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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 16 décembre 2008, n° 07/03495

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Iparlat (SA)

Défendeur :

Onetik (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bertrand

Conseillers :

Mme Meallonnier, M. Darracq

Avoué :

SCP De Ginestet / Duale / Ligney

Avocats :

Me Colmet, Me Karabatsos

T. com. Bayonne, du 27 sept. 2007

27 septembre 2007

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par lettre du 28 mai 2007, la société IPARLAT (de droit espagnol), propriétaire de 11 % du capital de la société ONETIK (société par actions simplifiée), a interrogé le président de cette dernière sur un certain nombre de faits relevant, selon elle, 'd'opérations de gestion'.

N'obtenant aucune réponse, la société IPARLAT a fait assigner la société ONETIK en référé par devant le président du tribunal de commerce de Bayonne aux fins de voir organiser une expertise de gestion en application des dispositions de l'article L 225-231 du Code de commerce.

Par ordonnance en date du 27 septembre 2007, à laquelle il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance, comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le juge des référés a :

- rejeté la demande d'expertise de gestion,

- condamné la société IPARLAT à payer à la société ONETIK la somme de 1 euro pour procédure abusive,

- condamné la société IPARLAT à payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.

La société IPARLAT a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 octobre 2007, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.

Vu les conclusions déposées le 06 mai 2008 par la société IPARLAT qui a demandé à la Cour, au visa des articles L 225-231 du Code de commerce et 145 du Code de procédure civile, de :

- ordonner une expertise de gestion en la confiant à tel expert qu'il plaira avec pour mission de :

1) vérifier si lors de l'augmentation de capital de la société ONETIK le 12 mai 2004, la société avait au préalable et réellement libéré l'intégralité de son capital,

2) sur l'acquisition de la société Groupe Laitier des Pyrénées, ancienne filiale de la société Parmalat :

- vérifier sur quels éléments comptables, sur la base de quelles autorisations quant au principe de l'acquisition, la société ONETIK a acquis lesdites actions,

- préciser si en l'absence de ces autorisations le Directeur Général avait pour ce faire une autorisation écrite du Président, conformément aux statuts en leur article 15,

3) sur la cession des titre détenus par la société ONETIK sans la SCI REIVAX :

- vérifier si à l'occasion de cette cession de 405 titres au nominal de 152,45 euros à Monsieur MAURANCE, il y a eu convention entre l'associé Directeur Général et la société, visée par le commissaire aux comptes et ayant fait l'objet au préalable d'un rapport dudit commissaire aux comptes,

- se voir remettre le rapport de l'expert qui a dû évaluer les actifs et vérifier le passif de la société REIVAX afin de vérifier si la cession est bien intervenue sans sous évaluation,

- dans la négative, donner tout éclaircissement utile sur les conditions dans lesquelles ladite cession est intervenue en procédant notamment à la valorisation des actifs de ladite SCI,

- dire que l'expert pourra procéder à toutes recherches utiles au siège de la société ONETIK comme auprès de son expert-comptable ou son commissaire aux comptes,

- dire que l'expert devra communiquer aux parties un pré-rapport qui sera soumis à leurs observations avant le dépôt du rapport final au greffe de la Cour,

- fixer la consignation nécessaire,

- dire que les honoraires de l'expert seront à la charge de la société ONETIK,

- condamner en tout état de cause la société ONETIK à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Vu les conclusions déposées le 30 juin 2008 par la société ONETIK qui, contestant principalement le caractère d'actes de gestion des opérations incriminées, a demandé à la Cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise,

- condamner la société IPARLAT à un euro de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société IPARLAT à payer 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 30 septembre 2008.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En liminaire, il faut observer qu'il ressort des écritures de l'appelante que sa demande d'expertise vise exclusivement l'expertise de gestion de l'article L 225-231 du Code de commerce qui est distincte de l'expertise 'in futurum' de l'article 145 du Code de procédure civile dont le visa dans ses écritures apparaît donc sans objet ;

L'article L 225-231 dispose qu'une association répondant aux conditions fixées à l'article L 225- 120, ainsi qu'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes ;

Qu'à défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ;

Par renvoi opéré par l'article L 227-1 alinéa 3 du Code de commerce, ces dispositions sont applicables aux sociétés par actions simplifiées, lesquelles sont représentées par un président ;

En l'espèce, il est constant que Monsieur CAMBLONG, président de la société ONETIK, n'a pas répondu aux questions posées par la société IPARLAT dans sa lettre du 28 mai 2007 ;

Selon la société ONETIK les questions posées n'appelaient aucune réponse dès lors que les questions ne visaient pas des opérations de gestion relevant de la compétence des organes dirigeants, ou s'avéraient dépourvues d'objet ;

Il convient donc d'examiner les questions posées par la société IPARLAT ;

1 - sur la libération du capital social

La société IPARLAT a interrogé le président en ces termes : 'nous voudrions savoir si lors de l'Assemblée Générale du 12 mai 2004 de la SAS ONETIK l'intégralité du capital social avait été libéré' ;

Aux termes du procès-verbal des délibérations du 12 mai 2004, la deuxième résolution adoptée expose que 'l'assemblée générale, après avoir entendu la lecture du rapport du Président, constatant que le capital social est entièrement libéré, décide d'augmenter le capital social [...] ;

Contrairement à ce que soutient la société ONETIK, la question de la libération des actions intéresse l'organe présidentiel puisqu'aux termes même de l'article 11 des statuts de la société, lorsque les actions de numéraires sont libérées partiellement à la souscription, le solde est versé, dans le délai maximum de cinq ans, sur appel du président ;

Cependant, l'exercice de cette prérogative n'est pas assimilable à une opération de gestion ;

Au surplus, la question posée par la société IPARLAT ne vise pas à interroger le président sur l'application de l'article 11 des statuts mais à obtenir une information que les associés peuvent obtenir en exerçant simplement leur droit de communication tel qu'organisé à l'article 25 des statuts ;

Par conséquent, le défaut de réponse à la question posée ne justifie en rien une mesure d'expertise ;

2 - sur l'acquisition de la société Parmalat

La question est libellée ainsi : 'nous désirerions que vous nous indiquiez :

- sur quels éléments comptables et sur la base de quelles autorisations (quant au principe de l'acquisition), la société ONETIK a acquis les actions de la société Parmalat,

- de nous préciser si en l'absence de ces autorisation, le Directeur Général pour ce faire avait une autorisation écrite du Président, conformément aux statuts en leur article 15' ;

Dans assignation, la société IPARLAT devait préciser que la question portait sur l'acquisition de la société Groupe Laitier des Pyrénées, filiale de la société italienne Parmalat, et l'appelant considère que le président ne pouvait se méprendre sur l'objet exact de la question, sauf à 'jouer sur les mots' ;

Mais, la question posée ne fait aucunement référence à l'acquisition du Groupe Laitier des Pyrénées mais exclusivement à l'acquisition 'des actions de la société Parmalat', sa maison mère, sans que l'on sache de quelles actions il s'agit ;

Dans ces conditions, l'absence de réponse du président de la société ONETIK, qui n'était pas tenu d'interpréter une question équivoque, ne saurait justifier une mesure d'expertise et la société ONETIK n'est pas recevable à reformuler sa question dans le cadre de l'assignation en référé alors que l'organisation de la mesure d'expertise de gestion est subordonnée à la formalisation préalable d'une demande d'information écrite adressée à l'organe de direction ;

3 - la cession des actions de la SCI REIVAX

La question est ainsi libellée : 'concernant la cession des titres détenus par ONETIK dans la SCI REIVAX (cession de 405 titres à 152,45 euros à Monsieur MAURANCE). Y a-t-il eu convention entre l'associé Directeur général et la société et pourriez vous nous fournir le rapport de l'expert qui a dû évaluer les actifs et vérifier le passif de la société REIVAX' ;

Aux termes du procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale du 12 mai 2004, les associés ont adopté la septième résolution en ces termes : 'l'assemblée générale, après avoir entendu le rapport du président, autorise la cession des 405 parts sociales SCI REIVAX détenues par la société ONETIK au profit de Monsieur MAURANCE. Les parts sont cédées à la valeur nominale, soit 152,45 euros. L'assemblée générale confère tous pouvoirs au président aux fins de signer tous actes relatifs à cette cession, recevoir toutes sommes et généralement faire le nécessaire' ;

Cette opération consiste donc dans la cession d'un élément de l'actif de la société ONETIK, en l'occurrence les 405 parts sociales représentant 36,81 % du capital de la SCI REIVAX ;

Aux termes des statuts, il est au pouvoir de gestion du Président, ou du Directeur Général sur autorisation du Président, de procéder à une telle opération de cession ;

D'ailleurs dans ses écritures, la société ONETIK reconnaît que 'le Président a conçu le projet de cession et l'a soumis à l'assemblée' ;

Bien que cet aspect de la question soit occulté par la société ONETIK, la cession projetée renfermait bien une convention passée entre la société, cédante, et un dirigeant (non associé à la date de l'assemblée générale), Monsieur MAURANCE, Directeur Général, cessionnaire des parts sociales ;

Par conséquent, cette cession de parts sociales relevait des conventions réglementées au sens de l'article L 227-10 du Code de commerce et de l'article 16 des statuts, et était donc soumise à l'autorisation préalable des associés appelés à délibérer au vu du rapport du commissaire aux comptes ;

Il était donc conforme aux statuts et à la loi que le Président de la société demande aux associés de délibérer sur le projet de cession dont s'agit ;

A cet égard, il n'est pas contesté que le commissaire aux comptes, n'avait pas établi de rapport sur le projet de cession préalablement à la délibération, ce qui était de nature à affecter la régularité de la résolution prise par l'assemblée générale ;

En tout état de cause, il reste que l'assemblée générale a autorisé la cession dans les termes ci-avant rappelés ;

Contrairement à ce que soutient la partie intimée, la décision de la cession des parts sociales, véritable opération de gestion, n'a pas été prise par l'assemblée générale qui, dans les limites de sa compétence organique, n'a fait qu'autoriser la cession projetée par l'organe de direction et c'est inutilement que l'assemblée générale a conféré au Président 'tous pouvoirs aux fins de signer tous actes relatifs à cette cession ...' ;

Dans ces conditions, et alors que le commissaire aux compte n'avait pas établi de rapport sur cette cession, et qu'il n'est pas allégué que le rapport du Président contenait des informations comptables, économiques et financières ayant présidé à la fixation du prix de cession sur la base, pour le moins inhabituelle, de la valeur nominale des parts sociales cédées, il ne peut être tiré aucune conséquence de la non participation de la société IPARLAT à cette assemblée générale ;

Sur la cession des parts sociales, il ressort des pièces versées aux débats que la SCI REIVAX, au capital de 640.000 francs (97.567,33 euros) constituée entre la société ONETIK et Monsieur MAURANCE, a acquis le 22 janvier 1999 une vaste propriété bâtie sur la commune d'Anglet, domaine de Chiberta, pour la somme de 2.661.681,20 francs (405.770,68 euros) ; que l'acquisition a été financée par un prêt de 2.300.000 francs remboursable jusqu'au 06 février 2014 ; qu'il ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 17 décembre 2007 qu'une piscine a été aménagée sur la propriété (date de la construction non précisée) ;

Dans le contexte notoire de l'envolée des prix de l'immobilier sur la Côte Basque, et à défaut de toute information étayée par des éléments objectifs de nature à permettre à la société IPARLAT de se faire une opinion, cette dernière est légitime à s'interroger sur les conditions dans lesquelles est intervenue la cession des 405 parts représentant 36,81 % du capital social de la SCI REIVAX, moyennant le prix de 61.742,25 euros dont l'appelante est fondée à vérifier s'il repose sur une réalité économique objective où s'il trahit une gestion partiale préjudiciable aux intérêts de la société ;

Utile et opportune, l'expertise de gestion doit être donc être organisée dans les termes ci-après fixés ;

L'ordonnance entreprise sera donc partiellement infirmée y compris sur la condamnation de la société IPARLAT au paiement de la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et au paiement des dépens et des frais irrépétibles ;

La société ONETIK sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société IPARLAT la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société IPARLAT de sa demande d'expertise de gestion relativement à la question de la libération du capital social et à celle de 'l'acquisition des actions de la société Parmalat',

L'INFIRME pour le surplus de l'ensemble de ses dispositions,

et statuant à nouveau,

ORDONNE une mesure d'expertise de gestion sur les conditions comptables, économiques et financières qui ont présidé à la décision du Président de la société ONETIK de céder au profit de Monsieur MAURANCE, Directeur Général, les 405 parts sociales détenues par la société ONETIK, représentant 36,81 % du capital social de la SCI REIVAX, moyennant le prix de 61.742,25 euros (SOIXANTE ET UN MILLE SEPT CENT QUARANTE DEUX EUROS VINGT CINQ CENTIMES),

COMMET pour y procéder :

M. Jean GENEVET,

expert-comptable, commissaire aux comptes,

Cour d'appel de Pau,

[...]

[...]

[...].

avec pour mission de :

- se faire remettre tous documents comptables, sociaux et contractuels utiles à sa mission, détenus par la société ONETIK ainsi que l'acte de cession des 405 parts sociales appartenant à la société ONETIK dans le capital de la société SCI REIVAX au profit de Monsieur MAURANNE,

- rechercher si la détermination de la valeur de ces 405 parts sociales avait l'objet d'investigations particulières de la part de l'organe de direction,

- entendre Monsieur CLUSEL, commissaire aux comptes, en qualité de sachant, et notamment sur le non établissement d'un rapport relatif à la cession de ces parts sociales intervenues entre la société ONETIK et Monsieur MAURANNE, Directeur Général,

- donner toute information sur les conditions dans lesquelles a été négociée la cession des parts sociales au profit de Monsieur MAURANNE,

- donner un avis sur la valeur des 405 parts sociales cédées à la date du 12 mai 2004 en procédant à toutes investigations utiles,

- faire toutes observations utiles,

DIT que l'expert adressera un pré-rapport aux parties et dressera son rapport définitif au vu des leurs éventuelles observations,

DIT que ce rapport définitif sera déposé au greffe de la Cour,

Fixe la somme de 1.000 euros (MILLE EUROS - à l'ordre de Madame le Régisseur de la Cour d'appel de PAU) le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert et à consigner au greffe de la Cour par la société IPARLAT dans le délai maximum de 1 mois à compter du présent arrêt à peine de caducité de la désignation de l'expert ;

Dit que l'expert devra dresser un rapport écrit de ses travaux comprenant toutes annexes explicatives utiles à déposer au greffe de la Cour dans un délai maximum de 4 mois à compter de la date figurant sur l'avis de consignation de la provision, sauf prorogation demandée au Magistrat de la mise en état ;

Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement, d'office ou sur simple requête de la partie la plus diligente par ordonnance du Magistrat de la mise en état ;

RAPPELLE que le rapport définitif sera adressé par le greffe de la Cour aux personnes visées à l'article L 225-232 alinéa 5 du Code de commerce,

CONDAMNE la société ONETIK aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société ONETIK à payer à la société IPARLAT une indemnité de 1.000 euros (MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

AUTORISE la SCP GINESTET-DUALE-LIGNEY, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.