CA Reims, ch. civ. sect. 1, 21 juin 2022, n° 21/00365
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Beuve (SARL), EARL Du Haut Poirier
Défendeur :
CDV Agri Partenaire (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
M. Lecler, Mme Pilon
Avocats :
Me Guillaume, Me Honnet, Me Yernaux
La SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier ont fait assigner la SAS CDV Agri Partenaire le 23 octobre 2019 devant le tribunal de commerce de Troyes afin d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 10 000 euros correspondant à une réduction du prix de vente , au motif que le véhicule qui leur avait été livré ne correspondait pas au matériel commercialisé à l'époque mais à un ancien modèle.
La SAS CDV Agri Partenaire s'est opposée à cette demande en soutenant qu'elle a délivré aux acheteuses un tracteur conforme aux spécifications contractuelles
Par jugement du 9 février 2021, le tribunal de commerce de Troyes a :
débouté la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier de l'ensemble de leurs demandes,
débouté la SAS CDV Agri Partenaire de sa demande de dommages intérêts,
condamné solidairement la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier à payer à la société CDV Agri Partenaire la somme de 1 000 euros à titre d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
laissé les dépens à la charge de la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier,
liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 84,48 euros dont 14,08 euros de TVA.
Le tribunal a statué ainsi au visa des articles 1217, 1223, 1291 et 1603 du code civil . Il a considéré que les dispositions du code de la consommation ne trouvaient pas à s'appliquer, le litige opposant deux professionnels.
Il a estimé que le contrat de vente était conforme aux obligations des articles 1291 et 1603 du code civil et que les sociétés demanderesses ne justifiaient pas d'un préjudice.
La SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 22 février 2021 visant les chefs de décision les déboutant de l'ensemble de leurs demandes et les condamnant solidairement à payer à la SAS CDV Agri Partenaire une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées le 29 octobre 2021, la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier demandent à la cour d'appel de :
juger qu'elles sont recevables et bien-fondées en leur appel,
y faisant droit,
infirmer en toute ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Troyes le 9 février 2021,
et statuant à nouveau,
condamner en application des dispositions de l'article 1217 du code civil la société CDV Agri Partenaire à leur payer la somme de 10 000 euros avec intérêts légaux à compter de la demande formulée en première instance,
débouter la société CDV Agri Partenaire de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires et de son appel incident,
condamner la société CDV Agri Partenaire en tous les dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec, pour ceux d'appel, faculté de recouvrement au profit de Me Pascal Guillaume, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier exposent qu'il leur a été proposé d'acquérir un tracteur de la marque Fendt, type 716, de démonstration, ce qui supposait que le modèle était récent, puisque destiné à permettre à des acquéreurs potentiels d'essayer un véhicule qui puisse être ensuite acheté.
Or elles indiquent avoir appris d'un garagiste de la marque à l'occasion d'une panne de climatisation du tracteur, survenue le 13 août 2018, que le tracteur qui leur avait été vendu avait été livré en avril 2014 et était d'un modèle ancien, nommé «'SCR'», qui n'était plus fabriqué depuis le début de l'année 2015 et avait été remplacé à cette date par le modèle S4.
Elles font valoir que l'ancienne carte grise pouvait corroborer la notion de véhicule de démonstration dès lors qu'elle faisait état d'une immatriculation le 23 septembre 2016 et précisent que la carte grise du tracteur leur a été transmise le 2 novembre 2018, après de nombreuses relances.
Elles estiment dès lors avoir été trompées, notamment au moyen d'un bon de commande qui ne mentionne pas la version de l'engin, ni les données de mise en service, de façon à faire l'acquisition d'un tracteur de plus de 3 ans à un prix important et ne bénéficiant plus de l'essentiel de la garantie constructeur compte tenu du temps écoulé.
Elles expliquent avoir déterminé le montant de la réfaction du prix en considération de la dépréciation d'un matériel vieux de 30 mois.
Par conclusions transmises le 14 décembre 2021, la SAS CDV Agri Partenaire demande à la cour d'appel de :
juger la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier recevables mais mal-fondées en leur appel,
la juger recevable et bien fondée en son appel incident,
en conséquence,
confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Troyes le 9 février 2021 seulement en ce qu'il déboute la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier de l'ensemble de leurs demandes, les condamne solidairement à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et laisse les dépens à la charge de celles-ci,
infirmer le jugement en ses autres dispositions,
en conséquence et statuant de nouveau,
condamner solidairement la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
les condamner solidairement à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La SAS CDV Agri Partenaire rappelle que l'article 1603 du code civil n'impose au vendeur que deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend et elle affirme avoir parfaitement respecté son obligation de délivrance conforme.
Elle fait observer que les appelantes soutiennent avoir été tenues dans l'ignorance du modèle de tracteur mais qu'elles n'invoquent pas pour autant le dol, ni une erreur.
Elle soutient que les appelantes souhaitaient pour l'essentiel un tracteur ayant peu d'heures d'activité et bien équipé, qu'elles n'ont pas exprimé lors de la vente l'intention d'acquérir un tracteur de type S4 et ne prouvent pas que telle était bien leur intention.
Elle affirme que le bon de commande était très précis quant à la désignation du tracteur, que la facture correspond en tout point à ce bon et que le tracteur livré correspond également en tout point aux stipulations du bon de commande et de la facture.
La société CDV Agri Partenaire ajoute que la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier ont en outre eu communication de la copie de l'ancienne carte grise du tracteur, qu'elles ont pu examiner l'engin dans ses locaux et qu'elles étaient déjà propriétaires d'un tracteur de marque Fendt, qui a d'ailleurs été repris à l'occasion de la vente litigieuse, de sorte qu'elles ne pouvaient se méprendre sur les caractéristiques du tracteur vendu, ni sur son prix , dont elles n'établissent pas en outre qu'il ne correspondrait pas à la valeur réel du véhicule.
Elle ajoute que la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier ne peuvent prétendre avoir été trompées en particulier sur le fait que le tracteur avait déjà été utilisé, puisqu'il leur a été présenté comme tracteur de démonstration et qu'elles devaient donc avoir conscience qu'il avait déjà une certaine ancienneté, sans pouvoir croire que la date d'immatriculation correspondait à la date de fabrication.
Elle estime que rien ne permet de chiffrer la réduction du prix sollicitée et que le prix convenu correspond bien au prix du marché.
MOTIFS
Sur la demande principale en paiement
La SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier invoquent des «'manigances'» de la part du vendeur, une omission délibérée du modèle dans le bon de commande et soutiennent avoir été trompées, tous éléments renvoyant à la notion de vice du consentement.
Cependant, elles ne se fondent pas sur l'existence d'un tel vice, mais sur l'article 1217 du code civil .
L'article 1217 du code civil dispose : «'La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter'».
Ce texte annonce les diverses sanctions que le créancier d'une obligation contractuelle peut mettre en œuvre ou solliciter du juge en cas d'inexécution et qui sont précisées par les textes suivants.
La SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier estiment que c'est à tort qu'elles ont invoqué en première instance l'article 1223 du code civil .
Si la version actuellement en vigueur de ce texte résulte de la loi n°2018-287 du 20 avril 2018 et n'est applicable qu'aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018, la réduction du prix comme sanction générale de l'inexécution figurait déjà avant l'entrée en vigueur de la loi de 2018 à l' article 1223 , pour avoir été introduite par l'ordonnance de 2016.
Il convient donc de faire application de l' article 1223 dans sa version en vigueur du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018, puisque le contrat de vente litigieux a été conclu suivant bon de commande signé par l'acheteur le 13 novembre 2017.
Ce texte prévoit que le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix . S'il n'a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais.
Par lettre adressée le 6 juin 2019 en recommandé avec demande d'avis de réception, l'avocat de la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier a informé la société CDV Agri Partenaire de l'intention de ces dernières de solliciter une réduction du prix de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 1223 du code civil et qu'à défaut de suite favorable, elles saisiraient le tribunal compétent.
La réduction du prix en application de l' article 1223 suppose une inexécution contractuelle, dont il convient donc de déterminer si elle est établie en l'espèce, au regard des moyens de fait invoqués par les appelantes et de l' article 1603 dont l'intimée argue.
Il résulte de l'article 1603 du code civil que le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.
Il est constant que le défaut de conformité est constitué par une différence de nature ou de quantité entre la chose commandée et la chose livrée.
La société CDV Agri Partenaire a proposé le tracteur à la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier par courrier électronique du 8 novembre 2017 en le décrivant ainsi : «'tracteur fendt 716 demo 600 heures'».
La société CDV Agri Partenaire précise que le terme «'demo'» doit s'entendre comme indiquant qu'il s'agit d'un modèle de démonstration, ce qui suppose en tout état de cause qu'il ne s'agissait pas d'un modèle neuf et ne suffit pas à faire la preuve d'un engagement du vendeur à livrer le nouveau modèle.
Ni le bon de commande, ni la facture ne précisent l'année de mise en service du tracteur, ni s'il appartient à l'ancien ou au nouveau modèle.
Aucune conséquence ne peut cependant être tiré du caractère éventuellement incomplet du contrat quant à un défaut de conformité, hormis l'obligation qui en résulte pour la partie qui invoque un tel défaut de faire la preuve du contenu de ce contrat .
L'ancien certificat d'immatriculation communiqué aux acquéreurs lors de la vente fait état d'une première immatriculation au 23 septembre 2016, ce qui n'est pas incompatible avec une date de construction plus ancienne et ne permet pas en tout état de cause de faire la démonstration d'un engagement du vendeur à vendre un véhicule du nouveau modèle.
En outre, la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier ne contestent pas qu'elles ont pu voir le tracteur avant de l'acheter.
Par ailleurs, elles ne démontrent pas avoir informé le vendeur de leur volonté de disposer d'un tracteur S4 ou d'un modèle plus récent que celui qui leur a été présenté.
Dans ces conditions, elles ne rapportent pas la preuve d'un engagement de la société CDV Agri Partenaire à leur vendre un tel tracteur ou, en tout état de cause, d'un modèle plus récent que celui qui leur a été présenté.
Il n'est donc pas établi que la société CDV Agri Partenaire aurait manqué à ses obligations en livrant le tracteur litigieux aux sociétés Beuve et du Haut Poirier.
La demande de ces dernières aux fins de réduction du prix sera donc rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée
En dépit de ce qui précède, la SAS CDV Agri Partenaire ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute de la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier qui aurait fait dégénérer en abus le droit dont celles-ci disposent d'agir en justice. Elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement est confirmé en ce qu'il déboute les sociétés Beuve et du Haut Poirier de leur demande principale. Il sera donc également confirmé en ce qu'il condamne ces sociétés à payer les dépens de premières instance et une indemnité pour frais irrépétibles à la SAS CDV Agri Partenaire.
Les sociétés Beuve et du Haut Poirier, succombant en leur appel, sont tenues aux dépens de cette instance et leur demande fondée sur l' article 700 doit être rejetée.
Il est équitable d'allouer à la SAS CDV Agri Partenaire la somme de 1 500 euros pour ses frais irrépétibles d'appel. Les sociétés Beuve et du Haut Poirier ne sont pas tenues in solidum au paiement de cette somme et aux dépens, en l'absence de preuve de ce ce qu'elles étaient engagées solidairement envers la SAS CDV Agri au titre du contrat de vente et faute de condamnation prononcée en ces termes au principal.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 février 2021 par le tribunal de commerce de Troyes ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier à payer à la SAS CDV Agri Partenaire la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Beuve et l'EARL du Haut Poirier aux dépens d'appel.