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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 23 mai 2017, n° 16/24716

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Western Digital France (SARL)

Défendeur :

Société Copie France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

M. Peyron, Mme Douillet

TGI Paris, du 18 nov. 2016, n° 16/05414

18 novembre 2016

E X P O S É D U L I T I G E

La société civile pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (ci-après Copie France) a fait assigner le 15 mars 2016 la SARL Western Digital France (ci-après Western Digital) devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de la somme de 4.005.502,57 € TTC correspondant à la rémunération pour copie privée due au titre des supports d'enregistrement vierges commercialisés par elle au cours de la période allant du mois de juillet 2014 au mois de novembre 2015 ;

Par conclusions d'incident du 25 octobre 2016, la SARL Western Digital a soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance de Paris au profit du tribunal de grande instance de Nanterre ;

Par ordonnance contradictoire du 18 novembre 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a :

•            rejeté l'incompétence soulevée,

•            renvoyé l'affaire à une audience ultérieure de mise en état pour conclusions au fond de la SARL Western Digital,

•            réservé les dépens de l'incident qui suivront le sort de ceux de l'action au fond ;

La SARL Western Digital a interjeté appel de cette ordonnance le 09 décembre 2016 ;

Par ses dernières conclusions récapitulatives d'appel n° 2, transmises par RPVA le 24 mars 2017 , la SARL Western Digital demande :

•            d'infirmer l'ordonnance entreprise,

•            de la déclarer recevable et bien fondée en son exception d'incompétence,

•            de déclarer le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour statuer sur le présent litige, au profit du tribunal de grande instance de Nanterre,

•            de condamner la société Copie France à lui verser la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Par ses dernières conclusions d'intimée n° 2, transmises par RPVA le 23 mars 2017 , la société Copie France demande :

•            de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

•            de condamner la SARL Western Digital à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

L'affaire a fait l'objet, conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, d'une fixation directe à l'audience tenue en conseiller rapporteur du lundi 27 mars 2017 à 14 h ;

M O T I F S D E L ' A R R Ê T

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé à l'ordonnance déférée et aux écritures des parties ;

Considérant que la SARL Western Digital affirme que la société Copie France exerce depuis Neuilly-sur-Seine sa mission monopolistique de collecte du complément de copie privée fixé par les décisions de la commission Copie privée et qu'elle-même commercialise des disques externes en France depuis son siège social effectif situé à Issy-les-Moulineaux ;

Qu'elle rappelle que le contexte du différend résulte d'une surfacturation contestable et que le lieu de survenance du fait dommageable allégué (le défaut de paiement) est celui où elle est établie, c'est-à-dire dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre ;

Qu'elle soutient que le lieu où la société Copie France a eu connaissance du fait qu'elle considère comme générateur d'un préjudice ne se situe pas dans le ressort de la domiciliation statutaire de Paris dans la mesure où c'est l'activité réelle de l'entité qui compte et non son siège de papier ;

Qu'elle fait ainsi valoir que les déclarations sont adressées mensuellement à la société Copie France par voie postale à Neuilly-sur-Seine, que cette société indique sur ses notes de débit que ses bureaux et son adresse postale sont situés à Neuilly-sur-Seine, que le règlement des factures doit s'effectuer entre les mains de la banque de cette société située à Puteaux, dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre et que c'est à Neuilly-sur-Seine que le gérant est domicilié lorsqu'il convoque les assemblées générales des associés ou le conseil d'administration d la société et lorsqu'il répond aux contestations ;

Qu'elle soutient qu'en toute hypothèse le siège social parisien de la société Copie France s'apparente à une simple domiciliation, sans réalité avec le lieu d'établissement effectif de ses activités opérationnelles et qu'il ne fait pas de doute que le tribunal de grande instance de Nanterre est seul compétent en application des dispositions de l'article 46, 3ème alinéa du code de procédure civile ;

Qu'elle conclut donc à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et à l'incompétence du tribunal de grande instance de Paris pour statuer sur le présent litige, au profit du tribunal de grande instance de Nanterre ;

Considérant que la société Copie France réplique qu'elle exerce une action de nature délictuelle et qu'elle est fondée à invoquer le bénéfice de l'option de compétence prévue par l'article 46, 3ème alinéa du code de procédure civile au profit de la juridiction du lieu où le dommage a été subi ;

Qu'elle précise que le lieu où le dommage a été subi par elle ne se confond pas avec le lieu du fait dommageable et que ce dommage résulte de l'impossibilité pour elle d'accomplir son objet social et s'est donc matérialisé au lieu où elle l'a ressenti, c'est-à-dire à son domicile situé au lieu de son siège social à Paris ;

Qu'elle soutient que c'est bien à ce siège social parisien que les principales décisions relatives à l'accomplissement de son objet social sont prises par son conseil d'administration, rappelant qu'il n'appartient pas au gérant mais au conseil d'administration de prendre les décisions relatives à la gestion de la société ;

Qu'elle ajoute que son siège social n'est pas fictif, un siège social statutaire étant présumé comme étant le siège réel de la société à l'égard des tiers, la centralisation administrative et comptable de la gestion d'une société dans un lieu distinct étant un élément insuffisant pour décider que son siège social s'y trouve situé ;

Considérant ceci exposé, qu'il n'est pas contesté que l'action engagée par la société Copie France à l'encontre de la SARL Western Digital est une action délictuelle en paiement d'une somme correspondant à la rémunération pour copie privée des phonogrammes et des vidéogrammes, prévue par l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle et dont la répartition entre les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs s'effectue conformément aux dispositions de l'article L 311-7 ;

Considérant que selon l'article 5 de ses statuts la société Copie France a notamment pour objet de 'percevoir le droit à rémunération à l'occasion de la reproduction des phonogrammes et des vidéogrammes réservée à l'usage privé, pour le compte de ses associés dont elle reçoit délégation à cet effet à titre exclusif du simple fait de leur adhésion et pour la durée de cette dernière' ;

Considérant que l'article 46, 3ème alinéa du code de procédure civile dispose qu'en matière délictuelle le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

Considérant que la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage a été subi s'entend de celle du lieu où ce dommage est survenu ;

Considérant que le préjudice consécutif à l'impossibilité pour la société Copie France de percevoir et de répartir, conformément à la loi, la rémunération pour copie privée résulte de l'empêchement dans lequel elle se trouve d'accomplir son objet social ;

Que ce préjudice est ainsi subi au domicile de la société Copie France, c'est-à-dire au siège social fixé par les statuts et non pas au lieu où ont été enregistrées les conséquences financières du fait dommageable ;

Considérant qu'en l'espèce il résulte de ses statuts que la société Copie France a son siège social [...], que selon les articles 17 et 20 des statuts, la société est administrée par un conseil d'administration de 28 membres qui dispose des pouvoirs les plus étendus pour décider tous actes ou opérations relatifs à son objet tels que notamment, la fixation du taux de retenue annuel destiné à couvrir les frais de fonctionnement (article 14), la fixation des dates d'échéance et des périodes de perception des redevances (article 15), la fixation de la quote-part de la rémunération revenant aux associés (article 16) ;

Que ce conseil d'administration se réunit aussi souvent que les besoins de la société l'exigeront et au moins quatre fois par an (article 19) et réunit les associés chaque année en assemblée générale (article 23 ) ;

Considérant qu'il ressort des pièces produites que pour l'année 2016 le conseil d'administration a ainsi été convoqué sur ordre du jour à l'adresse du siège social de la société à Paris par courriers des 10 février, 07 avril, 21 juin et 30 septembre 2016 et qu'il en a été de même de l'assemblée générale annuelle des associée convoquée à l'adresse du siège social le 16 juin 2016 (pièces 5, 6 et 9 de la société Copie France) ;

Considérant que la circonstance de ce que les services administratifs de la société Copie France sont localisés dans un autre établissement situé à Neuilly-sur-Seine, commune du ressort du tribunal de grande instance de Nanterre, ne suffit pas à démontrer le caractère prétendument fictif du siège social de cette société au sein duquel se déroulent les réunions de son organe décisionnel, son conseil d'administration, et où sont prises les décisions essentielles ;

Considérant qu'il s'ensuit que le siège social de la société Copie France à Paris n'est pas une fiction et que ses activités statutaires se font bien à cette adresse qui constitue donc son domicile au sens de l'article 102, 1er alinéa du code civil, considéré comme le lieu de son principal établissement ;

Considérant dès lors que la société Copie France pouvait valablement faire le choix de la juridiction de son siège social correspondant au lieu où le dommage a été subi ; qu'en conséquence l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SARL Western Digital et renvoyé l'affaire à la mise en état ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Copie France la somme complémentaire de 5.000 € au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, l'ordonnance entreprise étant par ailleurs confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;

Considérant que la SARL Western Digital sera pour sa part, déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que la SARL Western Digital, partie perdante en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, l'ordonnance entreprise étant par ailleurs confirmée en ce qu'elle a réservé les dépens de la procédure de première instance ;

P A R C E S M O T I F S

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ;

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant :

Condamne la SARL Western Digital à payer à la société civile pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France) la somme complémentaire de CINQ MILLE EUROS (5.000 €) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens ;

Déboute la SARL Western Digital de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Western Digital aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.