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Décisions

ADLC, 6 décembre 2022, n° 22-D-24

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la demande de révision des engagements de la société TDF rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015

ADLC n° 22-D-24

6 décembre 2022

L’ Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 17 mars 2021 sous le numéro 21/0027 R, par laquelle la société TDF a saisi l’Autorité de la concurrence d’une requête en révision des engagements souscrits par TDF et rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hébergement des équipements de téléphonie mobile ;

Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 464-2 ;

Vu le communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence ;

Vu l’avis n° 2021-1360 du 8 juillet 2021 de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse rendu sur le fondement de l’article R. 463-9 du code de commerce ;

Vu les observations présentées par la société TDF et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ;

Les représentants des sociétés Altice France, Bouygues Telecom, Iliad et Orange entendus sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 463-7 du code de commerce ;

La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, les représentants de la société TDF et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 5 juillet 2022 ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a examiné la demande de la société TDF de levée de l’intégralité des engagements qu’elle avait souscrits dans le cadre de la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hébergement des équipements de téléphonie mobile.

À l’issue de son examen, l’Autorité décide de ne pas faire droit à cette demande en l’absence d’éléments établissant la disparition des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision n° 15-D-09 et justifiant de la nécessité de lever les engagements concernés avant leur terme.

I. Constatations

A. RAPPEL DE LA PROCEDURE

1. La société TDF (ci-après « TDF ») a saisi l’Autorité de la concurrence, par lettre enregistrée le 17 mars 2021 sous le numéro 21/0027 R, d’une requête en révision des engagements souscrits par TDF et rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hébergement des équipements de téléphonie mobile.

2. S’appuyant tant sur le point 46 a) du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence (ci-après « le communiqué de procédure ») que sur le point 4.3 des engagements qu’elle avait souscrits2, TDF sollicite la levée de l’intégralité de ces engagements, compte tenu des changements, qu’elle qualifie de structurels et durables, qui seraient intervenus sur le marché en cause.

3. Les services d’instruction ont adressé des questionnaires aux acteurs intéressés en juin 2021, complétés par des auditions (ci-après « le test de marché »), afin de les interroger, d’une part, sur la définition du marché en cause et, d’autre part, sur l’opportunité de faire droit à la demande de TDF.

4. Conformément à l’article R. 463-9 du code de commerce, l’Autorité a transmis la saisine de TDF à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après « l’ARCEP ») qui a rendu son avis le 8 juillet 20213.

5. Les services d’instruction ont établi un rapport qui a été notifié à TDF le 31 janvier 2022. En réponse, TDF a produit des observations écrites le 31 mars 2022, à la suite desquelles de nouvelles mesures d’instruction ont été diligentées.

6. Une séance s’est tenue le 5 juillet 2022 au cours de laquelle les représentants de la société TDF ont confirmé leur demande initiale.

B. LA DEMANDE DE REVISION

1. LE CONTEXTE DE LA DEMANDE DE TDF

a) Les opérateurs d’infrastructure de téléphonie mobile

7. Les sites de télécommunication mobile comprennent, d’une part, des infrastructures dites « passives », généralement composées d’un pylône ou d’un mât, d’un local technique et d’équipements techniques permettant leur exploitation et, d’autre part, des infrastructures dites « actives » de téléphonie mobile permettant de diffuser les ondes de radiocommunication dont les opérateurs mobiles restent propriétaires.

8. Les infrastructures passives utilisées pour l’hébergement d’équipements de téléphonie mobile sont principalement détenues ou exploitées, soit directement par les opérateurs de réseaux mobiles (ci-après les « MNO », pour « mobile network operators »), qui peuvent les partager avec d’autres opérateurs de réseaux, soit par des opérateurs d’infrastructure spécialisés, tels que TDF, généralement désignés sous l’appellation de « Tower Companies » ou « TowerCo ».

9. Un MNO dispose généralement de trois options pour héberger ses équipements de téléphonie mobile (infrastructures actives).

10. Il peut tout d’abord faire appel à une offre d’hébergement d’un MNO tiers sur l’un de ses sites, dans le cadre d’un partage d’infrastructures passives, appelé colocalisation ou mutualisation passive.

11. L’offre d’hébergement d’infrastructures de téléphonie mobile peut ensuite émaner d’une TowerCo à partir de sites préexistants. Dans ce cadre, les contrats d’hébergement conclus par les TowerCo avec les MNO peuvent être soit (i) des contrats de prestation de services d’hébergement, tels que les contrats de service points hauts de TDF visés par l’Autorité dans sa décision n° 15-D-09 soit (ii) des accords de type Master Services Agreements [contrats cadre de services].

12. Ces derniers sont conclus le plus souvent en vue de l’acquisition de portefeuille de sites de MNO par une TowerCo dans le cadre d’opérations dites de sale and lease back [achat et prestation de service en retour]. À l’issue de ce type d’opération, le MNO transfère la propriété de sites existants à une TowerCo et conserve ses équipements de téléphonie mobile installés sur ces sites. La TowerCo fournit alors un service d’hébergement sur une longue durée compte tenu de l’importance de l’investissement nécessaire à ce type d’opérations. C’est la raison pour laquelle les contrats d’hébergement proposés aux MNO dans le cadre d’opérations de sale and lease back sont généralement d’une durée relativement longue, comprise entre 15 et 20 ans4.

13. Enfin, un MNO peut décider de construire un site avec le concours d’une TowerCo. Dans ce cas, l’opération intervient dans le cadre d’accords de déploiement reposant sur l’engagement du MNO de céder à une TowerCo un certain nombre de sites à construire (contrats dits de build and lease back [construction et prestation de service en retour] – ou encore de build to suit [déploiement sur mesure]). Dans une telle hypothèse, la TowerCo s’engage à financer des projets de construction de nouveaux sites dont le développement est confié au MNO.

Ce dernier choisit l’emplacement de ses futurs sites en fonction de ses besoins, et prend en charge la construction du site. La TowerCo acquiert quant à elle la propriété des sites et conclut des baux d’hébergement avec le MNO pour les sites en question. Les accords de ce type portent généralement sur le déploiement de plusieurs sites sur une période étendue, pour les mêmes raisons que les contrats de sale and lease back.

b) Le marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile

14. En matière d’hébergement des équipements de téléphonie mobile, l’Autorité a identifié, dans sa décision n° 15-D-09 qui fait l’objet de la présente demande, plusieurs marchés distincts en fonction des zones géographiques concernées, des différentes catégories de sites et des offreurs de services d’hébergement5. Une distinction peut également être opérée en fonction du type de contrat encadrant l’hébergement sur sites pylônes.

La distinction entre les différentes catégories de sites

15. Il existe une grande diversité de sites permettant d’accueillir des infrastructures actives, les principaux étant les pylônes dédiés et les toits-terrasses6. Les châteaux d’eau, les silos, les clochers, les ouvrages d’art, les pylônes autoroutiers et électriques peuvent également recevoir de tels équipements.

16. L’Autorité a considéré, dans sa décision n° 15-D-09, qu’il y a lieu de distinguer les sites pylônes des autres types d’infrastructures passives accueillant des équipements de téléphonie mobile dans les zones périurbaines et rurales, dans lesquelles les toits-terrasses sont quasiment absents7. L’Autorité y a également opéré une distinction entre les différents types d’infrastructures accueillant des équipements de téléphonie mobile, partant notamment du constat que les acteurs du marché estimaient que, quelle que soit la zone considérée, les toits- terrasses n’étaient pas substituables aux pylônes.

La distinction entre les zones urbaines et les zones périurbaines et rurales

17. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence distingue deux types de zones où les infrastructures passives utilisées pour l’hébergement d’équipements de téléphonie mobile peuvent être placées : les zones urbaines d’une part, dans lesquelles les opérateurs sont contraints d’installer leurs équipements sur des toits-terrasses des bâtiments, et les zones rurales et périurbaines d’autre part, où il y a lieu de distinguer les sites pylônes des autres types d’infrastructures accueillant des équipements de téléphonie mobile8.

La distinction selon l’offreur des services d’hébergement

18. Dans sa décision n° 15-D-09 précitée, l’Autorité a relevé qu’en raison de leurs différences, les offres d’hébergement commercialisées par les TowerCo et celles commercialisées par les MNO dans le cadre de la colocalisation relevaient de deux marchés distincts dès lors, d’une part, que la mutualisation était peu mise en œuvre en pratique et d’autre part, que les offres de ces deux catégories d’acteurs demeuraient sensiblement différentes, aussi bien en termes de qualité de service que de disponibilité effective ou de délai de livraison9. L’infrastructure passive d’un MNO utilisée pour héberger les seuls équipements de ce même MNO, qui relève de l’autoconsommation, a donc été exclue du marché10.

19. L’Autorité a, par la suite, considéré, lors de l’examen de la prise de contrôle exclusif de la société Iliad 7 par la société Cellnex France Groupe en 201911, puis à nouveau en 2021 lors de l’examen de la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe12, que cette délimitation restait pertinente.

20. L’Autorité a rappelé, à cet égard, que les offres d’hébergement des TowerCo présentent des différences significatives par rapport aux offres des MNO proposées dans le cadre de la colocalisation, d’un point de vue technique (délai de mise à disposition des sites, hauteur ou emplacement des sites) et commercial (contenu des offres plus varié)13.

21. L’analyse des réponses aux tests de marché14 confirme que ces différences perdurent au jour de la présente décision.

22. Si, comme il sera développé aux paragraphes 54 et 55 ci-après, les opérateurs sont soumis à des obligations de nature à accroître leur offre de mutualisation, il a été constaté qu’en pratique, la colocalisation que les MNO peuvent offrir répond, pour l’essentiel, à des besoins ponctuels, et demeure, en toute hypothèse, marginale par rapport à l’offre proposée par les TowerCo, qui est orientée vers l’accueil de plusieurs opérateurs sur un même point.

23. Il en ressort que, comme en 2015, le marché pertinent pour l’analyse de la présente demande ne comprend pas l’offre des MNO proposée dans le cadre de la colocalisation.

La distinction selon les modalités de l’hébergement sur sites pylônes

24. Il ressort en outre des éléments au dossier qu’une distinction doit être opérée entre les contrats d’hébergements « classiques », tels que les contrats de service points hauts de TDF visés par l’Autorité dans sa décision n° 15-D-09 précitée et les accords de type Master Services Agreements décrits au paragraphe 12 ci-avant.

25. Comme il sera développé ci-après, compte tenu de leurs caractéristiques particulières tenant d’une part, à leur longue durée et, d’autre part, à leur finalité financière pour les MNO, il ne saurait être considéré que ces contrats relèvent du marché de l’hébergement sur sites pylônes tel que délimité par l’Autorité dans sa décision n° 15-D-09 précitée au même titre que les contrats d’hébergement classiques proposés par les TowerCo traditionnelles, dont fait partie TDF.

c) Les préoccupations de concurrence qui sous-tendent la décision n° 15-D-09

26. Dans sa décision n° 15-D-09, l’Autorité a rendu obligatoires les engagements proposés par TDF afin de remédier aux préoccupations de concurrence formulées par les services d’instruction. L’Autorité a considéré que les pratiques de TDF consistant à conclure des contrats longs, souvent renégociés par anticipation, et prévoyant des quotas de résiliation anticipée très limités assortis de pénalités importantes, mises en œuvre par une entreprise susceptible d’être en position dominante, pourraient produire des effets anticoncurrentiels réels ou potentiels et, partant, être contraires aux dispositions des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce15.

27. L’Autorité a constaté qu’il n’existait, à l’époque des faits, que deux manières pour les TowerCo de concurrencer TDF. La première consistait à répondre à l’appel d’offres du MNO lorsqu’un contrat-cadre arrivait à son terme (mode qualifié de concurrence « pour le marché »). La seconde reposait sur le démarchage des MNO afin de pouvoir bénéficier des clauses de résiliation anticipée (mode qualifié de concurrence « sur le marché »).

28. L’Autorité a toutefois considéré qu’aucun de ces deux modes de concurrence ne permettait au libre jeu de la concurrence de s’exercer de manière satisfaisante, compte tenu de la durée importante des contrats-cadres de TDF, couplée, de surcroit, à des possibilités de sortie annuelle insuffisantes.

29. L’Autorité avait ainsi relevé, d’une part, que la concurrence pour le marché était trop espacée dans le temps pour permettre à un opérateur alternatif de se développer à un rythme suffisant et, d’autre part, que la concurrence sur le marché était bridée par l’insuffisance des possibilités de sortie annuelle des contrats de TDF – lesquelles étaient d’ailleurs assorties de pénalités importantes16.

30. Elle en concluait que le cumul des clauses contractuelles des contrats-cadres de TDF, relatives à la durée des contrats, aux pénalités de sortie anticipée ainsi qu’aux quotas de sortie anticipée très limités, était susceptible de verrouiller le marché, voire de produire des effets d’éviction des concurrents17.

d) Les engagements rendus obligatoires par l’Autorité

31. Afin de répondre aux préoccupations de concurrence rappelées ci-avant, TDF a proposé des engagements pour une durée déterminée de onze ans. L’Autorité les a rendus obligatoires dans sa décision n° 15-D-09, soit jusqu’au 3 juin 2026.

32. TDF s’est ainsi engagée :

- à limiter la durée de ses futurs contrats-cadres d’hébergement à une durée de dix ans ;

- à accroitre la faculté de résiliation anticipée de sites au bénéfice des clients MNO à 4 % du nombre total de sites-pylônes visés par les contrats et permettre le report des possibilités de résiliation non utilisées d'année en année dans la limite de 10 % ;

- à limiter le montant de l’indemnité forfaitaire et libératoire pour les contrats en cours et futurs à trois mois de loyer.

33. Les contrats de sale and lease back ont été expressément exclus du périmètre des engagements compte tenu de leurs caractéristiques particulières18. À cet égard, l’Autorité a notamment relevé la durée de 20 ans du contrat d’hébergement entre Bouygues Telecom et FPS Towers19 conclu en contrepartie du protocole de cession de 2 045 sites pylônes détenus par Bouygues Telecom, particulièrement longue, la durée des contrats d’hébergement « classiques », c’est-à-dire ne comportant pas de cession de sites, étant alors généralement limitée à 10 ou 12 ans20.

34. Les contrats de build to suit et build and lease back n’ont pas été expressément pris en considération par l’Autorité dans la délimitation des marchés en cause car ils étaient peu courants en 2015.

35. L’Autorité relève toutefois que ces contrats présentent des caractéristiques communes avec les contrats de sale and lease back. En effet, qu’il s’agisse d’acquérir un portefeuille de sites existants dans le cadre d’opération de sale and lease back ou d’en assumer financièrement la construction dans le cadre d’accords de déploiement, ces deux types de contrats nécessitent des investissements importants de la part de la TowerCo qui envisage de les conclure. La TowerCo ne sera donc en mesure d’amortir cet investissement que si les sites acquis ou construits engendrent en retour des revenus suffisants. Aussi, afin de bénéficier d’une certaine visibilité sur les revenus qui seront procurés par les sites concernés, la TowerCo conclut des contrats d’hébergements d’une durée suffisamment longue avec les MNO concernés.

36. Les contrats de build to suit et de build and lease back permettent, en outre, au MNO qui les conclut, de transférer des dépenses d’investissement liées aux coûts des sites en question à la TowerCo cocontractante. Ces deux types d’opérations ont ainsi, comme le relève l’ARCEP dans son avis rendu dans le cadre de la présente instruction, une finalité financière similaire pour les MNO, à savoir le report de dépenses d’investissement sur la TowerCo et le désendettement du MNO21. Il convient dès lors de considérer, à l’instar des contrats de sale and lease back, que les contrats de build to suit et build and lease back ne relèvent pas, en principe, du périmètre des engagements rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09.

37. L’Autorité a considéré que les engagements proposés par TDF étaient de nature à répondre aux préoccupations de concurrence identifiées. L’Autorité a ainsi relevé, en premier lieu, qu’ils permettaient à la concurrence pour le marché de jouer pleinement à chaque renouvellement de contrat, notamment compte tenu de la limite de la durée des contrats fixée à dix ans. L’Autorité a, en second lieu, considéré que les engagements permettaient également d’améliorer, de manière suffisante, la concurrence sur le marché lors des sorties partielles en cours d’exécution du contrat, du fait de la limitation des pénalités de sortie anticipée et de l’augmentation des quotas de résiliation anticipée.

38. S’agissant, en particulier, de la durée des engagements, l’Autorité a considéré que le délai de onze ans proposés par TDF était nécessaire pour que ceux-ci puissent produire des effets suffisamment sensibles sur le marché concerné, compte tenu du cycle de renouvellement décennal des contrats. L’Autorité a toutefois accepté que les engagements contiennent une clause qui stipule : « Toutefois, au cours de cette période l’Autorité de la concurrence et TDF pourront se rencontrer pour discuter de la pertinence du maintien de ces engagements jusqu’à leur échéance, au vu notamment de l’évolution de la structure de la concurrence sur le marché concerné. Ce point est sans préjudice de la possibilité pour TDF de saisir l’Autorité de la concurrence d’une demande de révision […] en application du point 46 du communiqué de procédure de l’Autorité du 2 mars 2009 […] » (clause 4.3).

2. LA DEMANDE DE LEVEE DES ENGAGEMENTS

39. TDF soutient en substance que ses engagements doivent être intégralement levés, compte tenu des « transformations structurelles » du secteur. L’opérateur prétend qu’il ne serait plus en situation de position dominante sur le marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile sur sites pylônes. Le maintien des engagements souscrits en 2015 serait, par conséquent, selon TDF, désormais dépourvu d’objet dans le contexte de marché actuel et constituerait un obstacle à l’instauration de conditions de concurrence équitables entre les opérateurs.

40. S’agissant, en premier lieu, des changements intervenus sur le marché, TDF soutient que l’évolution des besoins des MNO, tant financiers (nombreux investissements à réaliser)22 qu’opérationnels (mutualisation)23, depuis 2015, a provoqué l’émergence de nouveaux concurrents puissants.

41. Ainsi, selon l’opérateur, alors qu’il n’y avait que deux TowerCo sur le marché lorsque l’Autorité a analysé le secteur de l’hébergement d’équipements de téléphonie mobile en 2015, à savoir TDF et FPS Towers (devenu ATC France), il y en aurait désormais cinq (Hivory, ATC France, Cellnex, Phoenix France Infrastructures et TDF) et bientôt six avec la création annoncée d’Orange TowerCo24.

42. À cet égard, TDF considère que ces acteurs opèrent sur le marché au même titre que les TowerCo historiques. D’autres types d’acteurs seraient également, selon TDF, nouvellement actifs sur le marché en cause (Valocîme, Via Veis (Vinci), la Synérail (SNCF) ou encore Artéria (RTE))25.

43. En deuxième lieu, concernant sa position sur le marché, TDF soutient que du fait des modifications structurelles du secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile précédemment évoquées, ses parts de marché ont fortement décru, de même que son pouvoir de marché. Ainsi, alors qu’elle détenait une part de marché significative selon la définition la plus étroite du marché retenue par l’Autorité en 2015 – à savoir l’hébergement des équipements de téléphonie mobile sur sites pylônes, à l’exclusion des pylônes des MNO exploités en autoproduction – TDF se positionnerait actuellement sous le seuil de présomption de dominance et ce, quel que soit le périmètre de marché considéré (marché limité à l’hébergement sur sites pylônes des TowerCo ou délimitation plus large incluant l’offre de pylônes des MNO et d’autres acteurs, ou encore tous sites confondus à l’exclusion des toits-terrasses)26.

44. En troisième lieu, TDF soutient que le maintien des engagements dans le contexte actuel serait sans objet dès lors qu’ils ont perdu toute pertinence. Initialement destinés à mettre fin à un potentiel abus de position dominante, TDF considère qu’un tel abus est aujourd’hui impossible compte tenu, d’une part, de la perte de sa position dominante et, d’autre part, de la puissance de ses concurrents27.

45. En dernier lieu, TDF allègue que le maintien des engagements constituerait un obstacle à l’instauration de conditions de concurrence équitables. Les engagements ne seraient plus, selon elle, à la fois nécessaires et proportionnés dès lors, notamment, que les MNO seraient, non seulement des clients, mais également de puissants concurrents sur le marché en cause28. TDF ajoute que le maintien des engagements serait contraire au principe de neutralité des mesures correctives et pourrait conduire à une rupture d’égalité dans la concurrence, compte tenu de sa soumission à des contraintes contractuelles injustifiées29.

II. Discussion

A. LES PRINCIPES APPLICABLES AUX DEMANDES DE REVISION D’ENGAGEMENTS

46. L’alinéa 2 de l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit, en ce qui concerne les engagements, que l’Autorité : « peut, de sa propre initiative ou sur demande de l'auteur de la saisine, du ministre chargé de l'économie ou de toute entreprise ou association d'entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter les engagements qu'elle a acceptés ou y mettre fin :

a) si l'un des faits sur lesquels la décision d'engagements repose a subi un changement important, ou

b) si la décision d'engagements repose sur des informations incomplètes, inexactes ou trompeuses fournies par les parties à la procédure. »

47. Aux termes du point 46 du communiqué de procédure précité :

« Il revient à l’Autorité d’apprécier la nécessité de révision des engagements et d’une saisine d’office, au regard des changements intervenus sur le marché en cause. L’Autorité peut être saisie de comportements ayant fait l’objet d’une décision d’engagements, sur demande du saisissant, du ministre de l’économie, de toute autre entreprise ayant un intérêt à agir, ou se saisir de sa propre initiative :

a) si l’un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important ;

b) si les entreprises concernées contreviennent à leurs engagements, ou

c) si la décision d’engagements repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par les parties à la procédure. »

48. Il résulte de l’alinéa 2 de l’article L. 464-2 du code de commerce que l’Autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de faire droit ou non à une demande de révision d’engagements. En effet, eu égard à la nature et à l’économie générale de la procédure qui conduit à l’acceptation des engagements pour une durée déterminée, il ne saurait exister de droit acquis à leur révision avant le terme proposé par les parties et rendu obligatoire par l’Autorité.

49. Dès lors, dans l’hypothèse où la révision des engagements est sollicitée en raison d’un changement important, la démonstration d’un tel changement n’ouvre pas droit, à elle seule, à la révision des engagements. Il appartient également à l’entreprise qui s’en prévaut d’établir, sur la base d’éléments suffisamment précis et circonstanciés, que le changement invoqué entraîne la disparition effective, au jour de la présente décision, de l’ensemble des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision ayant rendu obligatoires ces engagements.

B. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

1. SUR L’EXISTENCE D’UN CHANGEMENT IMPORTANT AU SENS DE L’ARTICLE L. 464-2 ALINEA 2 DU CODE DE COMMERCE

50. Le marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile a connu plusieurs évolutions notables depuis la décision n° 15-D-09.

51. En premier lieu, le mouvement de cession d’infrastructures passives détenues par des MNO au profit des TowerCo décrit au paragraphe 12 ci-avant, initié en 2012, s’est amplifié depuis 201530, permettant ainsi aux MNO de disposer de nouvelles sources de financement. En cédant tout ou partie de leurs infrastructures passives à des TowerCo, les MNO disposent en effet à la fois de ressources financières du fait de la vente même de ces infrastructures et transforment des coûts fixes (dépenses d’investissement dans les pylônes notamment) en coûts variables dès lors qu’ils louent les infrastructures à des TowerCo nouvellement créées au lieu de les financer en totalité, réduisant de la sorte leur ratio d’endettement. Les ressources ainsi dégagées par les MNO leur permettent en retour de financer, notamment, les déploiements de leurs réseaux 4G et 5G.

52. Ce mouvement a entraîné l’accroissement du nombre de TowerCo actives sur le marché français métropolitain depuis 2015 : outre TDF et FPS Towers (devenu ATC France en 2016), sont désormais également présentes sur ce marché Cellnex France31, On Tower France (OTF)32, Hivory33, ainsi que Phoenix France Infrastructures (PFI), contrôlée par Phoenix Tower International (PTI)34. En février 2021, Orange a en outre annoncé la création de sa TowerCo européenne, TOTEM, dont la filiale française, Totem France, a été lancée en novembre 2021 avec pour vocation d’exploiter les infrastructures jusqu’ici détenues en propre par Orange.

53. Par ailleurs, Cellnex Telecom a pris le contrôle exclusif d’Hivory35 en octobre 2021. Iliad a annoncé quant à elle en mai 2021 qu’elle envisage de céder les parts qu’elle détient dans la société On Tower France.

54. En second lieu, les besoins en sites des opérateurs ont évolué depuis 2015, du fait notamment des nouvelles obligations de déploiement fixées par leurs autorisations d’utilisation de fréquences. En particulier, depuis le New Deal [nouvelle donne] mobile36 intervenu en 2018, les opérateurs mobiles sont tenus de déployer un nombre significatif de nouveaux sites mobiles. À cette fin, les pouvoirs publics ont imposé une part de mutualisation passive entre les opérateurs.

55. Dans son avis rendu dans le cadre de la présente demande de révision, l’ARCEP a détaillé les obligations de déploiement auxquelles sont soumis les MNO. Elle relève notamment que dans le cadre du « dispositif de couverture ciblée, 5 000 nouvelles zones, identifiées par arrêté du ministre chargé des communications électroniques à partir des remontées des territoires, sont à couvrir par opérateur, grâce à l'installation de nouveaux sites, avec différents degrés de mutualisation ; Sur les zones où les quatre opérateurs sont désignés par arrêté et où aucun d'entre eux ne fournit, à la date de publication de l'arrêté, de service mobile à un niveau de “bonne couverture”, les opérateurs sont soumis à une obligation de mutualisation de réseaux (partage des infrastructures et des équipements actifs) ; Sur les autres zones, les opérateurs désignés par arrêté sont tenus de mettre en œuvre a minima une mutualisation des infrastructures […] »37 (soulignements ajoutés).

56. Compte tenu des évolutions ainsi constatées tenant, d’une part, à la cession de sites pylônes par les MNO au profit de TowerCo et, d’autre part, aux besoins opérationnels des MNO, l’Autorité considère que l’existence d’un changement important au sens de l’alinéa 2 de l’article L. 464-2 du code de commerce de nature à justifier l’examen de la demande de révision de ses engagements est établie.

2. SUR LA DISPARITION DES PREOCCUPATIONS DE CONCURRENCE IDENTIFIEES DANS LA DECISION N° 15-D-06

a) La demande de TDF

57. Ainsi que rappelé aux paragraphes 48 et 49 ci-avant, la révision ou la suppression d’engagements suppose que TDF démontre, outre l’existence d’un  « changement important » au sens de l’article L. 464-2 du code de commerce, la disparition de l’ensemble des préoccupations de concurrence au vu desquelles ils ont été rendus obligatoires.

58. En l’espèce, cette exigence s’impose d’autant plus que TDF a elle-même proposé d’allonger la durée d'application de ses engagements de six à onze ans, afin de pouvoir couvrir un cycle complet de contrats et un premier renouvellement. Dans sa décision n° 15-D-09, l’Autorité relevait que « cette durée, inhabituellement longue pour des engagements comportementaux, est nécessaire pour permettre d’obtenir des effets sensibles sur le marché concerné qui évolue très lentement au fil de contrats qui ne sont renouvelés qu’au bout de dix ans, en moyenne »38.

59. TDF soutient avoir satisfait au standard de preuve requis pour obtenir la révision des engagements dans la mesure, notamment, où les évolutions structurelles du marché qu’elle invoque excluraient toute possibilité qu’elle soit en position dominante ce qui serait de nature, selon elle, à lever l’ensemble des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision d’engagements.

60. À cette fin, TDF produit plusieurs évaluations qui indiquent que, sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes, tel que délimité par l’Autorité dans sa décision n° 15-D-09 précitée, sa part de marché s’établirait désormais à [30-40]% en nombre de pylônes actifs et à [30-40]% en nombre de points de présence39. TDF en conclut que de tels niveaux de parts de marché excluent l’existence d’une position dominante.

b) Analyse de l’Autorité

61. Afin de déterminer si les éléments produits par TDF au soutien de sa demande attestent de la disparition des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision n° 15-D-09, l’Autorité s’est, en premier lieu, attachée à évaluer les parts de marché de TDF sur le marché en cause et a examiné, en second lieu, les autres éléments permettant d’apprécier le pouvoir de marché de TDF.

Sur l’évaluation des parts de marché de TDF

62. La définition d'un marché, au niveau tant des produits que de sa dimension géographique, doit permettre de déterminer s'il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d'agir indépendamment des pressions qu'exerce une concurrence effective. C'est dans cette optique que la définition du marché permet entre autres de calculer les parts de marché, qui apportent des informations utiles concernant le pouvoir de marché pour l'appréciation d'une position dominante40.

63. Selon une pratique décisionnelle et une jurisprudence constante, des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. Tel est notamment le cas d’une part de marché de 50 %41.

64. En l’espèce, l’Autorité relève que l’évaluation des parts de marché proposée par TDF est effectuée sur un marché national toutes zones confondues. Comme telle, cette évaluation est effectuée sur un périmètre trop large au regard du marché pertinent identifié aux paragraphes 14 et suivants, limité en l’espèce aux zones périurbaines et rurales.

65. Par ailleurs, l’évaluation de TDF repose sur l’inclusion, dans le périmètre du marché de l’hébergement sur sites pylônes, de l’ensemble des sites transférés par les MNO aux nouvelles TowerCo42 dans le cadre de contrats de sale and lease back.

66. Compte tenu du nombre significatif de sites concernés43, une telle approche conduit à accroître, de manière mécanique, la taille du marché de l’hébergement sur sites pylônes au- delà des limites qui figuraient dans la décision d’acceptation des engagements.

67. Dans cette décision, en effet, les sites « autoproduits » – dont nombre ont depuis été cédés aux TowerCo – avaient été exclus du marché dans la mesure, d’une part, où ils étaient essentiellement « autoconsommés » par les MNO et, d’autre part, où l’offre résiduelle de mutualisation proposée par les MNO était insuffisamment substituable à celle des TowerCo44.

68. Selon TDF, une telle exclusion ne se justifierait plus dès lors que les sites sont cédés aux TowerCo et sont gérés par elles. TDF relève également que les TowerCo opèrent sur le marché de l’hébergement au même titre que les TowerCo historiques et ont pour objectif de développer la mutualisation.

69. L’analyse de TDF ne saurait toutefois être retenue dans la mesure où elle ne prend nullement en considération les caractéristiques économique et juridique des contrats de sale and lease back conclus par les MNO et les TowerCo.

70. En effet, les contrats de sale and lease back prévoient que la cession de leurs actifs par les MNO intervient en échange de la conclusion d’un contrat de prestation de services d’hébergement par la TowerCo45 de longue durée, comprise, en moyenne, entre 15 et 20 ans (voir le paragraphe 12 ci-avant).

71. Il en résulte que les sites cédés en vertu d’un contrat de sale and lease back ne sont pas intégralement disponibles sur le marché car ils demeurent, en grande partie réservés au MNO cédant et, en tant que tels, « captifs » de celui-ci.

72. À cet égard, l’Autorité constate, en premier lieu, qu’une partie substantielle des points hauts détenus par les nouvelles TowerCo est issue de l’acquisition de points hauts de MNO dans le cadre de contrats de sale and lease back46 et, en second lieu, que ces points hauts sont très majoritairement loués au MNO cédant (voir les paragraphes 51 ci-avant et 76 ci-après)

73. Cette part captive n’étant pas disponible à court ou moyen terme sur le marché, elle n’exerce pas (ou peu) de pression concurrentielle sur l’offre d’hébergement proposée par les TowerCo à l’ensemble des MNO et n’est donc pas substituable à cette dernière.

74. L’Autorité observe, par ailleurs, que dans sa décision d’autorisation de la prise de contrôle d’INWIT par Telecom Italia et Vodafone du 6 mars 2020, la Commission a retenu une approche similaire, en excluant du marché en cause non seulement les ventes « captives » des opérateurs mais également les ventes des parties l’une à l’autre47. C’est également la raison pour laquelle l’Autorité avait exclu, dans la décision d’engagements, les contrats de sale and lease back48. Par extension, et suivant la même logique, les accords de build to suit doivent également être exclus du périmètre.

75. Dans ce contexte, et contrairement à ce que soutient TDF dans l’étude économique jointe à sa demande de levée des engagements, l’Autorité considère qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération, dans le calcul des parts de marché de TDF sur le marché des services d’hébergement sur sites pylônes, la part de ces sites faisant l’objet de contrats de sale and lease back avec les TowerCo.

76. Une telle analyse peut être conduite au niveau des points de présence situés sur les sites pylônes. En effet, chaque point de présence correspond à une prestation d’hébergement physique d’équipements mobiles, de sorte que ce niveau permet de circonscrire le marché de l’hébergement sur sites pylônes aux seuls points de présence effectivement proposés à tout MNO sur le marché.

77. TDF n’ayant pas procédé à une telle analyse, l’Autorité conclut que sa demande de révision peut être rejetée pour défaut d’éléments prouvant la disparition effective des préoccupations de concurrence.

78. L’Autorité a évalué les parts de marché de TDF et constate que ces dernières demeurent indicatives d’une position dominante. Pour effectuer ce calcul, l’Autorité s’est appuyée sur les données de l’Agence Nationale des Fréquences (« ANFR ») datant d’octobre 2020, disponibles publiquement et utilisées par TDF au soutien de sa demande49.

79. L’Autorité a, tout d’abord, comparé ces données avec les données ANFR d’octobre 2022 afin de prendre en compte les contrats de sale and lease back50 qui, bien que d’ores et déjà conclus lors de la demande de révision de TDF, n’apparaissaient pas encore dans les données de l’ANFR accessibles en octobre 202051.

80. L’Autorité a ensuite croisé ces données avec les données INSEE afin d’identifier les actifs situés dans les zones périurbaines et rurales52.

81. Au sein de ce périmètre, l’Autorité a ensuite considéré que l’ensemble des pylônes cédés par un MNO depuis 2015, puis loués par une TowerCo, l’ont été via des contrats de sale and lease back53. Ceci a permis de ne prendre en compte, sur les pylônes concernés, que les points de présence loués à un opérateur autre que le MNO cédant, dont il peut être présumé qu’ils le sont dans le cadre d’une prestation d’hébergement classique.

82. En suivant cette méthodologie, la part de marché en points de présence de TDF sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes en zones périurbaines et rurales s’élevait, fin 2020, à [40-50] %54. Cette part est restée stable puisqu’elle s’établit à [40-50] % en 202255. En tout état de cause, les parts de marché de TDF sont [CONF] significativement supérieures à celles de son plus proche concurrent56.

Sur les autres éléments d’appréciation du pouvoir de marché de TDF

83. TDF ne produit, à l’appui de sa demande, aucun autre élément permettant de démontrer la disparition certaine, avant le terme de ses engagements, des préoccupations de concurrence identifiées dans la décision n° 15-D-09 précitée.

84. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’accroître la pression concurrentielle sur TDF, ainsi qu’elle le relève, en particulier le « fort potentiel de croissance de colocalisation »57 des sites (existants ou à construire) et l’absence de contraintes pesant sur les MNO pour déménager ou déployer de nouveaux sites, notamment dans le cadre de contrats de build to suit.

85. Toutefois, il ressort du test de marché que le taux moyen de colocalisation des MNO demeure assez faible58 et que le potentiel de colocalisation des MNO est limité, dans la mesure où les MNO ont dimensionné leurs sites pour répondre avant tout à leurs propres besoins59. Il s’en déduit que le potentiel de colocalisation des TowerCo – dont la croissance s’est construite par le rachat des points hauts des MNO – s’en trouve également limité. En tout état de cause, TDF relève elle-même, s’agissant de la mutualisation, que « les sites des MNOs rachetés massivement par les TowerCos concurrentes de TDF suite à leur stratégie d’externalisation, sont encore peu mutualisés »60.

86. S’agissant par ailleurs des sites qui ont vocation à être construits dans le cadre d’accords de déploiement (build to suit), il existe une incertitude forte liée à l’effectivité et à l’échéance de leur déploiement, comme l’a constaté l’Autorité dans la décision autorisant la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe61. Il en ressort que le nombre de nouveaux points de présence qui seront effectivement mis sur le marché par les TowerCo au profit de l’ensemble des opérateurs avant le terme des engagements de TDF présente une incertitude trop importante pour pouvoir conclure à l’absence de position dominante de la part de TDF.

87. Dès lors, les allégations de TDF relatives à la « dynamique du marché », revêtent un caractère trop général, imprécis et prospectif pour permettre d’écarter la persistance d’une position dominante et les préoccupations de concurrence identifiées dans la décision d’engagements n° 15-D-09 précitée.

88. Il ressort de ce qui précède que les parts de marché de TDF et les autres éléments analysés ci-avant relatifs au pouvoir de marché de TDF ne permettent pas d’exclure l’existence d’une position dominante de l’opérateur sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes.

89. Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de lever, avant leur terme, les engagements rendus obligatoires par l’Autorité dans sa décision n° 15-D-09 précitée.

DÉCISION

Article unique : Les demandes de TDF tendant à la levée des engagements rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 sont rejetées.

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 « 4.3. Les engagements décrits au point 2, s’agissant des contrats postérieurs à l’adoption de la décision de l’Autorité de la concurrence les rendant obligatoires, et au  point 3 sont souscrits  pour  une  durée  de onze (11) ans à compter de la date de réception de la notification à TDF de ladite décision. Toutefois, au cours de cette période l’Autorité de la concurrence et TDF pourront se rencontrer pour discuter de la pertinence du maintien de ces engagements jusqu’à leur échéance, au vu notamment de l’évolution de la structure de la concurrence sur le marché concerné. Ce point est sans préjudice de la possibilité pour TDF de saisir l’Autorité de la concurrence d’une demande de révision ou de suppression de tout ou partie des engagements décrits aux points 2 et 3,  en application des dispositions du point  46 du  communiqué  de procédure  de  l’Autorité  du  2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, en particulier s’il intervient une modification significative des circonstances de droit ou de fait pertinentes pour apprécier le caractère approprié desdits engagements ».

3 Avis n° 2021-1360 de l’ARCEP, cotes 239 à 251.

4 Voir l’avis n° 2021-1360 de l’ARCEP du 8 juillet 2021 (cotes 250 et 251) et les réponses au test de marché de SFR (cote 402), Bouygues Telecom (cotes 424 (VC) et 739 (VNC)) et Free (cotes 262 (VC) et 478 VNC)).

5 Il sera précisé que l’Autorité considère généralement que les infrastructures passives utilisées pour l’hébergement d’équipements de téléphonie mobile relèvent d’un marché distinct de celui des infrastructures passives utilisées pour la diffusion de services de communication audiovisuelle.

6 Ces sites autrement appelés « macro-sites » sont à distinguer des « micro-sites », qui correspondent à de petits sites, tels que des « small cells » ou des « Distributed Antenna system » (DAS), qui visent à améliorer la couverture d’un réseau de téléphonie mobile existant dans une zone limitée ou particulièrement fréquentée.

7 Décision n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Group, paragraphe 15.

8 Décision n° 19-DCC-169 du 30 août 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Iliad 7 par la société Cellnex France Groupe et décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile.

9 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphe 65.

10 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphes 58 à 66.

11 Décision n° 19-DCC-169 du 30 août 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Iliad 7 par la société Cellnex France Groupe, paragraphe 14.

12 Décision n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, paragraphes 21 et 22.

13 Décision n° 19-DCC-169 du 30 août 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Iliad 7 par la société Cellnex France Groupe, paragraphe 14, et décision n° 21-DCC-197 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, paragraphes 21 et 22.

14 Voir les réponses au test de marché de SFR (cotes 394 à 408), Orange (cotes 443 à 460 (VC) et 842 à 865 (VNC)), Iliad (cotes 252 à 269 (VC) et 464 à 485 (VNC)), Hivory (cotes 286 à 301 (VC) et 488 à 509 (VNC)),

Phoenix Tower International (cotes 324 à 336 (VC) et 510 à 527 (VNC), Cellnex (cotes 370 à 393 (VC) et 644 à 671 (VNC)), TDF (cotes 302 à 323 (VC) et 675 à 701 (VNC)), Towercast (cotes 355 à 369 (VC) et 702 à 717 (VNC)), Bouygues Telecom (cotes 409 à 436 (VC) et 718 à 751 (VNC)), ATC France (cotes 337 à 354 (VC) et cotes 772 à 792 (VNC)), Infracos (cotes 272 à 285 (VC) et cotes 793 à 806 (VNC)).

15 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphe 91.

16 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphe 85.

17 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphe 90.

18 Points 2.1 et 3.1 des engagements rendus obligatoires par la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015.

19 Entreprise plaignante à l’origine de la saisine ayant donné lieu à la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, devenue ATC France en 2016.

20 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphes 7 et 82.

21 Avis n° 2021-1360 de l’ARCEP du 8 juillet 2021, cotes 244 et 245.

22 Cotes 8 et 9.

23 Cotes 9 et 10.

24 Cote 4.

25 Cote 8.

26 Annexe 2 à la demande de TDF, cotes 34 à 45.

27 Cote 22.

28 Cote 25.

29 Cote 25.

30 Voir les réponses au test de marché de SFR (cote 398), Bouygues Telecom (cotes 413 (VC) et 728 (VNC)) et Free (cote 256).

31 Cellnex France filiale de Cellnex Telecom.

32 On Tower France est détenue à 70 % par Cellnex France et à 30 % par Iliad depuis décembre 2019.

33 Hivory a acquis les infrastructures de SFR qui y détient une participation de 50 % par l’intermédiaire d’Altice France.

34 Phoenix France Infrastructures (PFI) a été créée en mars 2020 pour répondre aux besoins de déploiement réseau des opérateurs de télécommunication français. Il s’agit d’une entreprise commune établie par Phoenix Tower International et Bouygues Telecom et contrôlée par Phoenix Tower International.

35 Cette opération a été  approuvée  sous  conditions  par  l’Autorité  par  une  décision  n° 21-DCC-197  du 25 octobre 2021.

36 Accord entre les pouvoirs publics et les MNO négocié sous l’égide de l’ARCEP et annoncé en janvier 2018, dans le but de résorber la fracture numérique territoriale.

37 Avis n° 2021-1360 de l’ARCEP du 8 juillet 2021, cote 245.

38 Décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphe 121.

39 Cotes 11 et 12.

40 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997, 97/C372/03, point 2.

41 Voir l’arrêt de la Cour de Justice du 3 juillet 1991, AKZO Chemie BV contre Commission des Communautés européennes, Aff ; C-62/86, ECLI:EU:C:1991:286, point 60.

42 À l’exception des TowerCo n’ayant pas de présence sur le marché. C’est par exemple le cas d’Infracos, dont les services sont exclusivement destinés à ses deux actionnaires, SFR et Bouygues Telecom.

43 Voir le paragraphe 72 ci-après.

44 Et, comme tels, indisponibles pour les autres opérateurs. Voir décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015, paragraphes 58 à 66.

45 Décision n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, paragraphe 41.

46 Voir les réponses au test de marché de SFR (cote 398), Bouygues Telecom (cotes 413 (VC) et 728 (VNC)) et Iliad (cote 256).

47 Décision de la Commission européenne M.9674 Vodafone Italia| TIM | INWIT JV, paragraphe 151, 2020/C 309/03.

48 Comme rappelé au paragraphe 33 ci-avant.

49 Annexe 2 de sa demande de révision, cotes 33 et suivantes.

50 Afin d’identifier les contrats de sale and lease back, il a été supposé qu’un actif cédé par un MNO à une TowerCo puis utilisé par ce même MNO suite à la cession a fait l’objet d’un contrat de sale and lease back. Suivant cette approche, un actif cédé par un MNO qui n’est ensuite pas utilisé par ce même opérateur n’est pas considéré comme ayant fait l’objet d’un contrat de sale and lease back. En revanche, les nouveaux pylônes construits après octobre 2020 et n’ayant pas fait l’objet d’une cession à une TowerCo n’ont pas été pris en compte dans le calcul.

51 Ce retraitement rejoint le raisonnement adopté par TDF dans sa demande de révision de ses engagements. Dans la mesure où les données de l’ANFR disponibles en octobre 2020 ne tenaient pas compte de certaines cessions de pylônes déjà mises en œuvre, TDF a réalisé des retraitements destinés à les inclure.

52 Source : « La France et ses territoires », édition 2021, Base de données FET2021-D4, disponible en téléchargement libre sur le site de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030. Les retraitements opérés par TDF dans le cadre de sa saisine ayant été effectués au stade des résultats agrégés, ils ne permettaient pas de connaître l’ampleur de ces transferts dans chaque type de zones (i.e. zones urbaines, périurbaines ou rurales).

53 Les données les plus anciennes mises à disposition en open data par l’ANFR datent d’avril 2015. Cette date présente l’avantage de permettre la reconstitution de l’historique des propriétaires de chaque site depuis la publication de la décision n° 15-D-09 du 4 juin 2015.

54 Cette part s’élève à [40-50] % toutes zones confondues, chiffre sensiblement supérieur à l’estimation de TDF, qui fait état d’une part de marché de [30-40] % en nombre de points de présence sur l’ensemble du territoire national. Voir cote 12 et note des conseillers économiques de TDF sur la méthodologie de calcul des parts de marché dans le secteur de l’hébergement d’antennes d’opérateurs mobiles, cote 41.

55 Ce calcul des parts de marché inclut les nouveaux points de présence utilisés par d’autres MNO que celui ayant cédé le pylône crées entre octobre 2020 et octobre 2022. En revanche, comme précisé en note de bas de page 50, il exclut les points de présence présents sur les pylônes construits depuis octobre 2020 n’ayant fait l’objet d’aucune cession.

56 La part de marché de Cellnex/Hivory est de [15-25] % sur le marché de l’hébergement sur sites pylônes toutes zones confondues et [15-25] % sur le segment de l’hébergement sur sites pylônes ne comprenant que les points situés en zone périurbaine et rurale.

57 Cote 926.

58 Voir les réponses au test de marché de Iliad (cotes 257 (VC) et 473 (VNC)), SFR (cote 399), Bouygues Telecom (cotes 414 à 415 (VC) et 450 (VC)) et Orange (cote 450 (VC) et 852 (VNC)).

59 Voir cotes 420 (VC) et 735 à 736 (VNC).

60 Cote 926.

61 Décision n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, paragraphe 30.