Cass. soc., 16 février 2011, n° 09-42.578
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars
Avocats :
Me Le Prado, SCP Boutet
Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. X..., Y..., Z... et A... ont été engagés par la société Manpower par plusieurs contrats de mission pour être mis à la disposition de la société Aluminium Péchiney (la société Péchiney) ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale en requalification des contrats de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes ; que la cour d'appel a rendu un premier arrêt requalifiant la relation de travail, allouant à chaque salarié des sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts et d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement mais a, avant dire droit, ordonné la production du plan de sauvegarde de l'emploi, et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure ; que par un second arrêt, la cour d'appel, réparant une omission de statuer, a rejeté les demandes des salariés tendant à la condamnation de la société à leur " payer une indemnité de requalification, un rappel de prime d'intéressement, un rappel de prime d'ancienneté, des dommages-intérêts pour maintien abusif dans la précarité " et a rejeté les demandes tendant au bénéfice des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Péchiney dirigé contre l'arrêt du 18 décembre 2008 :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de requalifier les missions d'intérim des salariés en contrat de travail à durée indéterminée, et de la condamner au paiement de différentes sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que si le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, aux termes de l'article L. 1251-6 du code du travail, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour faire face au remplacement d'un salarié absent ou à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; que la cour d'appel a ordonné la requalification des missions d'intérim, et a condamné l'entreprise utilisatrice au paiement de différentes sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement et procédure abusifs, bien qu'elle ait relevé que, pour chacun des quatre salariés, les contrats de mission successifs avaient été conclus pour remplacer un salarié absent, ou pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, ce dont il résultait que ces contrats n'avaient pas eu pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise, de sorte qu'en procédant à la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-40 et L. 1251-41 du code du travail ;
2°/ que lorsqu'un surcroît temporaire de l'activité de l'entreprise utilisatrice est invoqué, les juges du fond doivent rechercher si, pendant la période d'emploi du salarié intérimaire, l'entreprise a dû, ou non, faire face à un accroissement temporaire réel d'activité ; que pour requalifier les missions d'intérim en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que sur les trois cent vingt et un contrats de mission signés sur une période de dix-huit mois par les quatre salariés, deux cent quarante et un avaient eu pour motif le remplacement de salariés absents, que les salariés avaient effectué des tâches identiques avec la même qualification pour remplacer des salariés absents, que la durée des remplacements avait été courte, que les postes occupés étaient interchangeables, et enfin que la régularité des absences au sein de l'établissement de Lannemezan avait entraîné un renouvellement systématique pendant près de dix-huit mois de leurs contrats de mission ; qu'il s'évince des énonciations de l'arrêt que la cour d'appel s'est fondée sur le motif tiré du remplacement de salariés absents, sans vérifier, ainsi qu'elle y était pourtant invité par la société Péchiney dans ses écritures, si l'existence d'un surcroît temporaire d'activité au sein de l'établissement de Lannemezan, était ou non concrètement avéré, ce qui justifiait le recours à des salariés temporaires ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-40 et L. 1251-41 du code du travail ;
3°/ qu'il appartient à l'entreprise de travail temporaire de remettre au salarié intérimaire un contrat écrit de mission comportant des mentions précises et exactes ; que l'inobservation de l'obligation par la société de travail temporaire de remise d'un contrat écrit de mission conforme aux exigences légales incombe à la société de travail temporaire ; que pour procéder à la requalification des missions d'intérim en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a relevé que certains contrats de mission étaient irréguliers, et qu'ils se chevauchaient dans les dates (remplacement de plusieurs salariés absents le même jour par des contrats distincts) ; que ces irrégularités, à les supposer établies des contrats de mission, relevaient de la responsabilité de l'entreprise de travail temporaire, ce qui ne pouvait pas engendrer la condamnation de l'entreprise utilisatrice, qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-1, L. 1251-11 et L. 1251-16 du code du travail ;
4°/ qu''il résulte des dispositions combinées des articles L. 1251-12 et L. 1251-35 du code du travail que le contrat de travail temporaire peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder dix-huit mois ; que le dépassement de ce délai, qui ouvre droit à requalification, s'apprécie mission par mission ; que pour ordonner la requalification de la relation de travail des salariés avec l'entreprise utilisatrice en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a relevé que la régularité des absences au sein de l'établissement de Lannemezan a entraîné un renouvellement systématique pendant près de dix-huit mois, de leurs contrats de mission, de sorte que ces contrats avaient eu pour objet et pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; qu'en statuant ainsi, bien que, ainsi que le soulignait la société Aluminium Péchiney dans ses écritures, les salariés ne pouvaient pas se prévaloir du fait d'avoir travaillé au sein de l'entreprise utilisatrice pendant près de dix-huit mois, dans la mesure où le dépassement de ce délai, qui ouvrait droit à requalification, devait s'apprécier mission par mission, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-12 et L. 1251-35 du code du travail ;
Mais attendu qu'appréciant les éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a constaté que si certains contrats avaient pour motif l'accroissement temporaire d'activité, la plupart des contrats de mission avaient pour motif le remplacement de salariés absents ; que les quatre salariés ont effectué des tâches identiques avec la même qualification pour de courts remplacements, que les postes étaient interchangeables et que le renouvellement des missions a été systématique pendant dix-huit mois ; que sans être tenue d'effectuer la recherche prétendument omise, elle a pu en déduire que l'entreprise utilisatrice avait ainsi fait face à un besoin structurel de main d'oeuvre ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident des quatre salariés :
Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes en paiement de divers avantages salariaux alloués aux salariés permanents de la société Péchiney et notamment d'une prime d'intéressement et d'une prime d'ancienneté, alors, selon le moyen, que la société Péchiney ayant eu recours aux exposants, dans le cadre de contrats de mission de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1251-5 du code du travail, ils étaient fondés à faire valoir auprès de cette société les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de leur mission ; que la société Péchiney n'ayant pas contesté verser à ses salariés permanents liés par un contrat de travail à durée indéterminée une prime d'intéressement et une prime d'ancienneté, la cour d'appel qui a débouté les exposants des demandes formées à ce titre en leur opposant l'absence de preuve du versement d'une prime d'intéressement en 2005 et 2004 et de l'octroi d'une prime d'ancienneté de 1 % par année de salaire à compter de la fin de la première année sans rechercher, le cas échéant en invitant la société Péchiney à le préciser, les modalités d'attribution de ces deux avantages dont cette société ne contestait pas l'existence, la cour d'appel a méconnu son office et a violé l'article L. 1251-40 du code du travail, l'article 1315 du code civil et l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les éléments qui lui étaient soumis, a retenu que les salariés ne rapportaient pas la preuve que les primes dont ils réclamaient l'attribution étaient versées aux salariés de l'entreprise ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi des salariés en ce qu'il est dirigé contre contre l'arrêt du 9 avril 2009 :
Attendu que les salariés font grief à l'arrêt du 9 avril 2009 de rectifier d'office l'omission matérielle affectant l'arrêt du 18 décembre 2008 et d'ajouter au dispositif de ce dernier arrêt une indemnité de requalification, alors, selon le moyen :
1°/ que si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par la juridiction qui l'a rendue, celle-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ; qu'en déclarant rectifier l'omission matérielle affectant son précédent arrêt du 18 décembre 2008 et ajouter à son dispositif le rejet de la demande de MM. X..., Y..., A... et Z... tendant à la condamnation de la société Péchiney à leur payer à chacun une indemnité de requalification, la cour d'appel a modifié les droits que par son précédent arrêt elle avait reconnus aux exposants en condamnant la société Péchiney à verser à chacun d'eux une indemnité de requalification et a violé l'article 462 du code de procédure civile ;
2°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la cour d'appel qui, rectifiant son précédent arrêt, a rejeté la demande des exposants tendant à la condamnation de la société Péchiney à leur payer à chacun d'eux une indemnité de requalification sans motiver sa décision, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen critique une erreur de plume par laquelle l'arrêt dans son dispositif page 9, dans le deuxième paragraphe, ligne 4, mentionne à tort " une indemnité de requalification " ; qu'une telle erreur purement matérielle pouvant être réparée par la procédure prévue par l'article 462 du code de procédure civile, le moyen est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi des salariés dirigé contre le même arrêt :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le troisième moyen du pourvoi des salariés :
Attendu que les salariés font grief à l'arrêt du 9 avril 2009 de rejeter leurs demandes tendant à bénéficier des effets du plan de sauvegarde de l'emploi adopté le 28 novembre 2006 au sein de la société Péchiney après que l'arrêt du 18 décembre 2008 a prononcé la requalification en contrats de travail à durée indéterminée de leurs missions d'intérim, alors, selon le moyen :
1°/ que la note d'information du 13 octobre 2005 signée du directeur de l'établissement de Lannemezan annonçait la fermeture de l'usine et comportait l'engagement de la société Péchiney de mettre tout en oeuvre pour veiller à l'avenir du personnel de cet établissement, intérimaires inclus, par voie de reclassement dans les autres usines de la société ou du groupe, d'aide à la réalisation de projets personnels ou d'aide aux personnels non mobiles géographiquement à retrouver un emploi dans la région, le directeur ayant, par une mention manuscrite portée sur cette note, pris l'engagement de veiller en première priorité, à ce qu'une solution individuelle satisfaisante pour chacun des salariés soit trouvée ; qu'en énonçant que cette note d'information constituait une simple déclaration d'intention et ne pouvait constituer la source du droit pour les exposants à bénéficier des dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi définitivement adopté postérieurement à leur licenciement et en déboutant MM. X..., Y..., Z... et A... de leur demande d'admission au bénéfice des mesures de ce plan après avoir, par son arrêt du 18 décembre 2008, requalifié leurs missions d'intérim qui avaient pris fin postérieurement au 13 octobre 2005 en contrats de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a méconnu son obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'en mettant irrégulièrement fin aux contrats de mission conclus avec les exposants pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre à une date à laquelle elle avait annoncé la fermeture de l'établissement de Lannemezan et l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi, la société Péchiney les a abusivement privés des mesures d'accompagnement de cette fermeture ; qu'après avoir procédé à la requalification en contrat de travail à durée indéterminée des missions d'intérim par son arrêt du 18 décembre 2008, la cour d'appel qui a débouté les exposants de leur demande d'admission au bénéfice du plan de sauvegarde de l'emploi au motif inopérant que leur contrat de travail avait pris fin postérieurement à la note d'information du 13 octobre 2005 mais antérieurement à l'adoption du plan de sauvegarde de l'emploi le 28 novembre 2006, n'a pas tiré les conséquences légales de sa propre décision et a violé l'article 1134 du code civil et les articles L. 1222-1, L. 1233-1, L. 1233-4 et L. 1233-61 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les contrats de travail des salariés étaient déjà rompus avant que n'intervienne, le 30 août 2006, la première réunion de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise, la cour d'appel a exactement décidé que ceux-ci ne pouvaient prétendre au bénéfice des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi adopté le 28 novembre 2006 ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principaux qu'incident.