CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 février 2023, n° 20/17375
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Georgelin Logistique et Transports (SAS)
Défendeur :
Vegesupply (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Bouzidi-Fabre, Me Scheuber, Me Chirac Kollarik, Me de Mascureau
FAITS ET PROCÉDURE
La société Georgelin Logistique et Transports ( G.L.T) exerce l'activité de transport routier de marchandises et compte parmi ses clients des entreprises du secteur horticole.
La société Végésupply a été constituée le 17 mars 2014 par quatre sociétés : la société Fleuron d'Anjou, la société JCT Plants, la société [Y] Fleurs et la société Pépinières Charles Detriche qui sont des entreprises horticoles ou pépinieristes. Elle a pour objet l'activité de commissionnaire de transports pour le compte de ses associés ou pour le compte de tiers.
Le 23 octobre 2015, un contrat de prestations de transport a été signé aux termes duquel la société Végésupply a confié à la société G.L.T des opérations de transport pour distribuer les marchandises des utilisateurs du service Végésupply et, notamment, la gestion des rolls et autres emballages servant au transport.
Par lettre recommandée du 31 octobre 2019, avec avis de réception du 6 novembre 2019, la société Végésupply a informé la société G.L.T de sa décision de résilier le contrat en respectant le préavis de 3 mois prévu dans la clause de résiliation.
La société G.L.T a répondu, par lettre de son conseil du 26 novembre 2019, qu'un préavis de 21 mois devrait être respecté compte tenu des relations entretenues de longue date avec les sociétés Fleuron d'Anjou, [S] et [Y].
La société Végésupply, par lettres de son conseil des 16 décembre 2019 et 15 janvier 2020, a mis en demeure la société G.L.T de procéder, dans le délai de 30 jours, à la reprise de rolls se trouvant chez les clients et de les lui restituer. Elle ajoutait qu'à défaut de satisfaire à ces deux obligations contractuelles, elle entendrait se prévaloir du bénéfice des stipulations de l'article 6.3 du contrat et invoquer la résiliation de plein droit du contrat.
Les parties sont restées en désaccord sur la durée du préavis ainsi que sur le problème des rolls et, le 21 janvier 2020, la société Végésupply a mis fin à leurs relations en donnant instruction à ses clients de ne plus confier le transport de marchandises et le ramassage des rolls à la société G.T.L.
La société G.T.L, qui avait saisi le juge des référés d'une demande afin d'obtenir la poursuite du contrat de transport, a été déboutée de sa demande par ordonnance du 12 mars 2020.
Précédemment, le 13 février 2020, la société G.T.L avait fait assigner la société Végésupply devant le tribunal de commerce de Rennes pour voir constater la rupture brutale des relations commerciales et obtenir des dommages-intérêts.
Par jugement du 17 septembre 2020, le tribunal a :
- dit que la société Végésupply n'avait pas respecté un délai de préavis suffisant,
- fixé la durée du préavis à 4 mois,
- dit que la résiliation brutale du préavis en cours d'exécution au préjudice de la société G.L.T est abusive,
- condamné la société Végésupply à payer à la société G.T.L la somme de 21.675 €, à titre de dommages-intérêts, en indemnisation du préavis non effectué et du complément de préavis,
- constaté que la société G.L.T n'apportait pas la preuve d'une quelconque désorganisation de son activité liée à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
- débouté la société G.L.T de sa demande de paiement de la somme de 50.000 €,
- débouté la société Végésupply de sa demande de dommages-intérêts au titre de la non-restitution des rolls,
- condamné la société Végésupply à payer la somme de 3.000 € à la société G.L.T par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres parties,
- condamné la société Végésupply aux dépens.
La société G.L.T a relevé appel par déclaration au greffe du 1er décembre 2020.
Par ordonnance du 11 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a débouté la société Végésupply de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions n° 2 signifiées par la société G.L.T le 30 août 2021 puis le 5 juillet 2022.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 12 décembre 2022, la société G. L. T demande à la cour :
1) d'infirmer le jugement en ce qu'il :
- a fixé la durée du préavis à 4 mois et limité la condamnation de la société Végésupply à lui payer la somme de 21.675 €, à titre de dommages-intérêts, en indemnisation du préavis non effectué et du préavis manquant,
- l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 50.000 € en indemnisation du préjudice subi du fait de la désorganisation résultant de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Végésupply,
2) statuant à nouveau, de condamner la société Végésupply à lui payer :
- la somme de 260.100 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation de la brutalité de la rupture,
- la somme de 50.000 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice lié à la désorganisation de son activité,
- l'indemnité complémentaire de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
3) de confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et de débouter la société Végésupply de son appel incident ainsi que de toutes ses demandes,
4) de condamner la société Végésupply aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions n° 4 notifiées et déposées le 5 décembre 2022, la société Végésupply demande à la cour, au visa de l'article L. 442-1 II du code de commerce, des articles 64 et 70 du code de procédure civile, des articles 1240 et 1241 du code civil ainsi que des articles 1231 et suivants du code civil, de déclarer la société G.L. T mal fondée en son appel et l'ensemble de ses demandes, l'en débouter et :
1) confirmer le jugement en ce qu'il a :
- constaté que la société G.L.T n'apporte pas la preuve d'une quelconque désorganisation de son activité liée à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
- débouté la société G.L.T de sa demande en paiement de la somme de 50.000 €,
2) recevoir la société Végésupply en son appel incident et, y faisant droit, infirmer le jugement en ses autres dispositions et, statuant à nouveau :
- constater l'absence de résiliation abusive de plein droit du contrat de prestations de transport du 23 octobre 2015,
- à titre subsidiaire : dire que la société Végésupply a respecté un délai de préavis de rupture suffisant, constater l'absence de rupture brutale de la relation commerciale établie et, en conséquence, débouter la société G.L.T de l'ensemble de ses demandes,
3) à titre reconventionnel : condamner la société G.L.T à lui payer la somme de 268.608,15 €, ou sinon celle de 153.424 €, en réparation du préjudice subi au titre de l'encours de rolls consignés repris et non restitués,
4) en tout état de cause, condamner la société G.L.T aux entiers dépens et à lui payer la somme de 8.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Végésupply a notifié et déposé de nouvelles conclusions le 2 janvier 2023.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 3 janvier 2023, l'affaire étant renvoyée pour plaider devant la cour à l'audience du 10 janvier 2023.
Par conclusions de procédure du 6 janvier 2023, la société G.L.T a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture afin de pouvoir répondre aux conclusions de la société Végésupply du 2 janvier 2023 ou, à défaut, le rejet des conclusions et pièces signifiées le 2 janvier 2023 en violation du principe de la contradiction.
Statuant sur l'incident de procédure avant débats sur le fond, la cour a dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture et a déclaré irrecevables les conclusions de la société Végésupply notifiées et déposées le 2 janvier 2023,veille de l'ordonnance de clôture comme portant atteinte au respect du principe de la contradiction.
MOTIVATION
Il est constant que la société Végésupply, après avoir accordé à la société G.L.T un préavis de 3 mois courant à compter du 6 novembre 2019, l'a ensuite mise en demeure de restituer des rolls dans le délai de 30 jours à peine de résiliation de plein droit du contrat, lui réclamant 1.255 rolls par lettre du 16 décembre 2019 et réduisant sa demande à 936 rolls par lettre du 15 janvier 2020.
Puis, la société Végésupply a averti ses clients de la cessation de ses relations avec la société G.L.T à compter du 22 janvier 2020 à minuit.
Sur la demande en paiement de la société Végésupply :
La société Végésupply, par appel incident, soutient que la société G.L.T a été gravement défaillante dans l'exécution de son obligation de restitution des rolls, c'est à dire des chariots à étages permettant la livraison des marchandises aux jardineries, ce qui justifie selon elle la résiliation de plein droit du contrat par application de son article 6.3 qui stipule qu'à défaut par l'une ou l'autre des parties d'exécuter ses obligations contractuelles, le contrat sera résilié de plein droit 30 jours calendaires après présentation d'une mise en demeure de payer ou d'exécuter restée en tout ou partie sans effet.
Elle expose :
- qu'elle n'est pas propriétaire des rolls qui lui sont confiés en dépôt par ses adhérents,
- qu'en exécution du contrat, la société G.L.T était chargée de reprendre les rolls chez les différents clients livrés, moyennant une rémunération pour chaque roll récupéré,
- que le coût d'un roll CC est d'environ 150 € l'unité et celui d'un roll jaune JCT d'environ 480 € l'unité,
- qu'au regard de la désorganisation générée par le défaut de retour normal des rolls et du coût financier de l'ordre de 150.000 € correspondant à la valeur des rolls non restitués, le manquement reproché à la société G.L.T présente une gravité réelle et suffisante pour justifier la résiliation du contrat à ses torts,
- qu'en raison de l'impossibilité pour elle de restituer les rolls perdus, les sociétés Detriche, [S] et Fleuron d'Anjou les lui ont facturés pour un montant global de 268.608,15 € HT,
- que le défaut de pliage des rolls allégué par la société G.L.T est inopérant dans la mesure où le litige porte sur la non-restitution de rolls qui ont été repris par cette société chez les clients et qui étaient nécessairement pliés,
- que les rolls sont partagés entre toutes les jardineries de France et qu'il semble que la société G.L.T ait restitué les rolls litigieux à d'autres clients que ceux de la société Végésupply.
Pour étayer son calcul sur les rolls manquants, la société Végésupply précise :
- qu'elle saisissait le nombre de rolls remis à la société G.L.T dans un fichier Excel qui était utilisé ensuite par la société G.L.T pour sa facturation,
- que les rolls étaient livrés chez les clients par la société G.L.T qui en reprenait d'autres, les apportait sur sa plateforme et enregistrait ses reprises sur le système informatique de Végésupply,
- que la société G.L.T restituait aux horticulteurs, donneurs d'ordre, les rolls repris chez les clients, ces retours faisant l'objet de bons de livraison servant à alimenter le fichier Excel de suivi des rolls,
- que le fichier Excel renseignait précisément sur le volume des rolls pris en charge par la société G.L.T et le volume restitué à Végésupply et/ou aux producteurs,
- que les données contradictoirement reprises dans le fichier Excel permettent de déterminer l'écart entre l'ensemble des rolls pris en charge par G.LT et ceux repris par cette société chez les clients et non restitués à Végésupply et aux producteurs.
Mais la société G.LT invoque à juste raison les stipulations :
- de l'article 4.7 du contrat de prestation de transport qui prévoit que le transporteur disposera de 4 semaines pour retourner les emballages consignés chez les utilisateurs du systéme Végésupply et que la société Végésupply donnera les instructions nécessaires au transporteur pour les retours à effectuer chez les utilisateurs du système Végésupply,
- de l'annexe 4 "Gestion des emballages réutilisables" du contrat qui prévoit qu'une partie du conditionnement sera assurée par les destinataires finaux selon les règles d'usage de la profession, que le chauffeur comptera les différents éléments récupérés (bases, étages, rehausses et montants) et les chargera dans le camion,
- des conditions générales de la société G.T.L figurant dans l'annexe 5-4-4 du contrat qui prévoit que le coût de la prestation est de 15 € par roll collecté et plié par le magasin portant sur les départements 44, 49, 53,72, 37,41, 28, 45 et que l'emballage devra être plié selon les règles en vigueur à la charge du remettant expéditeur, soit le magasin.
Il en résulte que la société G.L.T avait pour obligation de récupérer des rolls pliés par les destinataires des produits transportés. Or, elle justifie avoir alerté la société Végésupply, par lettre recommandée avec avis de réception du 27 avril 2017 et encore par courriel du 6 juin 2019, sur le défaut de pliage des rolls qu'elle devait collecter.
De plus, au cours du mois de décembre 2019, la société G.L.T a fait constater par huissier de justice, notamment :
- le 13 décembre 2019, que certains rolls repris par elle et entreposés sur son site de stockage étaient en état d'utilisation et non pliés,
- le 18 décembre 2019, que lors de la tournée de ramassage, les rolls n'étaient pas pliés dans deux magasins Gamm vert,
- le 19 décembre 2019, que lors de la tournée de ramassage, les rolls n'étaient pas pliés à l'entreprise Les jardins loisirs, le gérant indiquant que le fournisseur ne lui avait jamais demandé de plier les rolls,
- au retour de la tournée du 19 décembre 2019, que l'espace de stockage de la société G.L.T était entièrement recouverte, les photographies prises montrant des rolls non pliés,
- le 23 décembre 2019, que la société G.L.T a fait procéder sur son site au pliage des rolls par 7 intérimaires.
Par ailleurs, la société G.L.T verse aux débats deux constats d'huissier de justice des 20 janvier et 7 février 2020 qui établissent des erreurs et/ou inexactitudes affectant le tableau Excel de la société Végésupply. Il a ainsi été relevé des différences entre les trois tableaux Excel envoyés par la société Végésupply pour justifier du solde de rolls en possession de la société G.L.T, à savoir un tableur arrêté au 17 octobre 2019, un tableur arrêté au 9 janvier 2020 et un tableur arrêté au 22 janvier 2020.
La société G.L.T a fait réaliser un audit des trois tableaux Excel par la société Acalc, spécialisée dans les tarifs et tableaux de bord pour les transporteurs, qui a conclu le 7 février 2020 :
- que les balances ont subi des modifications au fil du temps, puisque les soldes à la même date du 17 octobre 2019 sont différents à chaque version de la balance,
- dans la synthèse jointe en annexe, fichier regroupant les 3 balances avec une compensation ligne par ligne, on peut vérifier une quantité importante de différences, erreurs ou manipulations qui se cumulent peu à peu sur les 2.473 lignes du dernier fichier.
Eu égard aux anomalies affectant le tableau Excel et à son absence d'intervention pour faire respecter le pliage des rolls avant collecte, la société Végésupply ne rapporte pas la preuve d'un manquement de la société G.L.T à ses propres obligations suffisamment grave pour justifier la résiliation de plein droit du contrat. Elle ne démontre pas non plus le nombre de rolls collectés et qui ne lui aurait pas été restitués alors que la société GTL établit par lettres de voiture du 14 janvier 2020 en avoir restitué 58.
En conséquence, sa demande en paiement de la somme de 268.608,15 € ou, subsidiairement, de 150.000 € sera rejetée.
Sur les demandes de la société G.L.T pour rupture brutale de la relation commerciale établie :
En l'absence de faute grave imputable à la société G.L.T, la société Végésupply, qui devait respecter un préavis suffisant, n'était pas en droit d'interrompre celui de 3 mois qu'elle avait accordé.
Sur la durée du préavis :
La société G.LT prétend qu'un préavis de 21 mois aurait dû lui être accordé; elle fait valoir en ce sens :
- que dès l'origine, l'intention des parties a été de poursuivre les relations commerciales initialement nouées entre G.L.T et chacune des sociétés Fleuron d'Anjou, [S] et [Y] et qu'elle entretenait des relations avec la société Fleuron d'Anjou depuis 21 ans,
- que la société Végésupply représentait 9,11 % de son chiffre d'affaires global,
- que le caractère saisonnier du transport de produits horticoles l'a conduite à aménager son organisation interne et, pour anticiper l'exécution du contrat, à s'engager auprès de Pôle emploi à recruter dix nouveaux conducteurs routiers à l'issue de leur formation entre mars et mai 2020,
- que le juge n'est pas tenu par une clause contractuelle fixant une durée de préavis,
- que le délai de 18 mois mentionné dans l'article L. 442-1 II du code de commerce n'est pas un plafond, mais une exemption et que si aucun préavis ou un préavis inférieur à 18 mois a été accordé, une condamnation à un préavis supérieur est tout à fait possible,
-que l'article L. 1432-4 du code des transports dispose que les contrats-types ne s'appliquent qu'à défaut de convention écrite entre les parties.
- que seul le contrat-type général, et non celui de sous-traitance, aurait pu s'appliquer à condition qu'il n'existe pas de convention contraire entre les parties,
- que la version de ce contrat-type, antérieure à celle du 1er mai 2017, ne comportait pas de dispositions sur les délais de préavis.
- qu'elle s'était engagée à respecter l'exclusivité à l'égard de Végésupply.
Pour s'opposer à cette prétention la société Végésupply soutient qu'un préavis de 3 mois était suffisant compte tenu d'une relation commerciale ayant duré 4 ans; elle souligne :
- qu'elle n'a jamais voulu en 2015 reprendre l'ancienneté des relations entretenues par la société G.L.T avec l'une de ses associées, la société Fleuron d'Anjou, remontant à 17 ans,
- qu'il a été stipulé à l'article 6.3 du contrat un délai de préavis de 3 mois et que ce n'est que de façon exceptionnelle que la durée du préavis contractuel pourrait être jugée insuffisante,
- que les nouvelles dispositions de l'article L. 442-1 II du code de commerce ont eu pour but de mettre fin à des délais de préavis trop longs, supérieurs à 18 mois,
- que les contrats-types applicables aux transports publics routiers de marchandises ont consacré des usages du commerce et que le juge peut s'y référer conformément à l'article L. 442-1 II du code de commerce,
- que la société G.LT n'était tenue d'aucune exclusivité à son égard et qu'au contraire c'est la société Végésupply qui lui a confié la distribution exclusive des envois horticoles sur certains départements,
- que ni le caractère saisonnier de l'activité de livraisons horticoles, ni le volume d'activité de G.L.T réalisé avec Végésupply, soit entre 4 et 7 % selon les années, ne justifie un préavis supérieur à celui du contrat-type qui ne peut excéder 6 mois,
- qu'en matière de transport, les préavis sont de courte durée, le secteur du transport routier offrant des facilités aux transporteurs pour réorganiser leur activité.
Réponse de la Cour,
L'article L. 442-1 II du code de commerce dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant les activités de production, de distribution ou de services, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois ».
Il est exposé en première page du contrat de prestation de transport du 23 octobre 2015 :
- que le prestataire, la société G.L.T, est en relation commerciale établie avec la société Fleuron d'Anjou depuis 1998, avec la société [S] depuis 2007 et avec la société [Y] depuis 2010,
- que les parties se situent donc dans la continuation des relations antérieures et ont la volonté de poursuivre et développer les relations qui préexistaient avec trois des associés de la société Végésupply.
Antérieurement, par courriel du 24 septembre 2015, la société G.L.T avait écrit :
« Pour faire suite à l'appel téléphonique de ce midi (24/09) de monsieur [J] Général du Groupe FLEURON, je prends acte de l'attribution qui nous est faite pour les 8 départements ...
Je vous confirme notre validation du transfert de la relation commerciale qui nous lie. Via votre la société VEGESUPPLY selon les conditions financières et générales en date du Mercredi 22 septembre 2015 ».
Cependant, même si la société G.L.T entretenait auparavant des relations commerciales avec trois des associés de la société Végésupply, dont la société Fleuron, il n'est pas démontré une continuation des relations précédemment nouées avec celle-ci.
En effet :
- la société Végésupply, nouvellement créée et exerçant l'activité de commissionnaire de transport, n'a pas repris les engagements résultant des relations entretenues antérieurement et de façon autonome par trois de ses associés avec la société G.L.T dans le cadre de contrats de transport, mais a conclu un nouveau contrat avec la société G.L.T,
- la société Végésupply n'a pas seulement pour activité de mutualiser les moyens entre ses associés fondateurs, elle développe aussi une activité de prestation logistique au bénéfice d'autres sociétés tierces qui n'ont jamais collaboré avec la société G.L.T.
Les relations commerciales établies entre les sociétés Végésupply et G.L.T n'ont donc duré que 4 ans.
Conformément à l'article L. 1432-4 du code des transports, les contrats-types ne s'appliquent qu'à défaut de convention écrite entre les parties.
L'existence du délai contractuel de 3 mois ne dispense pas la cour de vérifier si ce délai était suffisant pour permettre à la société G.LT de réorganiser son activité.
Contrairement à ce qu'elle allègue, la société G.L.T n'était tenue par aucune clause d'exclusivité. Elle n'a réalisé avec la société Végésupply en 2019 que 6,7 % de son chiffre d'affaires total. Elle ne justifie pas avoir dû procéder à des investissements particuliers en matériels ou liés à l'embauche de personnels pour satisfaire aux obligations souscrites dans le contrat conclu avec la société Végésupply.
Eu égard à ces circonstances, à la durée des relations commerciales, à la nature de l'activité de transport et aux usages pour les contrats de transport qui est de fixer des préavis de courte durée, le tribunal a justement retenu qu'un préavis de 4 mois aurait dû être respecté.
Sur le préjudice résultant de la brutalité de la rupture.
La société G.LT demande en premier lieu une indemnité calculée sur la perte de marge brute de 16 % pendant le préavis manquant.
La société Végésupply s'y oppose aux motifs que le préjudice ne serait ni actuel ni certain, la société G.L.T ayant certainement retrouvé d'autres clients et l'activité horticole ayant été interrompue ainsi que les magasins de vente fermés en raison de la crise sanitaire.
Réponse de la Cour,
Le préjudice réparable doit s'apprécier à la date à laquelle intervient la rupture brutale, peu important les circonstances postérieures et la crise sanitaire ayant entraîné une première période de confinement à compter du 17 mars 2020.
Le préjudice doit s'apprécier en fonction de la marge sur coûts variables.
Cependant, en l'espèce les parties ne discutent pas l'application du taux de marge brute sur la moyenne du chiffre d'affaires des 3 derniers exercices réalisé par la société G.L.T avec la société Végésupply. Dès lors il convient de confirmer l'indemnité de 21.675 € fixée par le tribunal correspondant à 7.225 € au titre du préavis initial manquant et à 14.450 € correspondant à un mois de préavis supplémentaire.
La société GLT demande en second lieu, la somme de 50.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour préjudice lié à la désorganisation de son activité, en se bornant à renvoyer aux pièces versées aux débats sans autre précision.
La société Végésupply conteste cette prétention.
Réponse de la Cour,
Les seules pièces versées aux débats au soutien de la désorganisation sont un document de Pôle emploi intitulé "Préparation opérationnelle à l'emploi individuelle" et une attestation de formation, datée du 13 janvier 2020 indiquant que la société G.L.T a mis en place une démarche de formation de nouveaux conducteurs et qu'elle a validé 10 candidats actuellement en formation qui pourraient être embauchés en mars et mai 2020 sous réserve de réussite aux épreuves.
Cependant, la société G.L.T ne démontre en aucune façon qu'elle a recruté ces chauffeurs routiers et que, de ce fait, elle aurait subi un préjudice résultant de la brutalité de la rupture.
En conséquence, la société G.L.T sera déboutée de ce chef de demande.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Chaque partie qui succombe partiellement en ses demandes devra garder la charge de ses dépens d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il n'y pas lieu d'allouer une indemnité à ce titre en cause d'appel à l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
Vu le rejet de la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et le rejet des conclusions de la société Végésupply du 2 janvier 2023,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens d'appel.