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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 2 février 2011, n° 10/00313

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Packard Bell France (SAS)

Défendeur :

Société Pour la Rémunération de la Copie Privée Sonore

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fedou

Conseillers :

Mme Andrich, M. Boiffin

Avocats :

Me Binoche, Me Soubelet-Caroit, SCP Jullien Lecharny Rol Fertier, Me Chatel

TGI Nanterre, du 24 déc. 2009, n° 09/224…

24 décembre 2009

FAITS ET PROCEDURE,

Les sociétés civiles, SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE, dite SORECOP et SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE AUDIOVISUELLE, dite COPIE FRANCE, ont pour objet de percevoir et répartir conformément à l'article L 311-6 du code de la propriété intellectuelle, la rémunération des copies privées sonores pour la première et des copies audiovisuelles pour la seconde.

Cette rémunération, instaurée en faveur des auteurs, artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes par l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle, fixée par une commission instituée par l'article L 311.5 du même code, est, selon l'article L 311.4, versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions de supports d'enregistrements utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvre, lors de la mise en circulation en France des supports.

Les entreprises ou personnes morales visées à l'article L 311.4 du code de la propriété intellectuelle sont obligées d'établir des relevés de "sortie de stock" le 20 de chaque mois, pour le paiement de la rémunération quarante jours suivant le mois correspondant à la sortie du stock.

Le montant de la rémunération due au titre de la copie privée sur supports analogiques, ainsi que ses modalités de paiement, ont été fixés par décision rendue le 30 juin 1986 par la commission instituée par l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

Cette commission a, notamment adopté les trois décisions suivantes :

- celle n°7 du 20 juillet 2006, fixant la rémunération pour copie privée afférente aux mémoires et disques durs intégrés à un baladeur ou à un appareil de salon dédiés à la fois à l'enregistrement numérique des phonogrammes et vidéogrammes, aux mémoires et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur ou un décodeur comportant une fonctionnalité d'enregistrement numérique de vidéogramme ou un baladeur dédié à l'enregistrement de vidéogramme ;

- celle n°8 en date du 9 juillet 2007, déclarant éligibles à la rémunération pour copie privée un certain nombre de supports vierges d'enregistrement, dont les cartes-mémoires non dédiées ;

- celle n°9 en date du 11 décembre 2007, déclarant éligibles à la rémunération pour copie privée les disques durs multimédia.

Par un arrêt Simavelec en date du 11 juillet 2008, le Conseil d'Etat a annulé la décision n°7 au motif que la rémunération prévue par cette décision compensait des copies illicites. Il a décidé que l'annulation prendrait effet dans un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication 'sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre des actes pris sur son fondement'.

Par acte du 16 janvier 2009, la société PACKARD BELL, constructeur d'une large gamme de matériels informatiques permettant la copie, a contesté devant le tribunal de grande instance de Paris l'ensemble des factures émises par la société COPIE FRANCE sur le fondement des décisions n° 8 et 9, au motif qu'elles portaient sur une créance incertaine et dont l'objet était litigieux ; cette instance est actuellement toujours pendante.

Tirant les conséquences de cet arrêt et anticipant sur l'annulation à venir de ses autres décisions, la commission copie privée a adopté le 17 décembre 2008, une décision n° 11 (JORF n° 297 du 21 décembre 2008) remplaçant l'ensemble de ses précédentes décisions, dont les décisions n° 8 et 9.

La légalité de cette décision fait l'objet d'une contestation émanant de divers constructeurs et syndicats et associations professionnels représentatifs des industriels, dont est saisie le Conseil d'Etat qui, à ce jour, n'a pas statué sur la légalité de cette décision n° 11.

Les sociétés COPIE FRANCE et SORECOP ont, par acte du 3 août 2009, assigné en référé la société PACKARD BELL FRANCE, devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre en vue d'obtenir le paiement de provisions au titre de la rémunération à laquelle elles estiment pouvoir prétendre sur le fondement de la décision n° 11 du 17 décembre 2008.

Par ordonnance de référé du 24 décembre 2009, le président du tribunal de grande instance a notamment, condamné la société PACKARD BELL FRANCE à payer :

- à la société SORECOP, une indemnité provisionnelle de 385.388,71 € toutes taxes comprises pour la période allant de janvier à août 2009 ;

- à la société COPIE FRANCE, une indemnité provisionnelle de 52.021,95 € toutes taxes comprises pour la période allant de janvier à août 2009;

La société PACKARD BELL FRANCE a interjeté appel de cette ordonnance.

A titre liminaire, elle expose qu'elle a régularisé les déclarations de sortie de stock pour l'année 2010 et qu'ayant exécuté les condamnations prononcées par l'ordonnance entreprise, les prétentions financières reconventionnelles des intimées ne peuvent, en aucun cas, excéder la somme de 259.187, 92 € au bénéfice de la société SORECOP.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 8 décembre 2010, elle fait valoir que le juge des référés ne pouvait allouer les provisions demandées sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile que s'il avait la certitude que la décision n° 11 est légale ou que l'éventuelle illégalité de cette décision est sans incidence sur la licéité de la créance litigieuse, sauf à prendre le risque de donner force exécutoire à une créance civile illicite.

Elle soutient qu'en l'espèce les recours formés à l'encontre des décisions de la commission, sur le fondement desquelles les sociétés intimées réclamaient le paiement de rémunérations, ont des chances sérieuses d'aboutir et que le juge des référés ne pouvait faire droit à la demande de provision qui emporte rémunération de copies illicites répondant à la qualification de contrefaçons.

Elle relève que, lorsqu'il est saisi d'une demande relevant de sa compétence, mais dont l'issue dépend de l'appréciation de la légalité d'un acte administratif relevant de la compétence du juge administratif, le juge judiciaire, s'il considère qu'il existe un doute sérieux quant à l'acte administratif en cause, doit surseoir à statuer sur le litige dont il est saisi, dans l'attente de l'issue du litige administratif ; qu'en l'espèce, la licéité, la certitude et la qualification de la créance litigieuse étant sérieusement contestées, il revenait au juge des référés de se déclarer incompétent pour statuer sur la demande de provision dont il était saisi par les sociétés intimées.

Elle souligne que ces dernières invoquent à tort l'existence d'un enrichissement sans cause que constituerait la collecte d'une rémunération qu'elle a perçue depuis de nombreux mois auprès de ses partenaires commerciaux, dans la mesure où, conformément au principe de subsidiarité, leur créance de rémunération pour copie privée alléguée trouve sa source exclusive dans le code de la propriété intellectuelle, et alors que l'enrichissement invoqué n'est nullement avéré et n'est pas susceptible de fonder le droit de créance des intimées.

Elle demande à la cour d'appel, au constat de ce que la demande des sociétés SORECOP et COPIE FRANCE de se voir allouer une provision sur la créance litigieuse se heurte à de nombreuses et très sérieuses contestations :

- à titre principal, d' infirmer l'ordonnance entreprise, de débouter les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE de leur demande de provision et de toutes autres demandes à déduire ou à suppléer et d'ordonner à ces sociétés de restituer les sommes versées par la société PACKARD BELL en exécution, depuis, de cette ordonnance ;

- à titre subsidiaire, de désigner tout tiers de son choix en qualité de séquestre judiciaire entre les mains duquel les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE devront restituer les sommes versées par la société PACKARD BELL en exécution, depuis, de l'ordonnance de référé, ledit tiers devant conserver cette somme dans l'attente de la décision du juge du fond à intervenir ;

- à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner aux sociétés SORECOP et COPIE FRANCE de constituer une garantie réelle ou personnelle portant sur le même montant que la créance litigieuse, y inclus les sommes d'ores et déjà acquittées en exécution de l'ordonnance entreprise et depuis cette ordonnance, et d'en justifier auprès de la société PACKARD BELL dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

- en toute hypothèse, de condamner les sociétés SORECOP et COPIE FRANCE au paiement de la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Suivant écritures récapitulatives signifiées le 13 décembre 2010, la société SORECOP (SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE) et la société COPIE FRANCE (SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE AUDIOVISUEL) concluent à la confirmation de l'ordonnance entreprise, sauf à actualiser le montant de la créance de la société SORECOP.

En conséquence, elles sollicitent :

- la condamnation de la société PACKARD BELL FRANCE à payer :

- par provision à la société SORECOP la somme de 644.392,15 € TTC, sauf à parfaire, en deniers ou quittances, pour la période allant du mois de janvier 2009 au mois d'août 2009 et du mois d'avril 2010 au mois d'août 2010,

- par provision à la société COPIE FRANCE la somme de 52.021,95 € TTC, sauf à parfaire, en deniers ou quittances, pour la période allant du mois de janvier 2009 au mois d'avril 2009,

- la condamnation de la société PACKARD BELL FRANCE au paiement à chacune de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elles exposent que leur créance n'est pas sérieusement contestable tant dans son principe que dans son montant, le paiement de la rémunération due au titre de la copie privée s'inscrivant dans le cadre d'une licence légale sur le fondement de la décision n° 11 parfaitement exécutoire, et le quantum de leur créance se trouvant établi, conformément aux rémunérations fixées par cette décision, à partir des propres déclarations de sorties de stocks effectuées par la société PACKARD BELL.

Elles font valoir que l'allocation par provision de la rémunération sollicitée par elles ne se heurte à aucune contestation sérieuse, que leur demande repose sur la décision n° 11 de la Commission de la copie privée, adoptée, dans le respect du calendrier imposé par le Conseil d'Etat, le 17 décembre 2008 qui exclut toute copie de source illicite de l'assiette de rémunération pour copie privée. Elles soulignent qu'à défaut d'annulation prononcée par le Conseil d'Etat ou de suspension d'exécution ordonnée par le juge des référés administratif, la décision en cause est pleinement exécutoire ; que, dans ce contexte spécifique à l'espèce, le juge des référés, juge de l'apparence, a pu parfaitement considérer que la norme, correspondant à un ordre juridique que le Conseil d'Etat a entendu protéger, devait recevoir application.

Elles ajoutent que le refus opposé par la société PACKARD BELL au paiement d'une rémunération pour copie privée qu'elle a pourtant répercutée auprès de ses partenaires commerciaux depuis de nombreux mois, serait la source d'un enrichissement sans cause s'il n'y était mis fin.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Considérant que s'il existe un principe de créance inscrit à l'article L311-11 du code de la propriété intellectuelle prévoyant une rémunération des auteurs au titre de la copie privée licite, en l'état de l'annulation de la décision n°7, les demandes des sociétés chargées de recevoir les rémunérations pour copie privée sont fondées sur le caractère exécutoire de la décision n°11, adoptée, le 17 décembre 2008 par anticipation de l'annulation possible des autres décisions la précédant immédiatement et qui faisaient également l'objet d'un recours devant la juridiction administrative ;

Que l'annulation de la décision n°7 est fondée sur le constat de ce que la rémunération pour copie privée a seulement vocation à rémunérer les copies réalisées dans le cadre de l'exception de copie privée, qu'elle ne concerne que les copies licites et ne constitue pas une indemnisation des préjudices causés aux auteurs par les pratiques illicites dites de piratages ; que la décision contestée concernait des supports susceptibles de servir à des enregistrements copiés ou téléchargés à partir de sources illicites, ce qui ne permettait pas d'assurer la seule rémunération des copies privées licites ;

Que la décision n°11 se devait d'exclure toute copie illicite de l'assiette de la rémunération pour copie privée ;

Considérant que la société PACKARD BELL FRANCE dénonce l'exacte identité entre le barème adopté par la commission le 17 décembre 2008 et ceux qui avaient déjà été annulés en Conseil d'Etat ou qui faisaient l'objet d'un recours, alors que devait être exclue toute compensation ou rémunération des copies illicites dont les travaux préparatoires de la commission attestent de l'importance ;

Qu'elle soutient que cette nouvelle décision n°11 , adoptée 'dans le cadre de la décision n°10 et en application de l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 juillet 2008' est entachée de la même illégalité que celle qui a motivé l'annulation de la décision n°7 puisqu'elle fixe un barème identique à celui des décisions précédentes dont celles n° 8 et 9, dont la légalité fait l'objet d'une action et à celui de la décision n°7, annulée, alors que le souci d'extraire l'incidence des copies illicites de l'assiette de la rémunération ne pouvait qu'aboutir à une minoration des tarifs ;

Qu'elle fait valoir encore que la décision n°11, en soumettant indifféremment à la rémunération pour copie privée, des matériels ou supports, qu'ils soient à destination de particuliers ou de professionnels, est contraire aux dispositions des articles L. 122-5 2° et L. 211-3 2° du code de la propriété intellectuelle et au droit notamment à l'article 5 .2 b de la directive du 2001/29/CE du 22 mai 2001 'sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information' ;

Considérant que la contestation de la décision n°11 apparaît sérieuse dans la mesure où celle-ci n'aurait pas remédié aux irrégularités affectant les décisions précédentes qu'elle avait pour objet de faire disparaître ;

Considérant que si la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III interdisent aux tribunaux judiciaires de 'troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs', il appartient au juge judiciaire lorsque l'illégalité du texte dont dépend l'issue du litige, ce qui est le cas en l'espèce, puisque les sociétés intimées prétendent au paiement d'une rémunération dont l'exigibilité est conditionnée par l'existence de la décision administrative n°11 et dont le montant est déterminé par cette même décision , de se prononcer sur le caractère sérieux de la contestation ;

Que si le juge du fond doit surseoir à statuer et renvoyer l'appréciation de la légalité de l'acte administratif au juge administratif, le doute sérieux sur la légalité de la décision n°11 qui conditionne l'issue du litige, fait obstacle à ce que la cour d'appel statuant en référé, en application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, puisse faire droit à la demande de provision fondée sur la caractère exécutoire de la décision n° 11 ;

Qu'il y a lieu d'infirmer la décision entreprise et de renvoyer les parties à se pourvoir au fond ;

Considérant que l'équité commande qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 24 décembre 2009, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre ;

Statuant à nouveau :

Dit n'y avoir lieu à référé ;

Renvoie les parties à se pourvoir devant le juge du fond

Y ajoutant :

Rejette les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SORECOP (SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE) et la société COPIE FRANCE (SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE AUDIOVISUEL) aux entiers dépens de l'appel, autorisation étant donnée aux avoués en la cause, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.