CA Dijon, 1re ch. civ., 11 juin 2013, n° 12/00091
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
EARL De Collonge
Défendeur :
SCP Becheret Thierry Senechal Gorrias, Groupe Etienne (SA), Philicot (SAS), L’Etoile Porcine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jourdier
Conseillers :
M. Plantier, M. Besson
Avocats :
SCP Didier Petit, Me Herlemont, Me Seriot, Me Langlois
Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties :
L'E.A.R.L. de Collonge, dont l'activité principale était l'élevage porcin, a été créée en 2000 par M. Pierre-Yves Chevalier.
En 2003, M. Christian Etienne, éleveur de porcs dans la Drôme au sein de la société L'Étoile porcine - alors contrôlée par la S.A.R.L. Groupe Etienne - prenait contact avec M. Chevalier pour lui demander d'intervenir dans le management de son élevage.
Le 1er avril 2003 une convention de cession de parts de la S.A.R.L.Groupe Etienne était signée entre, d'une part, la famille Etienne, et d'autre part, la société Philicot - société industrielle spécialisée dans la production et la commercialisation d'aliments pour bétail, fournisseur du Groupe Etienne - et l'E.A.R.L. de Collonge.
Aux termes de cette convention et d'un protocole d'accord signé le même jour, l'E.A.R.L. de Collonge devenait propriétaire de 1742 parts de la S.A.R.L. Groupe Etienne, la société Philicot de 1743 parts et M. Etienne - qui déclarait démissionner de ses fonctions de gérant au profit de M. Chevalier - de 705 parts.
M. Chevalier se retrouvait ainsi à la tête des trois sociétés du groupe Etienne, la société L'Étoile porcine, la société Rosa d'Etienne, société de commercialisation de production porcine, et la S.C.I. des Queyras, propriétaire des terrains et bâtiments.
Le 24 septembre 2003, la S.A.R.L. Groupe Etienne était transformée en société anonyme (la société Groupe Etienne) et voyait son capital augmenté de 4 parts pour permettre l'arrivée dans la société de MM. Joseph Nicot, Emile Nicot et Dominique Riot, tous trois actionnaires de la société Philicot, ainsi que de M. Chevalier, et satisfaire ainsi à l'obligation légale pour une société anonyme de compter au moins sept associés.
M. Chevalier était nommé président du conseil d'administration et directeur général de la société.
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À la suite de la publication des comptes de la société L'Étoile porcine pour l'exercice clos au 31 mars 2003 faisant apparaître un déficit de 968 651 € et des capitaux négatifs, il était décidé :
- une première augmentation de capital de 382 000 € par création de parts nouvelles, qui permettait à la société Philicot et à l'E.A.R.L. de Collonge - laquelle souscrivait à cet effet un prêt de 191 000 € - de rentrer au capital ainsi porté à 526 000 € à hauteur de 19 100 parts chacune, la société Groupe Etienne détenant les 14 400 parts restantes ;
- l'apport à la société L'Étoile porcine de la branche complète d'activité d'achat et de vente de porcs reçue de la société Rosa d'Etienne absorbée par le Groupe Etienne ;
- puis une nouvelle augmentation de capital, à hauteur de 1 212 410 €, par création de 68 641 parts nouvelles toutes attribuées à la société Groupe Etienne apportant en nature les terrains et bâtiments d'exploitation du site des Queyras et les parts sociales de la S.C.I. des Queyras permettant une réunion des trois sites d'élevage.
Le premier exercice d'exploitation de la société L'Étoile porcine clos sous la gérance de M. Chevalier au 31 décembre 2003, soit après 9 mois, se soldait par une perte comptable de 446 188 €.
L'exercice clos au 31 décembre 2004 affichait un résultat d'exploitation redevenu bénéficiaire, mais une perte comptable - due aux importants frais financiers - s'élevant à 129 179 €.
À cette date le capital de la société L'Étoile porcine était ramené à 312 801 € par apurement des dettes.
Un accord de cession de créances était ensuite convenu entre la société Philicot - qui détenait au 31 décembre 2005 un compte courant de 1 359 000 € dans les comptes de la société L'Étoile porcine - et la société Groupe Etienne, au terme duquel la première cédait à la seconde une créance en principal de 900 000 € constituée sur la société L'Étoile porcine.
La société Groupe Etienne procédait alors, par incorporation de la créance ainsi cédée, à une augmentation de 899 927,22 € du capital de la société L'Étoile porcine, qui réalisait son premier bénéfice - de 90 067 € - au cours de l'exercice de 15 mois clôturant au 31 mars 2006.
Mais l'exercice suivant, clôturé au 31 mars 2007, était à nouveau déficitaire, à hauteur de 136 519 €.
Des divergences étant apparues sur le choix des stratégies adoptées, entre les autres associés du Groupe Etienne et lui, M. Chevalier adressait le 24 août 2007 au commissaire aux comptes du groupe un courrier co-signé par M. Joseph Nicot pour faire part de son intention «d'être dégagé de notre société commune, tant au niveau de l'actionnariat que de la gérance et de la gestion ».
Une réunion avait ensuite lieu entre M. Emile Nicot - qui avait succédé à son père à la présidence de la société Philicot - et M. Chevalier, au cours de laquelle la société Philicot proposait à ce dernier de racheter ses parts sur la base de l'évaluation communiquée le 28 août 2007 par le commissaire aux comptes.
M. Chevalier, qui avait refusé cette offre qu'il jugeait insuffisante, faisait connaître qu'il entendait exercer pleinement ses fonctions tant qu'il n'aurait pas de proposition acceptable de rachat de ses actions.
Il était révoqué de ses mandats de président et de directeur général le 13 septembre 2007, au cours d'un conseil d'administration réuni à la demande des administrateurs de la société Groupe Etienne, puis révoqué de ses fonctions de gérant de la société L'Étoile porcine, lors de l'assemblée générale tenue le 28 septembre.
Au vue de la situation établie au 31 janvier 2008, le commissaire aux comptes mettait en oeuvre la première phase de la procédure d'alerte.
Le 19 juin 2008, le conseil d'administration du Groupe Etienne donnait tout pouvoir au président pour rechercher un acquéreur des parts de la société L'Étoile porcine, dont le capital était réduit à zéro avant la réalisation d'une augmentation de capital de 100 000 € s'accompagnant d'un droit préférentiel de souscription pour les associés .
M. Chevalier, décidant de ne pas participer à cette souscription, ne faisait dès lors plus partie de l'actionnariat de la société L'Étoile porcine.
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Le 16 janvier 2009, l'E.A.R.L. de Collonge assignait la société Groupe Etienne et la société Philicot devant le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône afin, notamment, de voir :
- juger la société Philicot responsable d'un abus de majorité ;
- condamner la société Philicot à payer à l'E.A.R.L. une provision de 150 000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;
- et ordonner une expertise de l'exploitation des sociétés L'Étoile porcine et Groupe Etienne.
Le 20 octobre 2009, l'E.A.R.L. de Collonge appelait en cause la société L'Étoile porcine que la société Groupe Etienne avait cédée en totalité à la société Sociag le 2 juin 2009.
Le 21 octobre 2010, le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône prononçait la liquidation judiciaire de la société Groupe Etienne et désignait en qualité de mandataire-liquidateur la société civile professionnelle (la S.C.P.) Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, représentée par Maître Thierry intervenant volontairement dans la cause.
Au terme de ses dernières prétentions soumises aux premiers juges, l'E.A.R.L. de Collonge - appuyée par le mandataire-liquidateur - concluait, sur le fondement des articles 145 et 865 du code de procédure civile et de l'article L.225-231 du code de commerce, à l'existence d'un motif légitime de bénéficier d'une expertise de minorité et/ou de gestion, et demandait qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle suspendait ses autres demandes dans l'attente du rapport d'expertise à intervenir.
La société Philicot et la société L'Étoile porcine ont demandé au tribunal de se déclarer incompétent sur la demande d'expertise fondée sur l'article L.225-231 du code de commerce, ou de déclarer l'E.A.R.L. irrecevable à la solliciter .
Elles ont en outre conclu à son irrecevabilité à l'obtenir sur le fondement de l'article145 du code de procédure civile, faute de qualité et/ou d'intérêt à agir, ainsi qu'à l'absence de motif légitime de la voir ordonner.
Par jugement du 5 décembre 2011, le tribunal de commerce a :
- rejeté la demande d'expertise présentée par l'E.A.R.L. de Collonge, aussi bien au titre de l'article 145 du code de procédure civile qu'au titre de l'article L. 225-231 du code de commerce ;
- condamné l'E.A.R.L. de Collonge a verser à la société Philicot la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toutes les autres demandes ;
- et condamné l'E.A.R.L. de Collonge aux entiers dépens de l'instance.
À la suite de l'appel qu'elle a interjeté de ce jugement l'E.A.R.L. de Collonge a transmis le 21 février 2013 d'ultimes écritures récapitulatives au terme desquelles elle conclut, au vu d'un rapport établi par le Cabinet d'expert Bruyas-Moncorgé associés qui révélerait des « surfacturations » pratiquées par la société Philicot, des articles 144, 145 et 865 du code de procédure civile et de l'article L.225-231 du code de commerce, à la réformation en toutes ses dispositions du jugement déféré et demande à la Cour, avant dire droit :
- de constater :
. qu'il existe un motif légitime pour elle de bénéficier d'une expertise (article 145 du code de procédure civile et article 865 du code de procédure civile) ;
. qu'en vertu de l'article L.225-231 du code de commerce, elle a vocation, en sa qualité d'associé de la société Groupe Etienne et de sa filiale, à solliciter le bénéfice d'une expertise de minorité et/ou de gestion ;
. que ladite expertise, conformément au droit positif, peut se fonder cumulativement sur les deux moyens précités ;
- en conséquence, de faire droit à sa demande d'expertise ;
- et de lui donner acte de ce qu'elle suspend ses autres demandes dans l'attente du rapport d'expertise.
Au terme de leurs dernières écritures récapitulatives en réponse remises le 27 février 2013, la société Philicot et la société l'Étoile porcine concluent à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et demandent à la Cour de condamner l'E.A.R.L. de Collonge à payer la somme de 6 000 € à la société Philicot au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme de ses uniques écritures déposées le 24 avril 2012, la S.C.P. Becheret-Thierry-Sénéchal-Gorrias agissant ès-qualité de liquidateur de la société Groupe Etienne, conclut, au vu des articles 144 et suivants et 865 du code de procédure civile, et de l'article L.225-31 du code de commerce, à l'infirmation du jugement déféré, et demande à la Cour :
- de juger qu'il existe un motif légitime d'ordonner l'expertise de minorité et/ou de gestion sollicitée par l'E.A.R.L. de Collonge ;
- de lui donner acte de ce qu'il s'associe à la demande formulée par l'E.A.R.L. de Collonge sur le fondement des dispositions des articles 144, 145 et 865 du code de procédure civile , et L.225-231 du code de commerce ;
- et de lui donner acte de ce qu'il souscrit également sans réserve aux chefs de mission suggérés par l'E.A.R.L. de Collonge dans ses conclusions d'appelant.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 mars 2013.
La cour d'appel se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, à la décision déférée ainsi qu'aux écritures d'appel évoquées ci-dessus.
Motifs de l'arrêt :
Sur la demande d'expertise judiciaire fondée sur les articles 144, 145 et 865 du code de procédure civile :
Attendu, d'abord, que la société Philicot et la société L'Étoile porcine concluent à l'irrecevabilité de la demande d'expertise judiciaire sollicitée par l'E.A.R.L. de Collonge « sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile », faute de qualité et d'intérêt à agir ;
Mais attendu que l'E.A.R.L. de Collonge, même si elle n'est désormais plus actionnaire de la société Groupe Etienne qui contrôlait la société L'Étoile porcine, conserve un intérêt à solliciter en justice une expertise relative à la gestion ou à des pratiques commerciales éventuellement préjudiciables concernant cette filiale dont elle détenait, pendant la période considérée, directement, ou indirectement par l'intermédiaire de la société mère, des parts ;
Attendu, ensuite, que les sociétés intimées dénient à l'E.A.R.L. tout motif légitime qui lui permettrait d'obtenir la mesure d'instruction qu'elle sollicite ;
Et attendu que la faculté qu'a le juge du fond d'ordonner une mesure d'instruction, soit à la demande d'une partie, soit d'office, a pour finalité de lui permettre de régler le litige lorsqu'il ne dispose pas d'élément suffisant pour statuer et que la solution de ce litige dépend des faits dont la mesure est l'objet ;
Or, attendu que la Cour, devant laquelle les débats sont clôturés, n'est saisie par l'E.A.R.L. de Collonge d'aucune demande autre que d'expertise, en sorte que l'arrêt présent, statuant sur cette unique prétention de l'appelante, la dessaisira ;
Qu'il résulte de ceci que l'expertise sollicitée ne conditionne pas l'issue du litige dévolu à la Cour, devant laquelle aucune demande au fond, même subsidiaire, n'est en effet formulée, en sorte qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner ;
Sur la demande d'expertise judiciaire fondée sur l'article L.225-231 du code de commerce :
Attendu que l'E.A.R.L. de Collonge fonde également sa demande d'expertise judiciaire sur les dispositions de l'article L.225-231 du code de commerce qui offre la possibilité aux actionnaires minoritaires de se voir éclairer sur des opérations de gestion sur lesquelles ils s'estiment mal ou insuffisamment informés ;
Mais attendu, d'abord, que, ainsi qu'il est jugé ci-dessus, toute demande d'expertise s'avère être sans objet pour le présent litige ;
Et attendu, en toute hypothèse, que l'article L.225-231, qui prévoit en effet la possibilité pour « un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit » de demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion, ne réserve cette faculté de saisir le juge des référés - et non le juge du fond - qu'à défaut de réponse ou de communication d'éléments de réponse satisfaisants, dans un délai d'un mois, aux questions qui ont été au préalable posées par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire ;
Or, attendu que l'E.A.R.L., si elle affirme avoir posé, à l'occasion du conseil d'administration de la société Groupe Etienne tenu le 13 septembre 2007, par l'entremise de M. Chevalier, des questions concernant, notamment, les relations d'affaires entre la société Philicot et la société L'Étoile porcine, dont le commissaire aux comptes aurait été informé, ne produit aucun document avérant que des questions ont été posées selon les conditions et formes prescrites par l'article L.225-231 du code de commerce ;
Qu'il résulte par conséquent de ceci que l'E.A.R.L. n'est en tout état de cause pas recevable à obtenir l'institution d'une expertise sur le fondement de ce texte ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable, au vu des éléments de la cause, de mettre à la charge de l'E.A.R.L. de Collonge une part des frais irrépétibles exposés par la société Philicot pour les besoins de la procédure d'appel ;
Qu'il y a lieu, par conséquent, d'allouer une indemnité de 2 000 € à l'intimée, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur les dépens :
Attendu qu'il convient de laisser à l'E.A.R.L. de Collonge, qui échoue en ses prétentions, la charge des dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 5 décembre 2011 par le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône ;
Ajoutant :
Condamne l'E.A.R.L. de Collonge a payer la somme de 2 000 € à la société Philicot au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens d'appel.