CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 24 juin 2016, n° 12/12697
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Acer Computer France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Nerot, Mme Renard
FAITS ET PROCEDURE
En 2011, la société Packard Bell France, constructeur d'une large gamme de matériels informatiques, a fait l'objet d'une fusion absorption par la société Acer Computer France (ci après Acer).
La société Copie France, venant aux droits de la société Sorecop, a notamment pour objet de percevoir la rémunération pour la société Copie Privée instaurée par la loi du 3 juillet 1985 et assise sur les supports vierges d'enregistrement.
Le montant de cette rémunération ainsi que les supports d'enregistrement éligibles sont déterminés par une commission administrative prévue par l'article L311-5 du code de la propriété intellectuelle.
Les décisions 8 du 9 juillet 2007 et 9 du 11 décembre 2007 de cette commission, qui avaient déclaré éligible à cette rémunération un certain nombre de supports vierges d'enregistrement dont les disques durs externes et les disques durs multimédia, commercialisés par la société Acer externes, ont été annulées par deux arrêts du Conseil d'Etat en date du 17 décembre 2010 sans rétroactivité mais sous réserve des actions contentieuses en cours.
Le 17 décembre 2007, la commission a adopté une décision n°11 se substituant à l'ensemble de ses précédentes décisions dont les décisions 8 et 9.
Cette décision a également été portée devant le Conseil d'Etat pour deux motifs, celui tenant à l'absence d'exclusion effective des copies de source illicite, l'autre tenant à la soumission à cette rémunération des matériels à destination des professionnels ; par arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2011, elle a été annulée.
Sur la base des déclarations de sortie de stocks de la société Acer, des factures ont été émises entre le 30 novembre 2007 et le 29 janvier 2009 pour un montant global de 904 043,18 euros TTC, somme sur laquelle celle-ci a réglé la somme de 661 168 eurosTTC correspondant à 13 des factures émises, suspendant tout paiement pour les autres factures représentant la somme de 242 874 euros TTC.
Par acte du 16 janvier 2009, société Acer a fait assigner la société Copie France et la société Sorecop aux fins qu'il soit jugé qu'aucune des factures contestées n'était due et qu'il lui soit restitué les sommes versées.
Par jugement contradictoire daté du 15 mai 2012, le tribunal de grande instance de Paris a :
Rejeté les fins de non-recevoir opposées par la société Copie France à la société Acer Computer France,
Constaté que la créance alléguée par les sociétés Sorecop et Copie France à l'encontre de la société Acer Computer France au titre des factures émises en application des décisions n°8 et 9 de la commission Copie Privée est privée de fondement juridique à la suite des arrêts du Conseil d'Etat en date du 17 décembre 2010 annulant lesdites décisions administratives et est, par là même, réputée n'avoir jamais existé.
En conséquence :
Jugé qu'aucune des factures litigieuses n'est due par la société Acer Computer France,
Dit la demande de suspension de paiement des factures formée par la société Acer Computer France sans objet,
Dit que la société Copie France doit restituer à la société Acer Computer France la somme de 502.406,54 euros TTC correspondant aux factures d'ores et déjà payées,
Reçu la société Copie France en ses demandes reconventionnelles,
Dit que la société Acer Computer France doit payer à la société Copie France la somme de 740.000 euros à titre d'indemnité compensatrice pour la rémunération de la Copie privée due au titre de l'année 2008, de mai à décembre,
Ordonné la compensation entre les deux sommes,
En conséquence,
Condamné la société Acer Computer France à payer à la société Copie France la somme de 237.593, 46 euros,
Condamné la société Acer Computer France à payer à la société Copie France la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné la société Acer Computer France aux dépens.
La société Acer Computer France (Acer) a fait appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 7 juillet 2012.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 avril 2016
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 mai 2016 , la société Acer demande à la cour de :
Confirmer le jugement en date du 15 mai 2012 en ce qu'il rejette les fins de non-recevoir invoquées par la société Copie France en première instance et,
A titre principal
Constater la créance de rémunération alléguée par la société Copie France à l'encontre de la société Acer au titre des factures émises en application des décisions n°8 et 9 de la commission de l'article L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle est illicite, lesdites décisions administratives ayant été annulées par arrêts du Conseil d'Etat en date du 17 décembre 2010 au motif qu'elles emportaient illégalement compensation de copies illicites ;
Constater que cette même créance est, en conséquence de l'annulation des décisions administratives susvisées, privée de fondement juridique et est, par là même, réputée n'avoir jamais existé ;
Constater que cette créance ne saurait être fondée sur l'article 545 du Code civil ou sur le seul principe de « compensation équitable » qui serait porté par l'article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété par des normes constitutionnelles ou conventionnelles, en violation du cadre légal et règlementaire posé par les articles L. 311-1 et suivants du même code ;
Constater que le juge judiciaire ne peut se substituer à la commission de l'article L.311-5 susvisé pour déterminer le quantum de la créance litigieuse ;
Constater qu'à supposer qu'une perte de chance de se prévaloir du régime légal applicable ait été subie par les titulaires de droits d'auteur et droits voisins, elle ne pourrait, en toute hypothèse, ne relever que d'une mise en cause de la responsabilité de l'Etat, auteur des décisions administratives annulées ;
En conséquence :
Confirmer le jugement en date du 15 mai 2012 en ce qu'il juge qu'aucune des factures litigieuses n'est due par la société Acer et ordonne à la société Copie France de restituer à la société Acer la somme de 605 462 euros HT (soit 661 168 euros TTC) et,
Infirmer ce même jugement en ce qu'il reçoit les demandes reconventionnelles de la société Copie France, admet une créance de 740 000€ au bénéfice de la société Copie France et condamne la société Acer à lui payer la somme de 237 593,46 euros à titre d'indemnité compensatrice pour la rémunération pour Copie privée due au titre de l'année 2008, de mai à décembre ;
Déclarer la société Copie France infondée dans sa demande reconventionnelle ;
En conséquence :
Débouter la société Copie France de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
Si par extraordinaire la Cour d'appel entendant allouer une « compensation équitable » au bénéfice de la société Copie France, alors il lui appartiendrait de calculer le quantum de la compensation équitable en considération du préjudice causé aux ayants droit du fait de l'exception de Copie privée ;
En conséquence,
Déduire de la créance litigieuse la proportion de Copies illicites et professionnelles qu'elle comporte et qu'il conviendra d'estimer à 50 % de ladite créance ;
Allouer à la société Copie France une « compensation équitable » d'un montant de 414 081 euros HT (soit 452 021 euros TTC) ;
Ordonner à la société Copie France de restituer à la société Acer la somme de 191 560 euros HT (soit 209 146 euros TTC) correspondant au trop versé par celle-ci au titre de la créance litigieuse ;
En tout état de cause :
Condamner la société Copie France à payer à la société Acer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 10 mai 2016 , la société Copie France demande à la cour de :
- Confirmer le Jugement rendu le 15 mai 2012 par la 3ème Chambre -1ère Section du Tribunal de Grande Instance de Paris en ce qu'il a accueilli les demandes reconventionnelles de la société Copie France et alloué à cette dernière une indemnité compensatrice,
- Infirmer ledit jugement sur toutes les dispositions contraires et,
Statuant à nouveau,
- Déclarer la société Acer Computer France irrecevable et en tout cas mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- L'en débouter,
- Fixer le montant de l'indemnité compensatrice due à la société Copie France par la société Acer Computer France à la somme de 828.163,27 € HT soit 904.043,18 € TTC pour l'ensemble de la période concernée par la présente procédure allant du mois d'octobre 2007 au mois de décembre 2008,
En conséquence :
- Condamner la société Acer Computer France - qui a déjà versé à la société Copie France la somme de 605.642,83 € HT soit 661.168,43 € TTC, au titre de sa période d'activité allant du mois d'octobre 2007 au mois de septembre 2008 ainsi que du mois de novembre 2008 - à payer à la société Copie France, la somme complémentaire de 222.520,44 € HT soit la somme de 242.874,75 € TTC, sauf à parfaire, pour sa période d'activité des mois d'octobre 2008 et de décembre 2008,
En toute hypothèse :
- Condamner la société Acer Computer France à payer à la société Copie France la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société Acer Computer France aux entiers dépens
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant que la société Acer demande la restitution des redevances pour copies privées qu'elle a versées à la société Copie France, soit 661 168€TTC et une dispense de paiement pour celles facturées mais non réglées soit 242 874€ TTC dès lors que ces factures ont été établies sur le fondement des décisions 8 et 9 de la Commission de l'article L311-5 du code de la propriété industrielle, motifs pris de leur annulation par le Conseil d'Etat.
Considérant que la société Copie France s'oppose à la demande de restitution et demande à la cour de lui allouer une somme de 242 874,75€ sauf à parfaire compensant la perte de rémunération pour la période d'octobre à décembre 2008, somme prenant en compte les versements déjà effectués par la société Acer.
Sur les demandes de la société Acer
Considérant que la société Acer s'appuie sur les décisions du conseil d'Etat ayant annulé les décisions de la commission pour soutenir que les factures émises par la société Copie France doivent être considérées comme n'ayant jamais existé, de sorte qu'elles n'étaient pas susceptibles de recouvrement et réclame en conséquence le remboursement des sommes recouvrées à tort.
Considérant que la société Copie France soutient, d'une part, que la société Acer est irrecevable car sa demande en restitution des sommes réglées doit être qualifiée d'action en répétition de l'indû et qu'elle n'en remplit pas les conditions, d'autre part qu'elle reste redevable d'une rémunération qui est d'ordre public.
Considérant que les décisions qui ont servi de base au calcul de la rémunération versée par la société Acer, soit les décisions 8, 9 et 10 ont été annulées par le Conseil d'Etat au motif de la prise en compte pour déterminer l'assiette de calcul de la rémunération applicable aux supports retenus des copies provenant de sources illicites ; que la décision 11 puis en conséquence la décision 13 ont été également annulées à raison notamment d'un défaut de prise en compte des supports à usage professionnel.
Considérant que l'article L311-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes et/ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes et/ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2ème de l'article L 122-5 et au 2ème de l'article L 211-3. Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support au titre de leur reproduction réalisée, dans les conditions prévues au 2ème de l'article L 122-5, sur un support d'enregistrement numérique ».
Considérant que sont redevables de cette rémunération le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires au sens de l'article 256 bis du code général des impôt , de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé, d'oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, lors de la mise en circulation en France de ces supports.
Considérant que la société Acer en sa qualité de fabricant de supports soumis à imposition a réglé au titre de sa période d'activité allant du mois d'octobre 2007 au mois de septembre 2008 ainsi que du mois de novembre 2008 une somme globale de 661 168 € ; que cette somme a été réglée sur de factures éditées sur le fondement de décisions administratives qui ont été annulées au motif de la prise en compte pour fixer le barème de la rémunération due des copies illicites.
Considérant que, si la société Copie France fait valoir que le but des dispositions mises en place était de faire supporter par celui qui réalise la copie privée, soit l'utilisateur final et non le fabricant du support, le poids économique définitif de la rémunération et de permettre au fabricant de récupérer ce montant en l'intégrant dans le prix, force est de constater que seul le fabricant ou l'importateur est assujetti à la dette envers la société chargée de la collecte ; que le mécanisme économique invoqué par la société Copie France ne saurait faire échec au dispositif légal qui fait de la société Acer son seul débiteur.
Considérant que la société Acer a intérêt et qualité pour former une demande tendant à faire réintégrer dans son patrimoine une valeur qui en a été irrégulièrement distraite du fait des annulations prononcées, la société Copie France ne pouvant se prévaloir des dispositions en matière de répétition de l'indû en invoquant une relation entre la société Acer et les clients de celle-ci à laquelle elle est étrangère .
Considérant que les décisions administratives ayant fixé le barème sur lequel sont fondées les factures en cause ayant été annulées, ces factures doivent suivre le même sort; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que la société Acer était fondée à réclamer la restitution de sommes dès lors versées à tort.
Considérant que, pour autant, les décisions d'annulation du Conseil d'Etat n'ont pas remis en cause le principe de la rémunération pour copie privée prévu par la loi du du 3 juillet 1985 et répondant aux exigences de l'article L311-1 du code de la propriété intellectuelle, principe qui est d'ordre public ; qu'il s'ensuit que la société Copie France demeure créancière de la société Acer qui ne saurait dès lors prétendre à une dispense de paiement, la question de la base de tarif ne faisant pas disparaître la créance à sa charge.
Sur la demande de la société Copie France
Considérant que la société Copie France fonde l'existence d'une indemnité compensatrice sur le principe de créance posé par l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle et son interprétation à la lumière de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur.
Considérant que la société Acer conteste le pouvoir du juge de recourir au principe d'interprétation conforme , en ce que le problème résulte de la défaillance de l'Etat français et que le recours à une interprétation aboutirait à une interprétation contra legem par la violation des dispositions de l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle en vertu duquel aucune compensation ne pourrait être allouée en l'absence de décision administrative valable.
Considérant que l'article L311-1 du code de la propriété intellectuelle reconnaît un droit à rémunération aux auteurs, artistes, interprètes et producteurs de phonogrammes et vidéogrammes en contrepartie de l'exception à leur monopole du fait de l'exception de copie privée prévue par la loi ; que ce principe ne saurait être affecté par l'annulation d'une décision administrative en fixant les modalités pratiques.
Considérant que cette disposition qui pose le principe d'une compensation équitable ne présente aucune contrariété avec le droit de l'Union, la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 en son considérant 38 énonçant « Les Etats membres doivent être autorisés à prévoir une exception ou une limitation au droit de reproduction pour certains types de reproduction de produits sonores, visuels et audiovisuels à usage privé, avec une compensation équitable. Une telle exception pourrait comporter l'introduction ou le maintien de systèmes de rémunération destinés à dédommager les titulaires de droits du préjudice subi '.» et son article 5 disposant que «Les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations (') lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable... ».
Considérant que le principe d'une indemnisation posé par l'article L311-1 du code de la propriété intellectuelle s'inscrit dans les dispositions européennes visant à assurer une protection du droit d'auteur et des droits voisins et s'impose au juge judiciaire dans l'appréciation qu'il lui appartient de faire des conséquences de l'annulation des décisions de la Commission en assurant l'application du principe de rémunération de la copie privée et en palliant le vide résultant des décisions d'annulation des modalités pratiques de mise en oeuvre de cette rémunération.
Considérant que la société Copie France s'appuie également sur le droit de propriété, faisant valoir que le droit d'auteur et les droits voisins participent du droit de propriété, l'article 111 du code de la propriété intellectuelle disposant que « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Considérant que la société Acer soutient que le droit de la propriété visé par l'article 545 du code civil recouvre les biens corporels et plus encore les biens immobiliers.
Considérant qu'il ne saurait être contesté que le droit d'auteur relève du code de la propriété intellectuelle et donc d'un droit autonome; que pour autant ce droit instaure un monopole d'exploitation des ayants droits et des dispositions pour compenser l'atteinte qui en résulte du fait de l'exception de copie privée, que la société Acer, en commercialisant des supports d'enregistrement aux fins de réaliser des actes de copie, joue un rôle causal et dès lors participe à l'atteinte faite à ce monopole.
Considérant qu'il appartient à la juridiction judiciaire à raison de l'annulation des décisions administratives, d'assurer l'application de ces dispositions légales au titre des copies licites et de fixer le montant de l'indemnité compensatrice due à la société Copie France.
Sur le montant de la créance de la société Copie France
Considérant que la société Acer expose que les sommes en litige constituent la contrepartie d'actes illicites, en l'occurrence d'actes de contrefaçon que le droit interne et le droit de l'Union Européenne interdisent de compenser judiciairement ; qu'elle soutient tout d'abord que la société Copie France ne saurait faire produire « un effet rétroactif » aux décisions n°11 et 15 de la Commission de la Copie privée et que l'identité de barème entre ceux de la décision 11 et ceux des décisions 8 et 9 s'agissant des disques durs externes et des disques durs multimédia démontrent que la décision 11 inclut encore des copies illicites qui ne sont pas susceptibles de donner lieu à rémunération ; que, par ailleurs, elle ajoute que la référence au barème de la décision 11 du 17 décembre 2008 et 13 du 12 janvier 2011 a été annulée au motif qu'elle emportait en plus rémunération de copies à usage professionnel.
Considérant qu'elle propose de pratiquer un double abattement sur le montant de la rémunération pour copie privée tel que facturé par la société Copie France sur le fondement des décisions litigieuses n°8 et 9, l'un au titre « des Copies de sources illicites » à hauteur de 30 à 50% compte tenu « de l'ampleur du phénomène de piratage », l'autre au titre des « Copies professionnelles » à hauteur de 20 à 30% tel qu'indiqué dans l'étude d'impact de la loi du 20 décembre 2011 et de réduire ainsi le montant de la compensation équitable due à la société Copie France de moitié.
Considérant que les barèmes des décisions n°11 et 15 de la Commission de la Copie privée constituent des éléments de fait, utiles mais non exclusifs pour déterminer la contrepartie financière de la copie privée due aux ayants droit et non des actes administratifs réglementaires directement applicables en l'espèce ; que les premiers juges n'ont pas fait application des dispositions 11 et 15, y faisant seulement référence pour retenir des éléments à l'appui de leur décision pour fixer le montant de la rémunération due à la société Copie France.
Considérant que, s'agissant des copies de sources illicites, la décision n°11 , adoptée le 17 décembre 2008 conformément au calendrier imposé par le Conseil d'Etat, avait pour objectif d'exclure toute copie de sources illicites de l'assiette de la rémunération de la copie privée; que la Commission avait demandé à l'Institut TNS-SOFRES de procéder à une étude des pratiques « de copies d'origine illicite sur certains supports assujettis à la rémunération pour Copie privée » ; que les résultats de cette enquête ont mis en évidence que, même en prenant en compte une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de sources illicites, les niveaux de rémunération résultant des barèmes fixés par les décisions antérieures de la Commission étaient, en réalité, très inférieurs à ce qu'ils auraient dû être pour tenir compte des pratiques de copie privée des particuliers.
Considérant qu'elle a été néanmoins annulée par le Conseil d'Etat qui a retenu le moyen tiré d'un traitement jugé insuffisant des usages professionnels .
Considérant que la décision n°11 avait pris en compte des pratiques de la société Copie Privée en mode compressé qui augmentent considérablement la capacité d'enregistrement des supports assujettis à la rémunération pour la société Copie privée.
Considérant que la société Acer soutient que cette prise en compte ne reflète pas pour autant la réalité économique des copies illicites devenues un phénomène de masse, évoquant des travaux parlementaires menés en 2008 et 2009 qui ont mis en évidence le caractère croissant de celui-ci ; qu'elle estime dès lors raisonnable voire minimaliste entre 30 et 50% le pourcentage de copies illicites dans les domaines musicaux et audiovisuels.
Considérant toutefois que, si les procès verbaux des délibérations de la commission des 19 et 26 novembre 2008 ont conclu à une révision à la hausse des tarifs, la décision n°11 a néanmoins retenu un barème identique à ceux des décisions antérieures en rappelant que ce barème prenait en compte, d'une part, « une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de source illicite »,d'autre part, « une augmentation des coefficients de conversion horaire des capacités nominales correspondant aux pratiques de compression reconnues », tout en précisant qu'il n'était pas établi que ces données techniques qui n'avaient pas été prises en compte pour fixer le barème de la rémunération « compense l'exclusion de la prise en compte des copies illicites ».
Que dès lors quand bien même cette décision a été annulée sur le moyen de la méconnaissance des supports acquis pour des usages professionnels, il ne peut en être déduit que le barème ait pris l'exacte mesure du pourcentage des copies illicites de sorte que la cour ne saurait fonder son appréciation pour chiffrer le montant de l'indemnité compensatrice sur la base du barème fixé par cette décision.
Considérant que les barèmes de la décision n°15 qui n'a pas été annulée ont été déterminés à l'exclusion, d'une part, de toute prise en compte d'usages professionnels dans la détermination du montant de la rémunération pour ne retenir à cet égard que des usages de copie privée, les supports à usage professionnels faisant désormais l'objet d'un système d'exonération légal au terme d'une loi du 20 décembre 2011 , d'autre part, les copies de sources illicites ; qu'elle aboutit à la fixation de montants de rémunération pour copie privée plus élevés que ceux de la décision n°11.
Considérant que s'agissant des usages professionnels, la société Acer fait valoir que les travaux parlementaires relatifs à la loi pour copie privée du 20 décembre 2011 donnent une appréciation de la part des copies professionnelles dans les pratiques de copie jusqu'alors intégrées dans la rémunération pour copie privée ; que toutefois les travaux menés avaient conclu qu'il était « impossible à l'heure actuelle d'en mesurer l'importance exacte, cette perte pourrait représenter de l'ordre de 20 à 30% des rémunérations », la société Acer ne fournissant pas sur ce point de données certaines.
Considérant que l'affirmation de la société Acer selon laquelle les barèmes retenus par la décision 15 sont supérieurs à ceux des autres pays de l'Union, ne résulte d'aucune donnée objective.
Considérant que, si la décision n°15 a déterminé un barème supérieur à celui de la décision n'11 alors même qu'elle excluait tant les copies illicites que les supports à usage professionnel et s'il en résulte un différentiel à la hausse de 136 940,57 € TTC par rapport au calcul de la rémunération pour la période d'octobre 2007 à septembre 2008 sur la base des décisions 8 et 9, cette hausse ne permet pas, pour autant, à la cour de retenir ni le barème de l'une, ni de l'autre pour fixer le montant de l'indemnité compensatrice ; qu'en revanche, ces décisions mettent en évidence qu'il n'y a pas lieu d'appliquer le double abattement proposé par la société Acer qui est manifestement excessif ; qu'au vu des éléments ci avant exposés, la cour appliquera un abattement de 10% par rapport aux sommes réclamées par la société Copie France de sorte qu'il sera fait droit à la demande de la société Copie France à hauteur de 813 638,70 € TTC pour l'ensemble de la période concernée par la présente procédure allant du mois d'octobre 2007 au mois de décembre 2008.
Considérant que la société Acer ayant réglé à tort la somme de 661 168,43 €, c'est à bon droit que les premiers juges ont opéré une compensation sauf à dire que la condamnation de la société Acer à régler sera de 152 470,27 € TTC.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que la société Copie France a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu' il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a alloué une indemnité compensatrice à la société Copie France
REFORME ce jugement sur le quantum,
Statuant à nouveau,
FIXE le montant de l'indemnité compensatrice due à la société Copie France par la société Acer Computer France à la somme de 813 638,70€ TTC pour l'ensemble de la période concernée par la présente procédure allant du mois d'octobre 2007 au mois de décembre 2008,
CONDAMNE la société Acer Computer France - qui a déjà versé à la société Copie France la somme de 605.642,83 € HT soit 661.168, 43 € TTC, au titre de sa période d'activité allant du mois d'octobre 2007 au mois de septembre 2008 ainsi que du mois de novembre 2008 - à payer à la société Copie France la somme complémentaire de 152 470,27 € TTC pour sa période d'activité des mois d'octobre 2008 et de décembre 2008,
CONDAMNE la société Acer Computer France à payer la somme de 30 000€ à la société Copie France au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Acer Computer France aux dépens.