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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 13 septembre 2012, n° 10/04961

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Copie France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belfort

Conseillers :

Mme Piet, Mme Lorphelin

TGI Saint-Quentin, 21 oct. 2010

21 octobre 2010

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

L'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle a instauré en faveur des auteurs, des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes une rémunération au titre de la copie privée dont leurs oeuvres ou prestations font l'objet.

L'article L.311-6 du même code prévoit que cette rémunération est perçue pour le compte des ayants droit par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III.

Les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE, sociétés civiles, créées dans le cadre de ce titre II ont pour objet de percevoir et de répartir, la rémunération pour la copie privée sonore (SORECOP) et audiovisuelle (COPIE FRANCE). Aujourd'hui ces deux sociétés ont fusionné.

L'article L.311-6 du code de la propriété intellectuelle précise que la rémunération due au titre de la copie privée sonore et audiovisuelle est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires au sens du 3° du 1 de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé, d'oeuvre fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes lors de la mise en circulation de ses supports en France.

Le montant de la rémunération due au titre de cette copie privée sur support analogique ainsi que les modalités de son paiement ont été définies par la décision parue au Journal Officiel du 23 août 1986 et applicable à compter du 8 septembre de la même année, rendue le 30 juin 1986 par la commission instituée par l'article L.311-5 du code précité dite ' commission de l'article L.311-5".

Le montant de la rémunération due au titre de cette copie privée sur supports numériques et ses modalités de paiement ont été fixés par la 'commission de l'article L.311-5" du 4 janvier 2001, décision publiée au Journal Officiel du 7 janvier 2001 et applicable à compter du 22 janvier de la même année.

Par la suite dans une décision du 6 juin 2005, cette même commission a fixé la rémunération due au titre de cette copie privée et ses modalités de paiement sur supports DVD-Ram, DVD-R et DVD-RV, montants qui a été modifiée par les décisions des 20 juillet 2006, 9 juillet 2007 et 17 décembre 2008.

Mme Pascale F. épouse V. a été gérante d'une société dénommée MEDIAPRINT qui avait pour objet la vente et la distribution de tous produits informatiques, société mise en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin du 4 novembre 2005.

Face aux réticences de Mme F. et de la société MEDIAPRINT à déclarer l'ensemble des supports éligibles à la redevance pour copie privée, les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE ont sollicité et obtenu en référé la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise.

Par acte du 16 septembre 2008, les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE ont assigné Mme F., à titre personnel en paiement de la rémunération pour copie privée éludée, telle que définie dans le rapport d'expertise.

Par un jugement contradictoire du 21 octobre 2010, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a :

- déclaré recevable l'action des sociétés SORECOP et COPIE FRANCE en responsabilité personnelle de Mme F.,

- déclaré Mme F. responsable à titre personnel du préjudice subi par les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE du fait de l'absence de paiement de la rémunération pour les copies privées en contrariété avec les articles L 311-1 et L 311-4 du code de la propriété intellectuelles,

- condamné Mme F. à payer à la société SORECOP la somme de 63 573,81 euros TTC et à la société COPIE FRANCE la somme de 49 874,01 euros ttc pour la période à compter du 1er janvier 2001, ces sommes étant augmentées de l'intérêt au taux légal à compter du 16 septembre 2008;

- dit que les intérêts échus des capitaux dus au moins pour une année entière produiront des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil ;

- condamné Mme F. à payer aux deux sociétés demanderesses une somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce compris les frais avancés par les défenderesses dans le cadre de l'expertise ordonnée par ordonnance de référé du 20 octobre 2005 ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration déposée le 22 novembre 2010, Mme F. a interjeté appel de cette décision.

Par ses dernières conclusions du 22 février 2012 , Mme F. demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les sociétés SORECOP et COPIE PRIVEE de leurs demandes, de les condamner à lui payer une indemnité de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières écritures du 6 avril 2012 , la société COPIE FRANCE à titre personnel et comme venant aux droits de la société SORECOP qu'elle a absorbée à la suite d'une fusion absorption inscrite au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le n° 338 640 121 avec effet au 28 juin 2011, conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Mme F. à lui payer une indemnité de 2500 euros en remboursement des frais d'expertise, 8000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de Maitre Dominique A., avocat.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 18 avril 2012 .

SUR CE, .

Mme F. soutient que :

* n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation pénale , 'il n'est pas possible d'affirmer que sa responsabilité serait manifestement engagée compte-tenu des termes de l'article L.335-4 du code de la propriété intellectuelle';

*l'action est engagée contre elle non à titre personnel mais en sa qualité de dirigeante sociale ;

* il doit donc être démontré qu'elle a commis une faute détachable de ses fonctions sociales, ce qui n'est pas le cas ;

*en tout état de cause, cette action est prescrite, plus de trois ans s'étant écoulé depuis le fait dommageable jusqu'à l'introduction de l'instance du 16 septembre 2008 ;

*à titre subsidiaire, l'expertise ne peut servir de base à l'évaluation du préjudice car elle est nulle en raison du manque d'impartialité de l'expert dans ses opérations , celui-ci ayant uniquement pris en compte les éléments choisis par l'expert des sociétés demanderesses.

*sur la responsabilité de Mme F. :

D'une part, il est constant que le gérant d'une société à responsabilité limitée qui commet une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle séparable comme telle de ses fonctions sociales engage sa responsabilité à l'égard des tiers sur le fondement de l'article 1382 du code civil, peu important qu'aucune condamnation pénale ne soit intervenue.

D'autre part, l'article L.335-4 du code de propriété intellectuelle prévoit que le défaut de versement de la rémunération due à l'auteur, à l'artiste-interprète ou au producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes au titre de la copie privée est puni d'un peine d'amende de 300.000 euros, l'élément intentionnel de ce délit résultant de la matérialité des faits, sauf preuve par le prévenu de sa bonne foi.

Or il est acquis des pièces produites que :

- Mme F. était la gérante de la société MEDIAPRINT dont l'activité était notamment la vente et la distribution de tous produits informatiques ;

- à plusieurs reprises par les lettres des 13 juin 2003 et 15 juillet 2003 , les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE ont rappelé à Mme F. et à sa société leurs obligations légales en matière de paiement de redevances de la rémunération pour copie privée sonore et audiovisuelle, obligations sanctionnées pénalement et lui ont adressé un questionnaire ;

- le 16 juillet 2003 , Mme F. a retourné aux sociétés précitées le questionnaire en précisant qu'elle n'était revendeur que de supports d'enregistrement achetés en France et joignait quatre factures en dissimulant le nom des fournisseurs ;

- les sociétés intimées ont découvert que la plupart des ventes de supports d'enregistrement vierges réalisées par la société MEDIAPRINT l'était à des prix inférieurs au montant de la rémunération pour copie privée, montant qu'ils devaient nécessairement incorporer s'ils avaient été acquis en France, comme indiqué par Mme F. ;

- l'expertise diligentée à la requête des sociétés intimées permettait d'établir à partir des seuls documents fournis par Mme F., à savoir un ensemble incomplet de factures d'achat et de vente relatif aux années 2001 à 2005, les fichiers informatiques comptables ayant été détruits et l'expert-comptable de la société ne disposant d'aucune grands livres ou journaux de la société MEDIAPRINT, que celle-ci était au moins redevable de la somme de 58 339 euros HT à l'égard de la société SORECOP et de la somme de 45 342 euros Ht à l'égard de la société COPIE FRANCE.

Ces éléments démontrent que Mme F. en procédant à de fausses déclarations et en mettant en circulation des supports d'enregistrement vierges sur le territoire français à des prix inférieurs au montant de la rémunération pour copie privée, a mis en place intentionnellement un mécanisme frauduleux pour éluder les redevances dont sa société était redevable auprès des sociétés intimées et a ainsi bénéficié d'un avantage concurrentiel certain et indû.

Ces agissements imputables à Mme F. qui constituent une infraction pénale intentionnelle sont constitutifs d'une faute personnelle détachable de ses fonctions sociales de dirigeante.

Dès lors, les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE, victimes de ces agissements sont bien-fondés à poursuivre Mme F. en indemnisation de leur préjudice sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Le jugement est en conséquence confirmé de ce chef.

*sur la prescription:

A la date du 16 septembre 2008, date de l'acte introductif de l'instance, le délai quinquennal prévu par l'article 2224 du code civil n'était pas expiré, dès lors que les sociétés SORECOP et COPIE PRIVEE ont connu l'étendue des faits leur permettant d'exercer cette action en indemnisation par le dépôt du rapport de l'expert le 15 octobre 2007.

*sur le rapport d'expertise:

La cour considère que c'est par des motifs de faits particulièrement pertinents que les premiers juges ont rejeté la critique formulée par Mme F. à l'encontre de l'expertise.

En effet, contrairement à ce qu'elle soutient, le liquidateur de la société M. W. est intervenu aux opérations d'expertise et a donné son accord à la méthodologie adoptée par l'expert à savoir réaliser ses opérations à partir d'états synthétiques des factures d'achats et de ventes de la société établi par l'expert des sociétés intimées, compte-tenu de sa connaissance parfaite de la codification des articles et des conditionnements, l'expert judiciaire contrôlant ces états par des sondages.

La cour relève par ailleurs que Mme F. ne conteste pas ces états synthétiques alors même qu'elle aurait pu le faire à partir du double des factures que l'expert lui a adressé comme à chaque partie.

Ainsi que l'ont pertinemment remarqué les premiers juges, cette contestation est d'autant plus mal venue que le chiffrage a été opéré a minima en fonction des éléments comptables parcellaires fournis par Mme F., les fichiers informatiques comptables de sa société ayant été effacés et ces livres comptables ayant disparu.

Aussi, la cour confirme les premiers juges en ce qu'ils ont retenu les évaluations de l'expertise pour chiffrer le préjudice subi par les sociétés intimées.

*sur les autres demandes :

L'équité commande d'allouer à la société COPIE FRANCE, aujourd'hui seule intimée, une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Cette indemnité ainsi que les dépens d'appel qui comprendront les frais d'expertise seront supportés par Mme F. qui succombe.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

Statuant après débats publics, contradictoirement, en dernier ressort et par décision mise à disposition du public au greffe,

Donne acte à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore dite ' copie France' qu'elle vient aux droits de la société SORECOP qu'elle a absorbée,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Quentin le 21 octobre 2010 entre les mêmes parties,

Y ajoutant,

Dit que les sommes auxquelles Mme F. est condamnée au profit des sociétés intimées, le sont à titre de dommages et intérêts,

Condamne Mme F. à payer à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore dite ' copie France' une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui comprendront les frais d'expertise,

Fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile à Maître Dominique A., avocat, pour la part des dépens d'appel dont il a fait l'avance sans en avoir reçu préalablement provision.