CA Versailles, 4e ch., 18 mai 2020, n° 18/01370
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Remy Garnier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Manes
Conseillers :
Mme Cariou, Mme Bagneris
Avocats :
Me Lin, Me Carro, Me Berdeaux
FAITS ET PROCEDURE,
Dans le cadre d'une opération d'aménagement et de rénovation d'un bien situé ..., propriété de la société JPMC, son gérant M. Z a passé commande auprès de la société Remy Garnier suivant devis accepté du 10 avril 2015 de crémones et béquilles à fabriquer et à livrer en juillet 2015 et d'espagnolettes à fabriquer et à poser en septembre 2015, puis suivant devis des 8 et 11 septembre 2015 accepté par mail du 15 septembre 2015, d'éléments d'équipements des portes intérieures à fabriquer et à livrer.
Les factures correspondantes ont été émises après exécution de l'ensemble des prestations, d'une part les 31 juillet 2015 et 27 octobre 2015 pour un sou total de 36.001,64 euros TTC, d'autre part les 27 octobre 2015 et 18 novembre 2015 pour un sou total de 17.697,03 euros TTC.
Elles ont été réglées à hauteur de 33.959,11 euros par la société Atelier Perrault Frères pour le compte de M. Z et de la société JPMC qui avaient confié à celle-ci la pose des menuiseries.
La mise en demeure adressée par la société Remy Garnier à M. Z et à la société JPMC par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 novembre 2016 d'avoir à payer le solde des factures soit la somme de 19.739,56 euros TTC est restée infructueuse.
Par acte d'huissier de justice du 11 avril 2017, la société Remy Garnier a assigné M. Z et la société JPMC devant le tribunal de grande instance de Pontoise en paiement du solde de ses factures.
Par jugement réputé contradictoire du 8 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Pontoise a :
- Rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par M. Z et la société JPMC,
- Déclaré en conséquence irrecevables les pièces 1 et 2 déposées le 19 octobre 2017, postérieurement au prononcé de l'ordonnance de clôture,
- Condamné in solidum M. Z et la société JPMC à payer à la société Remy Garnier la somme de 19 739,56 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2016,
- Condamné in solidum M. Z et la société JPMC à payer à la société Remy Garnier la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- Condamné in solidum M. Z et la société JPMC aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 26 février 2018, M. Z et la société JPMC ont interjeté appel de cette décision en intimant la société Remy Garnier.
Par leurs uniques conclusions du 25 mai 2018, M. Z et la société JPMC invitent cette cour, au visa des articles 1219 et 1792-6 du code civil, à :
- Les déclarer recevables en leur appel,
- Infirmer le jugement en ce qu'il :
* les a condamnés in solidum à payer à la société Remy Garnier la somme de 19 739,56 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2016,
* les a condamnés in solidum à payer à la société Remy Garnier la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* les a condamnés in solidum aux dépens.
Statuant à nouveau,
Vu l'article 1792-6 du code civil
- Constater qu'aucune réception des travaux n'est intervenue,
- Condamner en conséquence la société Remy Garnier à effectuer la réception des travaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
Vu l'article 1219 du code civil,
- Constater que compte tenu de la gravité de l'inexécution des travaux imputables à la société Remy Garnier, ils sont bien fondés à invoquer l'exception d'inexécution,
- Débouter la société Remy Garnier de toutes ses demandes,
Condamner la société Remy Garnier à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses uniques conclusions signifiées le 20 août 2018, la société Remy Garnier invite cette cour, au visa des anciens articles 1134 et 1315 du code civil, à :
- La dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes,
En conséquence,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Pontoise le 8 décembre 2017,
En tout état de cause,
- Condamner in solidum M. Z et la société JPMC à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 3 décembre 2019.
Motifs
SUR CE,
Sur les limites de l'appel
#1 Seules sont critiquées par les appelants les dispositions du jugement ayant prononcé leur condamnation au paiement de la somme de 19.739,56 euros au titre du paiement d'un solde de factures et de l'indemnité allouée à la société Remy Garnier sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui marquent les limites de la saisine de la cour.
En revanche, les dispositions du jugement qui rejettent la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par M. Z et la société JPMC et déclare irrecevables les pièces 1 et 2 déposées le 19 octobre 2017, postérieurement au prononcé de l'ordonnance de clôture, ne sont pas critiquées.
Elles sont dès lors devenues irrévocables.
Sur la demande en paiement de la somme de 19 739,56 euros
* M. Z et la SCI JPMC prétendent tout d'abord, sur le fondement de l'article 1792-6 du code civil, qu'une réception serait nécessaire et se prévalent, ensuite, pour refuser le paiement du solde des factures de l'exception d'inexécution sur le fondement de l'article 1219 du même code.
Ils invoquent des désordres concernant la fourniture de crémones non adaptées aux menuiseries conçues pour recevoir trois points de fermeture alors que les crémones fournies par la société Remy Garnier n'en utilisent que deux.
Ils prétendent que la pose des espagnolettes a entraîné des dommages au parquet, abîmé par frottement, l'impossibilité d'ouvrir une porte fenêtre et qu'elle a conduit au percement des menuiseries avec des écrous laissés côté extérieur sans protection aux intempéries.
Ils soutiennent :
- au visa de l'article 1792-6 du code civil que le refus de la société Remy Garnier de procéder à la réception malgré leurs demandes à ces fins, notamment par mail du 28 septembre 2016, les conduit à contester la demande en paiement eu égard aux réserves à faire sur les marchandises fournies et prestations effectuées ;
- au visa de l'article 1219 du code civil qu'ils sont en droit de s'exonérer du paiement réclamé eu égard à la liste des différents désordres relevés par constat d'huissier du 18 octobre 2017.
#2 * La société Remy Garnier conclut à la confirmation du jugement en soutenant que M. Z et la SCI JPMC lui ont passé commande selon devis des 10 avril 2015, 8 et 11 septembre 2015, pour différents éléments d'équipement de fenêtres, portes fenêtres et portes intérieures qui ont été livrés mais dont les factures émises le 27 octobre 2015 et 18 novembre 2015 n'ont été que partiellement réglées alors que les prestations ont été intégralement réalisées, que les premières contestations datent de février 2016 et que la demande de réception est du 28 septembre 2016.
Concernant les crémones et éléments de quincailleries de portes (serrures et poignées), elle soutient qu'il s'agit de contrats de vente au sens de l'article 1582 du code civil, et non de prestations soumises à réception au sens de l'article 1792-6 du code civil au motif que les contrats prévoyaient seulement la fabrication et la livraison, la pose ayant été effectuée par une société tierce, et non par elle même. Elle précise que lors de la commande aucune demande relative à la nécessité de trois points de fermeture n'a été faite de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir livré des modèles classiques, qui en comportent deux, d'autant qu'aucune critique n'est portée sur la qualité et la conformité des autres éléments fournis ; elle souligne qu'aucune réserve n'a été émise lors de la livraison, que postérieurement M. Z et la société JPMC ont même commandé de nouvelles prestations en promettant le paiement dans un mail de février 2016. Elle en déduit que les défauts de conformité apparents ont été couverts, ce qui les empêche de se prévaloir d'un défaut de délivrance conforme.
Concernant les espagnolettes, elle prétend que leur pose ne peut être assimilée à des travaux de construction d'un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, de sorte que l'absence de réception ne peut justifier le non paiement de la facture correspondante et qu'en toute hypothèse, même dans ce cas, il y a eu réception tacite par la prise de possession des lieux, leur exploitation pour l'exercice de l'activité professionnelle de M. Z et le règlement de la majorité des factures sans la moindre réserve.
Elle conteste la force probante du constat d'huissier de justice établi non contradictoirement le 17 octobre 2017, soit plus de deux ans après la réalisation des prestations et sans mention des autres intervenants à l'opération de rénovation de l'immeuble, notamment des Ateliers Perrault Frère en charge des menuiseries, et affirme qu'aucun des désordres relevés ne lui est imputable.
Elle conclut à l'absence de toute faute de sa part et au caractère disproportionné de l'exception d'inexécution soulevée.
1) Sur la nature juridique des contrats liant les parties
Les dispositions des articles 1792 et suivants qui servent de fondement à la demande de réception présentée par M. Z et la société JPMC ne peuvent trouver application que si les contrats les liant à la société Remy Garnier constituent un contrat d'entreprise au sens de l'article 1787 du code civil, à savoir un contrat par lequel le maître d'ouvrage décide de faire réaliser des travaux et en confie l'exécution à un entrepreneur moyennant un prix convenu entre eux.
Le contrat conclu en avril 2015 portant sur les crémones et béquilles et les contrats de septembre 2015 portant sur les éléments d'équipements des portes intérieures s'analysent en un contrat de vente au sens de l'article 1582 du code civil. En effet, le vendeur, la société Remy Garnier, s'est obligé à livrer ces éléments prévus aux devis et l'acheteur, M. Z et la société JPMC à en payer le prix. La société Remy Garnier a seulement fourni la matière à l'exclusion de toute autre prestation, sa mise en oeuvre ayant été effectuée par une tierce entreprise, la société Atelier Perrault Frères, point qui n'est pas contesté.
Quant au contrat conclu en avril 2015 portant sur les espagnolettes, certes, la société Remy Garnier a fourni et aussi posé ces éléments, toutefois il n'est pas démontré que le travail d'installation effectué aurait été spécifique, et il doit être retenu que la main d'oeuvre était de moindre importance que la matière fournie. En effet, le devis du 10 avril 2015 ne facturait que la fourniture pour un prix déterminé et la mention 'pose des espagnolettes par RémyGarnier' a été rajoutée à la main au bas du chiffrage, sans supplément de coût. Dès lors, ce contrat doit également être qualifié de contrat de vente.
La demande des appelants tendant à voir contraindre sous astreinte la société intimée à 'effectuer la réception des travaux' en application de l'article 1792-6 du code civil doit en conséquence être intégralement rejetée, sans qu'il y ait à examiner les moyens tirés d'une réception tacite opposés subsidiairement par l'intimée puisque les prestations litigieuses échappent au champ d'application du régime de la garantie légale des constructeurs.
2) Sur l'exception d'inexécution
Aux termes de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à l'espèce en raison de la date des contrats, l'interdépendance des obligations réciproques résultant d'un contrat synallagmatique comme la vente permet à l'une des parties de ne pas exécuter son obligation lorsque l'autre n'exécute pas la sienne.
#3 Il appartient à celui qui se prévaut de l'application de ce texte pour refuser d'exécuter son obligation de prouver d'une part, que l'autre partie n'exécute pas la sienne et d'autre part, que cette inexécution a un caractère suffisamment grave.
Le constat d'huissier de justice en date du 18 octobre 2017, seule pièce produite par les appelants, dressé au surplus près de deux années après l'exécution des contrats, ne saurait suffire à rapporter la preuve de désordres imputables à la société Remy Garnier qui les conteste. En effet, outre le fait qu' il a été dressé dans un cadre extra judiciaire, il a été établi sans que celle ci ait été conviée à y participer, de sorte qu'il n'est pas contradictoire. Il ne peut donc servir de base à la solution du litige, en l'absence de tout autre élément de preuve venant le corroborer.
La société Rémy Garnier admet que 'les crémones fournies n'utilisent que deux points de fermeture' ; cependant, en l'absence de toute spécification dans les devis quant à un troisième point de fermeture, il n'est nullement démontré que les produits que la société Remy Garnier admet avoir livrés, à savoir des crémones 'classiques' à deux points de fermeture n'auraient pas correspondu aux caractéristiques de la commande, propres à rendre la vente parfaite au sens de l'article 1583 du code civil.
De surcroît, lorsque la société Remy Garnier a relancé M. Z par courriel du 19 février 2016 en demandant le paiement du solde de ses factures et faisant valoir 'voilà plus de 2 mois que votre chantier est terminé', M. Z s'est borné à répondre le 25 février 2016 : 'j'ai demandé aux Ateliers Perrault de faire le nécessaire', sans soulever alors aucune objection sur une non conformité, pourtant apparente, des crémones livrées. Cet élément contredit donc en toute hypothèse un caractère de gravité qui lui permettrait de se dispenser de payer le solde des factures en litige, représentant plus de 36 % du total des prestations de l'intimée.
Dès lors, en l'absence de preuve d'une inexécution de la société Remy Garnier, tant au regard de la conformité des éléments livrés qu'au regard de la qualité de l'exécution des prestations convenues, l'exception d'inexécution soulevée par les appelants pour s'opposer au paiement ne saurait aboutir.
Le montant des factures réclamées n'étant pas en lui même critiqué, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné M. Z et la société JPMC au paiement de leur solde soit la somme de 19.739,56 €, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 novembre 2016 contenant interpellation suffisante conformément à l'article 1231-6 du code civil.
Il convient, dès lors, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
L'équité commande de condamner en outre in solidum M. Z et la société JPMC à payer une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. Z et la société JPMC, qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire,
Dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de réception des travaux sous astreinte ;
Condamne in solidum M. Z et la société JPMC à payer à la société Remy Garnier la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne in solidum M. Z et la société JPMC aux dépens d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.