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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 mai 2020, n° 18/08572

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Acer Computer France (SAS)

Défendeur :

Société Pour la Rémunération de la Copie Privée Audiovisuelle et Sonore

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaber

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Barutel

TGI Paris, 3e ch. 1re sect., du 22 mars …

22 mars 2018

Vu le jugement contradictoire rendu le 22 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 1ère section) ;

Vu l'appel interjeté le 25 avril 2018 par la société Acer Computer France (Acer) ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 2 décembre 2019 par la société Acer Computer France (Acer), appelante à titre principal et intimée incidente ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 28 janvier 2020 par la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France), intimée à titre principal et appelante incidemment ;

Vu l'ordonnance de clôture du 6 février 2020 ,

Vu la note d'audience du 12 mars 2020 par laquelle la société Acer renonce à sa demande liminaire d'exclusion des débats des factures émises de mars à novembre 2012,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la rémunération pour copie privée, instituée par la loi du 3 juillet 1985, est prévue à l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle et constitue la contrepartie financière due aux titulaires de droits d'auteur et droits voisins, pour compenser l'exception de copie privée, exception légale au droit de reproduction conformément aux articles L.122-5-2° et L.211-3-2° du même code.

En outre, la directive CE/2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (directive CE/2001/29), et notamment son article 5-2 b) a donné aux Etats membres la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées pour un usage privé à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable.

La rémunération pour copie privée, assise sur les supports vierges d'enregistrement, est due notamment par le fabricant desdits supports, et susceptible d'être répercutée par celui-ci sur l'utilisateur final. Les types de supports, les taux de rémunération et les modalités de versement de cette rémunération sont déterminés par décisions administratives adoptées par une commission paritaire dite la 'commission copie privée', composée, outre son président, de 24 membres représentant pour moitié les ayants droit, et pour moitié les fabricants ou importateurs de supports et les consommateurs.

Au cours des dernières années, plusieurs décisions de la Commission copie privée ont été annulées par le Conseil d'Etat :

- la décision n°7 du 20 juillet 2006 par arrêt du 11 juillet 2008, à effet du 12 janvier 2009, et en conséquence les décisions n°8, 9 et 10, au motif de la prise en compte dans l'assiette du calcul de la rémunération des copies provenant de sources illicites ;

- la décision n°11 du 17 décembre 2008 par arrêt du 17 juin 2011, à effet du 23 décembre 2011, et en conséquence la décision n°13 du 12 janvier 2011, par arrêt du 25 juin 2014, au motif d'une prise en compte non conforme des supports à usage professionnel au regard de la directive CE/2001/29 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans son arrêt Padawan du 21 octobre 2010.

A la suite desdits arrêts, la loi du 20 décembre 2011 a notamment précisé que seules les copies réalisées à partir d'une source licite ouvrent droit à rémunération (article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle), et que ladite rémunération n'est pas due pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée (article L.311-8 3°du même code).

Afin de laisser le temps à la commission de la copie privée (la commission) d'élaborer de nouvelles rémunérations pour l'ensemble des supports assujettis, l'article 6-I de la loi susvisée dispose que les règles, telles que modifiées par les dispositions de l'article L.311-8 dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2011, prévues par la décision n°11 de la commission copie privée telles que modifiée par la décision n°13, sont applicables à la rémunération pour copie privée jusqu'au 1er janvier 2013. Cette disposition a été déclarée conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel rendue le 20 juillet 2012.

Sous l'empire de cette nouvelle loi, et après avoir procédé à des études portant sur les fonctionnalités, les caractéristiques techniques et les pratiques de copie privée de l'ensemble des supports assujettis à la rémunération pour copie privée, la commission a adopté le 9 février 2012 une décision n°14 fixant les barèmes applicables aux tablettes multimédia de mars à décembre 2012, et le 14 décembre 2012 une décision n°15 fixant à compter du 1er janvier 2013 les rémunérations applicables sur la quasi-totalité des supports assujettis.

Les recours en annulation formés à l'encontre des décisions n°14 et 15 ont été rejetés par arrêts du Conseil d'Etat du 19 novembre 2014.

La société Acer est constructeur d'une large gamme de matériels informatiques, et notamment de cartes mémoires vendues 'en bundle' c'est-à-dire de façon groupée avec d'autres matériels tels que des téléphones ou des disques durs, et des tablettes multimédia. Elle est en conséquence redevable de la rémunération pour copie privée, appelée par la société Copie France au moyen de notes de débit sur la base des déclarations de sorties de stock de matériels qu'elle lui a transmises.

De nombreuses procédures ont opposé et opposent encore les parties et notamment :

- une procédure de référé engagée par la société Copie France devant le tribunal de grande instance de Paris portant sur la rémunération prévue par la décision n°14 de la Commission, qui a fait l'objet du dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité dont la transmission a été refusée selon ordonnance du 2 février 2016, puis a donné lieu à la condamnation en paiement de la société Acer notamment à la somme provisionnelle de 767 256,07 euros pour la période de mars à novembre 2012 selon ordonnance du 27 septembre 2016 dont il n'a pas été interjeté appel.

- une procédure de référé engagée par la société Copie France devant le tribunal de grande instance de Paris portant sur la rémunération prévue par la décision n°15 de la Commission, qui a donné lieu à la condamnation en paiement de la société Acer notamment à la somme provisionnelle de 1 155 000 euros par ordonnance du 27 juin 2014 dont la société Acer a interjeté appel, la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ayant été rejetée par arrêt de la cette cour du 26 janvier 2016 à la suite duquel la procédure a pris fin par le désistement réciproque des parties.

La présente procédure a été engagée par la société Acer par acte du 1er février 2012 pour contester les factures émises par la société Copie France en application de la décision n°13 pour la période février à décembre 2011, puis en cours d'instance a été étendue aux factures émises en application de la décision n°14 pour la période de mars à décembre 2012, ainsi qu'à celles émises sur le fondement de la décision n°11 telle que modifiée par la décision n°13 applicable par l'effet des dispositions de l'article 6-I de la loi du 20 décembre 2011. Elle couvre donc au global la période du 1er février 2011 au 31 décembre 2012.

Par jugement dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a notamment, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- Rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société Copie France,

- Débouté la société Acer de l'intégralité de ses prétentions,

- Dit n'y avoir lieu à question préjudicielle,

- Condamné la société Acer à payer en deniers ou quittance à la société Copie France, les sommes de :

' 1 525 941,30 euros pour la période de février à décembre 2011 au titre de la commercialisation des cartes mémoires non dédiées vendues en bundle avec des téléphones multimédias, des disques durs externes et des tablettes multimédias,

' 303 129,60 euros pour la période de janvier à décembre 2012 au titre de la commercialisation des cartes mémoires non dédiées vendues en bundle avec des téléphones multimédias et des disques durs externes, sur le fondement de la décision n°11 telle que modifiée par la décision n°13 applicable par l'effet des dispositions de l'article 6-I de la loi du 20 décembre 2011,

' 725 319,60 euros HT pour la période de mars à décembre 2012 au titre de la commercialisation des tablettes tactiles multimédias, en exécution de la décision n°14,

- Condamné la société Acer aux dépens,

- Condamné la société Acer à payer à la société Copie France, la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la demande liminaire d'exclure des débats une somme

Il sera relevé que si dans le dispositif de ses conclusions la société Acer forme une demande liminaire d'exclure des débats la somme de 149 598,40 euros correspondant aux notes de débit émises pour la période de mars à novembre 2012 au titre des cartes mémoire vendues en bundle avec les téléphones mobiles multimédia, elle ne présente aucune motivation particulière de ce chef.

Il ne saurait dès lors être fait droit à cette demande à laquelle elle a au demeurant contradictoirement déclaré renoncer à l'audience devant la cour.

Sur la recevabilité de l'action de la société Acer

La société Copie France soutient en premier lieu que l'action de la société Acer tendant au remboursement des sommes réglées par elle constitue une action en répétition de l'indu, et qu'elle est irrecevable en ce qu'elle ne démontre pas s'être appauvrie puisque les sommes qu'elle a versées à Copie France ont été supportées par les consommateurs.

Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges par des motifs que la cour adopte, l'action de la société Acer n'a pas été formée sur le fondement de la répétition de l'indu, lequel n'est pas même invoqué par la société Acer. Elle est fondée pour partie sur les conséquences civiles attachées à l'annulation d'un acte juridique et pour partie, sur la faculté offerte à tout justiciable, après évaluation provisoire par le juge des référés de la fraction non sérieusement contestable d'une obligation et condamnation du débiteur au paiement de celle-ci, de solliciter, afin de mettre fin aux effets de l'ordonnance de référé, la fixation par le juge du fond, de la créance invoquée par le créancier, peu important le fait qu'une partie des sommes a été réglée spontanément par la société Acer.

La recevabilité à agir de la société Acer ne doit dès lors pas être examinée au regard de l'action en répétition de l'indû qui n'est pas le fondement par elle choisi. L'irrecevabilité opposée de ce chef par la société Copie France sera rejetée, et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

La société Copie France soutient en second lieu que la demande de dispense de paiement formulée par la société Acer ne procède pas d'un intérêt né, actuel, personnel et légitime alors qu'elle s'est abstenue de verser des sommes dues et qu'en même temps elle a répercuté ces sommes auprès du consommateur final qui en a supporté la charge.

Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, la société Acer, qui est un fabricant de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, redevable en conséquence de la rémunération pour copie privée par l'effet de l'article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle et débitrice à l'égard de la société Copie France qui assure la perception de ladite rémunération, dispose d'un intérêt né, actuel, direct et personnel à contester le montant des créances ainsi réclamées par la société Copie France et à en solliciter la dispense de paiement, nonobstant le fait qu'elle aurait répercuté le montant de ladite rémunération sur le consommateur final. Ce moyen d'irrecevabilité sera donc également écarté, et le jugement dont appel confirmé de ce chef.

Sur la créance indemnitaire à l'encontre de la société Acer pour la période de février à décembre 2011

Sur le fondement de la créance

La société Acer considère que la société Copie France ne peut invoquer au soutien de sa créance de compensation équitable un fondement alternatif aux notes de débit réalisées sur le fondement de la décison n°13 annulée.

Il n'est pas discuté, ainsi que l'ont pertinemment dit les premiers juges, que l'annulation avec effet rétroactif de la décision administrative n°13 du 12 janvier 2011 de la commission, a pour effet de priver de fondement juridique les notes de débit émises en exécution dudit acte administratif par la société Copie France.

La société Acer soutient qu'il est impossible d'invoquer une application autonome de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle par le recours à des normes supra-législatives, que les dispositions d'une directive ne peuvent être directement invoquées devant les juridictions nationales qu'en cas de défaut de transposition ou de transposition non conforme de ladite directive, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Il n'est cependant pas contesté que l'article L.311-1 susvisé pose le principe du droit pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs à une rémunération au titre de la reproduction des oeuvres dont ils sont titulaires, en contrepartie de l'exception de copie privée, et que ladite rémunération est destinée à compenser les pertes subies par les ayants droit du fait de la liberté de reproductions réservées à l'usage privé prévue par l'article L.122-5 du même code.

La rémunération pour copie privée ainsi prévue par l'article L.311-1 correspond à la compensation équitable instituée comme condition de l'exception de copie privée par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001. Elle doit être interprétée dans toute la mesure du possible par les juridictions nationales à la lumière du texte et de la finalité de ladite directive, pour atteindre le résultat visé par celle-ci, conformément à l'article 288 alinéa 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, peu important le fait que la rémunération pour copie privée a été introduite en droit français en 1985, antérieurement à ladite directive, alors qu'il s'agit d'une notion de l'Union qui doit recevoir une interprétation uniforme. En outre, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'Etat membre qui avait introduit une telle exception dans son droit national avait, à cet égard, une obligation de résultat, en ce sens qu'il était tenu d'assurer une perception effective de ladite compensation dès lors qu'il faisait le choix d'en adopter le principe.

La société Acer critique les arrêts de la Cour de cassation du 17 mars 2016 qui ont approuvé la cour d'appel d'avoir retenu que l'annulation des décisions de la commission administrative ne saurait priver les titulaires du droit de reproduction d'une compensation équitable. Elle fait valoir, d'une part, que le mécanisme légal instauré par les articles L.311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle satisfait pleinement à l'obligation de résultat imposée aux Etats par le droit de l'Union et que ce n'est que la mise en oeuvre de ce dispositif qui est défaillante, de sorte qu'il appartient à l'Etat français de réparer le préjudice causé aux ayants-droit du fait du dysfonctionnement de la commission administrative, d'autre part, que cette interprétation conforme du droit national à la lumière de la directive qui crée une obligation indemnitaire à la charge des redevables de la rémunération pour copie privée non prévue par la loi nationale, se heurte au principe de sécurité juridique élevé au rang de principe général du droit de l'Union européenne, et conduit à une interprétation contra legem de ladite loi, en ce qu'elle retient le principe d'indemnisation posé par l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle mais s'affranchit du régime légal de la rémunération pour copie privée, le juge judiciaire se substituant à la commission administrative de l'article L.311-5 en violation du principe de séparation de pouvoir.

La cour considère que l'annulation de la décision n°13 du 12 janvier 2011 de la commission copie privée, instaurant notamment des tableaux de rémunérations dues sur divers supports pour la période de février à décembre 2011, qui se rapporte aux seules modalités pratiques de mise en œuvre du droit à rémunération reconnu par l'article L.311-1 susvisé, ne peut, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 mars 2017, et à sa suite le tribunal dans le jugement dont appel, avoir pour effet de priver les titulaires du droit de reproduction de leur droit à rémunération, indissociable du mécanisme de la copie privée.

Les moyens opposés par la société Acer selon lesquels, le juge judiciaire ne pourrait invoquer le droit de l'Union européenne et le recours à la technique de l'interprétation conforme, sont infondés alors qu'il ne s'agit ni de faire produire un effet direct horizontal à la directive susvisée 2001/29 qui est intégralement transposée en droit français ni d'évincer une norme nationale qui serait en contradiction avec le droit de l'Union européenne mais d'appliquer, au cas d'espèce, à la suite de l'annulation de la décision n°13, le principe inhérent au système du traité de l'obligation générale pour une juridiction nationale d'assurer dans le litige dont elle est saisie dans toute la mesure du possible l'application effective du droit de l'Union, aucune insécurité juridique ne résultant de ce chef alors que les titulaires d'un droit exclusif de reproduction doivent recevoir une rémunération destinée à compenser les pertes qu'ils subissent du fait des copies à usage privé en application de l'article L.311-1 et que la société Acer a commercialisé et mis à disposition sur le territoire français des supports d'enregistrement aux fins de réaliser des copies, éligibles en conséquence à la rémunération pour copie privée, dont il convient de rappeler que le défaut de versement constitue une infraction pénale punie de 300 000 euros d'amende en application de l'article L.335-4 du code de la propriété intellectuelle.

La société Acer prétend que le principe d'une fixation judiciaire du montant de la créance litigieuse se heurte à la compétence exclusive de la commission de l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle pour déterminer le quantum de la rémunération pour copie privée qui relève d'un mécanisme de licence légale, ainsi qu'à l'incompatibilité entre la créance litigieuse et le régime de responsabilité civile, compte tenu de la nature forfaitaire de la compensation équitable et de la référence à des barèmes.

La cour rappelle que lorsqu'il est saisi d'une demande civile consécutive à une décision administrative d'annulation, comme en l'espèce, le juge judiciaire est tenu de statuer en appréciant les éléments produits dans le cadre du débat contradictoire, qu'il ne peut dès lors être soutenu qu'il ne serait pas compétent pour fixer le montant de la compensation due au titre de l'exception de copie privée au motif que cela relève de la compétence exclusive de la commission copie privée en application de l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle, et qu'il rentre dans son office de procéder à l'évaluation de cette compensation, perçue pour le compte des ayants droit par la société Copie France et calculée sur la base du critère du préjudice causé à ceux-ci par l'introduction de l'exception de copie privée, et ce sans méconnaître ni le principe de la séparation des pouvoirs ni l'autorité attachée aux décisions du juge administratif ainsi que l'ont rappelé les premiers juges dans le jugement dont appel, qui sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Acer de dire que la créance alléguée est dépourvue de tout fondement juridique.

Cette société conteste le fait que la créance puisse être fixée par référence aux décisions n°14 et n°15, qui ne peuvent s'appliquer de façon rétroactive.

Il n'est pas discuté que les décisions administratives n°14 et n°15 ne sont pas en tant que telles applicables de façon rétroactive. Elles sont versées au débat, tout comme les procès-verbaux des réunions de la commission copie privée, à titre d'éléments de faits constitués à partir des études effectuées au cours de l'année 2011 concernant les fonctionnalités, les caractéristiques techniques et les pratiques de copie privée sur les supports d'enregistrement assujettis à la rémunération, permettant à la cour d'apprécier la contrepartie financière due aux ayants droit en réparation du préjudice subi du fait de l'exception de copie privée par la mise en vente par la société Acer des supports d'enregistrement litigieux. Cette dernière ne peut dès lors prétendre que le préjudice n'est pas juridiquement réparable en ce qu'il est illicite, alors qu'ainsi qu'il a été dit l'annulation de la décision administrative n°13 ne peut avoir pour effet de priver les titulaires du droit de reproduction de leur droit à rémunération, indissociable du mécanisme de la copie privée.

La société Acer oppose en outre que la nature forfaitaire de la compensation équitable comme le mode de détermination proposé par la société Copie France par référence à des barèmes sont incompatibles avec l'action de nature délictuelle dont elle se prévaut.

Il est cependant établi que les montants sollicités en réparation du préjudice causé par l'exception de copie privée au titre des supports litigieux ont à la fois un caractère indemnitaire et forfaitaire expressément visé par l'article L. 311-3 du code de la propriété intellectuelle lequel renvoie à l'article L. 131-4 listant les cas dans lesquels la rémunération de l'auteur peut être évaluée forfaitairement, de sorte que les moyens opposés de ce chef sont infondés. Le jugement qui a rejeté tous les moyens de contestation soulevés par la société Acer à l'encontre du principe de la créance indemnitaire pour la période de février à décembre 2011 sera donc confirmé.

Sur le montant de la créance

Pour justifier du montant de sa créance, la société Copie France produit comme éléments de référence les décisions n°14 et n°15 élaborées sur le fondement d'études effectuées au cours de l'année 2011 concernant les fonctionnalités, les caractéristiques techniques et les pratiques de copie privée sur tous les supports d'enregistrement assujettis à la rémunération.

La société Acer fait valoir en premier lieu que la créance litigieuse comporte des copies illicites exclues du champ de la compensation équitable, qu'une étude d'usage menée à l'automne 2008 sur les 'pratiques de copies d'origines illicites' a constaté qu'entre 20 et 40% des répondants ont admis avoir plus de 75% de fichiers piratés, et que la cour devra en conséquence appliquer un abattement pour copies illicites dans les domaines musicaux et audiovisuels à hauteur de 20%.

Il n'est pas discuté que les copies illicites ne sont pas assujetties à la rémunération pour copie privée de sorte qu'aucun préjudice n'est encouru par les ayants droit de ce chef.

Pour prétendre à un abattement de 20%, la société Acer se prévaut d'une étude datant de 2008 évoquant des pratiques de piratage de masse sans prendre en considération le fait que cette baisse est compensée, ainsi qu'il résulte d'une étude TNS-SOFRES débattue lors des réunions de la commission copie privée des 19 et 26 novembre 2008, par l'évolution des pratiques vers des modes compressés des copies augmentant considérablement la capacité d'enregistrement des supports et en conséquence le nombre de copies réalisables, évolution qui a été prise en compte dans les coefficients de conversion horaire des capacités nominales dans le barème en référence duquel la société Copie France forme sa demande indemnitaire.

En outre, la société Acer invoque cette étude datant de 2008 sans formuler aucune critique sur les études plus récentes, correspondant à la période de mise à disposition des supports litigieux à savoir l'année 2011, effectuées par l'institut CSA, l'une sur les fonctionnalités, les caractéristiques techniques et les pratiques de copie privée des tablettes multimédias, l'autre établie pour tous les supports d'enregistrement assujettis à la rémunération pour copie privée conformément à un questionnaire établi de façon unanime par les membres de la commission copie privée, et sur la base desquelles ont été fixés les barèmes qui ont servi de référence à la société Copie France pour évaluer le montant de sa demande indemnitaire dans la présente instance.

En tout état de cause, lesdits barèmes ont bien intégré la baisse de copiage correspondant à l'exclusion des copies de source illicite (taux de licéité des copies d'oeuvres musicales passant de 35,8% à 53%, et celui des oeuvres audiovisuelles de 13,4% à 23,6% ainsi qu'il résulte du procès-verbal de la commission copie privée du 8 décembre 2011), de sorte que les copies de source illicite ont bien été exclues de l'assiette de calcul par référence à laquelle Copie France évalue le quantum de sa créance. La demande d'abattement de ce chef est donc infondée.

La société Acer sollicite en deuxième lieu un abattement de 40 % au titre des copies ne causant pas de préjudice aux ayants droit telles que les copies de sauvegarde ou de synchronisation.

Elle échoue cependant à démontrer en quoi une copie dite de transfert ou de sauvegarde, effectuée par un particulier sans autorisation de l'auteur, laquelle peut dans un premier temps être stockée avant d'être ultérieurement écoutée ou visionnée ne causerait pas un préjudice aux ayants droit. En tout état de cause, un abattement a bien été pris en compte pour les cartes mémoires non dédiées dont la grande capacité permet des copies de sauvegarde ainsi qu'il résulte du tableau n°7 de la décision n°15 en référence de laquelle Copie Privée a formé sa demande indemnitaire. La demande d'abattement de ce chef sera donc rejetée.

La société Acer soutient en troisième lieu que les copies autorisées provenant notamment de sites payants, qui représentent selon elle tous types d'oeuvres confondus de l'ordre de 23% des copies d'oeuvres protégées, doivent être exclues de sorte qu'il convient d'appliquer un abattement de 23% sur le montant total de la créance.

La cour observe qu'il résulte cependant du procès-verbal de la commission du 8 décembre 2011 préalable à l'élaboration des décisions n°14 et n°15 en référence desquelles la société Copie France forme sa demande indemnitaire que les copies provenant de sites payants de téléchargement, à savoir le téléchargement direct et la vidéo à la demande, ne sont pas prises en compte dans la détermination des barèmes de rémunération. Il s'ensuit que la demande d'abattement de ce chef à appliquer sur le montant de l'indemnité est infondée.

La société Acer sollicite enfin un abattement de 15% pour exclure les supports à usage professionnel.

Elle se borne cependant à arguer de sa qualité de professionnel intermédiaire et non d'utilisateur final des supports litigieux pour prétendre être dispensée du paiement de l'indemnisation pour copie privée alors que ladite indemnisation est due pour compenser un préjudice relatif à l'usage à des fins de copie privée, et qu'il lui appartient donc d'établir qu'elle a fourni les supports litigieux à des personnes autres que des personnes physiques et à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé, ce qu'elle ne fait pas dans la présente instance. Sa demande d'abattement de ce chef est également infondée.

Au vu des ces éléments, la cour dispose des éléments suffisants d'appréciation, eu égard aux déclarations de sortie de stock effectuées par la société Acer pour la période de février à décembre 2011 au titre des tablettes multimédia et des cartes mémoires non dédiées vendues en bundle avec des disques durs externes et des téléphones multimédia, de la nature desdits supports utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres et de la nécessité d'établir une juste contrepartie financière pour compenser la perte de revenus des ayants droit du fait de l'exception au principe de leur consentement à la copie de leurs oeuvres pour un usage privé à partir d'une source licite, à raison de la mise à disposition par la société Acer des supports en cause, pour fixer l'indemnité compensatrice au titre de la rémunération pour copie privée pour la période de février à décembre 2011 à un montant de 1 525 941,30 euros. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Sur les créances de rémunérations de copie privée à l'encontre de la société Acer pour l'année 2012

Sur la conventionnalité des dispositions de l'article 6-I de la loi du 20 décembre 2011

La société Acer soutient que la créance qui lui est réclamée pour la période de janvier à décembre 2012 sur le fondement de la décision 11 telle que modifiée par la décision 13 de la Commission copie privée, en application de l'article 6-I de la loi du 20 décembre 2011 est juridiquement infondée.

Elle fait valoir que l'article 6-I de la loi susvisée qui doit être d'interprétation stricte, ne saurait la priver de l'effet rétroactif des décisions n°11 et n°13, le législateur ne pouvant interférer dans le cours d'instances judiciaires pendantes, et ce alors qu'elle peut se prévaloir de la pleine rétroactivité de l'annulation tant de la décision n°11 en ce qu'elle a contesté ses effets devant le juge judiciaire dès 2009 et bénéficie en conséquence de la réserve des actions contentieuses en cours, que de la décision n°13 compte tenu de la décision du conseil d'Etat du 25 juin 2014 l'ayant annulée avec effet rétroactif.

La cour rappelle que tirant les conséquences de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2011, la loi du 20 décembre 2011 a notamment modifié les conditions d'assujettissement de la rémunération pour copie privée en précisant, dans l'article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle, que celle-ci n'est pas due pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée. Son article 6-I dispose en outre : 'Jusqu'à l'entrée en vigueur de la plus proche décision de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle et au plus tard jusqu'au dernier jour du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi, sont applicables à la rémunération pour copie privée les règles, telles que modifiées par les dispositions de l'article L. 311-8 du même code dans sa rédaction issue de la présente loi, qui sont prévues par la décision n°11 du 17 décembre 2008 de la commission précitée, dans sa rédaction issue des décisions n°12 du 20 septembre 2010, et n°13 du 12 janvier 2011.

Sous couvert d'interpréter strictement la loi susvisée, la société Acer tente vainement de créer une distinction entre les différents redevables de la rémunération pour copie privée, ceux qui ont comme elle exercé un recours contestant la validité de la décision n°11 à l'égard desquels l'article 6-1 de la loi susvisée serait dépourvu d'effet, et ceux qui ne l'ont pas fait, alors que la loi qui énonce les règles applicables sur la période litigieuse ne fait aucune distinction, de sorte qu'elle a force de loi à l'égard de tous les redevables en ce compris la société Acer.

En outre, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, la loi susvisée n'interfère pas avec une instance en cours, puisqu'elle concerne la période postérieure au 23 décembre 2011 distincte de celles visées par les décisions n°11 et n°13, peu important dès lors l'absence d'effet rétroactif de l'annulation de la première et l'annulation rétroactive de la seconde. Ce premier moyen est donc rejeté et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

La société Acer invoque en second lieu le fait que l'article 6-I de la loi susvisée sur le fondement duquel la créance litigieuse est réclamée, porte atteinte au principe de la prééminence du droit et de la notion de procès équitable consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme. Elle rappelle que la déclaration de conformité à la Constitution ne met pas cette disposition à l'abri du grief d'inconventionnalité, et soutient que les impérieux motifs d'intérêt général exigés par la Cour européenne des droits de l'homme pour justifier l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration judiciaire ne sont pas caractérisés, en ce qu'ils ne servent que les intérêts de la commission copie privée qui n'a pas été en mesure d'adopter une nouvelle décision dans le délai qui lui était imparti, et qu'ils ne sont fondés que sur des préoccupations strictement financières, de sorte que l'inconventionnalité de l'article 6-I fait obstacle à la créance litigieuse.

Il n'est pas discuté que selon décision du 20 juillet 2012 le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la disposition de l'article 6-I critiquée qui dispose que les règles, telles que modifiées par les dispositions de l'article L.311-8 dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2011, prévues par la décision n°11 telles que modifiée par la décision n°13, sont applicables à la rémunération pour copie privée jusqu'au 1er janvier 2013.

La société Acer prétend que le motif d'intérêt général retenu tant par le législateur lors de l'adoption de la loi du 20 décembre 2011 que par le Conseil constitutionnel dans la décision susvisée serait insuffisant à caractériser l'impérieux motif d'intérêt général requis pour admettre la conventionnalité d'une loi de validation.

Il est cependant démontré notamment par l'étude d'impact et les rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat réalisés au moment du projet de loi à la fin de l'année 2011, l'impossibilité pour la commission copie privée de parvenir avant le 22 décembre 2011, date de prise d'effet de l'annulation de la décision n°11, à l'établissement d'un nouveau barème nécessitant la réalisation préalable d'études d'usage imposées par le Conseil d'Etat pour plus d'une dizaine de supports, et en conséquence l'impérieux motif d'intérêt général de voter les dispositions de l'article 6-I de la loi susvisée afin pour l'Etat français d'éviter une interruption des perceptions au titre de la rémunération pour copie privée et d'exécuter au regard du droit de l'Union l'obligation de résultat qui est à sa charge d'assurer une perception effective de la dite rémunération, de garantir le respect du droit de propriété dont les droits de propriété intellectuelle font partie, et de préserver ainsi un intérêt général d'ordre culturel s'attachant à la préservation du mécanisme de rémunération pour copie privée dont 25% est dédié en application de l'article L.321-9 du code de la propriété intellectuelle au financement d'actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes. Enfin ainsi que l'ont dit à juste titre les premiers juges, la société Acer n'est pas davantage fondée à soutenir avoir un droit acquis ou une espérance légitime à échapper au paiement de la redevance pour copie privée. Le moyen tiré de l'inconventionnalité de l'article 6-I de la loi du 20 décembre 2011 sera donc rejeté, et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur les autres moyens de contestation

La société Acer, qui conteste la conformité au droit européen des décisions sur lesquelles sont fondées les créances pour l'année 2012, expose que le rejet par le Conseil d'Etat du recours en annulation formé à l'encontre de la décision n°14 du 9 février 2012, n'interdit pas de former des contestations devant le juge judiciaire.

Si l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 19 novembre 2014 rejetant le recours pour excès de pouvoir à l'encontre de la décision n°14 ne fait pas nécessairement obstacle à ce que le juge judiciaire fasse droit à l'exception d'illégalité soulevée devant lui, et à ce que la cour examine les moyens d'illégalité et d'inconventionalité opposés, elle observe cependant que les critiques formées dans la présente instance par la société Acer à l'encontre de ladite décision tant au regard du droit interne que du droit européen sont en substance identiques à celles formulées devant le Conseil d'Etat, juge naturel de la légalité d'un acte administratif.

La société Acer soulève quatre moyens de non conformité des décisions n°13 et n°14 au droit de l'Union.

Sur les copies de source illicite

La société Acer soutient que les décisions administratives n°13, telle qu'interprétée à la suite de la loi du 20 décembre 2011, et n°14 empruntent leurs barèmes à la décision n°11 laquelle a adopté un barème identique à celui de la décision antérieure annulée, le maintien dudit quantum conduisant à considérer que la décision n°11 comme les décisions n°13 et n°14 continuent de fait à rémunérer des copies illicites.

Elle en conclut que les créances litigieuses déterminées sur la base des décisions n°13 et n°14 qui ne distinguent pas entre les copies de source licite et illicite ne sont conformes ni aux articles L.122-5 et L.211-3 du code de la propriété intellectuelle, ni aux dispositions de l'article 5.2 b de la directive 2001/29.

Il n'est pas discuté que les copies illicites ne sont pas assujetties à la rémunération pour copie privée conformément aux articles L.122-5 et L.211-3 du code de la propriété intellectuelle, et à l'article 5.2 b de la directive 2001/29.

La société Acer se borne à alléguer de l'identité des barèmes fixés entre les décisions n°13 et n°14 et la décision antérieure n°11 sans démontrer que les décisions n°13 et n°14, n'excluent pas les sources illicites, étant rappelé que les décisions n°11 et n°13 n'ont pas été annulées pour ce motif mais en raison d'une insuffisante exonération des supports à usage professionnel.

La cour observe tout d'abord que la décision n°11 rappelle dans son premier considérant que la commission exclut du champ de la rémunération les copies de source illicite, révise en conséquence la décision antérieure n°7, se fonde sur une étude sur les pratiques de source illicite confiée à l'institut TNS-SOFRES expressément visée au deuxième considérant, et intègre une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de source illicite ainsi qu'il résulte de son cinquième considérant.

En conséquence la simple allégation de ce que le barème des décisions n°13 et n°14 serait emprunté à celui de la décision n°11 ne suffit à démontrer que les copies de sources illicites n'ont pas été exclues.

En outre, il résulte des considérants 3 à 6 de la décision n°14 du 9 février 2012 qu'elle renvoie à deux études des fonctionnalités, des caractéristiques techniques et des pratiques de copie privée des tablettes multimédias réalisées en 2011 lesquelles ont permis de relever que, tous types de contenus confondus, 16% des personnes interrogées ont déclaré avoir copié des fichiers piratés, les barèmes fixés à l'issue desdites études ayant en conséquence distingué entre les usages licites et illicites.

Les moyens de contestation des créances soulevés par la société Acer de ce chef seront dès lors rejetés.

Sur les copies qui ne sont pas susceptibles de causer de préjudice aux ayants droit

La société Acer soutient qu'au regard des principes du droit européen d'interprétation stricte des exceptions de copie privée, de réparation du seul préjudice, et de juste équilibre entre ayants droit et utilisateurs des oeuvres protégées, les articles L. 122-5 2° et L.211-3 2° doivent être interprétés comme excluant de l'exception de copie privée les copies dont la réalisation est insusceptible de causer un préjudice aux titulaires de droit. Elle fait valoir qu'il ressort des travaux préparatoires de la commission que toute copie, hormis la copie primaire d'un fichier téléchargé, quelque soit sa finalité, a été qualifiée de copie privée, sans qu'il soit avéré qu'elle porte préjudice au sens du droit européen, que par exemple les copies de sauvegarde, visant à prévenir un risque de perte du fichier numérique par l'utilisateur, ou les copies de migration ou de synchronisation (visant à déplacer le fichier numérique d'un support de lecture à un autre) ont été considérées comme des actes de copie privée alors qu'elles ne se substituent à aucun acte complémentaire d'acquisition de l'oeuvre, et ne comportent dès lors aucun manque à gagner pour les ayants droit. Elle en conclut que les décisions n°13 et n°14 sur lesquelles sont fondées les créances sollicitées heurtent le droit européen, que les sommes réclamées ne sont dès lors pas dues, et à titre subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Une législation nationale permettant de soumettre à la redevance pour copie privée tous types de copies, sans aucune distinction de leur finalité et, par là même, du préjudice potentiel qu'elles seraient susceptibles de causer aux titulaires de droits, est-elle conforme à la directive 2001/29 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier aux principes de juste équilibre et d'interprétation stricte des exceptions ''.

Il est constant ainsi qu'il a déjà été dit que la rémunération pour copie privée prévue par l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle correspond à la compensation équitable instituée comme condition de l'exception de copie privée par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, et qu'elle doit être interprétée dans toute la mesure du possible par les juridictions nationales à la lumière du texte et de la finalité de ladite directive, telles qu'interprétées par la CJUE. La Cour de justice a jugé (arrêt Stichting de Thuiskopie du 16 juin 2011 - point 23) que les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation pour déterminer la forme, les modalités et le niveau éventuel de cette compensation. Elle a également dit pour droit que le juste équilibre à trouver entre les personnes concernées par la rémunération pour copie privée implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée (arrêt Padawan du 21 octobre 2010).

La société Acer se fonde sur la directive susvisée telle qu'interprétée par la CJUE pour prétendre à tort que certaines copies effectuées à usage privé telles que des copies de sauvegarde ou de synchronisation prétendument prises en compte dans les décisions n°13 et n°14 ne créeraient pas de préjudice aux ayants droits et devraient donc être exclues de la rémunération pour copie privée, alors au contraire que l'article 2 de ladite directive prévoit le droit exclusif pour l'auteur d'autoriser ou d'interdire la reproduction de son oeuvre sans distinction de la finalité de cette reproduction, précisant au contraire qu'elle peut être 'provisoire ou permanente', et 'par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit', et que dans l'arrêt Padawan susvisé invoqué par la société Acer la CJUE a rappelé (considérants 44 et 45) que la réalisation d'une copie par une personne physique agissant à titre privé doit être considérée comme un acte de nature à engendrer un préjudice pour l'auteur de l'oeuvre concernée reproduite sans son autorisation préalable, et ce sans exclure certaines copies en raison de leur prétendue finalité de sauvegarde ou de synchronisation, lesdites copies pouvant au demeurant être lues ou visionnées ultérieurement.

Le moyen de contestation des créances de ce chef sera en conséquence rejeté sans qu'il soit nécessaire pour la résolution du litige de saisir la CJUE d'une demande de question préjudicielle.

Sur les copies autorisées ayant déjà donné lieu à rémunération

La société Acer soutient qu'au regard des principes du droit européen de juste équilibre entre ayants droit et utilisateurs des oeuvres protégées et d'interdiction de surcompensation, les articles L.122-5 2° et L.211-3 2° du code de la propriété intellectuelle doivent être interprétés comme excluant de l'exception de copie privée les copies contractuellement autorisées. Elle fait valoir que le Conseil d'Etat s'est mépris sur la portée de la solution posée par la CJUE dans l'arrêt VG Wort du 27 juin 2013 qui n'est pas applicable en l'espèce puisque le droit français n'interdit pas aux auteurs d'autoriser une reproduction contractuellement rémunérée. Elle prétend en conséquence qu'il ressort des travaux préparatoires de la Commission que seules ont été exclues la première copie d'une oeuvre téléchargée mais non les suivantes appelées 'copies subséquentes' et qu'en conséquence la rémunération prévue par les décisions n°13 et n°14 ne distingue pas entre copie privée et copie contractuellement autorisée de sorte que ces dernières donnent lieu à un double paiement l'un au titre de la rémunération légale, l'autre au titre de la rémunération contractuelle, et que le phénomène de surcompensation et la violation du principe du juste équilibre qui en résulte est donc caractérisé. Elle demande en conséquence de dire infondées les créances sollicitées au titre des décisions n°13 et n°14, et à titre subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Une législation nationale autorisant les titulaires de droits à autoriser, le cas échéant moyennant rémunération, des actes de reproduction à usage privé tout en soumettant ces mêmes copies à la redevance pour copie privée, est-elle conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''

Il est constant ainsi qu'il a été dit que les dispositions de droit interne relatives à la rémunération pour copie privée, et notamment l'article L.122-5 en application de laquelle l'auteur ne peut interdire les copies ou reproductions réservées à l'usage privé du copiste, doivent être interprétées dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive 2001-29, telles qu'interprétées par la CJUE et notamment à l'aune du principe du maintien d'un juste équilibre entre les titulaires de droit et les utilisateurs d'objets protégés.

Par arrêt rendu le 27 juin 2013 VG Wort, la Cour de justice, interrogée sur le point de savoir si la fait que le titulaire de droits autorise expressément ou implicitement la reproduction de son oeuvre permet-il de rendre caduque la possibilité d'une compensation équitable, a dit pour droit: 'Dans le cadre d'une exception ou d'une limitation prévue à l'article 5, paragraphes 2 ou 3, de la directive 2001/29, un acte éventuel par lequel un titulaire de droits a autorisé la reproduction de son œuvre ou d'un autre objet protégé n'a aucune incidence sur la compensation équitable, que cette dernière soit prévue à titre obligatoire ou à titre facultatif, en vertu de la disposition applicable de cette directive'. Contrairement aux allégations de la société Acer, l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle, en application duquel l'auteur ne peut interdire les copies ou reproductions réservées à l'usage privé, doit être interprété à la lumière de cette jurisprudence, de sorte que le moyen tiré de ce que les copies contractuellement autorisées par les titulaires de droits n'auraient pas été exclues de l'assiette de la rémunération par les décisions n°13 et n°14 sera rejeté, étant observé au surplus qu'il résulte des procès-verbaux de la commission des 19 novembre 2008 et 8 décembre 2011, ce dernier étant préalable à l'élaboration de la décision n°14, que ni le téléchargement direct, ni la vidéo à la demande, ne sont en eux-mêmes pris en compte dans la détermination des barèmes de rémunération.

Le moyen de contestation des créances de ce chef sera en conséquence rejeté sans qu'il soit nécessaire pour la résolution du litige de saisir la CJUE d'une demande de question préjudicielle.

Sur l'exclusion des copies à usage professionnel

La société Acer fait valoir en premier lieu que le mécanisme mis en place par l'article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle n'est pas conforme au droit européen en ce que le professionnel n'est pas exonéré par cette seule qualité mais doit démontrer l'absence de tout usage de copie privée pour échapper à la rémunération pour copie privée. Elle en déduit que les sommes sollicitées sur le fondement des décisions n°13 et n°14 ne sont pas dues, et à titre subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Un système national de redevance pour copie privée dans lequel il incombe à tout professionnel, personne physique ou morale, pour bénéficier de l'exclusion du paiement de ladite redevance, d'apporter la preuve de l'absence de tout usage de copie privée des matériels acquis à des fins professionnelles qu'ils soient, ou non, mis à disposition de tiers, à des fins professionnelles, est-il conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''

La cour rappelle que les dispositions de l'article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle telles que modifiées par la loi du 20 décembre 2011 prévoient, en premier lieu, que la rémunération pour copie privée n'est pas due pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, en deuxième lieu, qu'une convention constatant l'exonération et fixant ses modalités peut être conclue entre les personnes exonérées et les organismes chargés de la perception de la rémunération, et en troisième lieu, qu'à défaut de convention, les personnes exonérées peuvent obtenir le remboursement de la rémunération versée sur production de justificatifs.

Contrairement aux allégations de la société Acer, ces dispositions sont conformes à celles de la directive 2001/29/CE telles qu'interprétées par la CJUE dont l'arrêt Padawan (2010) n'exclut du champ de la rémunération pour copie privée que les matériels 'manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies privées', et dont les arrêts Copydan (2015), puis Nokia Italia (2016) valident un système imposant le paiement de la redevance aux fabricants et aux importateurs vendant leurs supports à des professionnels, qui les revendent à des acheteurs finaux particuliers ou professionnels, à la condition que les redevables soient exonérés du paiement de ladite redevance s'ils établissent qu'ils ont fourni les supports à des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé. Il s'ensuit que le moyen opposé de ce chef sera rejeté sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de question préjudicielle devant la CJUE.

Les développements de la société Acer relatifs aux prétendues difficultés d'un employeur qui fournit des supports d'enregistrement à ses salariés et serait ainsi contraint soit de leur interdire d'effectuer des copies à usage privé, soit de répercuter sur eux le montant de la rémunération pour copie privée, sont infondés et sans pertinence dans le cadre du présent litige, la société Acer sollicitant en l'espèce son exonération en qualité de fabricant desdits matériels.

La société Acer prétend ensuite que les redevables, comme elle, ne sont éligibles à aucun mécanisme d'exclusion, les conventions d'exonération bénéficiant exclusivement à des professionnels utilisateurs finaux. Elle en conclut que les sommes exigées en application de décisions non conformes au droit européen ne sont pas dues, et à titre subsidiaire elle demande de poser la question préjudicielle suivante : 'Un système national de redevance pour copie privée dans lequel l'exonération ou le remboursement du redevable est, en toutes hypothèses, conditionné à la conclusion d'une convention d'exonération par l'utilisateur final professionnel est-il conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''.

La cour rappelle que la CJUE, dans son arrêt Copydan du 5 mars 2015, a dit pour droit que la directive 2001/29 'ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui impose le paiement de la redevance destinée à financer la compensation équitable au titre de l'exception au droit de reproduction pour les copies à usage privé aux fabricants et aux importateurs qui vendent des cartes mémoire de téléphones mobiles à des professionnels tout en sachant que ces cartes sont destinées à être revendues par ces derniers mais en ignorant si les acheteurs finaux desdites cartes sont des particuliers ou des professionnels, à condition que :

- la mise en place d'un tel système soit justifiée par des difficultés pratiques ;

- les redevables soient exonérés du paiement de ladite redevance s'ils établissent qu'ils ont fourni

les cartes mémoire de téléphones mobiles à des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé, étant entendu que cette exonération ne saurait être limitée à la livraison aux seuls professionnels qui sont inscrits auprès de l'organisation chargée de la gestion des mêmes redevances ;

- ledit système prévoie un droit au remboursement de la même redevance qui est effectif et ne rend pas excessivement difficile la restitution de la redevance payée, ce remboursement pouvant être versé au seul acquéreur final d'une telle carte mémoire qui, à cette fin, doit adresser une demande à ladite organisation'.

Il est établi que les conventions d'exonération conclues en application de l'article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle avec l'acquéreur du support, seul à même de garantir l'usage à des fins professionnelles exclusives de copie privée, permettent d'exonérer un redevable, telle que la société Acer, du paiement de la rémunération pour copie privée, lorsque ce redevable vend des supports à une personne morale ou physique bénéficiant d'une telle convention, établissant en conséquence comme l'exige la jurisprudence susvisée que les supports d'enregistrement qu'il a fourni l'ont été à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé.

Il est ainsi démontré, contrairement aux allégations de la société Acer, que le mécanisme ainsi mis en place par l'article L.311-8, qui lui permet en sa qualité de redevable d'être exonérée du paiement de la rémunération pour copie privée lorsqu'elle établit avoir fourni du matériel utilisé à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé, est en conséquence conforme au droit de l'Union dont il faut rappeler qu'il accorde aux Etats de larges marges d'appréciation quant à la détermination de la forme et des modalités de la compensation équitable. Le moyen opposé de ce chef sera donc rejeté sans qu'il soit nécessaire à la résolution du litige de poser une question préjudicielle à la CJUE.

Enfin la société Acer prétend que la condition d'effectivité du système de remboursement requise par le juge de l'Union européenne n'est pas satisfaite ainsi qu'il résulte du montant dérisoire des remboursements et exonérations.

La Cour de justice a en effet dit pour droit dans son arrêt Amazon rendu le 11 juillet 2013 qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si 'des difficultés pratiques justifient un tel système de financement de la compensation équitable' et que 'ce droit au remboursement (...) est effectif et ne rend pas excessivement difficile la restitution de ces redevances'.

La cour constate que les contraintes pratiques de la collecte de la rémunération pour copie privée ainsi que les risques de fraude relevés dans l'étude d'impact précédant la loi du 20 décembre 2011justifient le mécanisme instauré par ladite loi, et que le caractère effectif du mécanisme d'exonération et de remboursements mis en place, résulte tant du montant des remboursements qui a augmenté depuis 2013 pour atteindre plus de 3,8 millions d'euros en 2019, que du nombre de conventions d'exonération conclues avec la société Copie France par de nombreux établissements et entreprises privées telles que les sociétés Décathlon ou Total, représentant des montants de redevance copie privée ainsi exonérés de plus de 11 millions d'euros en 2014 et plus de 10 millions en 2015 ainsi qu'il ressort de l'attestation de l'expert comptable versée au débat.

Il résulte des développements qui précèdent que les moyens de contestation opposés par la société Acer au titre de la non conformité au droit de l'Union des décisions n°13 et n°14 sur lesquelles sont fondées les créances litigieuses, tout comme les demandes d'abattement seront en conséquence rejetés, et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

La société Copie France est en conséquence parfaitement fondée, eu égard aux déclarations de sorties de stock effectuées par la société Acer au titre de l'année 2012, à solliciter sa condamnation à lui verser la rémunération pour copie privée qui lui est due pour un montant de:

- 303 129,60 euros HT au titre des cartes mémoires non dédiées vendues en bundle avec des téléphones multimédias et des disques durs externes, de février à novembre 2012, sur le fondement de la décision n°11 telle que modifiée par la décision n°13 de la commission copie privée applicable par l'effet des dispositions de l'article 6-I de la loi n°1898 du 20 décembre 2011,

- 725 319,60 euros HT au titre des tablettes tactiles multimédias, de mars à décembre 2012, en exécution de la décision n°14 de la commission copie privée.

Le jugement sera en conséquence confirmé dans toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne la société Acer Computer France aux dépens d'appel et, vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à ce titre à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France) une somme de 30 000 euros.