CA Bastia, ch. civ. b, 8 décembre 2010, n° 09/00697
BASTIA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Corse Provence 'Le Clos Des Amandiers' (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brunet
Conseillers :
M. Hoareau, Mme Alzeari
Avoués :
Me Canarelli, Me Albertini
Avocats :
Me Retali, Me Eon
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Suivant acte notarié en date du 23 juin 1958 Monsieur Barthélemy M. a donné à bail à la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' pour une période de 40 années à compter du 1er juillet 1958 deux parcelles de terrain moyennant le paiement d'un loyer annuel de 300 000 fr.
Monsieur M. étant décédé le 18 novembre 1958, sa petite-fille Madame Marie-Josée O. a recueilli dans sa succession les biens immobiliers susvisés.
La SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' a édifié sur les lieux une résidence hôtelière et l'exploite conformément aux clauses du bail .
Par courrier du 1er décembre 1997, la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' a sollicité le renouvellement du bail pour une durée de 20 ans.
Par courrier du 17 décembre 1997, Madame Marie-Josée O. a refusé cette demande indiquant que le bail serait emphytéotique et rappelé la clause de remise en état.
Vu le jugement en date du 28 février 2006 par lequel le Tribunal de grande instance de Bastia a déclaré recevable mais mal fondée la demande de qualification du bail liant les parties en bail commercial, débouté la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' de toutes ses demandes, débouté Madame Marie-Josée O. de sa
demande de dommages-intérêts et condamné la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' à payer à Madame Marie-Josée O. une indemnité de 2.500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu l'arrêt en date du 24 octobre 2007 par lequel la Cour d'appel de Bastia a confirmé le jugement entrepris dans sa disposition qui déboutait la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' de sa demande visant à lui faire reconnaître un droit au renouvellement du bail , en considération du caractère non commercial de celui-ci, et dans ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens, a infirmé pour le surplus le jugement du 28 février 2006 et statuant à nouveau, dit que le bail passé le 23 juin 1958 entre les parties était un bail emphytéotique et, y ajoutant, débouté Madame Marie-Josée O. de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour appel abusif et condamné la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' à payer à Madame Marie-Josée O. la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu l'arrêt en date du 29 avril 2009 par lequel la Cour de Cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 24 octobre 2007 par la Cour d'appel de Bastia , remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyé devant la Cour d'appel de Bastia autrement composée.
Vu la déclaration de saisine sur renvoi de cassation déposée par la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' le 28 juin 2009.
Vu les dernières conclusions de la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' en date du 23 septembre 2009.
Elle prétend à la réformation du jugement du Tribunal de grande instance de Bastia en date du 28 février 2006 en ce qu'il a refusé la qualification de bail commercial à la convention du 23 juin 1958.
Elle sollicite donc que ladite convention soit considérée comme un bail commercial et qualifiée comme tel se trouvant donc soumise aux dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce.
Elle prétend donc au droit au renouvellement .
Elle réclame le paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions déposées dans l'intérêt de Madame Marie-Josée O. le 4 février 2010 .
Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et le débouté pur et simple de La SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS'.
Elle soutient que la convention litigieuse est soumise au droit commun des contrats de location et, est très éloignée des dispositions du décret de 1953. Elle ajoute qu'elle procède d'un équilibre recherché par les parties entre la situation très avantageuses de cette locataire pendant la durée du bail et la certitude pour le propriétaire de recouvrer son bien en son état primitif au terme de la location.
Elle réclame le paiement des sommes de 5.000 €à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 19 mai 2010 ayant renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 6 septembre 2010 .
L'affaire a été renvoyée au 28 octobre 2010 date à laquelle elle a été mise en délibéré.
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MOTIFS :
Attendu sur la qualification et d'une part, que le bail conclu le 3 juin 1958 portait sur la location de deux terrains nus d'une contenance totale de plus de 4 ha ; qu'il y est expressément stipulé que la société preneuse avait le droit de construire sur les lieux loués des hôtels pavillonnaires en vue de la location à des tiers, ou tout autre exploitation commerciale ainsi que café , restaurant, qu'il plairait à la société d'édifier pour répondre au but de fixer dans les statuts ; que la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' a effectivement fait édifier sur les lieux un hôtel pavillonnaire et se livre depuis à une activité commerciale consistant en l'exploitation hôtelière de l'immeuble ;
Attendu qu'il résulte de cette disposition contractuelle que la commune intention des parties était, au moment du bail , de destiner les terrains à l'exploitation d'un commerce ; que les parties sur ce point ont même entendu préciser que les constructions autorisées étaient destinées à répondre aux objectifs des statuts de la société ;
Attendu qu'à la rubrique révision du loyer, les parties, concernant le prix du bail révisé, ont entendu expressément se référer aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 modifié ; que cet élément vient également sous-tendre la commune intention des parties quant à la conclusion d'un bail commercial ;
Attendu que le fait que des tractations postérieures à l'année 1998 soient intervenues pour la conclusion d'un bail commercial ne vient pas utilement contredire la commune intention des parties d'en conclure un en 1958 ; qu'en effet la nature des courriers échangés permet surtout de constater la volonté des parties de régulariser un bail avec un loyer révisé et de nature à prendre en compte une valeur locative plus adaptée des lieux loués ;
Attendu enfin qu'à l'expiration des 40 années pour lequel le bail avait été conclu initialement, il est constant que la locataire a été laissée dans les lieux sans que Madame Marie-Josée O. ne lui fasse injonction précisément de libérer les lieux et de les remettre en état ; qu'en effet le courrier du 17 décembre 1997 par lequel cette dernière répondait à la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' sur sa demande de renouvellement ne saurait constituer une notification de refus de renouvellement ou une demande de libérer les lieux et de les remettre en l'état ;
Attendu d'autre part qu'en application de l'article L. 145-1 I , les dispositions du chapitre sur le bail commercial s'appliquent aux baux de terrains nus sur lesquels ont été édifiées, soit avant, soit après le bail , des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire ;
Attendu qu'en vertu de ces dispositions, le statut des baux commerciaux a vocation à s'appliquer aux baux de locaux stables et permanents dans lesquelles est exploité un fonds de commerce, ce fonds devant se caractériser par l'existence d'une clientèle propre ; que l'existence et la réalité d'un tel fonds n'est pas contestée par Madame Marie-Josée O. ;
Attendu sur les conditions essentielles à l'application du statut des baux commerciaux qu'en l'espèce l'existence et la validité du bail ne sont pas contestées ; qu'il a été conclu en la forme authentique dans la mesure où il devait durer plus de 12 ans ;
Attendu surtout qu'il concerne la location de terrains nus sur lesquels ont été édifiée une construction à usage commercial après sa conclusion et avec le consentement exprès du propriétaire ; qu'un fonds est exploité depuis lors et que le bénéfice du statut des baux commerciaux est revendiqué par le propriétaire du fonds exploité dans les lieux loués, ce dernier ayant la qualité de commerçant ;
Attendu que les parties ont même apporté une réponse claire dans le bail sur le sort des constructions à la fin de celui-ci ou sur les modalités d'occupation des lieux notamment au regard des dispositions des articles 555 et 1730 du Code civil ;
Attendu que dans ces conditions il convient de considérer que la convention liant les parties constitue un bail commercial au sens des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce ; que dans cette mesure, les dispositions d'ordre public du statut ne sauraient être écartées ;
Attendu notamment qu'en application de l'article L. 145-15 du code de commerce, sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec aux droits de renouvellement institué par le décret ; qu'ainsi une clause imposant au preneur la remise en état du terrain ne peut affecter, à peine de nullité, le droit au renouvellement de ce dernier ; que la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' a donc droit au renouvellement du bail ;
Attendu qu'en succombant sur sa demande de qualification, Madame Marie-Josée O. sera déboutée en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que Madame Marie-Josée O., qui succombe, doit supporter la charge des dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile et être déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du même code ; qu'en revanche, aucune raison d'équité ne commande l'application de cet article au profit de la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS'.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Bastia en date du 28 février 2006 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit et juge que le bail en date du 23 juin 1958 liant les parties et portant sur un immeuble dénommé 'CHIOSO LONGO' sis sur le territoire de la commune de Calvi, cadastré n°77 sections D sous la dénomination de 'PADULE' d'une contenance de 2 ha, 43 ares, 30 centiares et un immeuble dénommé 'MORA' sis sur le même territoire cadastré n°79 de la section D d'une contenance de 2 ha, 86 ares et 14 centiares est un bail commercial régi par les dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce,
En conséquence,
Dit que la SA CORSE PROVENCE 'LE CLOS DES AMANDIERS' a droit au renouvellement de ce bail ,
Condamne Madame Marie-Josée O. aux dépens d'appel et de première instance,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.