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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 22 octobre 2020, n° 20/01100

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

AZ et Cie (SARL), Innovative Real Estate Investment Solutions (Sasu)

Défendeur :

Officiis Properties (SA), FGREC (SARL), FGREF (SAS), CRREC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillou

Conseillers :

M. Rondeau, Mme Chopin

T. com. Paris, du 20 déc. 2019, n° 20190…

20 décembre 2019

Exposé du litige

La société Officiis Properties ( la société OP), anciennement Züblin immobilière France, dirigée par M. Philippe C. est une société d'investissement immobilier qui vend des immeubles de bureaux et a été cotée. A la suite de difficultés financières la société suisse Zihag qui la détenait s'est désengagée et depuis 2015 cette société a pour actionnaire majoritaire la société Real Estate, opportunities Fund (REOF1) au travers de sa filiale la société REOF holding.

M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions ('les actionnaires minoritaires') étaient des actionnaires minoritaires de cette société dirigée par M. Philippe C..

En 2015 et 2016, la société OP a souhaité renégocier un prêt arrivant à échéance au 31 décembre 2016 qui avait été consenti par la société Zihag à la société OP.

Celui-ci a été racheté par la société TwentyTwo Crédit 1 (la société TTC1) le 31 juillet 2015 puis renégocié lorsqu'il a été pressenti qu'il ne pourrait être remboursé à son échéance et qu'une prorogation était nécessaire.

Le 30 septembre 2016, après que la société FGREF, expert, a rendu un rapport sur les conditions financières du prêt, un avenant a été signé entre la société OP et la société TTC1 reportant le terme au 31 juillet 2020 et portant à 14% le taux d'intérêts annuel, capitalisé annuellement.

Relevant des conventions réglementées au sens de L 225-38 du code de commerce, cet avenant a été soumis à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires qui l'a approuvé le 7 juillet 2017, M. R., administrateur de la société OP, également administrateur de la société TTC1 n'ayant pas pris part au vote.

Soutenant une fraude en raison des liens d'intérêts supposés entre d'une part certains administrateurs et l'actionnaire majoritaire de la société OP et d'autre part la société TTC1 créancière, les trois actionnaires minoritaires ont saisi le président du tribunal de commerce de Paris d'une requête tendant à voir ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 19 avril 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné un huissier avec pour mission notamment de:

- se rendre aux sièges des sociétés CRREC, FGREF, FGREC (les sociétés du groupe FGREF ) ou dans tout autre local dans lequel ces sociétés exercent leur activité,

- se faire remettre ou rechercher:

le rapport définitif de la société FGREF sur la renégociation du prêt TTC1,

tous les documents de travail relatifs à ce rapport,

tous les échanges d'emails, y compris les pièces jointes, intervenus entre le 1er juillet 2015 et le 30 juillet 2017 concernant des travaux d'élaboration du rapport sur la renégociation du prêt TTC1 et les échanges consécutifs à ces travaux,

pour ce faire, prendre copie de tout document courrier courriel sur quelque support que ce

soit échangés pendant la période concernés et finissant par (suit la liste d' adresses emails) comportant au moins l'un des mots clés suivants (suit la liste des mots clés)

L'huissier a exécuté sa mission le 9 mai 2019 et les documents saisis ont été placés sous séquestre.

Le 6 juin 2019 un projet d'offre publique de retrait a été déposé à l'AMF, suivi d'une procédure de retrait obligatoire dont l'AMF a constaté qu'elle remplissait les conditions légales, de sorte que le 17 octobre 2019 la société OP a été retirée de la bourse. M. A., la société AZ et Cie et la société Innovative real estate investment solutions ne sont donc plus actionnaires de la société OP.

Par acte du 7 juin 2019, M. Philippe C. et la société OP ont assigné les actionnaires minoritaires devant le juge des référés en rétractation de l'ordonnance pour voir:

A titre principal :

- constater que les trois actionnaires minoritaires n'ont justifié d'aucun motif légitime pour solliciter la mesure d'instruction prescrite,

- constater qu'ils n'ont pas justifié qu'il soit dérogé au principe de la contradiction,

- en conséquence, rétracter l'ordonnance du 19 avril 2019,

- ordonner la restitution des documents saisis aux sociétés du groupe FGREF,

A titre subsidiaire:

- constater l'existence d'une contestation sérieuse qui excède les pouvoirs du juge des référés

- juger qu'il appartiendra au juge qui sera le cas échéant chargé de statuer sur le fond de se prononcer sur la mainlevée du séquestre et de décider du sort des documents séquestrés,

- en tout état de cause, condamner les trois actionnaires minoritaires à verser à la société OP la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par actes des 6 et 7 juin 2019, les sociétés du groupe FGREF ont assigné les actionnaires minoritaires devant le juge des référés pour voir:

A titre principal :

- constater l'absence de motif légitime des trois actionnaires minoritaires,

- constater le défaut d'utilité et de pertinence de la mesure entreprise,

- en conséquence, prononcer la rétractation de l'ordonnance du 19 avril 2019,

- dire que cette ordonnance est nulle et non avenue et que la saisie pratiquée à son visa est annulée,

- rejeter la demande de mainlevée de séquestre formée par les trois actionnaires minoritaires,

A titre subsidiaire, si le juge refusait de rétracter l'ordonnance:

- rejeter les demandes subsidiaires de M. C. et de la société OP visant à réserver la levée de séquestre au juge du fond qui pourrait être ultérieurement saisi,

- autoriser les sociétés du groupe FGREF à faire exclure de la saisie les pièces protégées par le secret des affaires et en conséquence, autoriser la levée de séquestre des documents saisis de manière circonscrite,

- en conséquence, modifier l'ordonnance du 19 avril 2019 afin d'exclure du périmètre de la saisie les pièces qui seront jugées confidentielles,

En tout état de cause:

- condamner solidairement les trois actionnaires minoritaires à verser aux sociétés du groupe FGREF la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- les condamner solidairement à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les actionnaires minoritaires se sont opposés à ces demandes en faisant valoir que les circonstances justifiaient de retarder l'instauration d'un débat contradictoire.

Par ordonnance de référé du 20 décembre 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a:

- rétracté l'ordonnance du 19 avril 2019,

- dit que l'huissier instrumentaire conservera en séquestre les pièces saisies jusqu'à une décision éventuelle d'appel et qu'elles pourront être détruites s'il n'est pas interjeté appel de cette ordonnance ou après que l'appel éventuel soit purgé par une décision autorisant cette destruction,

- condamné les trois actionnaires minoritaires aux dépens.

Le juge a estimé que la mesure d'instruction était bien justifiée par un motif légitime, les conditions douteuses de renégociation du prêt TTC1 rendant possible une action au fond ultérieure en responsabilité des actionnaires minoritaires mais qu'en revanche la nécessité de déroger au principe du contradictoire n'était pas établie, puisqu'il n'existait pas de risque que les sociétés du groupe FGREF détruisent les documents sollicités, s'agissant de documents officiels et parce que les actionnaires minoritaires auraient tout aussi bien pu solliciter une expertise de gestion, procédure régie par le code de commerce.

Par deux déclarations du 6 janvier 2020 qui ont été jointes sous le numéro 20/01264, M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions ont fait appel de cette décision, critiquant chacun des chefs de l'ordonnance.

Aux termes de leurs conclusions remise au greffe le 19 mai 2020, ils demandent à la cour de:

- déclarer recevable leur appel,

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- juger que la mesure ordonnée le 19 avril 2019 et exécutée le 9 mai 2019 répond aux conditions de l'article 145 du code de procédure civile et repose sur des circonstances justifiant de retarder l'instauration d'un débat contradictoire,

- rejeter en conséquence les demandes de rétractation de l'ordonnance,

- condamner solidairement les sociétés du groupe FGREF, M.C. et la société OP à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les trois actionnaires minoritaires ont développé en substance les éléments suivants:

- des éléments laissent suspecter l'existence d'un conflit d'intérêt puisque sur les 6 membres du conseil d'administration de la société OP, trois sont directement liés à M. Daniel R., lequel n'a pas pris part au vote car il était également le gérant de la société TTC1, M. C. et Mme Anne G., étant rémunérés par la société Scaprim détenue à 70% par M. R.,

- les conditions de renégociation du prêt interrogent puisque ce prêt n'a été renégocié qu'en 2016 à quelques mois de l'échéance et non lors des restructurations de 2015,

- les demandes amiables de communication du rapport de First Growth real estate, mandaté en qualité d'expert financier indépendant, n'ont jamais abouti, alors que le directeur général de la société s'y était publiquement engagé et que cette publication est recommandée et d'usage,

- des éléments de fait permettent de supposer que ce rapport n'a pas été commandé avant mais après la réalisation de l'opération dans le but non de la préparer mais de la justifier,

- un rapport préalable effectué par un expert indépendant (Farthouat finance) avait préconisé le maintien des conditions du prêt à 8,5%,

- des dissimulations ont eu lieu sur une rétrocession de plus value, y compris peut être à l'AMF,

- la mise en cause de FGREF est justifiée car c'est au vu de son rapport que les décisions ont été prises,

S'agissant du motif légitime et de leur qualité à agir:

- l'article 145 n'impose pas au demandeur à l'action qu'il prouve la réalité des faits invoqués mais seulement qu'il prouve qu'une action au fond est envisageable,

- la jurisprudence a notamment reconnu que ce motif légitime pouvait être tiré d'une éventuelle action ut singuli d'actionnaires minoritaires,

- En l'espèce, les actionnaires peuvent envisager des actions sur plusieurs fondements:

action en responsabilité ut singuli,

action en nullité pour fraude de l'avenant portant renégociation du prêt TTC1,

actions en responsabilité pénale sur le fondement de l'abus de biens sociaux,

L'éviction des actionnaires minoritaires par l'effet du retrait obligatoire n'a d'incidence que sur leur action ut singuli mais non sur les autres fondements,

- l'opération a manqué de transparence alors que le refus de communiquer le rapport de la société FGREF est contraire aux recommandations de l'AMF,

- en apposant son visa sur l'opération de retrait, l'AMF n'a en rien validé la licéité de la renégociation du prêt TTC1 de 2016,

- la renégociation litigieuse du prêt TTC1, très défavorable à la société OP a causé un grave préjudice à cette société entre 2016 et 2019, correspondant au coût de l'augmentation du taux d'intérêt, et les liens existant entre M. C. et la société TTC1 sont indiscutables,

- contrairement à ce qu'affirme le groupe FGREF, l'article 145 n'impose pas que le procès éventuel qui sert de motif légitime à la mesure d'instruction soit envisagé à l'encontre de celui qui subit la mesure sollicitée et il est tout à fait possible de demander une mesure d'instruction qui vise un tiers au litige au fond,

- la mesure d'instruction est fondée, indépendamment du fait que le groupe FGREF ait participé à la fraude que dénonce les trois actionnaires et c'est cette société qui détient les échanges et le rapport préalables à la renégociation, la société OP ayant refusé de le communiquer,

- aucune atteinte au secret des affaires n'est à craindre s'agissant d'un rapport datant de 2016 et contenant des informations sur des transactions datant de 2015.

- la dérogation au principe du contradictoire était justifiée pour éviter toute destruction des documents sollicités, en l'espèce les documents de travail et les emails relatifs au rapport sur la renégociation du prêt ainsi que les pièces annexes au rapport, risque qui est réel compte tenu de la grande opacité dont font preuve les intimés.

- dès lors c'est à tort que, pour rétracter l'ordonnance sur requête, le juge a estimé que les actionnaires auraient pu obtenir le rapport par d'autres moyens, alors que les actionnaires ne souhaitaient pas obtenir seulement le rapport mais également les documents annexes, dont notamment les échanges d'emails l'ayant entouré, et qu'ils ne disposaient pas du pourcentage de capital nécessaire pour demander une expertise de gestion, laquelle en tout état de cause n'interdit pas la mesure ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Par conclusions communiquées par la voie électronique le 18 mai 2020, M. C. et la société OP demandent à la cour de:

A titre principal :

- confirmer l'ordonnance entreprise,

- ordonner la restitution des documents saisis aux sociétés du groupe FGREF,

A titre subsidiaire:

- constater l'existence d'une contestation sérieuse qui excède les pouvoirs du juge des référés

- juger qu'il appartiendra au juge qui sera le cas échéant chargé de statuer sur le fond de se prononcer sur la mainlevée du séquestre et de décider du sort des documents séquestrés,

- en tout état de cause, condamner les trois actionnaires minoritaires à verser à la société OP la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. C. et la société OP exposent en résumé ce qui suit:

- les actionnaires minoritaires n'ont plus de motif légitime puisque n'étant plus actionnaires depuis le 17 octobre 2019 ils ne pourraient intenter aucune des actions qu'ils envisagent et qu'ils n'étaient actionnaires ni lors de la décision de renégocier le prêt, ni lorsqu'elle a été approuvée en 2017 puisqu'ils n'ont acquis d'actions qu'en 2018,

- ne disposant d'aucune action au fond, la levée du séquestre est inutile et le litige sans objet l'ordonnance devant être confirmée,

- ces actions ne peuvent en outre en aucun cas prospérer au fond, étant prescrites

- aucun élément ne justifie d'une quelconque fraude dans la renégociation du prêt, le taux de 14% étant celui du marché à cette date et les actionnaires n'apportant aucun élément qui permettrait d'en douter; en outre les accusations de conflit d'intérêt ne sont qu'alléguées, M. C. n'ayant aucun intérêt financier dans la société TTC1 et le conseil d'administration de la société OP l'ayant accepté la signature de l'avenant,

- La renégociation du prêt a sauvé la société de la liquidation judiciaire et a été particulièrement rentable pour les actionnaires minoritaires, qui n'ont pas été spoliés,

- les trois anciens actionnaires, professionnels de la finance, sont des spéculateurs qui sont entrés au capital de la société OP après la renégociation du prêt, début 2018 TTC1, croyant pouvoir en tirer profit et leur action n'est intentée qu'en raison de leur déception à ce sujet,

- il prétendent avoir subi un préjudice du fait la société OP aurait perdu 19,5 millions d'euros sur 3 ans, mais la hausse du taux d'intérêt était inévitable, le prêt TTC1 arrivant à échéance et ne pouvant être remboursé et les actionnaires ont été indemnisés de cette hausse dans le cadre de la procédure de retrait obligatoire d'octobre 2019,

- les appelants n'ont de toute façon subi aucun préjudice, étant entré au capital de la société en 2018, soit bien après la renégociation,

- il n'existe donc aucun lien de cause à effet entre la prétendue faute des dirigeants de la société OP et la perte financière subie par les trois anciens actionnaires.

S'agissant du principe de la dérogation au principe de la contradiction:

- en l'espèce, l'ordonnance ne justifie en rien pourquoi, dans le cas d'espèce, le principe du contradictoire pourrait être écarté, la simple référence à un risque abstrait de dépérissement des preuves est insuffisant,

- la société FGREF, qui n'est pas visée par les éventuelles actions des trois anciens actionnaires, n'avait aucun intérêt à détruire les preuves recherchées et M. C. et la société OP n'avaient eux aucun moyen de les détruire,

- rien ne laisse supposer que les dirigeants de la société OP aient tenté de dissimuler les conditions de renégociation du prêt,

- à titre subsidiaire, il appartiendra au juge saisi au fond de statuer sur la mainlevée du séquestre.

Par conclusions communiquées par la voie électronique le 18 mai 2020, les sociétés CRREC, FGREF, FGREC demandent à la cour de:

A titre principal :

- constater l'absence de motif légitime des trois actionnaires minoritaires,

- constater le défaut d'utilité et de pertinence de la mesure entreprise,

- constater l'inadmissibilité de la mesure entreprise à tout le moins s'agissant des documents de travail de la société FGREF lesquels sont couverts par le secret des affaires,

- constater l'absence de justification qu'il soit dérogé au principe de la contradiction,

- en conséquence, confirmer l'ordonnance entreprise,

A titre subsidiaire, si la cour venait à infirmer l'ordonnance entreprise:

- débouter la société OP et M. C. de leur demande subsidiaire visant à solliciter du juge du fond qu'il statue sur la mainlevée du séquestre,

- renvoyer l'affaire au président du tribunal de commerce de Paris afin qu'il puisse statuer sur les documents séquestrés qui sont couverts par le secret des affaires aux fins de restitution à la société FGREF,

En tout état de cause:

- condamner solidairement les trois actionnaires minoritaires à verser aux sociétés du groupe FGREF la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- les condamner solidairement à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les sociétés du groupe FGREF soutiennent en substance:

S'agissant de l'absence de motif légitime et de l'irrecevabilité de l'action éventuelle:

- le motif légitime implique que le demandeur à la mesure d'instruction puisse envisager une action au fond,

- l'action ut singuli de l'article L. 225-252 du code de commerce envisagée par les trois anciens actionnaires est irrecevable dès lors qu'ils ont perdu la qualité d'actionnaires depuis le 17 octobre 2019,

- contrairement à ce qu'affirment les trois anciens actionnaires, le juge n'avait pas à se placer au jour de l'ordonnance sur requête (quand les demandeurs étaient encore actionnaires) pour apprécier leur motif légitime mais au jour où il a statué en référé (alors qu'ils n'étaient plus actionnaires).

- les anciens actionnaires évoquent la possibilité d'agir en nullité de l'acte de renégociation du prêt TTC1 mais ce fondement, différent de celui invoqué en première instance ne peut être retenu,

S'agissant de l'absence de motif légitime :

- Pour qu'il y ait motif légitime, le demandeur à la mesure d'instruction doit également prouver que son action future n'est pas vouée à l'échec,

Or les accusations des actionnaires minoritaires ne se basent sur aucune pièce sérieuse et le taux d'intérêt de 14 %, qui est au coeur des récriminations des trois anciens actionnaires, était conforme au taux du marché ce que ces professionnels de la finance ne peuvent ignorer, d'autant que l'un d'eux avait fait appel à la société FGREF en 2012 pour une autre affaire et avait constaté que ce taux était normal dans ce type d'affaires.

S'agissant de l'inutilité de la mesure:

- quand bien même les trois anciens actionnaires disposeraient d'un motif légitime, la mesure d'instruction demandée est inutile et disproportionnée, puisqu'une éventuelle fraude ressortirait des simples conditions du prêt, que les trois anciens actionnaires auraient très bien pu agir immédiatement au fond contre les dirigeants de la société OP et demander incidemment une communication de pièces, et qu'une demande de communication portant spécifiquement sur les documents de travail de la société FGREF est totalement injustifiée et se heurte au secret des affaires d'autant que l'un des actionnaires évincés a une activité de conseil financier,

- la dérogation au principe de la contradiction ne peut être acceptée sur une simple affirmation générale non étayée selon laquelle en absence d'effet de surprise, il existait un risque que le groupe FGREF détruise les documents sollicités,

S'agissant de la mainlevée du séquestre :

- La société OP souhaite que la question de la mainlevée du séquestre soit laissée à la compétence du juge du fond, cependant, rien n'empêche le juge des référés de statuer lui-même sur la mainlevée du séquestre, le juge devant protéger le secret des affaires (article R. 153-1 du code de commerce), et la société FGREF ne peut pas attendre, pour récupérer ses documents, d'être attraite à une action au fond qui sera jugée irrecevable et à laquelle elle ne sera pas, en tout état de cause, partie, s'agissant d'un litige entre les trois anciens actionnaires et la société OP, de sorte que la cour doit elle-même statuer sur la mainlevée du séquestre et rendre les documents saisis au groupe FGREF.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur la recevabilité de la requête :

Dans l'affaire soumise à l'examen de la cour, la requête afin de mener des mesures d'investigation au siège de la société FGREF a été formée au nom de trois personnes, physiques et morales, qui ne sont plus actionnaires de la société OP ce qui, selon les intimées, les rend irrecevables à agir pour défaut d'intérêt et de qualité.

L'article 145 du code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de 'tout intéressé'.

Selon l'article 31 du code de procédure civile "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé."

La 'personne intéressée' est donc celle qui prétend qu'une atteinte a été portée à un droit lui appartenant et qui profitera personnellement de la mesure qu'elle réclame.

En revanche, la qualité pour agir n'intervient qu'à titre exceptionnel et s'agissant des seules actions attitrées, c'est-à-dire de celles que la loi réserve à certaines personnes.

Toutefois, la démonstration d'une qualité n'est pas une condition posée par l'article 145 du code de procédure civile pour obtenir une mesure d'instruction avant tout procès, qui permet une action ouverte à toute personne qui démontre seulement un intérêt à agir. Il convient en outre de rechercher si elle est légitime en ce sens qu'elle n'est pas d'ores et déjà manifestement vouée à échec.

Ces intérêt et qualité doivent en principe être appréciés au jour de l'introduction de l'action mais il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.

Cette voie de contestation n'étant donc que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

L'action sociale est celle qui tend à la réparation du préjudice subi par la société elle-même. Elle appartient en principe à la société mais tout associé peut néanmoins, par exception aux règles gouvernant la représentation de la personne morale, exercer cette action ut singuli. Cette action est donc attitrée et, si les appelants possédaient cette qualité lorsqu'ils ont demandé la mesure d'instruction, ils n'en disposent plus désormais, n'étant plus actionnaires à la suite de la procédure de retrait forcé, de sorte que l'action au fond qu'ils entreprendraient par la suite ne leur est plus ouverte et que la mesure demandée n'est à cet égard plus 'légitime' au sens de l'article 145 précité, puisque vouée à l'échec.

Quant à l'action individuelle, qui tend à la réparation d'un préjudice personnellement et directement subi par l'associé ou l'actionnaire, elle supposerait en l'espèce la démonstration non d'un préjudice subi par la société elle-même mais par les trois anciens actionnaires qui l'intentent eux-mêmes.

Or il est établi que ceux-ci n'étaient actionnaires ni lors de la décision de renégocier le prêt dont s'agit en 2015 et 2016, ni lorsqu'il a été approuvé en 2017, et que lorsqu'ils ont acquis des actions ce prêt était déjà contracté.

Ils soutiennent néanmoins que ce prêt a été consenti à un taux beaucoup trop élevé et qu'il a fait perdre 20 millions d'euros d'intérêts par an à la société et que ce taux excessif n'est pas étranger aux liens existants entre la société OP et la société TTC1.

La société OP réplique que la société TTC1 n'est pas actionnaire de la société OP et n'a pas de lien capitalistique avec elle, qu'elles ont seulement un administrateur commun, lequel s'est abstenu lors du vote d'approbation de la renégociation du prêt, qu'il a déjà été répondu aux questions que se posent les actionnaires minoritaires et que les circonstances dont l'état financier de la société OP et la vacance de 50% des immeubles loués expliquent le taux négocié à une époque où son endettement, de plus de 95%, ne lui permettait pas d'obtenir un tel prêt d'une banque.

Les actionnaires minoritaires établissent en l'espèce que l'augmentation importante du taux d'intérêt du prêt est susceptible d'avoir affecté les résultats de la société et par voie de conséquence les dividendes éventuels. Ils démontrent donc leur intérêt à agir et à ce stade de la procédure ils n'ont pas à démontrer la réalité de leur préjudice, lequel est contesté puisqu'ils sont devenus actionnaires alors que la société connaissait des difficultés et que leurs pertes ne sont pas établies.

S'agissant de l'absence totale de chance d'aboutir rendant toute action vaine, il ne peut en être préjugé à ce stade de la procédure puisque, si l'avenant au prêt date en effet de septembre 2016, les actionnaires minoritaires n'étant pas actionnaires à cette date, ils ne pouvaient en avoir connaissance.

Toute action n'est donc pas, a priori, vouée à l'échec.

Quant aux mesures demandées et à la dérogation au principe du contradictoire:

Les intimés soutiennent que les mesures demandées ne sont pas nécessaires aux actions envisagées, qu'une demande de désignation d'un expert sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce suffirait et qu'elles ne justifient pas qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.

Cependant cette demande ne peut être présentée que par un ou plusieurs actionnaires détenant soit individuellement soit en se regroupant sous quelque forme que ce soit, au moins 5 % du capital et il n'est pas établi que tel ait été le cas en l'espèce puisque si le rapport de l'AMF sur la mise en oeuvre du retrait obligatoire fait état de ce que 6,72% du capital et des droits de vote de la société n'ont pas été présentés à l'offre par les actionnaires minoritaires, il n'est pas établi que M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions représentent à eux seuls plus de 5% du capital.

En vertu des articles 875 et 145 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête une mesure d'instruction lorsque les circonstances exigent qu'elle ne soit pas prise contradictoirement.

L'éviction du contradictoire, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète les motifs pour lesquels il est impossible de procéder au cas d'espèce contradictoirement et ce, dès la requête.

En l'occurrence, la cour relève que, lors des débats très houleux consignés par un huissier de justice lors de l'assemblée du 28 juin 2019, les demandes des actionnaires, dont M. A., ont porté sur des explications quant aux circonstances de la conclusion de l'avenant au prêt dit TTC1, à la publication du rapport de la société First Growth real estate, à la justification des options stratégiques (mise ou non en sauvegarde de la société en 2016), sur une éventuelle faute des commissaires aux comptes, sur les liens entre certains administrateurs et la société TTC1 laissant entrevoir un éventuel conflit d'intérêts.

Aucun de ces éléments ne justifie la dérogation à la procédure contradictoire, ces éléments pouvant tous être produits, librement par la société ou à la demande de la juridiction à un tiers, et discutés de façon contradictoire.

En effet, la production du rapport établi par la société First Growth real estate ne suppose aucun effet de surprise et il a d'ores et déjà été réclamé à plusieurs reprises, y compris avant la requête.

Dans leur requête les actionnaires minoritaires en sont d'ailleurs convenus.

La production des documents de travail ayant servi à l'établissement du rapport sont nécessairement énoncés et travaillés dans le cadre de ce rapport et de ce point de vue la demande de production de ces documents ne suppose pas davantage de méconnaître le principe de la contradiction.

Les appelants ajoutent cependant que 'la fourchette de taux retenu par l'expert entre 7,5% et 15% laisse songeur'. Cette seule assertion, aisément discutable devant une juridiction, ne caractérise pas la nécessité de production d'autres éléments que le rapport précité et les documents ayant permis de l'établir, puisqu'il peut également être décidé de faire établir un nouveau rapport dans le cadre d'une action au fond si elle était jugée recevable, ces éléments suffisants à apprécier le caractère ou non excessif du taux pratiqué.

Enfin la saisie des emails échangés entre la société OP et la société First Growth real estate en vue de la commande de ce rapport ne peut être ordonnée non contradictoirement sur de simples allégations car si la requête fait état d'un contexte laissant craindre des conflits d'intérêts et un taux particulièrement favorable au créancier, les requérants se contentent de mentionner que 'si la société ou ses mandataires étaient prévenus, ils pourraient ordonner la destruction de toutes les traces de leurs agissements et des tractations réelles à l'origine de l'établissement de ce rapport', ce qui, outre qu'elle n'est étayée par aucune circonstance concrète, ne suffit pas à caractériser l'existence de risques de dissimulation de la part de l'expert chez qui la mesure d'instruction est sollicitée alors qu'aucun élément de la requête ne laisse supposer une collusion entre la société et l'expert sollicité dont le rapport peut être discuté et critiqué et que la date à laquelle le rapport a été commandé ressortira de la lecture du rapport et de sa date de transmission.

Il ne se déduit pas du contexte décrit un risque de manipulation ou dissimulation de la part de la société First Growth real estate, cabinet indépendant de la société OP, pourtant visée par la requête et si les échanges entre l'expert et la société OP devaient être considérés par la suite comme utiles, rien ne permet à ce stade de craindre un risque de dépérissement.

Au vu de ces considérations, il convient d'une part de confirmer l'ordonnance rendue en ce qu'elle a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 19 avril 2019 et par conséquent d'autre part d'ordonner la restitution aux sociétés FGREF, FGREC et CREEC des documents saisis.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive:

La seule confirmation de la décision de première instance ne suffit pas à établir le caractère fautif du recours introduit, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée, la société OP n'ayant pas produit le rapport demandé alors que son dirigeant s'y était engagé.

PAR CES MOTIFS

Dit l'appel recevable,

Confirme l'ordonnance du 20 décembre 2019 en ce qu'elle a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 19 avril 2019,

Y ajoutant,

Déboute les sociétés FGREF, FGREC et CREEC de leur demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Ordonne la restitution aux sociétés FGREF, FGREC et CREEC des documents saisis,

Condamne in solidum M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions à payer aux sociétés FGREF, FGREC et CREEC la somme totale de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions à payer à la société Officiis Properties la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. Julien A., la SARL AZ et Cie et la SARL Innovative Real Estate Investment Solutions aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.