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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 mai 2020, n° 18/04246

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Motorola Mobility France (SAS)

Défendeur :

Société Pour la Rémunération de la Copie Privée Audiovisuelle et Sonore

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaber

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Barutel

TGI Paris, 3e ch. 3e sect., du 19 janv. …

19 janvier 2018

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Anne-Marie GABER, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu 19 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 1ère section) ;

Vu l'appel interjeté le 23 février 2018 par la société Motorola Mobility France (Motorola) ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 25 novembre 2019 par la société Motorola, appelante à titre principal et intimée incidente ;

Vu les dernières conclusions n°4 remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 29 janvier 2020 par la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France), intimée à titre principal et appelante incidemment ;

Vu l'ordonnance de clôture du 6 février 2020 ,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la rémunération pour copie privée, instituée par la loi du 3 juillet 1985, est prévue à l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle et constitue la contrepartie financière due aux titulaires de droits d'auteur et droits voisins, pour compenser l'exception de copie privée, exception légale au droit de reproduction conformément aux articles L.122-5-2° et L.211-3-2° du même code.

En outre, la directive CE/2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (directive CE/2001/29), et notamment son article 5-2 b) a donné aux Etats membres la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées pour un usage privé à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable.

La rémunération pour copie privée, assise sur les supports vierges d'enregistrement, est due notamment par le fabricant desdits supports, et susceptible d'être répercutée par celui-ci sur l'utilisateur final. Les types de supports, les taux de rémunération et les modalités de versement de cette rémunération sont déterminés par décisions administratives adoptées par une commission paritaire dite la 'commission copie privée' (la commission), composée, outre son président, de 24 membres représentant pour moitié les ayants droit, et pour moitié les fabricants ou importateurs de supports et les consommateurs.

Au cours des dernières années, plusieurs décisions de la commission ont été annulées par le Conseil d'Etat :

- la décision n°7 du 20 juillet 2006 par arrêt du 11 juillet 2008, à effet du 12 janvier 2009, et en conséquence les décisions n°8, 9 et 10, au motif de la prise en compte dans l'assiette du calcul de la rémunération des copies provenant de sources illicites ;

- la décision n°11 du 17 décembre 2008 par arrêt du 17 juin 2011, à effet du 23 décembre 2011, et en conséquence la décision n°13 du 12 janvier 201, par arrêt du 25 juin 2014, au motif d'une prise en compte non conforme des supports à usage professionnel au regard de la directive CE/2001/29 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans son arrêt Padawan du 21 octobre 2010.

A la suite desdits arrêts, la loi du 20 décembre 2011 a notamment précisé que seules les copies réalisées à partir d'une source licite ouvrent droit à rémunération (article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle), et que ladite rémunération n'est pas due pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée (article L.311-8 3°du même code).

Afin de laisser le temps à la commission copie privée d'élaborer de nouvelles rémunérations pour l'ensemble des supports assujettis, l'article 6-I de la loi susvisée dispose que les règles, telles que modifiées par les dispositions de l'article L.311-8 dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2011, prévues par la décision n°11 de la Commission copie privée telles que modifiée par la décision n°13, sont applicables à la rémunération pour copie privée jusqu'au 1er janvier 2013. Cette disposition a été déclarée conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel rendue le 20 juillet 2012.

Sous l'empire de cette nouvelle loi, et après avoir procédé à des études des fonctionnalités, des caractéristiques techniques des supports et des pratiques de copie privée portant sur l'ensemble des matériels assujettis à la rémunération pour copie privée, la commission a adopté le 9 février 2012 une décision n°14 fixant les barèmes applicables aux tablettes multimédia de mars à décembre 2012, et le 14 décembre 2012 une décision n°15 fixant à compter du 1er janvier 2013 les rémunérations applicables sur la quasi-totalité des supports assujettis.

Les recours en annulation formés à l'encontre des décisions n°14 et 15 ont été rejetés par arrêts du Conseil d'Etat du 19 novembre 2014.

La société Motorola est constructeur d'une large gamme de matériels numériques, et notamment de cartes mémoires vendues 'en bundle' c'est-à-dire de façon groupée avec d'autres matériels tels que des téléphones ou des disques durs, et des tablettes multimédia . Elle est en conséquence redevable de la rémunération pour copie privée, appelée par la société Copie France au moyen de notes de débit sur la base des déclarations de sorties de stock de matériels qu'elle lui a transmises.

De nombreuses procédures ont opposé les parties, et notamment une procédure de référé engagée par la société Copie France devant le tribunal de grande instance de Paris portant sur la rémunération prévue par la décision n°15 de la Commission, qui a donné lieu à la condamnation en paiement de la société Motorola notamment à la somme provisionnelle de 3 998 783,28 euros par ordonnance du 27 septembre 2016 dont la société Motorola n'a pas interjeté appel.

La présente procédure a été engagée par la société Motorola par acte du 17 juillet 2013 pour contester les factures émises par la société Copie France en application de la décision n°15 pour la période à compter du 1er janvier 2013.

Par jugement dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a notamment, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- Rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société Copie France,

- Débouté la société Motorola de la totalité de ses demandes,

- Condamné la société Motorola à payer en deniers ou quittance à la société Copie France, la somme de 7 506 158,20 euros au titre des redevances copie privée dues pour la période du 1er janvier 2013 au 1er juillet 2017,

- Condamné la société Motorola aux dépens,

- Condamné la société Motorola à payer à la société Copie France, la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action de la société Motorola

La société Copie France soutient en premier lieu que l'action de la société Motorola tendant au remboursement des sommes réglées par elle constitue une action en répétition de l'indû, et qu'elle est irrecevable en ce qu'elle ne démontre pas s'être appauvrie puisque les sommes qu'elle a versées à Copie France ont été supportées par les consommateurs.

Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges par des motifs que la cour adopte, l'action de la société Motorola n'a pas été formée sur le fondement de la répétition de l'indu, lequel n'est pas même invoqué par la société Motorola. Elle est fondée sur la faculté offerte à tout justiciable, après évaluation provisoire par le juge des référés de la fraction non sérieusement contestable d'une obligation et condamnation du débiteur au paiement de celle-ci, de solliciter, afin de mettre fin aux effets de l'ordonnance de référé, la fixation par le juge du fond, de la créance invoquée par le créancier, peu important le fait qu'une partie des sommes a été réglée spontanément par la société Motorola.

La recevabilité à agir de la société Motorola ne doit dès lors pas être examinée au regard de l'action en répétition de l'indu qui n'est pas le fondement par elle choisi. L'irrecevabilité opposée de ce chef par la société Copie France sera rejetée, et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

La société Copie France soutient en second lieu que la demande de dispense de paiement formulée par la société Motorola ne procède pas d'un intérêt né, actuel, personnel et légitime alors qu'elle s'est abstenue de verser des sommes dues et qu'en même temps elle a répercuté ces sommes auprès du consommateur final qui en a supporté la charge.

Ainsi que l'ont relevé pertinemment les premiers juges, la société Motorola, qui est un fabricant de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, redevable en conséquence de la rémunération pour copie privée par l'effet de l'article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle et débitrice à l'égard de la société Copie France qui assure la perception de ladite rémunération, dispose d'un intérêt né, actuel, direct et personnel à contester le montant des créances ainsi réclamées par la société Copie France et à en solliciter la dispense de paiement, nonobstant le fait qu'elle aurait répercuté le montant de la dite rémunération sur le consommateur final. Ce moyen d'irrecevabilité sera donc également écarté, et le jugement dont appel confirmé de ce chef.

La société Copie France oppose enfin l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 19 novembre 2014 ayant rejeté le recours pour excès de pouvoir engagé par divers fabricants, dont la société Motorola, à l'encontre de la décision n°15.

Cependant ainsi que l'ont retenu les premiers juges, les conditions de l'identité de parties, de cause et d'objet entre les procédures ne sont pas remplies, l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision administrative se distinguant de la contestation d'une créance civile dans la présente instance, et onze requérants, outre le Ministère de la culture et de la communication étant parties à l'instance administrative. Dès lors la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée doit être écartée, et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur les créances de rémunérations de copie privée à l'encontre de la société Motorola à compter du 1er janvier 2013

La société Motorola, qui conteste la conformité au droit européen de la décision n°15 sur laquelle est fondée la créance litigieuse, expose que le rejet par le Conseil d'Etat du recours en annulation formé à l'encontre de ladite décision du 14 décembre 2012, n'interdit pas de former des contestations devant le juge judiciaire.

Si l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 19 novembre 2014 rejetant le recours pour excès de pouvoir à l'encontre de la décision n°15 ne fait pas nécessairement obstacle à ce que le juge judiciaire fasse droit à l'exception d'illégalité soulevée devant lui, et à ce que la cour examine les moyens d'illégalité et d'inconventionnalité opposés, elle observe cependant que les critiques formées dans la présente instance par la société Motorola à l'encontre de ladite décision tant au regard du droit interne que du droit européen sont en substance identiques à celles formulées devant le Conseil d'Etat, juge naturel de la légalité d'un acte administratif.

La société Motorola soulève trois moyens de non conformité de la décision n°15 au droit de l'Union.

Sur les copies qui ne sont pas susceptibles de causer de préjudice aux ayants droit

La société Motorola soutient qu'au regard des principes du droit européen d'interprétation stricte des exceptions de copie privée, de réparation du seul préjudice, et de juste équilibre entre ayants droit et utilisateurs des oeuvres protégées, les articles L.122-5 2° et L.211-3 2° doivent être interprétés comme excluant de l'exception de copie privée les copies dont la réalisation est insusceptible de causer un préjudice aux titulaires de droit. Elle fait valoir qu'il ressort des travaux préparatoires de la décision n°15 que toute copie, hormis la copie primaire d'un fichier téléchargé, quelque soit sa finalité, a été qualifiée de copie privée, sans qu'il soit avéré qu'elle porte préjudice au sens du droit européen ; que par exemple les copies de sauvegarde, visant à prévenir un risque de perte du fichier numérique par l'utilisateur, ou les copies de migration ou de synchronisation (visant à déplacer le fichier numérique d'un support de lecture à un autre) ont été considérées comme des actes de copie privée alors qu'elles ne se substituent à aucun acte complémentaire d'acquisition de l'oeuvre, et ne comportent dès lors aucun manque à gagner pour les ayants droit. Elle conteste le coefficient multiplicateur de 4 qui a été retenu pour passer d'un nombre de fichiers copiés mesurés sur six mois par les études d'usage à une période de deux ans estimée comme la durée moyenne des supports. Elle en conclut que la décision n°15 sur laquelle est fondée la créance sollicitée heurte le droit européen, qu'un abattement de 40% doit être appliqué au titre de copies ne causant pas de préjudice et ne constituant donc pas des copies privées, et à titre subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Une législation nationale permettant de soumettre à la redevance pour copie privée tous types de copies, sans aucune distinction de leur finalité et, par là même, du préjudice potentiel qu'elles seraient susceptibles de causer aux titulaires de droits, est-elle conforme à la directive 2001/29 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier aux principes de juste équilibre et d'interprétation stricte des exceptions ''.

Il est constant que la rémunération pour copie privée prévue par l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle correspond à la compensation équitable instituée comme condition de l'exception de copie privée par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, et qu'elle doit être interprétée dans toute la mesure du possible par les juridictions nationales à la lumière du texte et de la finalité de ladite directive, telles qu'interprétées par la CJUE. La Cour de justice a jugé (arrêt Stichting de Thuiskopie du 16 juin 2011 - point 23) que les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation pour déterminer la forme, les modalités et le niveau éventuel de cette compensation. Elle a également dit pour droit que le juste équilibre à trouver entre les personnes concernées par la rémunération pour copie privée implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée (arrêt Padawan du 21 octobre 2010).

La société Motorola se fonde sur la directive susvisée telle qu'interprétée par la CJUE pour prétendre à tort que certaines copies effectuées à usage privé telles que des copies de sauvegarde ou de synchronisation prétendument prises en compte dans la décision n°15 ne créeraient pas de préjudice aux ayants droits et devraient donc être exclues de la rémunération pour copie privée, alors au contraire que l'article 2 de ladite directive prévoit le droit exclusif pour l'auteur d'autoriser ou d'interdire la reproduction de son oeuvre sans distinction de la finalité de cette reproduction, précisant au contraire qu'elle peut être 'provisoire ou permanente', et 'par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit', et que dans l'arrêt Padawan susvisé invoqué par la société Motorola la CJUE a rappelé (considérants 44 et 45) que la réalisation d'une copie par une personne physique agissant à titre privé doit être considérée comme un acte de nature à engendrer un préjudice pour l'auteur de l'oeuvre concernée reproduite sans son autorisation préalable, et ce sans exclure certaines copies en raison de leur prétendue finalité de sauvegarde ou de synchronisation, lesdites copies pouvant au demeurant être lues ou visionnées ultérieurement.

Le moyen de contestation de la créance et la demande d'abattement de ce chef seront en conséquence rejetés sans qu'il soit nécessaire pour la résolution du litige de saisir la CJUE d'une demande de question préjudicielle.

Sur les copies autorisées ayant déjà donné lieu à rémunération

La société Motorola soutient qu'au regard des principes du droit européen de juste équilibre entre ayants droit et utilisateurs des oeuvres protégées et d'interdiction de surcompensation, les articles L.122-5 2° et L.211-3 2° du code de la propriété intellectuelle doivent être interprétés comme excluant de l'exception de copie privée les copies contractuellement autorisées. Elle fait valoir que le Conseil d'Etat s'est mépris sur la portée de la solution posée par la CJUE dans l'arrêt VG Wort du 27 juin 2013 qui n'est pas applicable en l'espèce puisque le droit français n'interdit pas aux auteurs d'autoriser une reproduction contractuellement rémunérée. Elle prétend en conséquence qu'il ressort des travaux préparatoires de la commission que seules ont été exclues la première copie d'une oeuvre téléchargée mais non les suivantes appelées 'copies subséquentes' et qu'en conséquence la rémunération prévue par la décision n°15 ne distingue pas entre copie privée et copie contractuellement autorisée de sorte que ces dernières donnent lieu à un double paiement l'un au titre de la rémunération légale, l'autre au titre de la rémunération contractuelle, et que le phénomène de surcompensation et la violation du principe du juste équilibre qui en résulte sont donc caractérisés. Elle soutient que la part des copies en cause provenant de sites payants ne pouvant donner lieu à rémunération pour copie privée représente de l'ordre de 23% des copies d'oeuvres protégées à la lumière des études d'usage menées dans le cadre des travaux préparatoires à la décision n°15. Elle demande en conséquence d'appliquer un abattement de 23% sur le montant total de la créance, et à titre subsidiaire, elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Une législation nationale autorisant les titulaires de droits à autoriser, le cas échéant moyennant rémunération, des actes de reproduction à usage privé tout en soumettant ces mêmes copies à la redevance pour copie privée, est-elle conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''

Il est constant ainsi qu'il a été dit que les dispositions de droit interne relatives à la rémunération pour copie privée, et notamment l'article L.122-5 en application de laquelle l'auteur ne peut interdire les copies ou reproductions réservées à l'usage privé du copiste, doivent être interprétées dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive 2001-29, telles qu'interprétée par la CJUE et notamment à l'aune du principe du maintien d'un juste équilibre entre les titulaires de droit et les utilisateurs d'objets protégés.

Par arrêt rendu le 27 juin 2013 VG Wort, la Cour de justice, interrogée sur le point de savoir si le fait que le titulaire de droits autorise expressément ou implicitement la reproduction de son oeuvre permet-il de rendre caduque la possibilité d'une compensation équitable, a dit pour droit: 'Dans le cadre d'une exception ou d'une limitation prévue à l'article 5, paragraphes 2 ou 3, de la directive 2001/29, un acte éventuel par lequel un titulaire de droits a autorisé la reproduction de son œuvre ou d'un autre objet protégé n'a aucune incidence sur la compensation équitable, que cette dernière soit prévue à titre obligatoire ou à titre facultatif, en vertu de la disposition applicable de cette directive'.

Contrairement aux allégations de la société Motorola, l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle, en application duquel l'auteur ne peut interdire les copies ou reproductions réservées à l'usage privé, doit être interprété à la lumière de cette jurisprudence, de sorte que le moyen tiré de ce que les copies contractuellement autorisées par les titulaires de droits auraient été prises en compte dans l'assiette de la rémunération par la décision n°15 sera rejeté, étant observé au surplus qu'il résulte du procès-verbal de la commission du 20 septembre 2012 préalable à l'élaboration de la décision n°15 que les copies relevant du droit exclusif des ayants droit ont été exclues.

Le moyen de contestation et la demande d'abattement de la créance de ce chef seront en conséquence rejetés sans qu'il soit nécessaire pour la résolution du litige de saisir la CJUE d'une demande de question préjudicielle.

Sur l'exclusion des copies à usage professionnel

La société Motorola fait valoir en premier lieu que le mécanisme mis en place par l'article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle n'est pas conforme au droit européen en ce que le professionnel n'est pas exonéré par cette seule qualité mais doit démontrer l'absence de tout usage de copie privée pour échapper à la rémunération pour copie privée. Elle en déduit qu'un abattement de 15% doit être appliqué sur les sommes sollicitées sur le fondement de la décision n°15, et à titre subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer pour saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : 'Un système national de redevance pour copie privée dans lequel il incombe à tout professionnel, personne physique ou morale, pour bénéficier de l'exclusion du paiement de ladite redevance, d'apporter la preuve de l'absence de tout usage de copie privée des matériels acquis à des fins professionnelles qu'ils soient ou non mis à disposition de tiers à des fins professionnelles, est-il conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''

La cour rappelle que les dispositions de l'article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle telles que modifiées par la loi du 20 décembre 2011 prévoient, en premier lieu, que la rémunération pour copie privée n'est pas due pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, en deuxième lieu qu'une convention constatant l'exonération et fixant ses modalités peut être conclue entre les personnes exonérées et les organismes chargés de la perception de la rémunération, et en troisième lieu, qu'à défaut de convention, les personnes exonérées peuvent obtenir le remboursement de la rémunération versée sur production de justificatifs.

Contrairement aux allégations de la société Motorola, ces dispositions sont conformes à celles de la directive 2001/29/CE telles qu'interprétées par la CJUE dont l'arrêt Padawan (2010) n'exclut du champ de la rémunération pour copie privée que les matériels 'manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies privées', et dont les arrêts Copydan (2015), puis Nokia Italia (2016) valident un système imposant le paiement de la redevance aux fabricants et aux importateurs vendant leurs supports à des professionnels, qui les revendent à des acheteurs finaux particuliers ou professionnels, à la condition que les redevables soient exonérés du paiement de ladite redevance s'ils établissent qu'ils ont fourni les supports à des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé. Il s'ensuit que le moyen opposé de ce chef sera rejeté sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de question préjudicielle devant la CJUE.

Les développements de la société Motorola relatifs aux prétendues difficultés d'un employeur qui fournit des supports d'enregistrement à ses salariés et serait ainsi contraint soit de leur interdire d'effectuer des copies à usage privé, soit de répercuter sur eux le montant de la rémunération pour copie privée, ne sont pas fondés et sans pertinence dans le cadre du présent litige, la société Motorola sollicitant en l'espèce une exonération en qualité de fabricant desdits matériels.

La société Motorola prétend ensuite que les redevables, comme elle, ne sont éligibles à aucun mécanisme d'exclusion, les conventions d'exonération bénéficiant exclusivement à des professionnels utilisateurs finaux. Elle en conclut que les sommes exigées en application de décisions non conformes au droit européen ne sont pas dues, et à titre subsidiaire elle demande de poser la question préjudicielle suivante : 'Un système national de redevance pour copie privée dans lequel l'exonération ou le remboursement du redevable est, en toutes hypothèses, conditionné à la conclusion d'une convention d'exonération par l'utilisateur final professionnel est-il conforme à l'article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ''.

La cour rappelle que la CJUE, dans son arrêt Copydan du 5 mars 2015, a dit pour droit que la directive 2001/29 'ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui impose le paiement de la redevance destinée à financer la compensation équitable au titre de l'exception au droit de reproduction pour les copies à usage privé aux fabricants et aux importateurs qui vendent des cartes mémoire de téléphones mobiles à des professionnels, tout en sachant que ces cartes sont destinées à être revendues par ces derniers, mais en ignorant si les acheteurs finaux desdites cartes sont des particuliers ou des professionnels, à condition que :

- la mise en place d'un tel système soit justifiée par des difficultés pratiques ;

- les redevables soient exonérés du paiement de ladite redevance s'ils établissent qu'ils ont fourni les cartes mémoire de téléphones mobiles à des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé, étant entendu que cette exonération ne saurait être limitée à la livraison aux seuls professionnels qui sont inscrits auprès de l'organisation chargée de la gestion des mêmes redevances ;

- ledit système prévoie un droit au remboursement de la même redevance qui est effectif et ne rend pas excessivement difficile la restitution de la redevance payée, ce remboursement pouvant être versé au seul acquéreur final d'une telle carte mémoire qui, à cette fin, doit adresser une demande à ladite organisation'.

Il est établi que les conventions d'exonération conclues en application de l'article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle avec l'acquéreur du support, seul à même de garantir l'usage à des fins professionnelles exclusives de copie privée, permettent d'exonérer un redevable, telle que la société Motorola, du paiement de la rémunération pour copie privée, lorsque ce redevable vend des supports à une personne morale ou physique bénéficiant d'une telle convention, établissant en conséquence comme l'exige la jurisprudence susvisée que les supports d'enregistrement qu'il a fourni l'ont été à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé.

Il est ainsi démontré, contrairement aux allégations de la société Motorola, que le mécanisme ainsi mis en place par l'article L.311-8, qui lui permet en sa qualité de redevable d'être exonérée du paiement de la rémunération pour copie privée lorsqu'elle établit avoir fourni du matériel utilisé à des fins manifestement étrangères à celle de reproduction pour un usage privé, est en conséquence conforme au droit de l'Union dont il faut rappeler qu'il accorde aux Etats de larges marges d'appréciation quant à la détermination de la forme et des modalités de la compensation équitable. Le moyen opposé de ce chef sera donc rejeté sans qu'il soit nécessaire à la résolution du litige de poser une question préjudicielle à la CJUE.

Enfin la société Motorola prétend que la condition d'effectivité du système de remboursement requise par le juge de l'Union européenne n'est pas satisfaite ainsi qu'il résulte du montant dérisoire des remboursements et exonérations.

La Cour de justice a en effet dit pour droit dans son arrêt Amazon rendu le 11 juillet 2013 qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si 'des difficultés pratiques justifient un tel système de financement de la compensation équitable' et que 'ce droit au remboursement (...) est effectif et ne rend pas excessivement difficile la restitution de ces redevances'.

La cour constate que les contraintes pratiques de la collecte de la rémunération pour copie privée ainsi que les risques de fraude relevés dans l'étude d'impact précédant la loi du 20 décembre 2011justifient le mécanisme instauré par ladite loi, et que le caractère effectif du mécanisme d'exonération et de remboursements mis en place, résulte tant du montant des remboursements qui a augmenté depuis 2013 pour atteindre plus de 3,8 millions d'euros en 2019, que du nombre de conventions d'exonération conclues avec la société Copie France par de nombreux établissements et entreprises privées telles que les sociétés Décathlon ou Total, représentant des montants de redevance copie privée ainsi exonérés de plus de 11 millions d'euros en 2014 et plus de 10 millions en 2015 ainsi qu'il ressort de l'attestation de l'expert comptable versée au débat.

Il résulte des développements qui précèdent que les moyens de contestation opposés par la société Motorola au titre de la non conformité au droit de l'Union de la décision n°15 sur laquelle est fondée la créance litigieuse, tout comme les demandes d'abattement seront rejetés, et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

La société Copie France est en conséquence parfaitement fondée, eu égard aux déclarations de sorties de stock effectuées par la société Motorola pour la période commençant le 1er janvier 2013 actualisée en procédure d'appel jusqu'au 31 mars 2018, à solliciter sa condamnation à lui verser la rémunération pour copie privée qui lui est due pour un montant de 8 328 733,53 euros sur le fondement de la décision n°15 de la commission copie privée.

Le jugement sera en conséquence confirmé dans toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant de la créance actualisée pour la période courant jusqu'au 31 mars 2018.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Motorola Mobility France à payer à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France) la somme de 7 506 158,20 euros au titre des redevances copie privée ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Condamne la société Motorola Mobility France à payer à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France) la somme actualisée de 8 328 733,53 euros due sur le fondement de la décision n°15 de la Commission copie privée pour la période du 1er janvier 2013 au 31 mars 2018 ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne la société Motorola Mobility France aux dépens d'appel et, vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à ce titre à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France) une somme de 30 000 euros.