CA Aix-en-Provence, 15e ch. a, 8 janvier 2016, n° 15/12694
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Organisme URSSAF des Bouches du Rhône
Défendeur :
Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coleno
Conseillers :
Mme Bel, M. Tatoueix
Avocats :
Me Avenard, Me Linditch, Me Borel
FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement dont appel du 17 octobre 2013, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a validé une saisie-attribution à exécution successive pratiquée le 14 novembre 2011 par l'URSSAF des Bouches-du-Rhône entre les mains de l 'ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES OFFICIERS SAPEURS POMPIERS (ENSOSP) pour paiement d'une créance de 3.639.856,38 € qu'elle détient en vertu de deux contraintes exécutoires contre la société AEGITNA SECURITE SERVICES, prestataire privé, considérant que le litige ne mettait pas en cause une procédure de recouvrement contre une personne morale de droit public, de sorte que l'immunité de l'article L111-1 du code des procédures civiles d'exécution ne s'appliquait pas, que le litige relevait de la compétence du juge de l'exécution dès lors qu'il portait sur la validité d'une saisie-attribution, que la notification avait été valablement faite au comptable public de l'établissement en la personne de son adjoint, contrôleur principal du Trésor Public en position de détachement auprès de l'ENSOSP.
Il a ensuite jugé, sur l'action engagée par l'URSSAF contre l'ENSOSP en paiement des causes de la saisie, et en référence aux dispositions de l'article R211-4 du code des procédures civiles d'exécution, que la réponse faite dans le cadre de l'obligation d'information qui incombe au tiers saisi n'était pas invalide parce qu'émanant du secrétaire général adjoint aux affaires administratives et juridiques de l'ENSOSP pour compléter celles données par le comptable public sur un point qui exigeait vérification et ne permettait pas une réponse spontanée. Il a en conséquence rejeté la demande de l'URSSAF en dommages-intérêts pour information tardive.
Mais il s'est déclaré incompétent, au visa de l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire (contestations ' « même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire »), au profit de la juridiction administrative pour statuer sur la contestation afférente à la validité de l'avenant au marché public attribué à AEGITNA et portant transfert du marché à la société AMO, déterminante de la validité du refus de l'ENSOSP de régler les sommes réclamées par l'URSSAF des Bouches-du-Rhône, point dont l'appréciation relève du droit des marchés publics, et a renvoyé les parties à saisir le tribunal administratif sur cette question.
L'URSSAF a interjeté appel de cette décision le 30 octobre 2013.
Alors que l'affaire avait reçu fixation pour être plaidée le 22 avril 2015, un incident d'incompétence a été formé par l'ENSOSP, soutenant que le juge judiciaire était dès l'abord incompétent pour connaître d'une action en responsabilité administrative au profit du juge administratif.
Par l'ordonnance déférée du 19 juin 2015, le conseiller de la mise en état :
-a rejeté le moyen d'irrecevabilité de l'exception tirée des dispositions de l'article 74 du code de procédure civile, considérant que les premières conclusions déposées par l'ENSOSP « faisaient état » de cette exception,
-s'est « déclaré incompétent au profit de la cour administrative d'appel de Marseille à qui sera renvoyée la connaissance de l'affaire conformément à l'article 79 du code de procédure civile », considérant que l'action de l'URSSAF contre l'ENSOSP en paiement des causes de la saisie à raison de son manquement à son obligation d'information en qualité de tiers saisi se présente comme une action en responsabilité dirigée contre une personne publique, qu'à ce titre, seules les juridictions administratives sont compétentes pour en connaître.
Le président de la cour administrative d'appel de Marseille a écrit le 17 juillet 2015 à la Première Présidente de la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour rappeler qu'elle ne saurait être saisie d'un litige qui n'a pas été porté devant un tribunal administratif de son ressort, et que l'affaire n'est pas au nombre de celles pouvant faire l'objet d'un renvoi entre juridictions administratives, retournant le dossier qui lui avait été transmis afin de permettre à la juridiction d'inviter les parties à mieux se pourvoir...(cf article 96 du code de procédure civile...).
Vu les conclusions aux fins de déféré déposées le 3 juillet 2015 par l'URSSAF PACA venant aux droits de l'URSSAF des Bouches-du-Rhône, tendant à l'infirmation de cette ordonnance et demandant à la Cour, à titre principal de déclarer irrecevable l'exception d'incompétence, subsidiairement de juger que la cour d'appel d'Aix-en-Provence est compétente pour connaître du litige, soutenant notamment:
que l'ENSOSP n'a saisi le conseiller de la mise en état, qui a compétence exclusive, que postérieurement à la signification de ses conclusions au fond, même contenant ladite exception mais devant la Cour,
que la Cour est compétente, que l'article L143-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoit la saisie-attribution entre les mains d'un comptable public, que la doctrine confirme que l'immunité d'exécution ne peut être invoquée par la personne publique qu'en qualité de débiteur saisi, pas tiers saisi, que les dispositions des articles L123-1, R211-5 et R211-9 s'appliquent à elle,
que le juge de l'exécution est seul compétent pour statuer sur l'action contre le tiers saisi, que depuis 1960, le Tribunal des Conflits comme le Conseil d'État jugent que l'examen des fautes de la personne publique au cours d'une procédure civile d'exécution relève de la compétence du seul juge judiciaire, qu'il ne s'agit pas d'une action en responsabilité administrative de droit commun,
Vu les conclusions déposées le 2 septembre 2015 par l'ENSOSP tendant au principal à la confirmation de l'ordonnance déférée et à l'incompétence des juridictions judiciaires, demandant subsidiairement à la Cour de relever d'office son incompétence et de renvoyer l'affaire en application de l'article 79, soutenant notamment que l'action dont elle fait l'objet est sans conteste une action en responsabilité dirigée contre une personne publique, et contestant la portée des références citées par l'URSSAF,
Vu les notes en délibéré, autorisées par la Cour, adressées par les parties,
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu, sur la recevabilité de l'exception d'incompétence, qu'aux termes de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité et alors même que les règles sur lesquelles elles se fondent seraient d'ordre public, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ;
Attendu que les premières conclusions -ou mémoire- déposées au fond le 13 mars 2014 par l'ENSOSP sont libellées, en dispositif : rejeter l'appel comme formé devant une juridiction incompétente, confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'ENSOSP a valablement délivré les informations subséquentes à la notification de la saisie-attribution, infirmer le jugement en ce qu'il s'est reconnu compétent pour connaître de l'affaire, admis le principe d'une saisie-attribution délivrée à l'encontre de l'administration, n'a pas censuré la signification, débouter l'URSSAF de l'ensemble de ces demandes » ;
Attendu que l'ordre des prétentions visées à l'article 954 du code de procédure civile sur lesquelles la cour d'appel est tenue de statuer fait apparaître que l'exception d'incompétence est soulevée avant toute défense au fond ;
que cet ordre des premières conclusions satisfait aux prescriptions de l'article 74 du code de procédure civile qui n'imposent que de soulever les exceptions avant toute défense au fond, ce qui ne s'entend pas comme l'obligation pour leur auteur d'en saisir le conseiller de la mise en état avant que de déposer toute conclusion au fond ;
Attendu qu'il résulte des articles L143-1 du code des procédures civiles d'exécution que la saisie peut être notifiée entre les mains d'un comptable public, et R143-1 du même code que les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sont applicables aux saisies et cessions notifiées aux comptables publics ;
qu'il en résulte que les actions tendant à l'application des sanctions prévues aux articles R211-5 et R211-9 du code des procédures civiles d'exécution revendiquées par l'URSSAF, qui ne sont pas des actions en responsabilité de droit commun mais des actions spéciales attachées aux procédures civiles d'exécution, sont applicables à la personne morale de droit public tiers saisie ;
Attendu que ces actions déterminent la compétence du juge de l'exécution par application de l'article L.121-1 du code des procédures civiles d'exécution, aux termes duquel le juge de l'exécution connaît de l'application des dispositions du présente code dans les conditions prévues par l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
que l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire édicte que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Attendu que la circonstance que, comme l'a retenu le premier juge, l'une des contestations soulevées à l'occasion de l'action de l'URSSAF relèverait de la compétence de la juridiction administrative - un point du droit des marchés publics - ne relève pas de l'exception d'incompétence soumise au conseiller de la mise en état, mais d'une appréciation qui relève du jugement au fond de l'action ;
Attendu que l'exception d'incompétence n'est donc pas fondée ;
que l'ordonnance déférée est infirmée ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau,
Déclare recevable l'exception d'incompétence formée par l'ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES OFFICIERS SAPEURS POMPIERS ;
La déclare mal fondée et l'en déboute ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes;
Condamne l'ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES OFFICIERS SAPEURS POMPIERS aux dépens de l'incident et du déféré qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.