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Décisions

Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 15-10.896

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 7 oct. 2014

7 octobre 2014

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 2014), que la société Motorola Mobility France (la société Motorola) a procédé, auprès des sociétés de gestion collective concernées, aux déclarations de sorties de stocks des cartes mémoires non dédiées et des téléphones mobiles multimédia qu'elle a mis en circulation sur le territoire national de mai à décembre 2008 ; que, sur la base de ces déclarations, la société Copie France et la Société pour la rémunération de la copie privée sonore, depuis absorbée par la première, ont émis des notes de débit en application des décisions n° 8 du 9 juillet 2007 et n° 10 du 27 février 2008 de la commission instituée par l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ; que, contestant la légalité de ces décisions, la société Motorola a saisi la juridiction judiciaire aux fins de voir juger que les sommes ainsi réclamées n'étaient pas dues et, subsidiairement, surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative ; que, par deux arrêts du 17 décembre 2010, le Conseil d'Etat a annulé les décisions n° 8 et 10 précitées et dit que cette annulation ne prendrait effet qu'à compter du 1er janvier 2009, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la décision contre des actes pris sur le fondement des dispositions annulées ; que l'arrêt, non critiqué de ce chef, a constaté que les factures litigieuses étaient privées de fondement juridique et ordonné la restitution à la société Motorola, par la société Copie France, des sommes déjà payées ;

Attendu que la société Motorola fait grief à l'arrêt de recevoir la société Copie France en ses demandes reconventionnelles, de fixer à la somme de 45 000 euros l'indemnité due au titre de la rémunération pour copie privée, pour la période de mai à décembre 2008, devant se compenser, à due concurrence, avec celle de 2 803,91 euros à restituer par la société Copie France et, en conséquence, de la condamner à payer à cette dernière la somme de 42 196,09 euros, alors, selon le moyen :

1°/ que la commission « copie privée », investie à cette fin par la loi d'un pouvoir réglementaire, désigne les supports éligibles à la rémunération due aux auteurs, artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes ou vidéogrammes au titre de la copie privée de leur oeuvre et en détermine le taux et les modalités de versement ; qu'en retenant, pour allouer à la société Copie France une compensation financière au titre de la rémunération pour copie privée pour la période de mai à décembre 2008, que le juge judiciaire, compétent tant en matière de propriété que de propriété intellectuelle, était en mesure d'évaluer la perte de revenus résultant, pour les titulaires de droit d'auteur et de droits voisins, de l'exception légale de copie privée, la cour d'appel, qui a substitué son appréciation à celle de la commission « copie privée », a violé l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16-24 août 1790 ;

2°/ que l'annulation d'un texte réglementaire par le juge administratif s'impose au juge civil ; que, conformément aux dispositions de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, les décisions n° 8 et 10 de la commission « copie privée » désignaient les types de support éligibles à la rémunération équitable et le taux de rémunération, en sorte que leur annulation a non seulement fait disparaître le taux de la rémunération, mais également son assiette ; qu'en retenant, pour allouer à la société Copie France une compensation financière au titre de la rémunération pour copie privée pour la période de mai à décembre 2008, que le principe de la créance de la société Copie France demeurait acquis pour les cartes mémoire et les téléphones mobiles, nonobstant l'annulation des décisions n° 8 et 10 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, qui n'aurait affecté que le taux de la rémunération, la cour d'appel a méconnu la portée des décisions du Conseil d'Etat du 17 décembre 2010, en violation du principe de séparation des pouvoirs et de la loi des 16-24 août 1790 ;

3°/ que le juge, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, doit fonder sa décision sur une règle de droit et non sur l'équité ; qu'en retenant, pour allouer à la société Copie France une compensation financière au titre de la rémunération pour copie privée pour la période de mai à décembre 2008, que l'annulation des décisions précitées n° 8 et 10 ne pouvait priver les titulaires du droit de reproduction d'une juste rémunération et que la société Motorola ne pouvait, de son côté, sérieusement prétendre ne rien devoir verser pour la reproduction à usage privé, la cour d'appel, qui a statué en équité au lieu d'appliquer la règle de droit, a violé l'article 12, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, qui doit être interprété à la lumière de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, que les titulaires d'un droit exclusif de reproduction doivent recevoir une compensation équitable destinée à les indemniser du préjudice que l'application de l'exception de copie privée leur cause ; que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'Etat membre qui avait introduit une telle exception dans son droit national avait, à cet égard, une obligation de résultat, en ce sens qu'il était tenu d'assurer une perception effective de ladite compensation (arrêt du 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie, C-462/09, point 34 ; arrêt du 11 juillet 2013, Amazon.com International Sales e.a., C-521/11, point 57) ;
Que c'est, dès lors, à bon droit, que la cour d'appel a retenu que l'annulation des décisions prises par la commission administrative chargée de déterminer les types de support éligibles à la rémunération pour copie privée et les taux de cette rémunération ne saurait priver les titulaires du droit de reproduction d'une compensation équitable due au titre des copies licites réalisées à partir des supports d'enregistrement mis en circulation par la société Motorola ; qu'elle en a exactement déduit, sans méconnaître ni le principe de la séparation des pouvoirs ni l'autorité attachée aux décisions du juge administratif, qu'il appartenait au juge judiciaire de procéder à l'évaluation de cette compensation, perçue pour le compte des ayants droit par la société Copie France et calculée sur la base du critère du préjudice causé à ceux-ci par l'introduction de l'exception de copie privée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.