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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 1 juillet 2008, n° 07/02999

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Exploitation des Sources de Signes (SAS)

Défendeur :

M. Ginhoux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Plantard

Conseillers :

M. Chassery, Mme Debuissy

Avoués :

SCP Auche-Hedou, Auche Auche, SCP Negre - Pepratx-Negre, SCP Divisia - Senmartin

Avocats :

Me Marchetti, Me Camps

T. com. Toulon, du 17 avr. 2002

17 avril 2002

La société d'exploitation des sources de Signes (SESS), crée le 18 juillet 1997, exerce une activité de production et de mise en bouteilles d'eau de source, et avait pour président du directoire, Gilbert Ginhoux. Elle a acquis en 1998, la société Aqua Provence dont monsieur Ginhoux était le président, et qui a bénéficié d'un plan de cession arrêté au profit de la société SESS. Elle a aussi acquis la société des eaux de Beaupré.

Le 28 septembre 1998, une assemblée mixte a décidé de la transformation de la société SESS, en une société anonyme, avec conseil d'administration et directeur général, qui a eu pour conséquence, la perte de la qualité de mandataire social de Gilbert Ginhoux.

Le 15 janvier 2002, Gilbert Ginhoux a assigné la Société d'Exploitation des Eaux de Signes , devant le juge des référés du tribunal de commerce de Toulon, en expertise de gestion, sur le fondement des articles L 225-231 et L 225-232 du code de commerce, portant sur des prestations fournies par la société SESS, à la société Aqua Pyrénées, sur les redevances dues au bailleur sur les consommations d'eau liées à l'embouteillage des bonbonnes, sur le prix des films et emballages, sur les référencements de centrales d'achat, et sur la conformité des rejets des eaux dans le Gapeau.

Par ordonnance du 17 avril 2002, le juge des référés, a fait droit à la demande, et désigné monsieur Gastineau, en qualité d'expert. Cette décision a été infirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 24 octobre 2003, qui a déclaré la demande irrecevable, pour défaut d'intérêt à agir, aux motifs que Gilbert Ginhoux n'est plus actionnaire et surabondamment, qu'il dispose de toutes les informations données au tribunal par monsieur Larrios, commissaire aux comptes, par lettre du 24 janvier 2002.

Par arrêt du 6 décembre 2005, la cour de Cassation a cassé cette décision dans toutes ses dispositions, pour violation des dispositions des articles 31 et 122 du code de procédure civile, ensemble l'article L 225-231 du code de commerce, au motif que l'existence du droit à agir, s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance, et ne peut être remise en question par l'effet de circonstances postérieures.

Devant la présente Cour, désignée Cour de renvoi, Gilbert Ginhoux a réitéré sa demande d'expertise sur les mêmes opérations que celles visées dans son acte introductif, et a sollicité la condamnation de la société SESS, à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société SESS a conclu au débouté de Gilbert Ginhoux de l'intégralité de ses demandes, irrecevables et mal fondées, et a demandé, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la condamnation de celui-ci, à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour abus d'exercice de minorité, ainsi que celle de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, et enfin celle de 15 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Louis Larrios, agissant en qualité de commissaire aux comptes de la société SESS, a conclu à la réformation, et à sa mise hors de cause, ainsi qu'à la condamnation de Gilbert Ginhoux à lui payer la somme de 3 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR QUOI

La société SESS soutient en premier lieu que Gilbert Ginhoux n'a pas d'intérêt à agir, et fait valoir que la cour de Cassation n'a pas sanctionné la cour d'appel d'Aix en ce qu'elle a retenu que Gilbert Ginhoux dispose à présent de tous les éléments d'information et que son intérêt a disparu; et elle soutient que cette attendu est devenu définitif, et que la demande est donc irrecevable.

Ce faisant, elle fait fi, de la portée de l'arrêt de la cour de cassation, qui casse la décision de la cour d'appel, en toutes ses dispositions, et anéantit cette décision, dans son intégralité, ainsi que de sa motivation qui précise que l'existence du droit à agir s'apprécie au jour de la demande introductive d'instance, mais aussi, qu'elle ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures, d'ou il découle que l'obtention des informations en cours de procédure, ne pouvaient être une cause d'irrecevabilité.

La recevabilité de la demande est donc soumise à la cour. La société SESS ne soutient plus le défaut d'intérêt à agir en raison de la perte de la qualité d'actionnaire de Gilbert Ginhoux, qui était intervenue postérieurement à l'assignation. Il vient d'être dit , que la fourniture d'informations, postérieurement à l'introduction de la demande, ne peut pas non plus conditionner la recevabilité de la demande, qui doit s'apprécier au jour de la demande.

La société SESS soutient devant la cour, que la demande serait irrecevable, en raison de la violation des dispositions de l'article L 225-231 du code de commerce dans sa nouvelle rédaction, applicable en la cause, qui impose de questionner le conseil d'administration, avant de solliciter une expertise de gestion. Elle fait valoir que Gilbert Ginhoux a certes, interrogé le président de la société , mais pas sur des faits précis, ni sur des opérations de gestion, et n'avaient pour but que d'obtenir des renseignements commerciaux.

Les dispositions de l'article L 225-231 du code commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001, sont applicables en l'espèce, en raison de la date de l'action, le 15 janvier 2002, donc postérieure à celle de l'entrée en application de cette disposition, et de la forme juridique de la société , société anonyme. Elles disposent que , un plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, peuvent interroger le président du conseil d'administration ou du directoire, sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, et la réponse doit être communiquée au commissaire aux comptes. A l'expiration du mois qui suit, si aucune réponse n'a été fournie, ou si la réponse ne donne pas satisfaction, les actionnaires demandeurs , peuvent saisir le juge des référés en vue d'obtenir une expertise de gestion.

Gilbert Ginhoux a questionné le président de la société des Eaux de Signes, par lettre du 23 avril 2001, sur des points précis, et réponse lui a été faite par Jacques Chassaignes, le président, le 23 mai 2001, sur chacun des points.

La nature des questions posées, portant ou non sur la gestion de la société, ne conditionne pas la recevabilité de la demande en expertise de gestion, mais porte sur le fond de la demande. Dès lors que les points soumis au président de la société sont identiques à ceux soumis au juge des référés pour solliciter une expertise de gestion, la demande est recevable.

Gilbert Ginhoux, indique que la réponse du président, est manifestement insuffisante, qu'elle n'est pas claire et précise et n'est pas conforme aux dispositions de la loi. Il en déduit qu'il était bien fondé à saisir le juge des référés. La société SESS rétorque que les questions soumises au président ne portent pas sur des opérations de gestion, en ce qu'elles ont été débattues en assemblée générale, et qu'en tout état de cause, il a obtenu les éclaircissements qu'il souhaitait. Pour ces motifs, elle prétend que Gilbert Ginhoux doit être débouté de sa demande.

En premier lieu, il est généralement admis que les actes décidés en assemblée générale ne sont pas considérés comme étant des actes de gestion, en ce qu'ils ne relèvent pas de la compétence des dirigeants. En l'espèce, les faits visés dans la lettre d'interrogation du président, n'ont pas fait l'objet de délibération de l'assemblée générale, selon les termes mêmes de la lettre de Gilbert Ginhoux au président du 23 avril 2001, mais ont été seulement débattues dans le cadre des questions diverses de l'assemblée, sans lui apporter totalement satisfaction. Il doit en être déduit, que non soumise à délibération, elles relevaient d'actes de gestion du dirigeant, et non de la compétence de l'assemblée.

En deuxième lieu, le président de la société a répondu point par point, en fournissant l'essentiel des explications, lesquelles, ajoutées aux réponses obtenues en assemblée générale, lui assurait une information plus globale. Mais surtout, le commissaire aux comptes, Louis Larios, a adressé, le 24 janvier 2002, une lettre au président du tribunal de commerce de Toulon, saisi de l'assignation, fournissant des explications très précises sur chacun des points concernés. Cette lettre a été versée au débat, régulièrement, et Gilbert Ginhoux se trouve à l'heure actuelle, parfaitement informé, et une mesure d'expertise n'est pas susceptible de lui apporter davantage satisfaction.

Toutefois, Gilbert Ginhoux fait valoir qu'en indiquant que l'activité de bonbonnes est exercée à perte, et que le fait d'intervenir en sous-traitance du groupe Ogeu, prive la SESS d'une partie du chiffre d'affaires et de la marge commerciale, réalisée pour cette activité, le commissaire aux comptes met en évidence un transfert de marge commerciale au profit de la société Aqua Pyrénées, résultant d'un contrat signé par le président monsieur Chassaignes et administrateur de Aqua Pyrénées; que le commissaire aux comptes démontre également que la cause de l'accumulation de résultats déficitaires, résultant du contrat signé entre le dirigeant de la société SESS et la société Aqua Pyrénées, qui engendre des pertes, dues à une facturation inférieure au prix de revient, compensées par des sommes versées en compte courant par Ogeu, justifie de plus fort la demande d'expertise; enfin, le prix des prestations de réception, et de nettoyage de bonbonnes, d'embouteillage avec fourniture d'eau, d'étiquetage de mise en palettes et de stockage de ces bonbonnes, qui n'a fait l'objet d'aucune convention, et qui n'a pas évolué depuis l'origine, et se situe à 4 francs la bonbonne, alors que l'accroissement de cette activité a engendré des coûts supplémentaires, et que le prix pratiqué par les autres sourciers varie entre 5,80 et 8,52 francs, ne permet pas de dire que l'opération est conclue à des conditions normales.

La société SESS réplique, avec raison, que les opérations visées ne sont pas suspectes, que des pertes sur une activité n'impliquent pas des irrégularités, et que le commissaire aux comptes souligne l'évolution favorable de l'activité de ces prestations , que la société n'est pas en cessation des paiements; elle répond aussi par des arguments pertinents sur les autres opérations objet de la demande d'expertise, sur lesquels, Gilbert Ginhoux ne fournit aucun détail dans ses conclusions.

Il s'ensuit, qu'il résulte de tous ses éléments, et en particulier du rapport du commissaire aux comptes, que les présomptions d'irrégularité invoquées, par Gilbert Ginhoux, sont très nettement insuffisantes, pour justifier, qu'il soit fait droit à la demande d'expertise de gestion. Gilbert Ginhoux doit en être débouté, par voie d'infirmation de l'ordonnance déférée, sauf en ce qu'elle a mis hors de cause monsieur Larios.

Bien que débouté de sa demande, Gilbert Ginhoux n'a pas pour autant commis un abus, d'exercice de minorité, et, ce, en dépit de ses prétendus objectifs, qui seraient de connaître des renseignements très importants et confidentiels pour la société SESS, qui s'ils étaient connus des concurrents seraient de nature à lui nuire gravement, ainsi qu'en dépit de la dissimulation de renseignements. La société SESS doit être déboutée de sa demande dommages intérêts à ce titre. Il en est de même des dommages intérêts sollicités pour procédure abusive, alors que l'usage d'un droit n'est pas constitutif d'un abus.

Succombant, Gilbert Ginhoux doit supporter la charge de frais exposés par la société SESS et non compris dans les dépens, à hauteur de 3 500 euros, ainsi que de ceux exposés par Louis Larios, à hauteur de 1 800 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant sur renvoi de la cour de cassation

Réforme la décision entreprise,

Statuant à nouveau

Déboute Gilbert Ginhoux de sa demande en expertise de gestion

La confirme en ce qu'elle a mis hors de cause Louis Larios.

Déboute la société SESS de ses demandes de dommages intérêts.

Condamne Gilbert Ginhoux à payer à la société d'Exploitation des Sources de Signes, la somme de 3 500 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Gilbert Ginhoux à payer à Louis Larios, la somme de 1 800 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne le même aux entiers dépens, qui seront recouvrés pour ceux d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.