CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 21 avril 2017, n° 13/09471
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Sony Mobile Communications
Défendeur :
Société Copie France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Kerner-Menay
Conseillers :
M. Vasseur, Mme De Gromard
EXPOSE DU LITIGE
La loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique a prévu plusieurs exceptions au droit exclusif de l'auteur d'interdire ou d'autoriser la reproduction de ses œuvres et a ainsi reconnu la possibilité de réaliser des copies réservées à l'usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective dite 'exception de copie privée'.
Le développement des nouvelles technologies a bouleversé l'équilibre entre les intérêts des titulaires des droits et ceux des consommateurs. La multiplication des copies, permises par les lecteurs de cassettes audio, puis par les magnétoscopes, a conduit le législateur à organiser le régime de 'cette exception de copie privée'.
La loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteurs et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, codifiée sous les articles L.311-1 et suivants du code la propriété intellectuelle, a instauré au bénéfice des auteurs, des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes (les ayants droits), un mécanisme de compensation sous forme d'un droit à rémunération destiné à les indemniser de leur préjudice du fait de la réalisation de copies, toujours plus nombreuses, de leurs œuvres dans un cercle privé. Elle a posé le principe que la rémunération pour copie privée est la contrepartie de l'exception de copie privée.
La loi a prévu que sont redevables de la rémunération pour copie privée, le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires au sens du 3° du I de l'article 256 bis du Code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, lors de la mise en circulation en France de ces supports. Elle a prévu que le montant de la rémunération était fixé par catégorie de support et était acquittée par les fabricants ou les importateurs qui en répercutent le montant dans leur prix de vente.
La Société pour la rémunération de la copie privée sonore (SORECOP absorbée par COPIE FRANCE en juin 2011), créée en application de la loi précitée, est une société civile dont l'objet est de percevoir et de répartir la rémunération pour la copie privée sonore en application de l'article L. 311-6 du Code de la propriété intellectuelle.
La loi a précisé que les supports assujettis, ainsi que les taux applicables à chaque support sont déterminés par une Commission administrative dite 'Commission de la copie privée' présidée par un représentant de l'Etat et composée pour moitié de personnes désignées par les organisations représentants les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentants les fabricants ou importateurs de supports et pour un quart de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs.
Le mécanisme repose sur un système déclaratif mensuel par les assujettis de l'état de sortie des stocks et le taux de rémunération en fonction des supports déterminé par la commission présente un caractère forfaitaire.
Au niveau européen, l'article 5 de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, a précisé que l'évolution technologique avait multiplié et diversifié les vecteurs de création, de production et d'exploitation et considéré que les règles actuelles en matière de droits d'auteur et de droits voisins devraient être adaptées et complétées pour tenir dûment compte des réalités économiques telles que l'apparition de nouvelles formes d'exploitation. Elle a ajouté que dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires des droits devaient recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate de l'utilisation de leurs œuvres.
La Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt Padawan du 21 octobre 2011 a précisé : 'qu'un lien était nécessaire entre l'application de la redevance destinée à financer la compensation équitable à l'égard des équipements, des appareils ainsi que des supports de reproduction numérique et l'usage présumé de ces derniers à des fins de reproduction privée'. Elle a encore ajouté que : 'l'application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l'égard d'équipements, d'appareils ainsi que de supports de reproduction numérique non mis à la disposition d'utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé, ne s'avérait pas être conforme à la Directive 2001/29'.
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En France, la commission Copie privée de l'article L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle fixant les taux de rémunération par support a pris diverses décisions ayant fait l'objet de nombreux recours administratifs ou judiciaires.
Ainsi, le Conseil d'Etat, dans un arrêt n°298779 du 11 juillet 2008, dit arrêt 'Simavelec', a annulé la décision n°7 de la Commission en considérant que les copies effectuées depuis une source illicite devaient être exclues du calcul de la rémunération de la redevance pour copie privée. Il a précisé que la rémunération pour copie privée, exception au principe du consentement de l'auteur, a 'pour unique objet de compenser la perte de revenus engendrée par l'usage fait licitement, mais sans autorisation de copies d'œuvres fixées sur des phonogrammes ou vidéogrammes à des fins strictement privées'.
Le 17 décembre 2008, la commission a pris une décision n°11, avec l'objectif affiché de tenir compte des griefs ayant amené le Conseil d'Etat à annuler sa décision n°7 et pour remplacer les anciens barèmes résultant de décisions antérieures y compris ceux résultant de deux décisions adoptant les mêmes méthodes de calcul critiquées par la juridiction administrative, en l'occurrence la décision n°8 du 8 juillet 2007 déclarant éligibles à la rémunération pour copie privée un certain nombre de supports vierges d'enregistrement dont les cartes mémoires, ainsi que la décision n° 10 en date du 27 février 2008 déclarant éligibles l'ensemble des téléphones mobiles permettant d'écouter des phonogrammes ou de visionner des vidéogrammes autrement dit les téléphones multimédias. Les décisions n° 8, 9 et 10 de la commission allaient être annulées ultérieurement par le Conseil d'Etat suivant trois arrêts du 17 décembre 2010.
Aux termes de sa décision n°11 du 17 décembre 2008, la commission a précisé que les copies effectuées depuis une source illicite devaient être exclues du champ de la rémunération. Parallèlement, l'augmentation des copies faites en format compressé par les particuliers et donc l'accroissement du volume d'œuvres copiées a été pris en compte par la commission et a conduit celle-ci à ne pas modifier les tarifs précédents. Elle a également prévu une rémunération pour les téléphones multimédias. Cette décision publiée au Journal Officiel le 21 décembre 2008 a été applicable à compter du 1er janvier 2009.
C'est dans ce contexte que se situe la présente procédure.
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La société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB (SONY MOBILE) est une société de droit suédois fabricant, importateur et vendant en France notamment des téléphones mobiles et divers accessoires se rapportant à ces matériels.
Bien que contestant le bien-fondé de la soumission de ses cartes mémoires externes et téléphones mobiles à la décision n°11, la société SONY MOBILE a procédé auprès de la société SORECOP aux déclarations de stock des cartes mémoires externes et téléphones mobiles à compter de la date de prise d'effet de la décision. Sur cette base, la société SORECOP a émis des notes de débit ou factures correspondantes.
La société SONY MOBILE a suspendu le paiement de ces factures et les a contestées, par assignation du 4 juin 2009, devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu'il soit jugé qu'aucune des factures contestées n'était due et à titre subsidiaire, sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat saisi d'un recours en annulation de la décision n°11. Cette instance a fait l'objet d'une radiation.
Suivant un acte extrajudiciaire du 28 juillet 2009, la société SORECOP a fait assigner en référé la société SONY MOBILE, devant le tribunal de grande instance de Paris , sur le fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile, en paiement à titre provisionnel, de la somme de 131 351,54 euros réactualisée au cours de la procédure de référé à 557 136,09 euros correspondant à la rémunération due au titre de la copie privée pour la période de janvier à octobre 2009. Elle a sollicité en outre la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société SONY MOBILE a soutenu qu'il n'y avait pas lieu à référé et a conclu au rejet des demandes. A titre subsidiaire, elle a sollicité la désignation de tout tiers en qualité de séquestre et à défaut que la SORECOP soit condamnée à constituer une garantie réelle ou personnelle. Elle a également formulée une demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 8 000 euros.
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Par ordonnance du 4 mars 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- condamné la société SONY MOBILE à verser à la société SORECOP la somme provisionnelle de 557 139,09 euros à valoir sur le paiement de la rémunération pour copie privée afférente aux supports d'enregistrement vierges numériques sortis des stocks de la société SONY MOBILE au cours des mois de janvier à octobre 2009 ;
- rejeté les demandes de la société SONY MOBILE de séquestre judiciaire et de constitution de garantie ;
- condamné la société SONY MOBILE à payer à la société SORECOP, la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire par provision;
- condamné la société Sony Ericsson Mobile Communications AB aux entiers dépens.
Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a considéré que la décision n° 11 était exécutoire malgré le recours en nullité formé devant le Conseil d'Etat. Il a également souligné que le juge des référés n'avait pas à se substituer à la haute juridiction administrative pour apprécier la légalité de ladite décision.
Il a toutefois ajouté que, lui appartenant de vérifier si l'existence de l'obligation n'était pas sérieusement contestable, il se devait de s'interroger sur le caractère manifestement illicite de la décision administrative qui fonde cette obligation.
Il a ainsi considéré qu'il en ressortait, avec l'évidence requise en référé, que pour déterminer le taux de la rémunération pour copie privée dans le cadre de la décision n° 11, la commission avait pris en compte le préjudice subi du fait des copies illicites et par là même son caractère manifestement illicite. Il en a déduit que SONY MOBILE ne prouvait pas que la créance réclamée par la SORECOP était illicite et donc sérieusement contestable.
Par déclaration du 18 mars 2010, la société SONY MOBILE a interjeté appel de cette ordonnance.
A hauteur d'appel, elle a soulevé principalement l'existence de nombreuses contestations sérieuses tenant à la présence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision n°11 ; à l'incompétence du juge judiciaire du fond ou des référés pour apprécier la légalité d'une décision administrative ; au caractère illicite de la créance litigieuse et à l'absence de fondement juridique de la provision sollicitée.
Par un arrêt du 12 janvier 2011, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du 4 mars 2010 du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris et a actualisé la somme provisionnelle due par la société Sony à la somme de 1 305 797,43 euros au titre de la période allant de janvier 2009 au mois d'août 2010.
Elle a considéré que l'exception d'illégalité invoquée à l'encontre d'une décision administrative pouvait constituer une contestation sérieuse faisant obstacle aux pouvoirs du juge des référés s'il existe un doute sérieux sur la légalité de la dite décision. Elle a relevé que la régularité de la décision n'était pas contestée ; que la similitude des barèmes fixés par cette décision avec les barèmes antérieurs, censurés par le Conseil d'Etat dans sa décision du 11 juillet 2008, ne permettait pas à elle seule, de créer un doute sur la légalité de la décision ; que l'appelante se bornait à exposer de façon sommaire les moyens d'illégalité exprimés dans son recours devant le Conseil d'Etat, sans mettre en exergue le doute sérieux qui pourrait en résulter quant à la légalité de la décision.
La société SONY MOBILE a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision.
Suivant un arrêt du 24 avril 2013, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a annulé pour absence de fondement juridique l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 janvier 2011 et a renvoyé les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
La Cour de cassation a retenu d'une part que, par arrêt du 17 juin 2011, le Conseil d'Etat a annulé la décision n°11 précitée et reporté dans le temps les effets de cette annulation, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées contre des actes pris sur son fondement, et, d'autre part, que par décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013, le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution, le paragraphe II de l'article 6 de la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée, qui a validé les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision annulée, au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, ayant fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011 et n'ayant pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, en tant qu'elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d'Etat a annulé cette décision ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation.
Par acte du 10 mai 2013, la société SONY MOBILE a saisi la cour d'appel de renvoi. Aux termes des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2017 , elle demande à la cour de :
- constater que la demande de la société COPIE FRANCE de se voir allouer une provision sur la créance litigieuse se heurte à de nombreuses et très sérieuses contestations ;
En conséquence :
A titre principal :
- infirmer l'ordonnance du 4 mars 2010 rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés ;
- ordonner à la société COPIE FRANCE de restituer à la société Sony la somme de 557 136,09 euros HT, sauf à parfaire, correspondant à la somme versée en exécution de ladite ordonnance ;
A titre subsidiaire :
Si par extraordinaire la cour d'appel entendait allouer une compensation équitable au bénéfice de la société COPIE FRANCE, alors il lui appartiendrait de :
- calculer le quantum de la compensation équitable en considération du préjudice causé aux ayants droit du fait de l'exception de copie privée ;
En conséquence :
- déduire de la créance litigieuse la proportion de copies illicites, professionnelles et déjà rémunérées dans un cadre contractuel, qu'elle comporte et qu'il conviendra d'estimer à 50% de ladite créance ;
- allouer à la société COPIE FRANCE une compensation équitable d'un montant de 962 730 euros HT;
- ordonner à la société COPIE FRANCE de restituer à la société Sony la somme de 421 167 euros HT correspondant au trop versé par celle-ci au titre de la créance litigieuse ;
A titre infiniment subsidiaire :
- désigner tout tiers de son choix en qualité de séquestre judiciaire entre les mains duquel la société Copie France devra restituer la somme de 557 136,09 euros HT versée par la société Sony en exécution de l'ordonnance entreprise et la société Sony devra verser la somme de 541 562,97 euros HT, ledit tiers devant conserver cette somme dans l'attente de la décision du juge du fond à intervenir ;
En toute hypothèse :
- condamner la société COPIE FRANCE à payer la somme de 15 000 euros à la société Sony au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société COPIE FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.
La société SONY MOBILE soutient qu'il appartiendra à la cour de renvoi de statuer essentiellement sur deux points. Le premier est de savoir si la société COPIE FRANCE est fondée à solliciter le paiement d'une provision correspondant à une rémunération pour copie privée basée sur une décision administrative illégale annulée rétroactivement. Le second, à supposer que la cour d'appel estime qu'elle peut statuer sur une créance de compensation équitable, indépendamment de la disparition de son unique fondement juridique, sera de s'assurer de sa conventionalité au regard des principes dégagés par le droit de l'Union en particulier la jurisprudence de la cour de justice de l'Union. Elle soutient que la créance litigieuse, qu'elle soit qualifiée de rémunération pour copie privée ou compensation équitable, viole au moins à trois titres lesdits principes, cette créance emportant compensation de copies illicites, de copies à usage professionnel et de copies déjà rémunérées dans un cadre contractuel. Elle considère que ces trois constats sont autant de contestations sérieuses faisant obstacle à l'allocation de la provision sollicitée.
De plus, à supposer que la cour entende allouer cette provision, elle devra évaluer le quantum en considération de la compensation du préjudice subi par les seuls actes de copie privée, à l'exclusion de toutes autres copies.
La société SONY MOBILE fait valoir, en premier lieu, que l'annulation de la décision administrative n°11 prévue par l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle fondant la créance litigieuse fait disparaître irrémédiablement la dite créance.
Elle se fonde sur l'arrêt du Conseil d'Etat en date du 17 juin 2011 dit 'arrêt Canal + Distribution' qui a annulé la décision n°11 de la commission en réservant les actions contentieuses et sur la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 2013 qui a abrogé l'article 6-II de la loi du 20 décembre 2011 relatif à la rémunération de copie privée qui validait les factures antérieures ayant fait l'objet d'actions contentieuses introduites avant le 18 juin 2011. Elle se réfère également à l'arrêt de la Cour de cassation intervenu dans la présente instance ainsi qu'à trois arrêts de la cour d'appel de Paris en date du 7 octobre 2014 dans des litiges similaires.
Elle considère qu'en application d'une jurisprudence administrative et judiciaire constante, l'acte annulé est réputé n'être jamais intervenu, et que les mesures prises en application dudit acte se trouvent privées de leur fondement juridique. Elle indique ainsi que les factures litigieuses, désormais privées de fondement juridique sont nulles et sont réputées n'avoir jamais existé et sont donc insusceptibles de tout recouvrement. Cette nullité entraîne la disparition de la créance de la société COPIE FRANCE. Il s'agit d'une contestation sérieuse quant à la créance invoquée par COPIE FRANCE qui justifie à elle seule l'infirmation de l'ordonnance du 4 mars 2010.
La société SONY MOBILE soutient en second lieu qu'il n'existe aucun fondement alternatif à la créance litigieuse permettant de justifier son recouvrement et une obligation de paiement à sa charge. Elle conclut au rejet des demandes reconventionnelles formulées par son adversaire au titre d'une compensation équitable ou du recours au droit de la propriété.
Elle évoque, pour la critiquer, la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans trois arrêts en date du 7 octobre 2014, et par la Cour de cassation, dans deux arrêts en date du 17 mars 2016 qui, dans un contexte similaire et nonobstant l'annulation de la décision prise par la commission de copie privée ont admis au profit de la société Copie France, le principe d'une créance de compensation équitable destinée à les indemniser du préjudice que l'application de l'exception de copie privée leur cause, se substituant aux factures.
Elle relève que la Cour de cassation, dans les arrêts susvisés met à la charge des redevables, visés par l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, une obligation indemnitaire par le seul effet de l'article L. 311-1 du même code tel qu'interprété à la lumière du droit de l'Union européenne, en particulier la Directive 2001/29 et de l'obligation de résultat qui pèse sur les Etats membres d'assurer une compensation équitable aux ayants droits en contrepartie de l'exception de copie privée. Elle ajoute que ce faisant, la Cour de cassation autorise le juge judiciaire en l'absence de décision administrative telle que prévue par l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle à allouer aux ayants droit, une compensation équitable en contrepartie de l'exception de copie privée.
Elle note que la Cour de cassation s'est référée à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et spécialement à l'arrêt 'Stichting de Thuiskopie' du 16 juin 2011, qui impose aux Etats ayant opté pour une exception de copie privée 'une obligation de résultat' de s'assurer de la perception effective par les ayants droit de la compensation de cette exception.
La société SONY MOBILE soutient que le mécanisme légal, prévu par l'Etat français aux articles L.311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, satisfait pleinement à l'obligation de résultat imposée par le droit de l'Union européenne. Elle considère que si les ayants droit se sont trouvés exposés à un risque de perte de la compensation équitable, cela ne résulte que du dysfonctionnement du mécanisme légal mis en place ; qu'il appartient ainsi seulement à l'Etat de réparer le préjudice causé aux ayants droit du fait de ce dysfonctionnement.
Elle critique encore la décision de la juridiction suprême en considérant qu'elle conduit à mettre à la charge des débiteurs une obligation indemnitaire que la loi ne prévoit pas, le fondement de la rémunération de copie privée résultant des décisions administratives prises par la commission en vertu de l'article L. 311-5. Ainsi, la Cour de cassation s'affranchit de ce fondement légal et au-delà, en interprétant les dispositions de l'article L. 311-1 au regard de la directive européenne 2001/29/CE, conduit à violer les dispositions de l'article L. 311-5 du même code dont rien ne permet d'affirmer qu'elles seraient de portée moindre que l'article L. 311-1.
Elle critique également l'application de la technique de l'interprétation conforme. Elle admet que le juge national doit interpréter la norme nationale conformément au droit de l'Union européenne mais ce principe, précise t-elle n'est pas absolu et n'est pas sans limite. En vertu d'une jurisprudence de la CJUE, le juge national doit y procéder dans toute la mesure du possible et à condition qu'elle ne se heurte pas aux principes généraux du droit tels que la sécurité juridique ou celui résultant de l'adage speciala generalibus derogant et qu'elle ne conduise pas à une application contra-legem de la norme nationale. Or, selon elle, la solution retenue revient à conférer un effet variable à l'article L. 311-1 selon l'absence ou la présence d'une décision administrative légale, ce qui conduit à avoir de cet article une interprétation contraire à l'article L.311-5 du même code.
Au-delà, elle conteste le principe même du recours à l'interprétation conforme qui, selon elle a pour double finalité d'écarter la norme nationale contraire à la norme européenne et de pallier le défaut de transposition en droit interne de la norme européenne. Elle considère que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque la norme nationale est conforme au droit de l'Union européenne et qu'il n'y a pas à compenser l'absence de transposition. Selon elle, il convenait que la société Copie France recherche la responsabilité de l'Etat français au titre de l'exercice de son pouvoir réglementaire en raison du dysfonctionnement déjà évoqué.
Elle ajoute que la Cour de cassation ouvre la voie à toutes les demandes indemnitaires d'ayants droit qui considéreraient, indépendamment de l'existence ou non d'une décision administrative, qu'ils subissent un préjudice insuffisamment compensé du fait de l'exception légale de copie privée.
Par ailleurs, la société SONY MOBILE conteste l'argument de la société COPIE FRANCE selon lequel la créance litigieuse trouve également son fondement dans le droit commun de la propriété et plus particulièrement dans les articles 544 et 545 du Code civil. Elle relève qu'un tel fondement n'a pas été retenu par les arrêts précités de la cour d'appel de Paris de 2014, ni par la Cour de cassation dans ses arrêts de 2016. Elle admet, comme son adversaire, l'autonomie du droit de la propriété intellectuelle par rapport à celui du droit commun de la propriété. Elle ajoute qu'il est admis par la doctrine, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle de la Cour de cassation que le droit de la propriété intellectuelle bénéficie d'une spécificité et d'une autonomie telles qu'elles excluent l'application du droit commun de la propriété. Elle rappelle que le champ d'application de l'article 545 du code civil recouvre le domaine des biens corporels immobiliers et que selon la jurisprudence, il sert de fondement à une indemnité compensatrice exclusivement en matière d'empiétement et d'expropriation. Elle précise, s'agissant du contentieux de l'expropriation qui constitue une atteinte grave au droit de propriété qu'elle fait l'objet d'une réglementation très précise dont ni les conditions de mise en œuvre, ni les effets ne sont transposables. Elle ajoute qu'en application du principe selon lequel la règle spéciale prime sur la règle générale, l'existence d'une loi spéciale applicable au litige exclut le recours à l'article 545 du Code civil au titre d'une indemnité compensatrice. Elle en conclut qu'aucune compensation financière pour exception de copie privée ne peut être allouée si la décision administrative sur laquelle elle repose a été rétroactivement annulée. L'application du droit spécial issu de l'article L.311-1 et suivants implique, dans le cas présent, l'absence de rémunération pour copie privée.
La société SONY MOBILE s'oppose ensuite au raisonnement proposé par la société COPIE FRANCE consistant à dire, à la suite des arrêts de 2014 et des arrêts du 17 mars 2016, que le fondement de sa créance est incontestable ; que l'existence d'une indemnité compensatrice de l'exception de copie privée trouve son fondement dans les dispositions de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle interprétées au regard de la directive européenne n° 29/2001 ; que l'article L. 311-1 énonce le principe de ce droit à rémunération ; que l'article L. 311-5 ne faisant que préciser les modalités pratiques de sa mise en œuvre.
Elle considère que ce raisonnement conduit le juge judiciaire à s'affranchir du régime légal mis en place par les articles L. 311-1 et suivants et à se livrer à une interprétation qui conduit à en violer le texte pourtant parfaitement clair. Il conduit également à violer le cadre normatif applicable au litige en l'incitant à adopter une décision dont l'effet reviendrait à neutraliser le droit à un recours effectif pourtant expressément préservé par le juge administratif, en niant toute forme de complémentarité entre les deux ordres juridictionnels, en éludant la mise en œuvre d'un cadre légal et en préconisant une interprétation intermittente et dénaturante du texte sous couvert de conformité à des normes supérieures. Ainsi, selon qu'il sera ou non possible de se référer à une décision administrative, les articles L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle auront une application différente, fondement de la créance de rémunération pour copie privée en cas de décision administrative exécutoire ou indemnité compensatrice sur la seule base de l'article L. 311-1 en cas d'absence de décision. Ce raisonnement conduit à exiger du juge qu'il interprète l'article L. 311-1 de telle sorte qu'il en viole la lettre et qu'il en résulte une insécurité majeure.
De plus, la créance dont se prévaut la société COPIE FRANCE porte atteinte aux caractéristiques de la 'compensation équitable' prévue par la directive 2001/29 telle qu'éclairée par la Cour de justice de l'Union européenne en ce que ladite créance porte compensation de copies illicites et ne distingue pas entre copies à usage personnel et copie à usage professionnel.
La société SONY MOBILE expose ensuite que sans placer le juge judiciaire dans une forme de dépendance du juge administratif, celui-ci doit tirer les conséquences de la procédure administrative qui conclut à l'illégalité de l'acte administratif invoqué devant le juge judiciaire et ce dans le respect du cadre légal et réglementaire. Dans le présent litige, la seule conséquence que le juge judiciaire peut tirer de l'annulation rétroactive de la décision n°11 est le rejet de toute prétention financière de la société COPIE FRANCE envers la société SONY.
La société SONY MOBILE considère également que le principe d'une fixation judiciaire du quantum de la créance litigieuse se heurte d'abord à la compétence exclusive de la commission de l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle pour déterminer le montant de la rémunération. Elle précise en effet que, dans le dispositif mis en place, la créance litigieuse est la contrepartie de la licence légale accordée en contrepartie de l'exception de copie privée, la rémunération a ainsi le caractère d'une rémunération légale que seule la commission peut fixer. Elle remarque que le législateur n'a, de surcroît, prévu aucune compétence judiciaire, pour déterminer, à la place de cette commission administrative, le montant de la rémunération de l'article L. 311-1. Elle ajoute que si le juge opère cette évaluation, il viole la loi et les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile.
La demande reconventionnelle de la société COPIE FRANCE en fixation de sa créance se heurte d'autre part à l'incompatibilité entre la nature de celle-ci et le régime de responsabilité civile dont relèverait nécessairement une indemnité dont le quantum serait déterminé judiciairement. Elle rappelle que la mise en œuvre de la responsabilité civile suppose la réunion d'un fait générateur, d'un préjudice et d'un lien de causalité. Elle remarque que la société COPIE FRANCE ne lui oppose aucune violation d'une norme à laquelle elle serait tenue, que le fait générateur ne peut consister dans l'exercice d'une exception d'origine légale.
De même, le principe de la réparation intégrale du préjudice inhérent au régime de responsabilité civile, exclut toute appréciation forfaitaire et toute fixation du quantum par référence à des barèmes aux fins de calcul du préjudice auquel il est pourtant proposé de se référer par son adversaire. Enfin, le préjudice invoqué est illicite en ce qu'il s'agit de réparer une situation résultant de l'impossibilité d'appliquer le régime légal.
La société SONY MOBILE ajoute que le recours, proposé par son adversaire, de se référer, le cas échéant, à la décision n°15 de la commission de copie privée pour la fixation du quantum de la rémunération constitue une violation manifeste du principe de prohibition d'effet rétroactif des actes administratifs. Il ne peut-être un référent fiable en raison de l'évolution des pratiques de copie privée qui ont pu intervenir entre 2011 et 2013 et serait contraire à la nature délictuelle de l'indemnité.
Elle précise que la société COPIE FRANCE ne se place pas, comme elle le devrait, sur le terrain de la responsabilité administrative de l'Etat en raison d'obstacles liés à l'illicéité de son préjudice et du fait que le préjudice subi par la société COPIE FRANCE lui est, en partie, imputable puisqu'elle a participé de l'adoption par la commission de la décision n°11 finalement annulée.
La société SONY MOBILE fait valoir que la créance litigieuse ne peut être recouvrée car elle viole le droit interne et le droit de l'Union européenne en ce qu'elle emporte rémunération de copies à usage professionnel ainsi que l'atteste le fait que les sommes sollicitées correspondent exactement aux montants des factures émises sur le fondement de la décision n°11 annulée.
Elle affirme qu'il ne lui appartient pas, contrairement à ce que soutient COPIE FRANCE, d'apporter la preuve de l'usage professionnel des téléphones mobiles et cartes mémoires qu'elle commercialisait entre 2009 et 2011. Elle soutient que la société COPIE FRANCE, membre principal et actif de la commission copie privée, était parfaitement informée de ce qu'une partie des supports assujettis étaient bien susceptibles d'usage professionnel comme l'attestent une note du 10 mai 2010 rédigé par le collège des ayants droit ainsi que l'analyse des travaux préparatoires de la commission au moment de l'élaboration de la décision n°11 qui estimait entre 75 et 83 % la part des usages professionnels pour les disques durs externes et 10 % pour les cartes mémoire.
De surcroît, elle rappelle que la charge de la preuve pèse sur celui qui se prévaut d'une créance en application de l'article 1315 du Code civil ; que la loi 20 décembre 2011 qui fait peser la charge de la preuve sur les fabricants n'était pas encore entrée en vigueur pour la période correspondant à la créance litigieuse (janvier 2009 à décembre 2011). Par ailleurs, l'extension de la présomption d'usage de copie privée est limitée, par le droit de l'Union européenne, aux seuls utilisateurs privés personnes physiques.
La société SONY MOBILE critique aussi la créance réclamée qui comporte compensation de copies illicites ce qui est contraire au droit interne et au droit européen.
Elle considère ainsi qu'en rémunérant copies illicites et professionnelles, la créance litigieuse viole le critère de légalité de la rémunération prévu par l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle réaffirmé par le Conseil d'Etat dans ses arrêts Simavelec du 11 juillet 2008, SFIB du 17 décembre 2010 et Canal + Distribution du 17 juin 2011, de sorte que ces décisions sont opposables à la société COPIE FRANCE et emportent autorité de la chose jugée.
En outre, l'appelante rappelle que selon le droit de l'union européenne, les Etats membres doivent éviter qu'un acte de reproduction ou de représentation issu de l'exercice d'une exception légale ne donne lieu à 'compensation équitable' s'il a déjà donné lieu à 'paiement sous autre forme, par exemple en tant que partie d'une redevance de licence'. Or, la rémunération pour copie privée adoptée selon les modalités de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ne distingue pas entre copie privée et copie contractuellement autorisée, ce qui donne lieu à un double paiement : l'un au titre de l'article susmentionné, l'autre au titre de la rémunération contractuelle. Elle tire des travaux préparatoires de la commission lors de l'élaboration de la décision n°11 que les copies subséquentes réalisées à partir de contenus téléchargés, contractuellement autorisées, ont, selon l'aveu des ayants droit, été intégrées dans l'assiette de la rémunération pour copie privée et cela indépendamment d'une autorisation préalable qui aurait été consentie à titre gratuit ou onéreux. Ainsi, cette double rémunération constitue une violation du principe de juste équilibre consacré par la directive 2001/29.
Ensuite, la société SONY MOBILE précise que le droit français prévoit que les ayants droit peuvent autoriser les reproductions à titre privé de leurs œuvres moyennant compensation financière. Ainsi lesdites reproductions doivent être exclues de la rémunération pour copie privée sauf à enfreindre le principe de juste équilibre et la prohibition de surcompensation.
En conséquence de ces éléments et au vu des contestations sérieuses auxquelles se heurte la créance litigieuse, il conviendra selon la société SONY MOBILE d'infirmer la décision entreprise et d'ordonner à son adversaire la restitution de la somme de 557 136,09 euros versée en exécution de la décision et de rejeter les demandes reconventionnelles de la société COPIE FRANCE.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour d'appel se rangerait à la solution dégagée par les arrêts du 17 mars 2016, la société SONY MOBILE demande à la cour d'évaluer la compensation équitable due à la société COPIE FRANCE. Conformément aux principes de responsabilité civile délictuelle, il appartient à cette dernière de démontrer la réalité et le quantum du préjudice dont elle prétend obtenir réparation, les barèmes de la décision n°15 ne pouvant, en aucune manière, constituer une référence pour évaluer le préjudice de la société Copie France.
La société SONY MOBILE soutient que, conformément aux arrêts du 17 mars 2017 , le juge judiciaire dispose d'un pouvoir d'évaluation de la compensation équitable dont le quantum doit être le strict reflet du préjudice subi par les ayants droit du fait de l'exception de copie privée. Ainsi, les copies échappant à la qualification de 'copie privée' ne sauraient être prises en compte dans ce calcul selon la règle de calcul confirmée par la Cour de justice de l'Union européenne. Or, il a été démontré que la créance litigieuse comporte des copies illicites et des copies à usage professionnel, il revient donc à la cour de les exclure du calcul du quantum de la compensation équitable.
Elle expose qu'au regard des travaux préparatoires de la commission administrative, des travaux parlementaires menés en 2008-2009 dans la cadre de la loi Hadopi, du rapport 2009 de l'IFPI, d'une étude menée courant 2008 sur demande des représentants des ayants droit, des conclusions du rapport sur 'le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux', il apparaît qu'une estimation de l'ordre de 30 à 50 % de copies illicites est raisonnable.
De plus, au regard des travaux parlementaires relatifs à la loi sur la rémunération pour copie privée du 20 décembre 2011, de l'étude d'impact du projet de loi établi par le ministère de la culture, des travaux préparatoires de la commission copie privée pour la décision n°11, il apparaît qu'entre 20 et 30 % de la créance litigieuse emporte compensation de copies à usage professionnel.
Enfin, au regard des travaux préparatoires des décisions de la commission administrative copie privée, il apparaît que les copies provenant de 'sites payants' et ayant déjà donné lieu à rémunération des ayants droit dans un cadre contractuel, représenteraient 23 % des copies d'œuvres protégées identifiées sur les supports soumis à rémunération pour copie privée.
Ainsi, la cour lors du calcul du quantum, devra prendre en compte les usages illicites, professionnels et déjà rémunérés dans la créance litigieuse ce qui représentent entre 50 et 80 % de celle-ci. La créance litigieuse ainsi calculée s'élèverait à 962 730 euros hors taxe (soit 50% de la créance réclamée par la société Copie France s'élevant à 1 925 460 euros HT).
La société SONY MOBILE demande à la cour, en cas de condamnation à verser à la société COPIE FRANCE, la somme provisionnelle éventuellement due par elle, de désigner tout tiers de son choix en qualité de séquestre judiciaire, le temps que le juge du fond statue définitivement sur le litige pendant devant le tribunal de grande instance de Nanterre. En effet, l'appelante considère que l'exécution de l'ordonnance l'expose au risque de ne pas se voir restituer la somme en cause si la créance venait à être considérée comme illicite, la société COPIE FRANCE n'ayant pas, de surcroît, de ressources propres.
***
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 février 2017 , la société COPIE FRANCE demande à la cour de :
- déclarer la société SONY MOBILE irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel ;
- confirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 mars 2010 en ce qu'elle lui a alloué une somme provisionnelle au titre de la rémunération pour copie privée, sauf à actualiser le montant de la créance de la société COPIE FRANCE ;
En conséquence
- débouter la société SONY MOBILE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- fixer la somme provisionnelle due à la société COPIE FRANCE par la société SONY MOBILE à la somme de 1 925 460,65 euros au titre de sa période d'activité allant de janvier 2009 au mois de décembre 2011 ;
- condamner la société SONY MOBILE, qui a déjà versé à COPIE FRANCE la somme de 557 136,09 euros et se trouve créditrice à l'égard de cette dernière de la somme de 826 761,59 euros HT au titre des notes de crédit émises à la suite des ventes de supports à l'export par ses clients dont elle sollicite la compensation, à payer par provision, à la société COPIE FRANCE, la somme complémentaire de 541 562,97 euros HT, sauf à parfaire pour sa période d'activité allant de janvier 2009 à décembre 2011 ;
- condamner la société SONY MOBILE à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société SONY MOBILE aux entiers dépens.
La société COPIE FRANCE ne conteste pas que les notes de débit en cause dans la présente instance, émises sur le fondement d'une décision administrative annulée sont privées de tout fondement juridique et sont insusceptibles d'être recouvrées.
Elle ajoute que, pour autant, il ne fait aucun doute que, nonobstant l'annulation de la décision n°11, la société COPIE FRANCE bénéficie, en vertu de multiples sources, d'une créance indemnitaire incontestable tant dans son principe, que dans son montant et que le juge judiciaire est parfaitement compétent pour la déterminer.
Elle relève que la société SONY MOBILE reconnaît désormais, à titre subsidiaire, l'existence d'un principe de compensation équitable à son profit et se contente, s'agissant de son quantum de critiquer les référents économiques proposées par elle, pour proposer de manière totalement arbitraire de réduire de 50 % le montant de la compensation équitable qui lui est due.
La société COPIE FRANCE développe en premier lieu l'argument selon lequel le juge judiciaire, sans qu'il soit porté atteinte à la séparation des autorités administratives ou judiciaires, ni fait preuve d'excès de pouvoir, a compétence pour fixer le montant de la compensation équitable. Cela résulte du droit positif qui donne compétence au juge judiciaire pour apprécier les demandes civiles consécutives aux décisions d'annulation des juridictions administratives et du principe constant que le juge judiciaire auquel l'article 12 du code de procédure civile impose de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, dispose du plein pouvoir d'apprécier les effets civils attachés aux décisions d'annulation des juridictions administratives dans le cadre des litiges entre particuliers qui lui sont soumis. De nombreuses jurisprudences confirment ce principe et notablement les décisions déjà évoquées de la Cour de cassation en date du 17 mars 2016 dont l'une revêt d'ailleurs l'autorité de la chose jugée à l'égard de la société SONY MOBILE partie à la procédure.
Elle affirme détenir une créance dont le montant et le principe sont incontestables. Elle précise que le fondement de cette compensation équitable est double au regard tout d'abord des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne et ensuite de l'exigence posée par l'article 545 du Code civil.
Au soutien de sa démonstration, elle cite l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle qui reconnaît aux auteurs, artistes interprètes et producteurs de phonogrammes et vidéogrammes un droit à rémunération en contrepartie de l'exception pour copie privée prévue par la loi. Elle ajoute qu'il ne faut pas confondre le principe même de la rémunération pour copie privée au titre de l'exception de copie privée résultant de l'article L. 311-1 précité, qui demeure incontestable nonobstant l'annulation de la décision n°11, avec les modalités pratiques de détermination de cette créance prescrites par l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle.
Ce principe de créance est par ailleurs confirmé par le droit de l'Union européenne qui a conçu l'exigence d'une compensation équitable comme une obligation de résultat à la charge des Etats-membres aux termes des articles 5-2 et 38 de la directive européenne N°2001/29/CE et des arrêts de la Cour de justice de l'Union en date du 21 octobre 2010 (Padawan), du 16 juin 2011 (Opus Supplies) ou encore du 11 juillet 2013 (Amazon).
Il en résulte que l'Etat-membre qui décide d'introduire l'exception pour copie privée doit assurer une perception effective de la compensation équitable destinée à indemniser les titulaires du droit exclusif de reproduction lésés du préjudice subi par eux. Le principe du droit à indemnisation de l'article L.311-1 s'impose ainsi à tous y compris au juge judiciaire.
Elle s'oppose à l'argumentation de SONY qui consiste à soutenir que l'interprétation conforme ne pourrait s'appliquer qu'en cas de contrariété de la norme nationale avec le droit de l'Union ce qui ne serait pas le cas en l'espèce puisque le principe posé par l'article L.311-1 est conforme à la Directive européenne susvisée, la problématique résultant uniquement d'une défaillance dans la mise en œuvre du mécanisme compensatoire mis en place par l'Etat français. Elle critique aussi son raisonnement selon lequel l'application de ce principe aboutirait à une interprétation contra legem par violation de l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle ou que la référence à des normes supra législatives est insusceptible de pallier la norme nationale.
La société COPIE FRANCE demande à la cour de faire une application classique du principe d'interprétation conforme et de tirer les conséquences de ce qu'elle est en droit de revendiquer une compensation financière au bénéfice des ayants droit par application des règles internes telles qu'éclairées par le droit de l'Union. En vertu de la primauté du droit de l'Union, il s'impose à toutes les autorités nationales y compris les juridictions statuant dans le cadre de leur compétence. Il ne s'agit pas d'écarter la loi nationale qui n'est pas, a priori, incompatible avec les exigences du droit de l'Union mais de faire en sorte que l'obligation de rémunération de la copie privée soit assurée, conformément au droit de l'Union en dépit de l'annulation des modalités fixées par la commission.
Le principe d'interprétation conforme de l'article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle à l'article 5-2 b) de la Directive du 22 mai 2001 suffit selon COPIE FRANCE à lui seul, à justifier le principe de la compensation équitable revendiqué par la société COPIE FRANCE.
La société COPIE FRANCE estime que la juste rémunération due au titre de la copie privée trouve également sa source dans les principes qui régissent le droit de propriété. Elle rappelle que le droit d'auteur participe au droit de propriété. Selon elle, l'exception de copie privée constitue une forme d'expropriation des auteurs et des titulaires de droits voisins. Or, l'article 545 du Code civil pose le principe d'une juste et préalable indemnité en cas d'expropriation.
La société COPIE FRANCE entend préciser qu'elle ne demande pas réparation, à la société SONY MOBILE, dans le cadre de la responsabilité civile de droit commun, d'un préjudice causé du fait de l'annulation de la décision de la commission de la copie privée, décision dont la responsabilité incombe à cette seule commission, et non à elle comme soutenu par son adversaire, mais qu'elle souhaite obtenir le paiement de la compensation équitable dont SONY MOBILE se trouve incontestablement redevable conformément à l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle et l'article 5 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001.
Elle conteste encore le raisonnement de la société SONY visant à considérer que la mise en cause de la responsabilité de l'Etat serait la seule voie de droit invocable en observant qu'il appartiendrait à la société SONY MOBILE dans le cas où elle estimerait avoir subi un dommage du fait de l'illégalité de la décision n°11 d'engager elle-même une action en responsabilité contre l'Etat.
Elle soutient également que la compensation équitable ne constitue pas une atteinte à la sécurité juridique ou à la confiance légitime, la réserve des contentieux en cours effectuée par le Conseil d'Etat ne préjudiciant pas à l'intervention du juge judiciaire, auquel il appartient de déterminer les conséquences de la nullité prononcée.
La société COPIE FRANCE sollicite ainsi que le principe de sa créance à l'égard de SONY MOBILE, au titre de la compensation équitable due aux ayants droit, soit constaté et que le montant soit fixé à titre provisionnel.
A ce propos, elle rappelle que, tirant les conséquences de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2011 comme de l'arrêt PADAWAN, la loi « relative à la rémunération pour copie privée » du 20 décembre 2011 est venue modifier les dispositions du code de la propriété intellectuelle pour préciser à l'article L.311-1 du Code de la propriété intellectuelle que seules les copies réalisées à partir d'une source licite ouvrent droit à rémunération et modifier l'article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle pour poser le principe selon lequel « la rémunération pour copie privée n'est pas due non plus pour les supports d'enregistrement acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée » et mettre en place un mécanisme de non assujettissement des supports à usage professionnel reposant sur une exonération conventionnelle ou un remboursement sur production de justificatifs par les acheteurs des supports.
Elle fait valoir que sous l'empire de cette loi et tenant compte de nouvelles études des fonctionnalités des supports assujettis, la commission pour copie privée a adopté le 4 décembre 2012, la décision n°15 fixant de nouveaux tarifs applicables notamment aux cartes mémoires non dédiées et aux téléphones mobiles multimédias. La légalité de cette décision a été confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 19 novembre 2014.
La société COPIE FRANCE propose, pour déterminer la contrepartie financière due, de se référer à ce barème. Il ne s'agit pas d'en demander l'application rétroactive mais de le considérer comme un élément de fait, utile mais non exclusif. Elle rappelle que les tarifs y figurant ont été fixés sur la base de deux études réalisées courant 2011 et dont les résultats ont été présentés aux membres de la commission en novembre 2011 de sorte que ces barèmes peuvent être considérés comme des référents économiques fiables.
Elle se réfère à la décision de la Cour de cassation du 17 mars 2016 pour confirmer la compétence du juge judiciaire pour déterminer le montant de la compensation équitable par nature forfaitaire en application de l'article L.311-3 du code de la propriété intellectuelle.
La société COPIE FRANCE souligne que l'application du barème n°15 la conduirait à solliciter une somme plus importante que celle fixée par référence à la décision n°11. De ce fait, elle s'en tient à la demande initiale d'une indemnisation en faveur des ayants droit fixée à la somme totale de 1 925 460,65 euros et rappelle que SONY MOBILE a déjà versé la somme de 557 136,09 euros HT et se trouve par ailleurs créditrice d'une somme de 826 761,59 euros HT au titre des notes de crédit émises à la suite des ventes de supports à l'export par ses clients. Elle demande donc paiement par provision du solde, soit la somme complémentaire de 541 562,97 euros HT pour la période de janvier 2009 à décembre 2011.
La société COPIE FRANCE souligne à titre subsidiaire que la société SONY MOBILE accepte le principe d'une contrepartie financière au titre de la compensation équitable. Elle s'oppose en revanche à la proposition formulée de la fixer à un montant qui ne pourrait être supérieur à 50% des sommes sollicitées. Elle critique l'abattement demandé de 30 à 50 % au titre des copies illicites en soutenant que la décision n°11 les avait déjà exclues. Elle s'oppose au second abattement de 20 à 30 % au titre des supports destinés à des usages professionnels, la preuve n'étant pas rapportée par SONY de l'usage exclusivement professionnel des supports commercialisés. Elle critique aussi la proposition d'un troisième abattement de l'ordre de 23 % au titre des copies ayant donné lieu à rémunération dans un cadre contractuel telles celles provenant de sites internet payants.
S'agissant des notes de crédit venant en déduction du montant de la somme provisionnelle due, seule la part des notes relevant de la période relative à la décision n°11 a été imputée selon un mode de répartition au prorota temporis (page 56 des conclusions).
La société COPIE FRANCE indique que si par extraordinaire la cour devait considérer qu'aucune rémunération pour copie privée ne lui était due, la société SONY MOBILE ne serait pas fondée à obtenir la restitution du montant total des notes de crédit émises à son bénéfice car cela reviendrait à condamner la société COPIE FRANCE à rembourser des montants de rémunération pour copie privée.
Elle insiste sur le fait que si la cour faisait droit à la demande formée à titre subsidiaire par la société SONY MOBILE tendant au nouveau calcul des montants des notes de crédit en fonction du montant de la possible compensation équitable, cela reviendrait à rembourser la société SONY MOBILE pour une somme supérieure à celle acquittée par cette dernière. Cette demande devra donc être rejetée selon elle.
Enfin, la société COPIE FRANCE entend souligner que la demande de mise en place d'un séquestre judiciaire par la société Sony ne se justifie nullement.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières écritures.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 février 2017 .
SUR CE, LA COUR,
Aux termes de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Par l'effet de l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 12 janvier 2011 par la Cour de cassation en sa décision du 24 avril 2013, la cour, dans sa présente composition, doit statuer sur l'appel interjeté contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 mars 2010.
Cette décision a, notamment, condamné la société SONY MOBILE à verser à la société SORECOP, devenue depuis COPIE FRANCE, une somme provisionnelle de 557 139,09 euros à valoir sur le paiement de la rémunération pour copie privée afférente aux supports d'enregistrement numériques vierges sortis des stocks de la société SONY MOBILE au cours des mois de janvier à octobre 2009.
A hauteur de cour, la société COPIE FRANCE sollicite la confirmation de cette ordonnance en ce qu'elle lui a alloué une somme provisionnelle au titre de la rémunération pour copie privée mais en actualise le montant à la somme de 1 925 460,65 euros HT au titre de la période d'activité de janvier 2009 au mois de décembre 2011.
Il est constant que les sommes réclamées par COPIE FRANCE et allouées par le premier juge ont été calculées sur la base d'une décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission de copie privée, instituée par l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle. Il est tout aussi établi que cette décision administrative a été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 17 juin 2011 dit 'arrêt Canal + Distribution' qui a réservé les actions contentieuses déjà engagées contre des actes pris sur son fondement et que le paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 qui avait validé les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision annulée, au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, pour les actions contentieuses introduites avant le 18 juin 2011, a été déclaré contraire à la Constitution suivant une décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 du Conseil constitutionnel.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 24 avril 2013, en a tiré la conséquence que l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris fixant les rémunérations dues sur la base d'une décision administrative qui faisait partie de l'ordonnancement juridique au moment où elle s'est prononcée mais annulée par la suite se trouvait privé de fondement juridique.
Ainsi les factures en cause, sur la base desquelles le premier juge a fixé le montant de la provision due, émises au visa d'un acte annulé, sont privées de tout fondement juridique et doivent être également annulées.
La société SONY MOBILE soutient dès lors principalement que l'annulation de la décision administrative prévue par la loi fondant la créance litigieuse fait disparaître irrémédiablement la dite créance, aucun fondement alternatif ne pouvant permettre, sans dénaturation de la loi ni risque d'insécurité juridique ou privation de son droit à un recours effectif, à une juridiction de l'ordre judiciaire, de faire une application autonome du droit à rémunération pour copie privée. Elle ajoute que le caractère « déficient » du régime légal n'est imputable qu'à l'Etat français qui doit seul en assumer les conséquences.
La société COPIE FRANCE soutient que le fondement de sa créance est incontestable dans son principe et son montant et repose sur le principe du droit à rémunération des ayants droit en contrepartie de l'exception de copie privée sur le fondement de l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété par le droit de l'Union européenne ainsi que sur les textes relatifs au droit de propriété.
Depuis la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, les auteurs et les artistes interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres dans le cadre dit des « copies privées ». Le principe et les caractéristiques de cette rémunération sont fixés par l'article L.311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle qui pose clairement, le principe d'un droit à rémunération destiné à compenser les pertes subies par les ayants droit du fait de la liberté de copie au moyen de supports d'enregistrement, tels que visés par l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, utilisables pour la reproduction à usage privé d'œuvres.
Ces textes doivent encore être interprétés à la lumière du droit de l'Union, notamment la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, intégralement transposée, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, qui prescrit que les titulaires d'un droit exclusif de reproduction doivent recevoir une compensation équitable destinée à les indemniser du préjudice que l'application de l'exception de copie privée leur cause.
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'Etat membre qui avait introduit une telle exception dans son droit national avait, à cet égard, une obligation de résultat, en ce sens qu'il était tenu d'assurer une perception effective de ladite compensation dès lors qu'il faisait le choix d'en adopter le principe.
Si la détermination du taux de la rémunération par la commission administrative a été annulée par le Conseil d'Etat, cette annulation se rapporte aux seules modalités pratiques de mise en œuvre de ce droit. Elle ne peut avoir pour effet de priver les titulaires du droit de reproduction, placés dans l'impossibilité de percevoir la juste rémunération calculée forfaitairement selon les prescriptions des articles L. 311-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de leur droit absolu à compensation équitable, indissociable du mécanisme de la copie privée. Ce droit qui tend à l'indemnisation du préjudice causé au droit de propriété intellectuelle par l'introduction de l'exception de copie privée impose au juge judiciaire, compétent en matière d'atteinte aux droits de propriété intellectuelle de statuer, non en vertu d'un barème, mais en recherchant les éléments d'évaluation du préjudice.
Le rappel de ce principe du droit à rémunération des ayants droit en contrepartie de l'exception de copie privée sur le fondement de l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle, déjà affirmé par la jurisprudence, permet de retenir que la contestation émise par la société SONY MOBILE de ce qu'il n'y aurait aucun fondement alternatif à la créance de la société COPIE France, n'est pas sérieuse. Il s'en suit qu'il ressort des pouvoirs du juge des référés de déterminer le montant de l'indemnité due dans les limites de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile.
Pour évaluer le montant de la compensation équitable, la société COPIE FRANCE fait référence à la décision n° 15 adoptée le 4 décembre 2012 par la commission pour copie privée en soulignant que, faute de pouvoir constituer un barème, elle constitue un élément de fait pertinent en ce qu'elle exclut les copies à usage professionnel et les copies illicites et tient compte de nouvelles études des fonctionnalités des supports assujettis, notamment les cartes mémoires non dédiées et les téléphones mobiles multimédias. Elle actualise ses demandes pour solliciter une provision au titre de la période de janvier 2009 à décembre 2011 fixée à 1 925 460,65 euros. Elle accepte que soient déduit de cette somme, celle de 826 761,59 euros correspondant à des notes de crédit en faveur de SONY MOBILE, ainsi que celle de 557 136,09 euros correspondant à la somme payée en exécution de la décision de première instance.
La société SONY MOBILE prétend que les barèmes de la décision n° 15 ne peuvent, en aucune manière, constituer une référence pour évaluer le préjudice de la société COPIE FRANCE. Elle soutient que la créance litigieuse comporte des copies illicites, des copies à usage professionnel et des copies déjà rémunérées dans un cadre contractuel qui doivent être exclues du calcul du quantum de la compensation équitable. Elle propose des abattements pour un total compris entre 50 et 80 % pour en tenir compte et estime que la créance s'élève à 962 730 euros HT dont il convient de déduire sa propre créance au titre des notes de crédit et les sommes déjà versées en application de la décision querellée de sorte qu'elle s'estime créancière de la somme de 421 167 euros HT.
La condamnation par le premier juge au paiement provisionnel de la somme de 557 139,09 euros mise à la charge de la société SONY MOBILE, désormais privée de fondement légal, doit être infirmée étant observé que cette société s'était acquittée du paiement d'une somme de 557 136,09 euros.
La cour observe que les volumes de supports assujettis (cartes mémoires non dédiées et téléphones mobiles multimédia) déclarés en sorties de stocks par le fabricant, tels que mentionnés par les notes de débit litigieuses sur la période de janvier 2009 à décembre 2011 ne sont pas contestés par la société SONY MOBILE.
Il n'est pas plus contesté que la redevance pour copie privée devait, sur la base des principes dégagés par la loi, les normes européennes et les décisions de justice de toutes natures, exclure les copies pour usage professionnel, les copies illicites et celles déjà rémunérées dans un cadre contractuel. Le calcul du montant de l'indemnité au titre de la compensation équitable doit prendre en considération les mêmes impératifs.
La cour observe en premier lieu que selon les termes d'un procès-verbal de la commission de copie privée en date du 19 novembre 2008, se référant à une réunion du 7 novembre 2008, l'assiette de rémunération pour copie privée retenue par chacun des barèmes subséquents exclut les copies contractuellement autorisées dans le cadre de l'exercice par les ayants droit de leur droits exclusifs.
Les barèmes des décisions n° 11 et 15 de la commission de la copie privée, invoqués par les parties, l'une pour s'en prévaloir, l'autre pour les écarter ou les amender d'un fort taux d'abattement, constituent des éléments de fait, utiles mais non exclusifs pour déterminer la contrepartie financière de la copie privée due aux ayants droit et non des actes administratifs réglementaires directement applicables en l'espèce.
S'agissant des copies de sources illicites, la décision n° 11 avait pour objectif d'exclure toute copie de sources illicites de l'assiette de la rémunération de la copie privée. La commission avait demandé à l'Institut TNS-SOFRES de procéder à une étude des pratiques «de copies d'origine illicite sur certains supports assujettis à la rémunération pour copie privée» dont les résultats ont mis en évidence que, même en prenant en compte une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de sources illicites, les niveaux de rémunération résultant des barèmes fixés par les décisions antérieures de la commission étaient, en réalité, très inférieurs à ce qu'ils auraient dû être pour tenir compte des pratiques de copie privée des particuliers, notamment des pratiques d'utilisation en mode compressé qui augmentent considérablement leur capacité d'enregistrement. Cette décision a néanmoins été annulée par le Conseil d'Etat qui a retenu le moyen tiré d'un traitement jugé insuffisant des usages professionnels.
La société SONY MOBILE soutient que cette prise décision ne reflétait pas pour autant la réalité économique des copies illicites devenues un phénomène de masse, évoquant nombre de travaux parlementaires ou études qui ont mis en évidence leur caractère croissant, estimant dès lors raisonnable voire minimaliste de fixer entre 30 et 50 % le pourcentage de copies illicites dans les domaines musicaux et audiovisuels, principaux bénéficiaires de la rémunération pour copie privée.
Si les procès verbaux des délibérations de la commission des 19 et 26 novembre 2008 ont conclu à une révision à la hausse des tarifs, la décision n° 11 a néanmoins retenu un barème identique à ceux des décisions antérieures en rappelant que ce barème prenait en compte, d'une part, «une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de source illicite», d'autre part, «une augmentation des coefficients de conversion horaire des capacités nominales correspondant aux pratiques de compression reconnues», tout en précisant qu'il n'était pas établi que ces données techniques qui n'avaient pas été prises en compte pour fixer le barème de la rémunération «compense l'exclusion de la prise en compte des copies illicites».
Dès lors quand bien même cette décision a été annulée sur le moyen de la méconnaissance des supports acquis pour des usages professionnels, il ne peut en être déduit que le barème ait pris l'exacte mesure du pourcentage des copies illicites de sorte que la cour ne saurait fonder son appréciation pour chiffrer le montant de l'indemnité compensatrice sur la base du barème fixé par cette décision.
Par ailleurs, les barèmes de la décision n° 15, qui n'a pas été annulée, ont été déterminés à l'exclusion, d'une part, de toute prise en compte d'usages professionnels dans la détermination du montant de la rémunération pour ne retenir à cet égard que des usages de copie privée, les supports à usage professionnels faisant désormais l'objet d'un système d'exonération légal au terme d'une loi du 20 décembre 2011, d'autre part, les copies de sources illicites. Elle aboutit à la fixation de montants de rémunération pour copie privée plus élevés que ceux de la décision n° 11.
Les contestations de la société SONY MOBILE s'agissant des usages professionnels, qui s'appuient sur que les travaux parlementaires relatifs à la loi pour copie privée du 20 décembre 2011 ou des notes ou travaux préparatoires à la décision n° 11 ne constituent pas sur ce point des données certaines, pas plus que les premiers éléments d'une note d'orientation d'une mission parlementaire du 12 janvier 2015 au sujet de la collecte des droits dans les autres pays de l'Union européenne.
Si la décision n° 15 a déterminé un barème supérieur à celui de la décision n° 11 alors même qu'elle excluait tant les copies illicites que les supports à usage professionnel et s'il en résulte un différentiel à la hausse de 72 822,07 euros par rapport au calcul de la rémunération pour la période de janvier 2009 à décembre 2011 sur la base de la décision 11, cette hausse ne permet pas, pour autant, à la cour de retenir ni le barème de l'une, ni celui de l'autre pour fixer le montant de l'indemnité compensatrice.
En revanche, ces décisions mettent en évidence qu'il n'y a pas lieu d'appliquer le triple abattement proposé par la société SONY MOBILE qui est manifestement excessif. Au vu des éléments ci avant exposés, la cour considère que l'application d'un abattement de 10% par rapport aux sommes réclamées par la société Copie France permet de fixer un montant de créance non sérieusement contestable.
Il sera donc fait droit à la demande de COPIE France de fixer sa créance sur la société SONY MOBILE à la somme provisionnelle de 1 732 914,59 euros HT pour la période de janvier 2009 à décembre 2011.
Il convient encore de retenir le montant de la propre créance de la société SONY MOBILE sur COPIE France à hauteur de 826 761,59 euros HT et le montant des sommes déjà payées par SONY MOBILE à hauteur de 557 136,09 euros HT.
La société SONY MOBILE sera donc condamnée au paiement provisionnel de la somme de 349 016,91 euros HT.
La demande de séquestre formée par la société SONY MOBILE sera rejetée eu égard à la nature de la société COPIE FRANCE.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris RG 09/58208 en date du 4 mars 2010 ;
Statuant à nouveau,
Constate que la créance de la société COPIE FRANCE à l'encontre de la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB au titre des factures émises en application de la décision n° 11 de la commission copie privée est privée de fondement juridique à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2011 annulant la dite décision administrative et est, par la même réputée n'avoir jamais existée ;
En conséquence,
Dit qu'aucune des factures litigieuses n'est due par la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB ;
Dit que la société COPIE FRANCE doit restituer à la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB la somme de 557 136,09 euros HT ;
Reçoit la société COPIE FRANCE en ses demandes ;
Fixe à la somme provisionnelle de 1 732 914,59 euros HT le montant de l'indemnité compensatrice due au titre de la copie privée pour la période de janvier 2009 à décembre 2011 ;
Constate que la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB est également créancière de la société COPIE FRANCE d'une somme de 826 761,59 euros HT ;
Condamne la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB, après compensation des sommes réciproquement dues, à payer à la société COPIE France une somme provisionnelle de 349 016,91 euros HT ;
Rejette la demande de désignation d'un séquestre ;
Condamne la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB à payer à la société COPIE FRANCE la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SONY MOBILE COMMUNICATIONS AB aux entiers dépens de la procédure.