CA Colmar, 1re ch. civ. A, 18 mars 2008, n° 04/03112
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges
Défendeur :
Théo Walter Quincaillerie (SARL), Widmaier et Cie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
M. Cuenot, M. Allard
Avocats :
SCP Wemaere - Leven, Me Paillot, Me Wetzel, Me Spieser, Me Soudant
Attendu que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d’Alsace a poursuivi la SARL WIDMAIER ET CIE, la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE et M. X en tant que membres d’un groupement d’intérêt économique non immatriculé pour obtenir le remboursement d’une facilité de caisse de 2 millions de francs ;
Attendu que les trois défendeurs ont appelé en garantie Mme Y, désignée comme gérante du groupement d’intérêt économique ;
Attendu que par jugement du 21 mai 2004, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a débouté la Caisse de Crédit Agricole des fins de sa demande ;
Attendu que par un autre jugement du 21 mai 2004, cette même juridiction a constaté que l’appel en garantie contre Mme Y était sans objet ;
Attendu que la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges, venant aux droits des Caisses de Crédit Agricole d’Alsace et des Vosges, a relevé appel de ce jugement le 29 juin 2004, dans des conditions de recevabilité non contestées ;
Que la SARL WIDMAIER ET CIE, la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE et M. X ont relevé pour leur part un appel du 24 septembre 2004 contre le second jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG relativement à leur appel en garantie contre Mme Y ;
Qu’il n’a pas été justifié d’une signification de cette décision, et que la recevabilité de cet appel n’a pas été contestée ;
Attendu que les deux recours ont fait l’objet d’une jonction ;
Attendu qu’au soutien de son recours, la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges invoque à nouveau l’existence d’une société de fait entre les membres du groupement d’intérêt économique GVD ;
Qu’elle estime qu’il y a eu des apports, faits avec intention des parties de s’associer, et une vocation des parties à profiter de I‘économie qui pourrait résulter de leurs achats groupés auprès de la société GRUNDIG ;
Qu’elle souligne que ce fournisseur a rétrocédé des bonifications pour un total de 96.468,86 euros, ce qui caractérise les bénéfices de l’entreprise commune ;
Qu’elle rappelle que les comptes du groupement d’intérêt économique ont été approuvés par ses membres, et qu’ils faisaient figurer le passif constitué notamment auprès de la Caisse de Crédit Agricole ;
Attendu que la Caisse de Crédit Agricole conclut en conséquence à l’infirmation du jugement entrepris, et a la condamnation solidaire de la SARL WIDMAIER, de la société THEO WALTER QUINCAILLERIE et de M. X a lui payer la somme principale de 304.898,03 euros, correspondant au montant de ses facilités de caisse, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation ;
Qu’elle sollicite 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la SARL ELECTRO DU RHIN, qui déclare venir aux droits de la société WIDMAIER ET CIE par scission, et la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE concluent à la confirmation du jugement entrepris, en sollicitant subsidiairement la garantie de Mme Y et de la Caisse de Crédit Agricole elle-même ;
Qu’elles sollicitent des compensations de leur obligation de plaider ;
Attendu que M. X, exerçant sous l’enseigne TELE ELECTRO SERVICE, conclut dans le même sens que la SARL ELECTRO DU RHIN et la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE ;
Attendu que Mme Y souligne que son appel en garantie ne repose sur aucun fondement juridique précis, et indique que le défaut d’immatriculation du groupement d’intérêt économique n’a eu aucun effet négatif à l’égard de ses membres ;
Qu’elle sollicite une compensation de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les pièces versées aux débats montrent que le 6 mars 1987, un GIE a été fondé entre dix magasins, pour l’acquisition en commun de matériel audiovisuel ;
Attendu qu’il résulte des explications des parties que la constitution d’un tel groupement a été suggérée à la fois par la société GRUNDIG, fournisseur auprès de qui il devait se fournir essentiellement, et par la Caisse de Crédit Agricole de LINGOLSHEIM, dont le dirigeant, M. Jean-Jacques Z, a été désigné d’ailleurs comme commissaire aux comptes de celui-ci ;
Attendu que les statuts auraient été rédigés par M. Z, qui a désigné les parties de manière un peu négligente par des noms d’enseignes seulement ;
Attendu que Mme Y, dont le mari gérait la société TELE SERVICE â a LINGOLSHEIM, a été désignée en qualité de première administratrice de ce groupement ;
Attendu qu’il est également constant qu’à la suite d’une omission imputable pour partie à Mme Y et a M. Z, le groupement n’a jamais été immatriculé, et n’a jamais acquis par conséquent la personnalité morale ;
Attendu que la Caisse de Crédit Agricole parait lui avoir ouvert initialement deux comptes, n° 226 46 84 010 et 011, si l’on se fonde sur un acte de cautionnement souscrit par les membres du groupement le 30 septembre 1987 à hauteur de 220.000 frs ;
Qu’il était précisé dans l’engagement de caution que la Caisse avait accordé des facilités de caisse de 400.000 frs sur le premier compte et de 1.600.000 frs sur le second ;
Attendu que la Cour observe cependant que l’acte d’ouverture de ces comptes n’a pas été produit par la Caisse de Crédit Agricole, et qu’une telle omission n’est peut être pas fortuite ;
Que l’on ne sait pas en effet si les comptes ont été ouverts par Mme Y pour le groupement en formation, ou directement au nom de celui-ci ;
Attendu que l’on ne trouve donc pas de stipulation d’intérêts, et que la Caisse de Crédit Agricole produit actuellement les mouvements depuis mars 1987 de deux comptes 010 et 011, qui paraissent avoir été regroupés en 1988 sous le seul numéro 010 ;
Que l’on voit des débits d’intérêts et frais ou d’agios, sans notification cependant d’un taux quelconque ;
Attendu que le 11 mai 1988, le groupement d’intérêt économique comprenait un membre de plus, et que chacun a souscrit un nouveau cautionnement à hauteur de 200.000 frs pour des facilités de caisse d’un montant de 2 millions de francs sur le compte n° 010 ;
Attendu qu’une attestation d’un préposé de la société GRUNDIG montre que dès le 19 août 1987, elle avait été amenée à supprimer un découvert de 200.000 frs, en constatant que le groupement d’intérêt économique n’était toujours pas inscrit ;
Que dans les suites de cela, des discussions auraient eu lieu entre la société GRUNDIG, les époux Y et M. Z du Crédit Agricole ;
Qu’il est bien curieux qu’aucune régularisation n’ait eu lieu alors ;
Attendu que plusieurs membres du groupement l'ont quitté, et que le 30 août 1993, Mme Y a informé le Crédit Agricole de son intention de cesser l’activité du GVD au 31 mars 1994 ;
Que le Crédit Agricole en a pris acte, et a demandé que soit solde le découvert à cette date ;
Attendu que dans les suites de cet échange, on constate avec un peu d’étonnement que la société TELE SERVICE SCHMITT s’est engagée à apurer personnellement et sous diverses modalités le découvert au Crédit Agricole du groupement d’intérêt économique ;
Attendu que la société SCHMITT a effectué des versements de 10.000 frs par mois, et que le 27 juin 1996, le Crédit Agricole a indiqué à M. Y que le dernier versement remontait au 10 avril, contrairement à son engagement de verser mensuellement la somme de 10.000 frs ;
Attendu que la société TELE SERVICE SCHMITT a été placée en redressement judiciaire en 1996, et que le Crédit Agricole a produit pour le solde de la créance du groupement d’intérêt économique ;
Attendu qu’il faut observer enfin que le Crédit Agricole n’est pas cohérent sur le solde qui lui reste dû ;
Que l’on voit l’indication d’un solde de 1.577.934 frs au début du mois d’avril 1994, et que par courrier du 31 octobre 1996, la caisse a demandé l’exécution des engagements de caution en mentionnant un solde débiteur de 2.215.571 frs ;
Qu’à l’heure actuelle, elle mentionne un solde de 2.002.729,37 en 1999, la différence tenant peut être à I’application du taux légal à la place d’agios dont le taux demeure inconnu ;
Que la caisse parait d’ailleurs faire maintenant une sorte de prix de gros en ne demandant que l’équivalent de 2 millions de francs ;
Attendu que la Cour souligne que la Caisse de Crédit Agricole ne demande pas aux trois anciens membres du groupement d’intérêt économique poursuivis par elle l’exécution de leurs engagements de caution, en paraissant à juste titre estimer qu’en l’absence d’obligation principale valide, les engagements accessoires de caution ne peuvent pas être ramenés à exécution ;
Qu’en effet, le groupement d’intérêt économique, qui n’a pas acquis la personnalité morale à défaut d’immatriculation, n’a pas pu s’engager ;
Attendu qu’elle ne fonde son action que sur l’allégation d’une société de fait ;
Attendu qu’il y a peu de précédents jurisprudentiels en la matière, et un article assez dubitatif du professeur LE CANNU sur la possibilité d’une telle requalification ;
Attendu en tout état de cause que la Cour observe qu’il n’y a jamais eu l’intention de créer une entreprise commune, mais simplement de regrouper des achats au sein d’une structure précisément qualifiée de groupement d’intérêt économique ;
Qu’il n’y a pas eu d’apport d’argent ou d’industrie, et pas d’intention de créer une véritable entreprise commune, mais seulement une structure d’achat susceptible de procurer des économies ;
Attendu que si les statuts prévoient une avance quasi symbolique de 900 frs à valoir sur les cotisations destinées à faire fonctionner le groupement, une telle stipulation n’équivaut pas véritablement à un apport ;
Qu’il n’est pas justifié d’ailleurs qu’il ait été demandé quoi que ce soit au même membre qui a rejoint le groupement après sa constitution ;
Attendu que dans ces conditions, la Cour n’est pas amenée à reconnaitre dans la constitution de fait au sens des articles 1873 et 1832 du Code civil ;
Que la Cour confirme par conséquent le rejet des demandes de la Caisse de Crédit Agricole, ainsi que la constatation du défaut d’objet de I’appel en garantie diligenté contre Mme Y ;
Attendu que la Caisse de Crédit Agricole n’aurait pas dû poursuivre une telle procédure en cause d’appel, et que la Cour alloue à M. X, à la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE et à la SARL ELECTRO DU RHIN une compensation de 800 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la Cour rejette cependant les demandes de Mme Y de ce chef, compte tenu de sa part de responsabilité dans le défaut d’organisation du groupement ;
Que pour le même motif, la Cour lui laisse la charge de ses propres fais de procédure en première instance et en cause d’appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
RECOIT les appels contre les deux jugements du 21 mai 2004 du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG ;
Au fond, CONFIRME ces jugements en ce qu’ils ont débouté la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges des fins de sa demande, et constate que I‘appel en garantie contre Mme Y était sans objet ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à la SARL ELECTRO DU RHIN, à la SARL THEO WALTER QUINCAILLERIE et à M. X une compensation de 800 euros (huit cents euros) chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les plus amples demandes fondées sur cette disposition, et en particulier les demandes présentées par Mme Y ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de première instance relatifs à son action contre les trois défendeurs principaux, et DIT que les frais de procédure sont compensés dans les rapports de ces trois défendeurs et de Mme Y, appelée en garantie ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de son appel contre les trois défendeurs principaux, et DIT que les frais de postulation en appel sont compensés dans les rapports de ceux-ci et de Mme Y.