute, la cour d'appel a violé l'article 1844-9 du code civil. »
7. Par le deuxième moyen, la société Bauland Carboni Martinez et associés, aux droits de laquelle vient la société Ajassociés, en sa qualité d'administrateur ad hoc de la société Adequen, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de restitution au titre du prix de vente ainsi que toute autre demande, dont celles tendant à obtenir la condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à garantir la restitution du prix de vente, alors « que l'annulation d'un contrat, fût-elle prononcée à la demande d'un tiers, entraîne de plein droit la remise des parties en l'état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, de sorte que le juge ne peut refuser d'ordonner entre les parties les restitutions réciproques qui en résultent parce que l'action en nullité de ces dernières a, elle, été déclarée prescrite ; qu'en se fondant, pour rejeter les demandes de la société Adequen en restitution du prix de vente et des intérêts du prêt, sur la circonstance inopérante que ces demandes, qui résultaient de la nullité des contrats de vente et de prêt, n'étaient formulées qu'au bénéfice de la société Adequen, dont les actions en nullité avaient été jugées prescrites, la cour d'appel, qui a prononcé, à la demande des consorts [G], tiers aux contrats, la nullité de l'acte de vente du 28 décembre 1989 et la nullité de l'acte de prêt du 28 décembre 1989 consenti par la société Comptoir des entrepreneurs, devenue la société CFF, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte des articles L. 622-17, L. 622-21, I, L. 641-3 et L. 641-13 du code de commerce que lorsqu'un contrat conclu avant l'ouverture de la procédure collective est annulé après l'ouverture de cette procédure, la créance de restitution, bien que née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ne peut bénéficier du traitement préférentiel prévu par ces dispositions, faute d'être née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période.
9. En conséquence, le débiteur ne peut être condamné à payer cette créance de restitution et, conformément aux dispositions des articles L. 624-2 et L. 641-14 du code de commerce, le créancier, après l'avoir déclarée, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances devant le juge-commissaire.
10. L'arrêt constate que le contrat de vente litigieux a été conclu le 28 décembre 1989 et que la société Clasa a été mise en liquidation judiciaire le 12 avril 2010.
11. Il en résulte que la créance de restitution résultant de l'annulation de ce contrat, bien que née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, n'est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, de sorte que la société Clasa ne peut être condamnée à payer cette créance de restitution.
12. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
13. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. Les consorts [G] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, de rejeter leurs demandes de condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à l'indemnisation de leurs préjudices, et leurs demandes de restitutions à la suite de l'annulation de la vente du 21 décembre 1989 ainsi que toute autre demande dont celles tendant à obtenir la condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à garantir la restitution du prix de vente du lot n° 192 et du remboursement des intérêts d'emprunt, alors « que la cassation d'un chef de dispositif entraîne par voie de conséquence l'annulation de toute autre disposition qui entretient avec lui un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen qui s'attaque au chef de dispositif ayant rejeté les demandes de restitution au titre du prix de vente et des intérêts du prêt entraînera l'annulation par voie de conséquence des chefs de dispositif ayant débouté les consorts [G] de leurs demandes indemnitaires et de leurs demandes de condamnation de la société notariale in solidum avec la société Les Mutuelles du Mans IARD à l'indemnisation de leurs préjudices qui en sont la conséquence nécessaire, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Le rejet du deuxième moyen rend le grief sans portée.
Mais sur ce moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
16. Les consorts [G] font le même grief à l'arrêt alors « qu'excède ses pouvoirs la cour d'appel qui, après avoir déclaré une demande irrecevable, statue au fond ; que dès lors, en déboutant les consorts [G] de leurs demandes de restitution, de leurs demandes indemnitaires et de garantie, après les avoir déclarés irrecevables à agir en recouvrement de créances nées dans le patrimoine de la société Adequen dissoute, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 122 du code de procédure civile :
17. Aux termes de ce texte, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
18. Il en résulte que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.
19. Après avoir jugé, par motifs adoptés, que les préjudices allégués par les consorts [G] sont des créances de restitution de la société Adequen, et avoir déclaré, par confirmation du jugement, les consorts [G] irrecevables à agir en recouvrement de créances nées dans le patrimoine de la société Adequen dissoute, l'arrêt rejette les demandes de restitution des consorts [G], leurs demandes indemnitaires et les demandes de condamnation de la société notariale in solidum avec son assureur à l'indemnisation de leurs préjudices.
20. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
21. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
22. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents qui sont éventuels, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de restitution de Mme [F] [V], veuve [G], Mme [R] [G], épouse [H] et M. [W] [G] à la suite de l'annulation de la vente du 21 décembre 1989, et en ce qu'il confirme le jugement en tant que celui-ci les a déboutés de leurs demandes indemnitaires et a rejeté les demandes de condamnation de la société civile professionnelle de notaires Renaud Herbert Nadia Jacques et Thierry Collange in solidum avec la société Les Mutuelles du Mans IARD à l'indemnisation de leurs préjudices, l'arrêt rendu le 5 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.