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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 16 septembre 2010, n° 10/01517

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Cuny

Avoués :

SCP Grimaud, Selarl Dauphin & Mihajlovic

Avocats :

Me Jurasinovic, Me Albert, Me Bosselut

T. com. Grenoble, du 9 mars 2010, n° 201…

9 mars 2010

La société R. C. a été constituée sous la forme de société à responsabilité limitée par acte sous seing privé du 31 mars 2005.

MM. Frédéric et Jean-Christophe B. en sont les associés fondateurs.

La société R. a connu un développement important et elle a été transformée, le 30 octobre 2007, en société par actions simplifiées et le capital, fixé à 96 300 €, est désormais divisé entre 57 actionnaires.

M. Frédéric B., associé et directeur, a fait l'objet d'un licenciement par lettre du 30 avril 2009.

Une instance prud'homale a été engagée par M. Frédéric B..

Par acte du 6 janvier 2009, M. Frédéric B. a fait assigner la société R. devant le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble pour voir, sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, ordonner une mesure d'expertise sur les chefs de mission suivants :

'déterminer la situation économique de la société R. C. en évaluant le chiffre d'affaires de ses trois derniers exercices et en déterminant sa croissance, relativement à la même période,

'reconstituer la comptabilité de la société R. C. depuis le mois d'avril 2005 jusqu'à aujourd'hui,

'ordonner pour ce faire à M. Jean-Christophe B. de remettre à l'expert l'ensemble des documents comptables de la société en sa possession,

'interroger les établissements bancaires teneurs de comptes de M. Jean-Christophe B. et de la société R. C. pour obtenir des copies de relevés bancaires et autres informations, dans la limite de la date de conservation des données par les banques,

'interroger le FICOBA pour se procurer la liste des établissements bancaires dans les livres desquels les associés ont ouvert des comptes pour la société R. C., ainsi que ceux de M. Jean-Christophe B.,

'interroger l'URSSAF et obtenir tous documents afférents à la gestion des salaires et à leurs charges,

'vérifier l'existence d'éventuelles opérations affectant le patrimoine de la société R. C. au bénéfice de M. Jean-Christophe B.,

'vérifier l'immatriculation de la filiale russe dite R. V. auprès des organismes compétents,

'établir la situation statutaire de ladite filiale, ainsi que les modalités de sa création,

'établir ses modes de financement,

'ordonner pour ce faire à M. Jean-Christophe B. de remettre à l'expert l'ensemble des documents comptables de la filiale en sa possession, ainsi que ses statuts traduits.

M. Frédéric B. a en outre sollicité la condamnation de la société R. C. au paiement de la somme de 2400,84 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamnation de celle-ci aux dépens.

Par ordonnance du 9 mars 2010, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a débouté M. Frédéric B. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, a débouté la société R. C. du surplus de ses demandes et a condamné M. Frédéric B. au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. Frédéric B. a interjeté appel de cette ordonnance et a été autorisé par ordonnance du 8 avril 2010 à assigner à bref délai et à jour fixe la société R. C..

'Vu les conclusions signifiées le 11 mai 2010 par M. Frédéric B., lequel demande à la cour de réformer l'ordonnance entreprise, de dire qu'il existe un motif légitime de déterminer la situation économique, comptable et sociale de la société R. C. et de sa filiale R. V., de dire que le litige dépendant de l'établissement de la preuve des faits par l'expertise est suffisamment déterminé, de dire que la mesure d'expertise est sollicitée avant tout procès, de dire qu'il est fondé à solliciter l'expertise financière, fiscale et sociale de la société R. C. et de sa filiale russe R. V., de désigner tel expert qu'il plaira avec mission d'usage, et notamment : reconstituer la comptabilité de la société R. C. depuis le mois d'avril 2005 jusqu'à aujourd'hui, ordonner pour ce faire à M. Jean-Christophe B. de remettre à l'expert l'ensemble des documents comptables de la société en sa possession, interroger les établissements bancaires teneurs des comptes de M. Jean-Christophe B. et de la société R. C. pour obtenir des copies de relevés bancaires et autres informations, dans la limite de la date de conservation des données par les banques, interroger le FICOBA pour se procurer la liste des établissements bancaires dans les livres desquels les associés ont ouvert des comptes pour la société R. C. ainsi que ceux de M. Jean-Christophe B., interroger l'URSSAF et obtenir tous documents afférents à la gestion des salaires et à leurs charges, vérifier l'existence d'éventuelles opérations affectant le patrimoine de la société R. C. au bénéfice de M. Jean-Christophe B., se faire communiquer tous les baux dont la société R., sa filiale R. V. et M. Jean-Christophe B. sont preneurs, vérifier l'immatriculation de la filiale russe dite R. V. auprès des organismes compétents, établir ses modes de financement, ordonner pour ce faire à M. Jean-Christophe B. de remettre à l'expert l'ensemble des documents comptables de la filiale en sa possession, établir au regard des éléments obtenus un bilan comptable de la société et de sa filiale pour chacun de leurs exercices, un compte de résultat, vérifier la régularité des comptes déclarés par la société R. et sa filiale, vérifier la régularité des remboursements de notes de frais de l'ensemble des salariés et des actionnaires de la société R. et de sa filiale, dresser acte des sommes éventuelles qui seraient irrégulièrement affectées. M. Frédéric B. sollicite en outre la condamnation de la société R. C. au paiement de la somme de 3588 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamnation de cette dernière aux entiers dépens de première instance et d'appel.

'Vu les conclusions signifiées le 7 juin 2010 par la société R. C., laquelle demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de celle la déboutant de sa demande de condamnation de M. Frédéric B. au paiement d'une amende ainsi que de la somme de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, de condamner M. Frédéric B. sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile au paiement d'une amende civile, de le condamner au paiement de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et de le condamner au paiement de la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

M. B. affirme agir en sa qualité d'actionnaire.

Il soutient que sa demande d'expertise repose sur les indicateurs économiques de la société, qu'il estime contradictoires et qui révèleraient des anomalies dans la gestion de la société.

Il cite à cet égard :

'l'absence de convocation à l'assemblée générale du 4 mars 2010,

'un résultat en chute alors que le chiffre d'affaires progresse,

'le transfert sur la filiale russe d'une provision pour dépréciation des créances sur cette même filiale, alors que le chiffre d'affaires de la filiale a augmenté dans d'importantes proportions,

'la contradiction existant entre les perspectives économiques florissantes présentées par le président de la société et les termes de sa lettre de licenciement faisant état d'une situation dégradée,

'la circonstance que la société cherche à recruter du personnel en vantant le développement de la société,

'le refus opposé à ses demandes sur la transparence des comptes et sur les statuts de la filiale russe,

'l'existence d'un rapport d'alerte du commissaire aux comptes, faisant état d'éléments de nature à compromettre la continuité d'exploitation de la société,

'le fait que la société dissimule l'existence de comptes bancaires.

Il fait par ailleurs état de suspicions de fraudes, l'opacité des statuts de la filiale russe qui aurait été développée en fraude de ses droits d'associé.

Il n'est pas contestable qu'un associé peut en toute légitimité s'interroger sur la gestion de la société dont il est actionnaire et obtenir des éléments de réponse satisfaisants sur ces interrogations.

M. B., qui a saisi la juridiction prud'hommale qui peut elle-même ordonner toute mesure d'investigation dans le cadre de sa saisine et qui a déposé deux plaintes pénales qui ont fait l'objet d'un classement sans suite pour absence d'infractions, a choisi d'agir sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile en négligeant de suivre la voie offerte par les dispositions particulières de l'article L 225-231 du code de commerce, applicables aux sociétés par actions simplifiées en vertu des dispositions de l'article L227-1 du code de commerce, voie pourtant adaptée aux préoccupations exprimées par ses écritures.

La généralité même de la mission développée par le dispositif des conclusions de M. B., qui requiert notamment une reconstitution globale des bilans de la société et suggère de donner à l'expert mission d'interroger les établissements bancaires, le FICOBA ou encore l'URSSAF, montre qu'en réalité M. B. veut faire procéder à une recherche systématique d'informations qui a pour seul but de découvrir un fondement juridique pour une action potentielle dont l'objet n'est pas déterminé, action civile ou pénale alors que M. B. indique que le procès qu'il serait susceptible d'engager « pourrait tendre à rechercher la responsabilité des dirigeants sociaux » ou »à désigner judiciairement un administrateur provisoire ».

C'est donc à juste titre que le premier juge a débouté M. B. de sa demande formée sous le visa des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et il convient par voie de conséquence de confirmer sur ce point l'ordonnance entreprise.

La procédure ne paraît pas avoir été engagée dans l'intention de nuire, aussi n'y a-t-il pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts formée par la société R. et pas davantage de prononcer une amende civile.

L'ordonnace entreprise sera par voie de conséquence également confirmée sur ce point.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société R. partie des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer, et il convient de lui allouer à ce titre une somme de 2.000 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

Déboute la société R. C. de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne M. Frédéric B. à payer, en sus de la somme allouée à ce titre par le premier juge, la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Frédéric B. aux dépens de première instance et d'appel dont, pour ces derniers, distraction au profit de la SELARL DAUPHIN MIHAJLOVIC.