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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 14 octobre 2010, n° 10/14609

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Lucas & Degand (SAS), Nemo Recouvrement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mme Elleouet-Giudicelli, Mme Verdeaux

Avoués :

SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Blanc-Cherfils

Avocats :

Me Ringle, Me Roche

T. com. Marseille, du 8 juill. 2010, n° …

8 juillet 2010

Vu l'ordonnance de référé frappée d'appel rendue le 8 juillet 2010 par le président du tribunal de commerce de Marseille ;

Vu les conclusions déposées le 9 septembre 2010 par Claude DEGAND, appelant;

Vu les conclusions déposées le 6 septembre 2010 par les sociétés LUCAS ET DEGAND et NEMO RECOUVREMENT, intimées;

Attendu que par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus pour l'exposé des prétentions et moyens des parties;

Attendu le 27 juillet 2007 Claude, Danièle, Isabelle, Geoffroy, et Béatrice DEGAND (les consorts DEGAND) ont cédé à la société NEMO RECOUVREMENT 60 % du capital et des droits de vote de la société LUCAS ET DEGAND ; qu'un pacte d'associés a été conclu le même jour entre la société cessionnaire et Claude DEGAND aux termes duquel ce dernier promettait irrévocablement de céder les actions restantes de la société LUCAS ET DEGAND au jour de la levée d'une option à exercer entre le 31 juillet 2010 et le 31 juillet 2012 ; qu'après que la valeur des titres cédés ait été chiffrée à 913'684 € par un arbitre, Claude DEGAND a réclamé des éclaircissement sur quatre opérations de gestion le 12 octobre 2009; que, insatisfait de la réponse, il a sollicité en référé la désignation d'un expert aux fins de présentation de rapports sur ces quatre opérations ;

Attendu que par l'ordonnance attaquée le président du tribunal de commerce de Marseille a rejeté la demande en relevant qu'à la date d'introduction de la demande Claude DEGAND détenait plus de 5 % du capital social comme exigé par l'article L. 225 ' 231 du code de commerce et était en conséquence recevable à agir, que les opérations dénoncées ne présentaient cependant pas un caractère suffisamment suspect ou contraire aux intérêts de la société pour autoriser la désignation d'un expert, et que n'était pas caractérisée davantage une atteinte à l'intérêt social qui aurait pu justifier cette désignation sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

Sur ce,

Sur la recevabilité de la demande.

Attendu qu'il résulte de l'article L. 225-231 du code de commerce qu'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion et que, à défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ;

Attendu que le prix définitif de cession de l'ensemble des titres, y compris ceux encore détenus par Claude DEGAND, a été définitivement fixé dans la convention de cession du 27 juillet 2007 et chiffré par un expert-comptable arbitre ; que le pacte associé prévoit, d'une part que le prix est minoré des dividendes et des réserves payés à l'associé ainsi que du préjudice subi par la société cessionnaire, d'autre part qu'en cas d'exercice de l'option d'acquisition dans la fourchette de temps prévue, la cession interviendra au plus tard dans les 60 jours de la levée de l'option, la vente devenant parfaite moyennant paiement du prix le jour de la remise des ordres de mouvement ; que, ayant levé l'option le 1er septembre 2010, la société NEMO RECOUVREMENT, qui n'a pas encore payé le prix, en déduit que Claude DEGAND n'a plus intérêt à agir dès lors que le rapport de l'expert dont la désignation est sollicitée ne sera pas déposé avant le paiement du prix d'ores et déjà fixé à minorer du montant des dividendes perçus ou à percevoir par l'intéressé;

Attendu que Claude DEGAND était actionnaire à la date d'introduction de l'instance et l'est toujours, les modifications à intervenir étant sans incidence sur sa qualité pour agir ; que, abstraction faite de son intérêt financier éventuellement inexistant, il trouve dans cette seule qualité son intérêt à faire la lumière sur des opérations de gestion suspectes, la fin de non-recevoir invoquée ne pouvant dès lors qu'être rejetée ;

Sur le bien-fondé de la demande d'expertise de gestion fondée sur l'article L. 225-231 du code de commerce.

Attendu que par un courrier recommandé daté du 12 octobre 2009 Claude DEGAND a réclamé des éclaircissement à la société NEMO RECOUVREMENT quant aux conditions de transfert des dossiers du client AGF, à l'attribution de l'appel d'offre de l'ancien client SOFINCO, et à des opérations de sous-traitance croisées entre les sociétés NEMO RECOUVREMENT et LUCAS ET DEGAND; qu'il n'a pas été répondu à ce courrier dans le mois de sa réception dont la société NEMO RECOUVREMENT a reconnu dans sa réponse du 17 novembre 2009 qu'elle remontait au 15 octobre 2009 ; qu'en dépit de la tardiveté de la réponse, il n'y a cependant lieu à désignation d'un expert qu'à condition que la demande soit sérieuse et le caractère suspect des opérations dénoncées établi ;

Attendu qu'il résulte de copies d'écrans d'ordinateur, de divers états et de deux procès-verbaux de constats d'huissier que les dossiers confiés en recouvrement par la compagnie AGF à la société LUCAS ET DEGAND ont été récupérés à partir d'une certaine date par la société NEMO RECOUVREMENT laquelle a même assuré le suivi de l'essentiel les anciens dossiers confiés antérieurement à la société LUCAS ET DEGAND ; que pour toute réponse la société NEMO RECOUVREMENT a fait valoir dans son courrier du 17 novembre 2009 et expose dans la présente procédure que la compagnie AGF a résilié le contrat qui la liait à la société LUCAS ET DEGAND en raison de la pratique de dommages-intérêts compensatoires transactionnels prohibés; que cependant, si un courrier de cette compagnie du 26 février 2008 réclame bien l'abandon de cette pratique et fixe l'objectif de recouvrement à 10 % pour la fin de l'année 2008, aucune preuve concrète d'une rupture à son initiative du contrat qui la liait à la société LUCAS ET DEGAND n'est rapportée ; que par ailleurs l'expert qui a fixé le montant du prix a constaté que les taux de recouvrement après prise en charge des dossiers de cette compagnie par la société NEMO RECOUVREMENT demeurait inférieur à ceux obtenus par la société LUCAS ET DEGAND ;

Attendu, concernant le client SOFINCO, que les mêmes éléments de preuve démontrent que celui-ci, tant pour les dossiers en cours que pour les nouveaux dossiers, a été entièrement récupéré par la société NEMO RECOUVREMENT ; que cette dernière, dans sa réponse du 17 novembre 2009 dont la teneur est reprise dans la présente procédure, a fait valoir que la société LUCAS ET DEGAND n'a pas été retenue suite à un appel d'offres fait par cette cliente en conséquence d'une restructuration ; que cependant les soumissions de chacune des deux sociétés ne sont pas versées aux débats, de sorte qu'il ne peut pas même être retenu qu'un dossier a été présenté au nom de la société LUCAS ET DEGAND ;

Attendu que la réalité d'opérations de sous-traitance croisées, reconnues par la société NEMO RECOUVREMENT, résulte des constats d'huissier et des copies d'écran invoqués la société LUCAS ET DEGAND ; que ces opérations paraissent suspectes eu égard à leur très grand nombre et à l'extrême modicité de la rémunération perçue par la société LUCAS ET DEGAND telle que relevée par l'huissier;

Attendu que les opérations dénoncées sont toutes des opérations de gestion s'agissant de l'abandon de clients ou de l'exécution de travaux sans contrepartie suffisante; que les bilans respectifs des sociétés LUCAS ET DEGAND et NEMO RECOUVREMENT des années 2006 à 2009 révèlent une dégradation sensible de la situation financière de la première nommée postérieurement à la cession et une amélioration non moins sensible de celle de la seconde susceptibles d'avoir pour cause l'accaparement par cette dernière des actifs de la société LUCAS ET DEGAND éventuellement accompagné d'un transfert de charges ; que ce constat, rapproché des éléments relevés ci-dessus, confère aux opérations faisant l'objet de la demande d'explications un caractère suffisamment suspect pour que l'expertise sollicitée soit ordonnée aux frais de la société dont Claude DEGAND est associé; que l'ordonnance attaquée sera en conséquence infirmée; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur le fondement subsidiaire de l'article 145 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare l'appel régulier et recevable en la forme.

Au fond, infirme l'ordonnance attaquée et, statuant à nouveau,

Ordonne une expertise de gestion.

Commet pour y procéder madame BOLLANI-BILLET Carole Cabinet 3A Experts [...]

Tél : [...] Port. : [...] Mèl : [...]

avec pour mission, après avoir convoqué les parties et leurs conseils, recueilli leurs explications, et pris connaissance de tous les documents techniques et contractuels afférents au litige,

de présenter un rapport sur la gestion par la société LUCAS et DEGAND, depuis le 27juillet 2007, de ses relations avec les clients AGF SOFINCO et NEMO RECOUVREMENT.

Dit que l'expertise sera effectuée sous le contrôle du magistrat de la mise en état auquel l'expert devra rendre compte en cas de difficulté.

Dit que la société LUCAS et DEGAND devra consigner au Greffe dans un délai de trois semaines à compter de la notification qui lui sera faite de la présente décision la somme de 4.000 €uros destinée à garantir le paiement des frais et honoraires de l'expert.

Dit qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque à moins que le magistrat de la mise en état, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide la prorogation du délai ou le relevé de caducité.

Dit que s'il estime insuffisante la provision initiale ainsi fixée, l'expert devra dresser un programme de ses investigations et évaluer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours, qu'il réclamera alors la consignation du complément, et qu'il fera de même si la provision s'avère ultérieurement insuffisante.

Dit que l'expert devra déposer son rapport au Greffe dans le délai de 3 mois

à compter de la notification de la consignation, et devra solliciter la prorogation de ce délai s'il s'avère insuffisant .

Dit qu'à défaut de pré-rapport, il organisera, à la fin de ses opérations, une réunion de clôture où il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expertise.

Dit que l'expert adressera une copie de son rapport à toutes les personnes concernées mentionnées au dernier alinéa de l'article L 225-231 du code de commerce.

Dit que l'affaire sera évoquée à l'audience d'incidents de mise en état du mois de mars 2011.