Cass. 3e civ., 24 juin 1998, n° 96-16.711
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Philippot
Avocat général :
M. Sodini
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 5 février 1996), qu' aux termes de l'acte passé en l'étude de M. C..., notaire, le 28 octobre 1970, les époux D... bénéficiaient d'un droit de préférence pour acquérir, en cas de vente de celle-ci par les consorts C..., la parcelle en nature de jardin, contiguë à leur propriété;
que par acte du 22 avril 1983 dressé par M. B..., notaire, les consorts C... ont vendu la parcelle aux époux Z...;
que les époux D... ont assigné les époux Z... et les consorts C... qui ont appelé en cause les notaires rédacteurs des actes, pour faire prononcer l'annulation de la vente intervenue le 22 avril 1983 et juger que les consorts C... devront leur consentir la vente aux clauses et conditions stipulées au profit des époux Z... ;
Attendu que les époux D... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, 1°) que le pacte de préférence a pour effet de mettre à la charge du promettant, d'une part, l'obligation de proposer la vente au bénéficiaire et, d'autre part, l'obligation de ne pas contracter avec un tiers tant que le bénéficiaire n'a pas refusé la proposition qui lui a été adressée;
qu'il est constant qu'un tiers qui a connaissance d'une convention créatrice de droits personnels doit s'abstenir d'y porter atteinte en se rendant complice de la violation par un cocontractant de ses obligations contractuelles;
qu'en l'espèce la cession intervenue entre les consorts C... et les époux Z... l'a été en violation du pacte de préférence dont bénéficiaient les époux D...;
que dès lors en considérant que la cession intervenue en fraude des droits des époux D... qui bénéficiaient d'un pacte de préférence ne pouvait être annulée faute d'une collusion frauduleuse entre le promettant et le tiers acquéreur, la cour d'appel a, non seulement porté atteinte à la force obligatoire des contrats mais aussi méconnu le principe de l'opposabilité des conventions aux tiers et ce faisant a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil;
2°) que, dans la mesure où il est exigé, pour prononcer l'annulation d'un acte passé en violation d'un pacte de préférence que le demandeur rapporte la preuve de ce que le tiers avait connaissance non seulement du pacte de préférence qui lui était consenti, mais aussi de l'intention de s'en prévaloir, il appartient aux juges de constater que le bénéficiaire a eu la possibilité d'exprimer l'intention dont on lui demande de rapporter la preuve que les tiers avaient connaissance;
qu'en l'espèce le promettant s'étant gardé d'accomplir son obligation de notification de sa volonté de contracter avec un tiers, les époux D... n'ont pu exprimer leur intention de se prévaloir du droit de préférence qu'ils tenaient du pacte, consenti en octobre 1970;
que dès lors, la cour d'appel, qui, pour refuser de prononcer l'annulation de l'acte, intervenu en violation du droit de préférence dont bénéficiaient les époux D... a considéré qu'ils ne rapportaient pas la preuve de la connaissance par le tiers acquéreur de leur intention de se prévaloir de leur droit, sans rechercher si les époux D... avaient été mis en mesure d'exprimer cette intention, n'a pas légalement fondé sa décision au regard de l'article 1143 ;
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les époux D... ne rapportaient pas la preuve de ce que les époux Z... avaient eu connaissance non seulement de l'existence du pacte de préférence, mais encore de l'intention des époux D... de s'en prévaloir, la cour d'appel, qui a retenu à bon droit que le pacte de préférence étant une convention créant un droit personnel dont l'opposabilité aux tiers relève de l'article 1165 du Code civil, le bénéficiaire ne pouvait faire annuler la vente que si l'acquéreur avait contracté dans des conditions frauduleuses lesquelles impliquaient non seulement la connaissance du pacte de préférence mais encore l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, a, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les époux D... font grief à l'arrêt de n'avoir pas statué sur la réparation de leur préjudice, alors, selon le moyen, "qu'il est admis qu'un pacte de préférence crée à la charge du promettant une obligation de faire;
qu'aux termes de l'article 1142 du Code civil, l'inexécution d'une obligation de faire se résoud en dommages-intérêts ;
qu'en l'espèce ayant constaté la méconnaissance du pacte de préférence par le promettant mais considéré que l'annulation demandée ne pouvait être prononcée faute de collusion frauduleuse, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les dispositions de l'article 1142 du Code civil, refuser de statuer sur les dommages-intérêts dus aux bénéficiaires dont les droits avaient ainsi été bafoués" ;
Mais attendu que les époux D... n'ayant pas sollicité, dans leurs conclusions, la réparation du préjudice subi du fait de l'inexécution du pacte de préférence dont ils étaient bénéficiaires, le moyen manque en fait ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner les époux D... à verser aux consorts C... des dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir énoncé que le fait de ne pas soutenir un appel démontre son caractère abusif et purement dilatoire, retient que les époux D..., bénéficiaires du pacte de préférence, qui ont obtenu des premiers juges qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils se réservaient le droit d'engager de ce chef une action indemnitaire dont la cour d'appel n'était pas saisie, ont intimé les consorts C... sans rien leur demander ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les époux D..., soumettaient à la cour d'appel le jugement qui avait refusé l'annulation de la vente, conclue par les consorts C... après avoir consenti le pacte de préférence, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné les époux D... à payer à l'indivision C... la somme globale de 150 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 5 février 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Douai;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.