Cass. com., 14 avril 2021, n° 19-12.808
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 23 novembre 2018), M. [J] et Mmes [Z], [M] et [X] ont, le 8 juillet 2006, conclu un contrat d'association avec masse commune relatif à l'exercice d'un cabinet de soins infirmiers. Le 1er avril 2009, un nouveau contrat a été signé avec Mme [P].
2. A la suite de la cession de la totalité de ses parts par Mme [X] et d'une partie de ses parts par M. [J], les parts et honoraires se sont trouvés répartis entre les parties à concurrence d'un tiers chacun pour M. [J] et Mme [P] et d'un sixième chacune pour Mmes [M] et [Z].
3. Le 2 octobre 2014, M. [J] et Mmes [P] et [M] ont informé Mme [Z] de leur intention de cesser leur collaboration avec elle.
4. Le 27 octobre 2015, Mme [Z] a assigné M. [J] et Mmes [P] et [M] principalement en paiement du prix de la vente de ses parts dans la société.
5. Mme [P] ayant, le 2 novembre 2015, notifié la dissolution de la société à Mme [Z] puis, le 5 novembre 2015, à M. [J] et à Mme [M], lesquels ont envoyé une lettre identique à Mme [Z] et fait paraître un avis de dissolution de la société dans un journal d'annonces légales, Mme [Z], soutenant que la société avait été dissoute de mauvaise foi et à contretemps, a demandé la condamnation de M. [J] et de Mmes [P] et [M] au paiement de dommages-intérêts et de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
7. M. [J] et Mmes [M] et [P] font grief à l'arrêt de dire que la société a été dissoute de mauvaise foi et à contretemps et de les condamner solidairement à verser à Mme [Z] diverses sommes au titre de ses parts sociales, à titre de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les associés, pourvu que cette notification soit de bonne foi, et non faite à contretemps ; que, quelles qu'en soient les raisons, l'utilisation par un des associés du chéquier de la société de fait pour ses besoins personnels est de nature à altérer la confiance nécessaire aux relations entre associés participant de l'affectio societatis et, partant, à établir que la dissolution prononcée par un ou plusieurs des associés est faite de bonne foi ; que la cour d'appel constate que Mme [Z] a émis douze chèques d'un montant total de 8 921 euros de mai à août 2014 sur le compte de la société de fait pour ses besoins personnels ; qu'en estimant néanmoins que la dissolution de la société de fait prononcée par ses associés n'était pas faite de bonne foi, quand aucune des circonstances invoquées par Mme [Z] tirées d'une erreur involontaire, de la présentation d'excuses à ses associés, d'une régularisation, de sa situation de santé, de prélèvements opérés par un autre associé, du paiement de notes d'honoraires d'avocat sur le compte de la société de fait et du refus d'accepter un remplaçant n'était de nature à affecter la matérialité des détournements justifiant une perte de confiance, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé la mauvaise foi des associés ayant prononcé la dissolution de la société de fait, a violé l'article 1872-2, alinéa 1er, du code civil ;
2°/ que lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les associés, pourvu que cette notification soit de bonne foi, et non faite à contretemps ; qu'en reprochant à Mmes [M] et [P] et à M. [J] d'avoir constitué une société civile professionnelle "cabinet de soins infirmiers de Trois Bassins" ayant débuté son activité le 1er octobre 2015, antérieurement à la dissolution de la société de fait en date du 2 novembre 2015 notifiée à Mme [Z], quand elle constatait que celle-ci avait néanmoins cessé toute activité au sein de la société de fait à compter du mois de novembre 2014, si bien qu'elle n'avait droit de ce fait à aucun honoraire depuis cette date, la cour d'appel a violé l'article 1872-2, alinéa 1er, du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir constaté que Mme [Z] avait, entre les mois de mai et août 2014, émis douze chèques, d'un montant total de 8 921 euros, tirés sur le compte de la société, puis relevé, d'un côté, que la plainte déposée par M. [J] et Mmes [P] et [M] avait été classée sans suite, de l'autre, que M. [J] avait effectué cinq virements du compte bancaire de la société du 21 mars au 16 avril 2014, d'un montant de 3 250 euros, pour des besoins personnels, qui n'étaient toujours pas remboursés à la date du 11 décembre 2014, l'arrêt retient qu'il est curieux que l'utilisation, par Mme [Z], du chéquier de la société ait entraîné une réaction si rigoureuse de la part de cette dernière cependant qu'elle avait immédiatement remboursé les chèques, qu'elle avait présenté ses excuses et qu'elle était atteinte d'une maladie grave pouvant expliquer l'erreur commise. L'arrêt relève ensuite que le remplaçant trouvé par Mme [Z] pour la période du 24 novembre 2014 au 30 décembre 2014 a été éconduit, le 11 novembre 2014, par M. [J], que les clés du cabinet ont été changées à la fin du mois de décembre 2014 afin de gêner Mme [Z] dans la reprise de ses fonctions et que M. [J] et Mmes [P] et [M] ont constitué une société civile professionnelle qui a débuté son exploitation avec la patientèle de la société de fait et dans ses locaux le 1er octobre 2015, antérieurement à la dissolution du 2 novembre 2015. L'arrêt relève encore que les trois co-associés de Mme [Z] ont cédé la part indivise de celle-ci à un tiers, cependant que Mme [Z] avait proposé à ce dernier un contrat de collaboration sur sa part dans le cabinet. Il retient enfin, par des motifs vainement critiqués par le premier moyen, pris en sa troisième branche, que M. [J] et Mmes [P] et [M] n'établissent pas que Mme [Z] ait proposé ses services à un autre cabinet d'infirmier à cette époque. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu que la dissolution de la société était intervenue de mauvaise foi et à contretemps et qu'elle a condamné M. [J] et Mmes [P] et [M] à payer diverses sommes à Mme [Z].
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. M. [J] et Mmes [M] et [P] font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à verser à Mme [Z] une certaine somme au titre de ses parts sociales, alors « que la valeur des droits du copartageant ne saurait être ni supérieure ni inférieure à sa quote-part dans l'indivision ; d'où il suit qu'en fixant à la somme de 55 000 euros la part de Mme [Z] dans l'indivision de la société de fait dissoute, sans s'assurer que cette somme correspondait à ses droits dans l'indivision dont elle constatait qu'ils étaient de 1/6ème, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 544 et 1872 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. Après avoir constaté que Mme [Z] détenait un sixième des parts de la société, l'arrêt relève que M. [J] et Mmes [P] et [M] ont cédé la part indivise de celle-ci à M. [N] pour le prix de 55 000 euros, ce dont il déduit qu'il convient d'allouer cette somme à Mme [Z] au titre sa part indivise dans les biens de la société. Par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
13. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir condamner M. [J] et Mmes [M] et [P] à lui payer diverses sommes au titre de sa part dans les bénéfices pour les années 2015 et 2016 et de la condamner à leur verser une certaine somme au titre des honoraires versés depuis le mois de novembre 2014, alors « que les associés d'une société en participation conviennent librement de l'objet, du fonctionnement et des conditions de la société, sous réserve de ne pas déroger aux dispositions impératives des articles 1832, 1832-1, 1833, 1836 (2e alinéa), 1841, 1844 (1er alinéa) et 1844-1 (2e alinéa) ; que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [Z] de ses demandes relatives aux honoraires impayés au titre des années 2015 et 2016 formées contre M. [J] et Mmes [M] et [P], et la condamner à rembourser à ceux-ci les honoraires qu'elle avait perçus depuis le mois de novembre 2014, la cour d'appel s'est bornée à affirmer qu'elle n'avait pas exercé d'activité au sein de la société sur cette période ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le contrat d'association avec masse commune conclu entre les parties le 8 juillet 2006 et reconduit le 1er avril 2009 n'accordait pas à Mme [Z] le droit de participer à la répartition des bénéfices, y compris au titre des périodes au cours desquelles elle n'avait pas exercé son activité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1871 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1871, alinéa 2, du même code, applicable aux sociétés créées de fait par renvoi de l'article 1873 :
14. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
15. Selon le second, les associés d'une société en participation conviennent librement de son objet, de son fonctionnement et de ses conditions, sous réserve de ne pas déroger aux dispositions impératives des articles 1832, 1832-1, 1833, 1836 (2e alinéa), 1841, 1844 (1er alinéa) et 1844-1 (2e alinéa).
16. Pour rejeter les demandes de Mme [Z] relatives aux honoraires pour les années 2015 et 2016 et la condamner à payer une certaine somme à M. [J] et à Mmes [P] et [M] au titre des honoraires versés depuis le mois de novembre 2014, l'arrêt relève que Mme [Z] a cessé toute activité au sein de la société à compter de cette date.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas des contrats d'association des 8 juillet 2006 et 1er avril 2009 que les parties étaient convenues de ce que leur part dans les résultats de la société serait déterminée à proportion de leur part dans les droits sociaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de Mme [Z] relatives aux honoraires pour les années 2015 et 2016, et en ce qu'il condamne celle-ci à verser à M. [J] et à Mmes [P] et [M] la somme de 12 080 euros au titre des honoraires versés depuis le mois de novembre 2014, l'arrêt rendu le 23 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée.