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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 9 décembre 2021, n° 21/07374

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Medispro (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, Mme Combrie

Avocat :

Me Bensa

T. com. Marseille, prés., du 22 avr. 202…

22 avril 2021

EXPOSE DU LITIGE

La société Medispro (SAS), société méditerranéenne de distribution de produits régionaux, est composée de deux associés, Monsieur X, qui détient 80 % du capital et son frère Monsieur Y, qui détient les 20 % restants.

Monsieur X en est également le président s'agissant d'une société par actions simplifiée.

Suite à des dissensions au sein de la société, Monsieur Y a quitté en 2015 la société Medispro (SAS) dans laquelle il était salarié.

Par lettre en date du 14 décembre 2020 Monsieur Y a interrogé le président de la société Medispro (SAS) afin d'obtenir des explications sur différents points notamment le bail à construction conclu avec la SCI Dragon 1 et certains postes du compte de gestion du 31 décembre 2018 au 31 décembre 2019.

Estimant que la réponse donnée le 25 janvier 2021 par Monsieur X n'était pas satisfaisante et qu'il n'avait pas eu la possibilité de s'exprimer lors de l'assemblée générale, Monsieur Y a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille le 16 mars 2021 d'une demande de désignation d'un expert de gestion.

Par ordonnance en date du 22 avril 2021 le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a':

- pris acte de l'intervention volontaire de Monsieur X et l'a reçu en son intervention volontaire,

- débouté Monsieur Y de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné Monsieur Y à payer à la société Medispro (SAS) la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles outre aux dépens,

- rejeté tout surplus des demandes comme non justifié

Par déclaration enregistrée le 17 mai 2021 Monsieur Y a interjeté appel de la décision.

Par conclusions enregistrées le 24 septembre 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Monsieur Y fait valoir que':

- au visa de l'article 4 du code de procédure civile, le juge des référés a dénaturé ses prétentions en retenant qu'il sollicitait une expertise de gestion sur l'ensemble des actes visés dans son courrier du 14 décembre 2020 alors que son assignation ne visait que quatre actes de gestion parfaitement identifiés,

- l'expertise de gestion fondée sur l'article L.225-231 du code de commerce peut être sollicitée dès lors qu'un associé disposant au moins de 5% du capital social n'a pas obtenu de réponse ou pas de réponse satisfaisante aux questions posées au président au titre d'opérations de gestion'; le juge des référés a commis une erreur de droit en considérant que l'expertise de gestion ne pouvait porter que sur des opérations de gestion de la société qui sont de la compétence de l'assemblée des associés, alors même que ces actes peuvent émaner également d'un organe de gestion';

- les explications sollicitées ne portaient pas sur de trop nombreux actes, contrairement à ce qui a été retenu par le juge des référés, mais portaient sur quatre opérations de gestion, à savoir le fonctionnement du compte créditeur 45511000 appartenant à Monsieur X, président de la société Medispro (SAS), l'opération relative à la conclusion d'un bail à construction au cours de l'exercice 2013 entre la société Medispro (SAS) et la SCI Dragon 1, les opérations ayant conduit à l'inscription d'une dette d'un montant de 97.528 euros en 2018 passant à 38.079 euros en 2019, et enfin, l'opération ayant conduit à l'inscription d'une charge locative sur l'exercice 2019 dans les comptes de la société Medispro (SAS),

- sa demande présente un caractère sérieux dès lors que le président de la société Medispro (SAS) n'a pas répondu aux interrogations soulevées dans le courrier du 14 décembre 2020, et que la société Medispro (SAS) refuse toujours de communiquer les éléments d'information malgré une sommation de communiquer,

- l'article L.225-108 du code de commerce, imposant que les questions soient adressées au plus tard 4 jours avant l'assemblée générale, ne sont pas applicables aux sociétés par actions simplifiées'; l'expertise de gestion de l'article L.225-231 du code de commerce est une procédure autonome qui ne renvoie pas à l'article L.225-108,

- l'expertise de gestion n'est pas sollicitée dans son intérêt personnel, notamment dans le cadre d'un détournement de clientèle, dès lors qu'il n'a pas inclus la liste des clients dans sa demande d'expertise et que le tribunal de commerce de Marseille, par jugement du 7 septembre 2021, n'a pas retenu les faits de concurrence déloyale invoqués contre lui par Monsieur X et la société Medispro (SAS),

- le conflit entre associés n'exclut pas une demande d'expertise de gestion,

- l'expertise de gestion n'est pas subordonnée à une action en nullité des délibérations sociales,

- le rachat des parts sociales a été évoqué à l'assemblé du 20 novembre 2020 de sorte qu'il n'a pas d'intérêt personnel et qu'en tout état de cause la valeur des titres est appréciée au regard de la sincérité des comptes et relève de l'intérêt commun,

- sa demande est recevable et il n'était pas tenu d'attendre la signification de l'ordonnance pour en interjeter appel

Ainsi, il demande à la cour de':

- le déclarer recevable en son appel et de rejeter la fin de non recevoir soulevée par la société Medispro (SAS),

- infirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a débouté Monsieur Y de toutes ses demandes, fins et conclusions, condamné Monsieur Y à payer à la société Medispro (SAS) la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles outre aux dépens, et rejeté tout surplus des demandes comme non justifié,

- ordonner une mesure d'expertise et commettre pour y procéder tel expert judiciaire qu'il plaira à la cour avec pour mission de':

- se rendre au siège de la société Medispro (SAS) ainsi qu'en tous autres endroits nécessaires et notamment dans les locaux de son établissement principal ou dans les locaux de l'expert comptable de celle ci,

- se faire remettre, notamment par l'expert comptable de la société Medispro (SAS) et prendre connaissance de tous documents utiles,

- étudier et donner son avis et dresser un rapport sur les opérations de gestion visées et décrites dans le corps des présentes conclusions, savoir':

- analyser le compte courant de Monsieur X et les opérations y contenues,

- analyser le compte charge locatives en l'état du contrat de location gérance conclu,

- analyser l'opération de convention de prise à bail à construction entre la société Medispro (SAS) et la SCI Dragon 1,

- analyser le compte «'autres dettes'» et en particulier la nature de la dette 3bPro

- dire que la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert devra être réalisée par la société Medispro (SAS),

- dire que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts de la cour,

- dire qu'en cas de difficultés, l'expert saisira le président qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la société Medispro (SAS),

- condamner la société Medispro (SAS) à lui payer la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens y inclus ceux de première instance

Par conclusions enregistrées le 20 juillet 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Medispro (SAS) fait valoir que':

- Monsieur Y, par le biais de la société La Comtesse de Provence dont il est l'associé unique, a obtenu, au moyen de mesures sollicitées par requête, tous les documents comptables de la société Medispro (SAS), lui permettant ainsi de se livrer à des actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière,

- une assemblée générale s'est tenue le 20 octobre 2020 et Monsieur Y, en application de l'article L.225-108 du code de commerce aurait dû faire parvenir ses questions au moins quatre jours avant l'assemblé générale,

- Monsieur Y n'avait pas circonscrit ses demandes à quatre points litigieux mais faisait référence au courrier du 14 décembre 2020,

- il est démontré que la société Medispro (SAS) a perdu une grosse partie de sa clientèle en raison de l'activité concurrente exercée par la société Comtesse de Provence et Monsieur Jean Claude Boyadjian espère par la présente procédure prospecter la clientèle de la société Medispro (SAS) et obtenir le rachat de ses titres,

- l'action de Monsieur Y tend à remettre en question des délibérations des assemblées générales ayant approuvé les comptes et il aurait dû agir en nullité des délibérations et non en saisissant le tribunal de commerce d'une demande d'expertise de gestion,

- l'expertise de gestion est sollicitée par Monsieur Y dans un intérêt personnel et porte sur des exercices clos au 31 décembre 2017 et au 31 décembre 2018,

La société Medispro (SAS) demande ainsi à la cour de':

- confirmer l'ordonnance de référé de Monsieur le Président du tribunal de commerce de Marseille en date du 22 avril 2021 en toutes ses dispositions,

- déclarer irrecevables les demandes de Monsieur Y,

- débouter Monsieur Y de toutes ses fins et demandes,

- condamner Monsieur Y à verser à la société Medispro (SAS) la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction

Monsieur X, cité à personne le 10 juin 2021 et en Etude d'huissier de justice, le 27 septembre 2021, n'a pas constitué avocat.

Le président a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 27 septembre 2021 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 25 octobre 2021.

A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 9 décembre 2021.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de constater que la demande de la société Medispro (SAS) tendant à déclarer les demandes de Monsieur Y «'irrecevables'», outre qu'elle ne précise pas le fondement juridique sur lequel elle s'appuie, relève manifestement de moyens au fond et sera dès lors examinée comme telle.

Sur l'expertise de gestion :

Aux termes de l'article L225-231 du code de commerce «'une association répondant aux conditions fixées à l'article L225-120, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes.

A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (..).

S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société (').'»

En l'espèce, le juge des référés a estimé à bon droit que l'expertise de gestion devait porter sur des opérations déterminées. Ainsi, en sollicitant, par acte introductif d'instance du 16 mars 2021, un «'rapport sur les opérations de gestion visées et décrites dans le corps de la présente assignation'» Monsieur Y n'a pas circonscrit les opérations précises pour lesquelles il existait une présomption d'irrégularité. En outre, le renvoi au corps des conclusions, auquel le juge des référés n'était pas tenu de procéder au demeurant, fait mention d'une «'expertise de gestion sur les opérations de gestion objet de l'interpellation du Président dans sa lettre du 14 décembre 2020'» étant relevé que ledit courrier fait état de questions et interrogations sur trois pages.

En conséquence, et nonobstant la modification des demandes en cause d'appel, la nature générale et imprécise des opérations sur lesquelles aurait dû porter l'expertise de gestion, suffisait à exclure l'application de l'article L.225-231du code de commerce par le juge des référés.

Au surplus, si les opérations de gestion visées ne relèvent pas nécessairement de l'assemblée des associés, la demande en désignation d'un expert ne peut avoir pour objectif de remettre en cause des comptes clos en 2017, 2018 et 2019, et ce alors même que ces exercices ont été approuvés en assemblées générales et que les délibérations de ces assemblées n'ont pas été contestées par la voie d'une action en nullité.

Enfin, si la mésentente entre associés ne fait pas obstacle à la demande d'expertise de gestion, encore est il nécessaire que le requérant démontre l'existence d'une présomption d'irrégularité des opérations contestées et que l'irrégularité constitue une menace pour l'intérêt social. En l'espèce, Monsieur Y n'apporte aucun élément probant permettant d'étayer ses affirmations quant au caractère anormal des opérations effectuées et à la menace pesant sur la société, et ce, alors même que ses demandes s'inscrivent par ailleurs dans un contexte de mésentente flagrante entre les deux associés et frères, notamment au regard des faits de concurrence déloyale dénoncés par la société Medispro (SAS), objets de diverses procédures devant le tribunal de commerce.

En revanche, le moyen tiré de l'inobservation de l'article L225-108 du code de commerce est inopérant en ce qu'il n'est pas applicable aux sociétés par actions simplifiées au visa de l'article L.227-1 du même code, et ne constitue pas en soi un obstacle à une demande fondée sur l'article L.225-231 dès lors que les conditions requises par cet article sont réunies.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance rendue le 22 avril 2021 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions.

Sur les frais et dépens':

Monsieur Y, partie succombante, conservera la charge des dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En revanche, il n'y a pas lieu à indemnité supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile au regard de l'indemnité d'ores et déjà allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance rendue le 22 avril 2021 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur Y aux entiers dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Déboute la société Medispro (SAS) de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.