Cass. 3e civ., 24 novembre 2021, n° 20-20.464
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Barbieri
Avocats :
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 septembre 2019), par acte du 1er avril 1967, la société Paix et travail a donné à bail à ferme à la communauté des co-exploitants agricoles de l'Arche (la communauté), groupement dépourvu de personnalité juridique, un ensemble de terres et bâtiments agricoles. Ce bail a été régulièrement renouvelé, pour la dernière fois le 1er janvier 2015.
2. Par une convention à effet au 30 avril 2017, la résiliation amiable de ce bail a été décidée par la société propriétaire et M. [S], représentant la communauté.
3. La dissolution de cette communauté a été votée par une assemblée générale de ses membres du 28 juillet 2017.
4. Par contrat du 31 mai 2017 à effet au 1er mai précédent, la société Paix et travail a donné à bail à ferme l'ensemble du domaine à la société civile d'exploitation agricole Communauté de l'Arche, représentée par son gérant, M. [S].
5. Par acte du 14 septembre 2017, faisant valoir qu'ils étaient membres de la communauté et que la convention de résiliation ne leur était pas opposable, MM. [B] et [G] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en condamnation de la société bailleresse à délivrer sous astreinte les terres et bâtiments composant l'assiette du bail, en cessation de leurs troubles de jouissance paisible et en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. [G] et du pourvoi incident de M. [B], réunis
Enoncé des moyens
6. MM. [G] et [B] font grief à l'arrêt de retenir qu'ils ne sont pas preneurs, en l'absence de lien contractuel avec la société propriétaire, laquelle n'est pas tenue par les règles du bail rural, alors :
« 1°/ que chaque associé d'une société créée de fait contracte en son nom personnel et est seul engagé envers les tiers ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la Communauté des co-exploitants de l'Arche dont MM. [G] et [B] sont membres est une société créée de fait ; qu'elle a également relevé que MM. [B] et [G] ont exploité pendant plusieurs années les parcelles en cause et qu'ils ont contribué selon leur quote-part au paiement du loyer ; qu'en décidant néanmoins que la Communauté des coexploitants de l'Arche était seule partie au bail rural conclu avec la société Civile Paix et Travail à l'exclusion de MM. [G] et [B], la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 1842, 1872-1 et 1873 du code civil ;
2°/ que la dissolution d'une société créée de fait ne met pas fin au contrat qui unit ses membres avec un tiers ; qu'en se fondant, pour dire que MM. [G] et [B] n'avaient aucun lien contractuel avec la bailleresse, sur le motif en réalité inopérant que la Communauté des co-exploitants agricoles de l'Arche, société créée de fait, avait été dissoute par une délibération prise au cours de l'assemblée générale du 28 juillet 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime et des articles 1842,1872-1 et 1873 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 1872-1 du code civil, applicable aux sociétés créées de fait, que chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé envers les tiers, de sorte que les associés, qui n'ont pas été parties au contrat, n'ont aucune action contre les tiers avec lesquels leur associé a contracté.
8. Ayant relevé que la société propriétaire n'avait pas contracté avec MM. [G] et [B] agissant personnellement, ni même comme représentants d'un groupement, et retenu que ceux-ci ne pouvaient se prévaloir contre elle d'aucun lien contractuel en qualité de preneurs à bail rural, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant tenant aux effets de la dissolution de la communauté constituée entre les co-exploitants du domaine, en a exactement déduit que l'action en délivrance de la chose louée devait être rejetée.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi principal de M. [G] et du pourvoi incident de M. [B], réunis
Enoncé des moyens
10. MM. [G] et [B] font grief à l'arrêt de retenir que la convention de résiliation du bail leur est opposable et de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'une société créée de fait, dénuée de personnalité morale, ne dispose pas de la capacité juridique pour résilier un bail rural ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la Communauté des co-exploitants de l'Arche était une société créée de fait dont MM. [G] et [B] étaient membres ; qu'en décidant que la convention conclue le 30 avril 2017 entre la Sci Paix et Travail et la Communauté des co-exploitants agricoles de l'Arche résiliant le bail à ferme qui les liait est opposable à MM. [G] et [B], la cour d'appel a violé les articles 1842, 1871-1 et 1873 du code civil ;
2°/ en toute hypothèse, que la résiliation amiable d'un bail rural dont une société civile est titulaire doit être décidée selon le quorum fixé par les associés, à défaut à l'unanimité ; qu'en se bornant à relever que suivant convention conclue le 30 avril 2017 avec effet immédiat, la Sci Paix et Travail et la Communauté des co-exploitants agricoles de l'Arche ont décidé de résilier d'un commun accord le bail à ferme qui les liait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette décision n'était pas nulle pour ne pas avoir été prise à l'unanimité, voire par les trois quarts, des associés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1852, 1871-1 et 1873 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que la convention de résiliation du bail à ferme avait été régularisée le 30 avril 2017 par M. [H] représentant la société Paix et travail, et M. [S], représentant la communauté dont il était lui-même membre.
12. Elle a retenu que MM. [G] et [B], qui avaient agi en qualité d'associés, répondaient des effets d'une convention conclue par le représentant de la communauté d'exploitation dont ils étaient membres.
13. Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, la cour d'appel en a exactement déduit que la résiliation amiable intervenue était opposable par la société propriétaire à chacun des membres de la société créée de fait exploitant son domaine.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.