Cass. com., 10 mai 1994, n° 92-17.096
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
Mme Loreau
Avocat général :
Mme Piniot
Avocat :
SCP Boré et Xavier
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 14 avril 1992), que la société Domaine de la Motte était membre du groupement d'intérêt économique Appro (le GIE Appro), ayant pour objet de faciliter à ses membres la distribution d'oeufs sous des marques nationales, particulièrement, sous la marque "Lustucru" dont l'usage lui a été concédé de façon exclusive par un contrat de franchise ; que la société Européenne de commercialisation d'oeufs et d'ovoproduits (la société ECO), commercialisant des oeufs sous la marque nationale "Mas d'Auge" a, par l'intermédiaire de sa filiale la société Le Val de Seille, pris les 20 mars et 26 juin 1990 une participation dans le capital de la société Domaine de la Motte ; que le 18 décembre 1990, l'assemblée générale du GIE a modifié son règlement intérieur en y introduisant un article 1-2 stipulant qu'une participation dans le capital d'un adhérent par toute personne physique ou morale ayant des liens économiques, juridiques ou financiers avec une entreprise distribuant une marque concurrente constituait une cause éventuelle d'exclusion du GIE si cette participation entrainait un préjudice certain et indiscutable pour le groupement ; qu'ayant été exclue de ce groupement par décision du 10 juillet 1991 en raison de la prise de participation dans son capital par la société Le Val de Seille, la société Domaine de la Motte a assigné le GIE Appro pour voir prononcer la nullité de cette décision, et subsidiairement, voir constater que son exclusion n'était pas fondée ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches :
Attendu que la société Domaine de la Motte fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en nullité au motif que l'inobservation de l'obligation de joindre aux convocations les documents nécessaires à l'information des membres du groupement pour statuer sur l'ordre du jour n'est pas sanctionnée par la nullité de l'assemblée, alors selon le pourvoi, d'une part, que seule la connaissance préalable des documents nécessaires à leur information peut permettre aux membres de l'assemblée d'être "parfaitement à même" de se prononcer après due réflexion, "en connaissance de cause" ; qu'il s'agit donc d'une formalité impérative, dont l'inobservation aboutirait à supprimer purement et simplement l'article 21 alinéa 13 du contrat constitutif, si elle n'était pas sanctionnée par la nullité de la résolution adoptée au mépris de ce texte ; que la décision attaquée constitue donc un véritable refus d'application de cette clause et procède d'une méconnaissance, à la fois, de sa lettre et de son esprit, en violation des articles 1134 du Code civil, 6 de l'ordonnance du 23 septembre 1967 et des dispositions impératives du décret du 23 mars 1967, notamment en ses articles 133, 135 et suivants, relatifs à la tenue des assemblées générales ; et alors d'autre part, que cette violation de la loi se double d'une violation des droits de la défense au préjudice de la société exclue au terme d'une procédure irrégulière ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le contrat constitutif du GIE Appro ne prévoyait pas que l'inobservation reprochée dût être sanctionnée par la nullité de la décision de l'assemblée et qu'en tout état de cause les membres de l'assemblée avaient été informés de la situation par la lecture de la lettre de la société Rivoire et Carret et Lustucru en date du 9 juillet 1991 rappelant qu'une prise de participation lui assurant le contrôle direct ou indirect dans le capital d'un membre du GIE par un concurrent des produits distribués sous la marque "Lustucru" constituait une cause de résiliation du contrat de franchise sans préjudice d'une demande de dommages-intérêts, et par celle du rapport du conseil d'administration sur le contrôle de la société Domaine de la Motte par un concurrent ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, hors toute violation des droits de la défense, qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la nullité invoquée ; que le moyen n'est fondé ni en l'une ni en l'autre de ses deux branches ;
Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches :
Attendu que la société Domaine de la Motte fait également grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors selon le pourvoi, d'une part, que dans des conclusions laissées sans réponse, elle avait soutenu que contrairement à ce que prétendait le GIE Appro, la prise de contrôle par la société Le Val de Seille de la société Domaine de la Motte n'était pas intervenue le 30 juin 1991, mais, juridiquement, en mai 1990, ce dont le GIE était parfaitement informé ; que la cour d'appel, faute de s'être expliquée sur ce moyen précis et déterminant, puisque la participation, puis la prise de contrôle, étant antérieures à la modification de l'article 1-2 du règlement intérieur cette disposition nouvelle ne leur était pas applicable, a entaché sa décision de défaut de réponse aux conclusions en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors d'autre part, qu'en droit, la modification de l'article 1-2 du règlement intérieur, datée du 18 décembre 1990, ne pouvait, sauf stipulation expresse contraire qui n'existe pas en la cause, porter atteinte à une situation antérieure régulièrement créée, telle que la prise de participation de la société Le Val de Seille dans le capital de la société Domaine de la Motte réalisée en mars 1990, devenue majoritaire en mai-juin 1990 ; qu'ainsi l'arrêt, en conférant un effet rétroactif aux nouvelles dispositions du règlement intérieur a violé la loi du contrat et l'article 1134 du Code civil en méconnaissance du principe général de non-rétroactivité qui régit les effets des contrats ; et alors enfin, que l'arrêt, en se fondant pour approuver l'exclusion sur le fait que la participation de la société Le Val de Seille était devenue majoritaire, a ajouté au texte de la clause précitée, qui ne prévoit rien de tel, violant de ce chef encore l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si l'entrée de la société Le Val de Seille dans le capital de la société Domaine de la Motte ne remettait pas en cause l'adhésion de cette dernière au GIE avant que le règlement intérieur ait été modifié, un risque nouveau s'est révélé postérieurement, à la fois lorsque le président du groupe Mas d'Auge a exposé à la presse le 9 juillet 1991 la stratégie suivie par le groupe pour essayer d'obtenir un contrat de franchise de la société Rivoire et Carret et Lustucru, et lorsque par la lettre du même jour la société Rivoire et Carret et Lustucru a rappelé au GIE que le non respect du principe de non concurrence de sa marque serait cause de résiliation du contrat de franchise qui lui avait été concédé, ce qui confirmait la réalité de la menace pesant sur le GIE Appro s'il gardait plus longtemps comme adhérent la société Domaine de la Motte ; que la cour d'appel a ainsi répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées et a légalement justifié sa décision ;
Attendu en second lieu, qu'en retenant que la société Domaine de la Motte était passée sous le contrôle d'un concurrent, ce qui était de nature à causer au GIE Appro un préjudice certain en raison de la décision corrélative de la société Rivoire et Carret et Lustucru de retirer au groupement l'exploitation de la marque "Lustucru", la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait sans méconnaitre la loi du contrat ;
Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen pris en ses deux branches :
Attendu que la société Domaine de la Motte fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 1-2 du règlement intérieur exige la constatation d'un préjudice "certain et indiscutable" et que cette disposition, qui édicte une sanction particulièrement grave, est d'application stricte ; que la qualification d'indiscutable implique l'exigence d'un élément complémentaire de nature à caractériser le préjudice, qu'il ne suffit donc pas que ce préjudice soit "certain" dans son principe, qu'il doit être également caractérisé comme "indiscutable", la réunion de ces deux caractères pouvant seule justifier la gravité de la mesure prononcée à l'égard du membre exclu ; et que faute de s'être prononcée sur le caractère indiscutable du préjudice, la cour d'appel a violé la loi du contrat et l'article 1134 du Code civil, et en conséquence, elle n'a pas légalement justifié la décision d'exclusion au regard du même article 1134 du Code civil ; et alors d'autre part, qu'aucun acte préjudiciable au GIE ou au franchiseur n'avait été relevé ou même allégué à la charge de la société Domaine de la Motte dont rien ne permettait d'affirmer qu'elle manquerait à ses obligations de membre du groupement ; que le préjudice retenu était donc éventuel et hypothétique ; que la décision attaquée repose donc sur une qualification erronée du caractère du préjudice à tort retenu comme certain avec, comme conséquence, une fausse application de la loi du contrat en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé par motifs propres et adoptés que le président du groupe Mas d'Auge avait fait connaitre à la presse le 9 juillet 1991 la stratégie qu'il entendait appliquer pour obtenir la franchise lui concédant l'usage de la marque Lustucru, et que par sa lettre du même jour la société Rivoire et Carret et Lustucru avait fait savoir au GIE Appro que ses obligations d'assistance commerciale en qualité de franchiseur étaient totalement incompatibles avec le contrôle direct ou indirect d'un adhérent par un concurrent des produits à la marque Lustucru et que le non respect de ce principe constituait une cause de résiliation du contrat de franchise, sans préjudice d'une demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la société Domaine de la Motte étant passée sous le contrôle d'un concurrent ce contrôle constituait une menace porteuse de préjudice pour le GIE de se voir retirer l'usage de la marque "Lustucru" ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, faisant ressortir le caractère futur mais certain et indiscutable du préjudice allégué, la cour d'appel a pu, sans méconnaitre la loi du contrat, retenir ce caractère ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Domaine de la Motte fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au GIE Appro une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel ne constate pas l'existence du préjudice dont elle ordonne réparation ; que sa décision est donc entachée de défaut de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt ayant constaté que malgré son exclusion du GIE la société Domaine de la Motte continuait à commercialiser des oeufs sous la marque Lustucru exploitée par le groupement et qu'elle s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, il découlait nécessairement de la constatation de ces actes déloyaux l'existence d'un préjudice dont la cour d'appel a justifié le montant par l'évaluation qu'elle en a faite ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.