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Décisions

CA Pau, 1re ch., 30 décembre 2009, n° 08/02856

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Grands Chais de France (SAS)

Défendeur :

Duprat Freres - Union des Caves Franco Iberiques (SARL), Pichon Selection (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Negre

Conseillers :

M. Castagne, M. Augey

Avoués :

SCP Marbot / Crepin, SCP Rodon

Avocat :

Me Morvilliers

CA Pau n° 08/02856

30 décembre 2009

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 4 août 2006, la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE a assigné la société DUPRAT FRERES et la société PICHON SELECTION devant le Tribunal de Commerce de BAYONNE en contrefaçon, sur le fondement des articles L 111-1 et L 311-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Suivant jugement du 10 décembre 2007, le Tribunal de Commerce de BAYONNE :

- a reconnu aux GRANDS CHAIS DE FRANCE qualité à agir,

- a débouté la société DUPRAT FRERES de sa demande en nullité de saisie contrefaçon,

- a débouté les GRANDS CHAIS DE FRANCE de leurs demandes au principal,

- a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- a condamné les GRANDS CHAIS DE FRANCE aux entiers dépens.

Par déclaration du 31 janvier 2008, la SAS LES GRANDS CHAIS DE FRANCE a interjeté appel de ce jugement.

Suivant conclusions du 24 février 2009 , elle demande à la Cour de dire et juger que la société DUPRAT FRERES, UNION DES CAVES FRANCO-IBERIQUES et la société PICHON SELECTION ont commis des actes de contrefaçon à son préjudice et en conséquence,

- de condamner, in solidum et sous astreinte dont elle se réservera la liquidation, lesdites sociétés à cesser toute fabrication, importation, détention vente et diffusion de bouteilles de vin du type de celles appréhendées par Maître PENNES dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon effectuées le 12 juillet 2006 ou de toute bouteille sur laquelle serait apposé un ornement esthétique équivalent,

- d'ordonner, au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires, la confiscation à son profit, la destruction 'au profit des sociétés intimées' des produits jugés contrefaisant ses droits d'auteur,

- de condamner in solidum les mêmes sociétés à lui verser une indemnité provisionnelle de 150.000 € en réparation du préjudice subi résultant des faits de contrefaçon, à parfaire au besoin par voie d'expertise,

- d'ordonner la publication de l'arrêt aux frais in solidum des mêmes sociétés,

- de débouter les mêmes sociétés de toutes leurs demandes,

- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 30 .000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris l'intégralité des frais et honoraires de la saisie-contrefaçon du 12 juillet 2006.

Suivant conclusions du 14 octobre 2008, la SARL DUPRAT FRERES - UNION DES CAVES FRANCO-IBERIQUES (ci-après, la société DUPRAT) et la SARL PICHON SELECTION demandent à la Cour :

' AU PRINCIPAL, de constater l'absence de la titularité des prétendus droits d'auteur et en conséquence, de débouter la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE de l'intégralité de ses demandes,

' A TITRE SUBSIDIAIRE, de prononcer la nullité des opérations de saisie contrefaçon,

' A TITRE 'TRES SUBSIDIAIRE',

- de constater le défaut d'intérêt à l'action et l'absence de tout préjudice démontré,

- de dire et juger l'habillage de la bouteille de cépage MERLOT 'Grand sud' de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE dépourvu de toute originalité et corrélativement privé de la protection offerte par la propriété littéraire et artistique,

- de débouter en conséquence ladite société de l'intégralité de ses demandes,

- confirmant le jugement entrepris, de constater l'absence de contrefaçon d'éventuels droits d'auteur,

- en conséquence, de débouter la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE de l'intégralité de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

' EN TOUT ETAT DE CAUSE, de condamner la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE à leur payer à chacune la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

L'instruction de la procédure a été déclarée close par ordonnance du 7 avril 2009 .

MOTIFS DE L'ARRET

Attendu que les sociétés intimées dénient à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE qualité à agir au titre du livre 1er du Code de la propriété intellectuelle comme ne démontrant pas, étant une personne morale, en quoi elle serait personnellement l'auteur de l'étiquette litigieuse ni ne justifiant de la cession de droits d'auteur ;

Que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE invoque la présomption de titularité des droits sur l'oeuvre commercialisée et exploitée en l'absence de revendication de ces droits par un tiers, faisant valoir que cette titularité permet de faire abstraction de la personne au profit de laquelle sont, à l'origine, nés les droits d'auteur ;

Attendu qu'il est constant qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'oeuvre par une personne physique ou morale fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété intellectuelle de l'auteur ;

Que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE fait donc valoir avec exactitude et pertinence qu'elle apporte la preuve d'actes matériels d'exploitation et commercialisation sous son nom, depuis le début de l'année 2000, de l'habillage de référence dont elle justifie avoir confié le tirage à un éditeur allemand en novembre 1999 ;

Attendu que dans ces conditions et en l'absence de revendication du ou des auteurs, la fin de non recevoir opposée à la demande pour défaut de titularité des droits dont la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE revendique la protection n'apparaît pas justifiée ;

Attendu que faisant valoir que seul l'auteur de l'oeuvre ou le cessionnaire de ses droits d'exploitation a qualité pour agir en contrefaçon sur le fondement de la législation sur les droits d'auteur, les sociétés intimées estiment que la saisie contrefaçon pratiquée en l'espèce est entachée de nullité faute pour la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE d'avoir justifié de ses droits ;

Qu'en conséquence des considérations qui précèdent, ce moyen sera également écarté comme étant dépourvu de fondement ;

Attendu que les sociétés intimées soulèvent d'autre part la nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 12 juillet 2006 pour non respect des dispositions de l'ordonnance l'ayant autorisée, faisant valoir qu'alors que ladite ordonnance autorisait l'huissier à procéder à la saisie réelle contre paiement ou offre de paiement au tarif normal de deux exemplaires du produit estimé contrefaisant, il résulte du procès-verbal que l'huissier est reparti avec les deux bouteilles de vin saisies sans s'être acquitté de leur prix ni en avoir proposé le paiement ;

Que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE conteste ce moyen en faisant valoir que le prix des deux bouteilles saisies était tout à fait minime et que Monsieur Pierre DUPRAT, présent sur les lieux, a refusé de recevoir le paiement effectué par l'huissier ;

Qu'elle estime en outre que le défaut de paiement de deux bouteilles de vin au prix unitaire de 1,10 € ne saurait avoir causé à la société DUPRAT Frères le moindre préjudice ;

Attendu que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE verse aux débats une lettre de l'huissier instrumentaire Maître Alain PENNES, en date du 16 juillet 2007, aux termes de laquelle celui-ci précise avoir proposé, lors de sa saisie contrefaçon du 12 juillet 2006, le paiement des deux bouteilles de vin saisies à Monsieur DUPRAT en personne qui a catégoriquement refusé de recevoir ce règlement ;

Que bien que ces précisions ne figurent pas au procès-verbal de saisie, la teneur non objectivement démentie de ce courrier établit suffisamment la réalité du refus de recevoir paiement, lequel réduit à néant le grief ; qu'il n'est d'autre part justifié d'aucun préjudice consécutif à l'irrégularité formelle inhérente à l'absence de mention de cette proposition et de ce refus au procès-verbal ;

Attendu que les intimées dénient à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE intérêt à agir, au motif que lors de son courrier du 9 août 2006, la société DUPRAT confirmait avoir définitivement retiré le produit litigieux de la vente, faisant valoir que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE avait ainsi obtenu satisfaction et n'avait fait aucune réserve dans sa réclamation initiale ;

Que toutefois, le retrait évoqué du produit litigieux, ou à tout le moins l'affirmation de l'avoir retiré, démontre au demeurant la prise au sérieux par la société DUPRAT du grief dont celle-ci faisait l'objet et ce retrait, à le supposer effectif, n'était pas de nature à faire disparaître le préjudice éventuellement causé à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE antérieurement ;

Attendu que les sociétés intimées objectent sur le fond le défaut d'originalité du produit, soutenant que l'habillage de la bouteille de vin de cépage MERLOT de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE est dépourvu de toute originalité en sorte qu'il serait corrélativement privé de la protection découlant de la propriété intellectuelle ;

Attendu que faisant valoir que le caractère original d'une oeuvre doit être apprécié globalement au regard de l'ensemble formé par les différents éléments qui la composent, la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE réplique, en se référant au jugement entrepris, que si la couleur des étiquettes et bouchons, la contenance d'un litre, la police des caractères, ne présentent pas un caractère original, l'agencement de ces divers éléments présente bien un caractère original ;

Attendu qu'il apparaît que le produit de référence commercialisé par la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE consiste en une bouteille de vin d'une contenance inhabituelle de 1 litre, habillée d'une étiquette principale bicolore bleue et jaune, sur laquelle le nom du cépage MERLOT est inscrit verticalement sur le côté droit en caractères majuscules de grande taille, ainsi que d'une étiquette de protection du bouchon également bicolore, jaune à la base et bleue au sommet, que cet agencement présente effectivement un caractère original reflétant un travail de création et d'individualisation ayant abouti à une visibilité particulière du produit par rapport à ceux de même catégorie habituellement commercialisés ; que dès lors, le produit commercialisé par la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE doit être considéré comme protégeable au sens de la législation sur le propriété intellectuelle ;

Et attendu que la comparaison des bouteilles saisies avec les bouteilles de référence fait incontestablement ressortir que la présentation des bouteilles de la société DUPRAT Frères reprend les éléments essentiels, tels qu'évoqués ci-dessus, qui font l'originalité des bouteilles de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE, aboutissant à une impression visuelle d'ensemble identique qui ne peut, malgré certains éléments permettant une différenciation lors d'un examen minutieux, que créer la confusion dans l'esprit d'un consommateur normalement attentif, ce d'autant plus lorsque les deux produits ne sont pas présentés cote à cote ;

Attendu que la contrefaçon est ainsi matériellement démontrée ;

Attendu que la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE fait valoir qu'à minima, 13.440 bouteilles litigieuses ont été produites par la société DUPARAT Frères, que cette dernière a encore en stock des cartons, capsules, étiquettes et contre-étiquettes et que d'autres commandes que celles issues du bon de commande appréhendé par l'huissier ont été passées entre la société DUPRAT Frères et la société PICHON SELECTION, cette dernière ayant fait état d'une prévision de commandes minimum de 134.400 bouteilles ;

Attendu que les sociétés intimées font valoir quant à elles que l'huissier ne relève à l'examen de la comptabilité que la vente de 13.440 bouteilles pour un montant de 14.784 € à un seul client situé au DANEMARK, qu'en matière de contrefaçon, l'indemnisation ne s'effectue que sur la base de la perte de marge prouvée par la victime et que LES GRANDS CHAIS DE FRANCE ne fournissent aucun élément chiffré laissant supposer des ventes manquées ou une baisse de chiffre d'affaires ;

Que soulignant que LES GRANDS CHAIS DE FRANCE ont obtenu satisfaction sur leur demande initiale par l'arrêt de la commercialisation, elles estiment 'qu'accessoirement', même si l'on devait raisonner sur la base du chiffre d'affaires réalisé, l'indemnisation maximale ne pourrait consister que dans la marge sur 14.784 € ;

Attendu qu'est versée aux débats copie de la lettre recommandée de Pierre DUPRAT adressée au directeur de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE en date du 9 août 2006, dans le sens d'un rappel de son engagement de cesser immédiatement toute commercialisation du produit litigieux pris dès le problème signalé début juin 2006, les ventes effectuées antérieurement n'étant que d'un camion, soit 13.440 unités ;

Attendu qu'il n'est pas établi qu'en l'absence de contrefaçon, la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE aurait écoulé 13.440 bouteilles auprès du même client situé dans un pays étranger et avec lequel elle ne justifie pas avoir eu elle-même des contacts commerciaux ; que plus généralement, la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE ne fournit aucun élément d'ordre commercial ou comptable susceptible de justifier d'un préjudice égal ou supérieur à 150.000 € et qu'il ne saurait être suppléé par une mesure d'expertise à sa carence en matière probatoire ;

Attendu que dans la mesure où les sociétés intimées pourraient ne pas respecter l'engagement de Pierre DUPRAT, engagement dont la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE met la sincérité en doute et en l'absence d'inventaire des produits contrefaits qui seraient encore en la possession des sociétés intimées, la mesure efficace de nature à s'assurer de la cessation effective des agissements contrefacteurs constatés consistera dans l'interdiction sollicitée de fabrication, importation, détention, vente et diffusion de produits contrefaits, ce sous peine d'une astreinte de 1.000 € par infraction à compter de la signification du présent arrêt, sans qu'il soit pour autant nécessaire que cette astreinte soit qualifiée de définitive ni que la Cour s'en réserve la liquidation ;

Attendu que la contrefaçon a été dénoncée au mois de juin 2006 et que la 1ère commande pour 'CALLE Kupfermuhle' avait été transmise par PICHON SELECTION à la société DUPRAT Frères le 16 février 2006 et avait donné lieu à un bon de déconsignation congé du 24 mars 2006 ; que les agissements conjugués des sociétés intimées ont incontestablement causé à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE un trouble commercial qui sera justement indemnisé par l'allocation de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts, la demande n'apparaissant pas justifiée pour le surplus ;

Attendu qu'il convient d'ordonner la publication du présent arrêt, par extraits, dans trois revues au choix de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE, ce aux frais in solidum des sociétés intimées et à concurrence de 3.000 € par insertion ;

Attendu qu'il échet de condamner les sociétés intimées aux entiers dépens, en ce compris le coût du procès-verbal de saisie contrefaçon du 12 juillet 2006, et qu'il est équitable d'allouer à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Reçoit en la forme l'appel de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE,

Infirme en tant que de besoin le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Dit que la SARL DUPRAT Frères, UNION DES CAVES FRANCO-IBERIQUES, et LA SARL PICHON SELECTION ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de la SAS LES GRANDS CHAIS DE FRANCE,

Dit que les sociétés DUPRAT Frères et PICHON SELECTION devront cesser toute fabrication, importation, détention, vente et diffusion de bouteilles de vin identiques à celles ayant fait l'objet de la saisie contrefaçon du 12 juillet 2006 ou de bouteilles présentant un habillage d'apparence similaire, ce sous astreinte de 1.000 € (mille euros) par infraction constatée à partir de la signification du présent arrêt,

Condamne in solidum les sociétés DUPRAT Frères et PICHON SELECTION à payer à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE la somme de 10.000 € (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts,

Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, dans trois revues au choix de la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE, ce aux frais in solidum des sociétés DUPRAT Frères et PICHON SELECTION et à concurrence de 3.000 € (trois mille euros) par insertion,

Condamne in solidum les sociétés DUPRAT Frères et PICHON SELECTION à payer à la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE la somme de 4.000 € (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Déboute la société LES GRANDS CHAIS DE FRANCE du surplus de ses demandes,

Condamne in solidum les sociétés DUPRAT Frères et PICHON SELECTION aux entiers dépens, en ce compris le coût du procès-verbal de saisie contrefaçon dressée par la SCP Alain PENNES et Wilfried NOËL, huissiers de justice, le 12 juillet 2006,

Accorde à la SCP MARBOT - CREPIN, avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.