CJCE, 5e ch., 18 décembre 1997, n° C-402/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Oberlandesgericht Frankfurt am Main
Défendeur :
Allemagne
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 9 décembre 1996, parvenue à la Cour le 23 décembre suivant, l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 5, sous a), du règlement (CEE) no 2137/85 du Conseil, du 25 juillet 1985, relatif à l'institution d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE) (JO L 199, p. 1 , ci-après le " règlement ").
2 Cette question a été posée dans le cadre d'une procédure dans laquelle Amtsgericht Frankfurt am Main a refusé de procéder à l'immatriculation au registre du commerce, section A, de l'entreprise en formation " European Information Technology Observatory, Europäische Wirtschaftliche Interessenvereinigung " (ci-après " EITO "), ayant son siège à Francfort-sur-le-Main, au motif que, selon le droit allemand, un Europäische Wirtschaftliche Interessenvereinigung, à savoir un groupement européen d'intérêt économique (ci-après un " GEIE " ou un " groupement "), peut seulement être assorti d'une dénomination purement personnelle ou d'une dénomination personnelle combinée à des mentions complémentaires, alors qu'il ne peut pas être immatriculé lorsque sa dénomination est composée d'éléments purement descriptifs de l'objet de l'entreprise.
3 Le Landgericht Frankfurt am Main ayant confirmé, par ordonnance du 21 juin 1995, le refus de Amtsgericht de procéder à cette immatriculation, EITO a formé un recours devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main.
4 Devant ces juridictions, EITO a fait valoir que le refus opposé à sa demande d'immatriculation au registre du commerce était contraire à l'article 5, sous a), du règlement, selon lequel doit figurer dans le contrat de groupement au moins la dénomination du groupement précédée ou suivie soit des mots " groupement européen d'intérêt économique ", soit du sigle " GEIE ", à moins que ces mots ou ce sigle ne figurent déjà dans la dénomination.
5 L'Oberlandesgericht a estimé que le recours d'ElTO n'était pas fondé. Il a rappelé avoir jugé, par décision du 18 mai 1993, que la dénomination d'un GEIE ne peut figurer au registre du commerce lorsqu'elle se compose d'éléments purement descriptifs de l'objet de l'entreprise, car la loi applicable aux dénominations des sociétés en nom collectif de droit allemand (" offene Handelsgesellschaften "), à laquelle sont assujettis les GEIE, prévoit seulement l'emploi de dénominations purement personnelles ou de dénominations personnelles combinées avec des mentions complémentaires. Dans cette décision, l'Oberlandesgericht a expressément rejeté la thèse selon laquelle l'article 5, sous a), du règlement imposerait une dénomination purement descriptive de l'objet de l'entreprise. Selon lui, cette disposition indique seulement que les mots " groupement européen d'intérêt économique " ou que le sigle " GEIE " ne doivent pas nécessairement précéder ou suivre la dénomination et, par conséquent, que la question de la dénomination, sauf en ce qui concerne la mention complémentaire de la forme juridique, relève du seul droit national.
6 Toutefois, l'Oberlandesgericht s'est estimé tenu de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
" L'article 5, sous a), du règlement (CEE) no 2137/85 du Conseil, du 25 juillet 1985, relatif à l'institution d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE), doit-il être interprété en ce sens que le nom ou la dénomination sociale d'un GEIE peut se composer, outre les mentions complémentaires "groupement européen d'intérêt économique" ou "GEIE", uniquement d'éléments descriptifs de l'objet de l'entreprise, lorsque le droit interne exclut, pour sa part, que soit retenue une telle dénomination en cas de constitution d'un groupement européen d'intérêt économique? "
7 A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le règlement crée un cadre juridique qui permet aux personnes physiques, sociétés et autres entités juridiques de coopérer par-delà les frontières en mettant à leur disposition un nouvel instrument juridique.
8 Selon son article 1er, paragraphe 1, les GEIE sont constitués dans les conditions, selon les modalités et avec les effets prévus par le règlement.
9 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, " Sous réserve des dispositions du présent règlement, la loi applicable, d'une part au contrat de groupement, sauf pour les questions relatives à l'état et à la capacité des personnes physiques et à la capacité des personnes morales, d'autre part au fonctionnement interne du groupement, est la loi interne de l'État du siège fixé par le contrat de groupement ".
10 L'article 5 du règlement prévoit que " Doivent figurer dans le contrat de groupement, au moins:
• la dénomination du groupement précédée ou suivie, soit des mots "groupement européen d'intérêt économique", soit du sigle "GEIE", à moins que ces mots ou ce sigle ne figurent déjà dans la dénomination ;
... "
11 EITO considère que la question posée par la juridiction nationale appelle une réponse affirmative. Elle renvoie d'abord au texte même de l'article 5, sous a), et notamment à la partie de phrase " à moins que ces mots ou ce sigle ne figurent déjà dans la dénomination ". Elle soutient que, en cas de dénomination personnelle, les mots " groupement européen d'intérêt économique " ou le sigle " GEIE " ne peuvent que revêtir la forme d'une mention complémentaire et ne peuvent pas déjà figurer dans le nom. La partie de phrase susvisée, qui serait dans le cas contraire sans aucune utilité, démontrerait qu'il est possible d'adopter une dénomination descriptive de l'objet de l'entreprise.
12 EITO invoque ensuite les objectifs mentionnés dans les considérants du règlement. L'intention du législateur aurait été de favoriser la coopération économique par-delà les frontières en accordant aux membres du groupement une grande liberté dans l'organisation de leurs rapports contractuels. Cela exigerait nécessairement l'admission des dénominations descriptives de l'objet de l'entreprise. Il existerait un lien direct entre, d'une part, la dénomination d'un GEIE et, d'autre part, l'organisation de ses rapports contractuels et de son fonctionnement interne.
13 En outre, l'égalité de traitement entre les membres du GEIE devrait également, selon EITO, se retrouver dans la dénomination. Elle pourrait se concrétiser par la citation du nom de tous les membres dans la dénomination. Cela soulèverait cependant deux problèmes: d'une part, le nombre des membres pourrait rendre impraticable une telle dénomination et, d'autre part, cela ne permettrait pas de garantir que la dénomination comporte une indication appropriée du domaine d'activité du GEIE. La conséquence du refus des dénominations descriptives de l'objet de l'entreprise serait donc que les GEIE ne pourraient atteindre leur objectif, qui est de favoriser la coopération au sein de la Communauté.
14 EITO relève enfin que l'importance que revêtent les dénominations descriptives de l'objet de l'entreprise pour la coopération par-delà les frontières est illustrée par le fait que plus de 80 % des GEIE constitués portent une telle dénomination. Si l'on refusait ces dénominations descriptives, le marché commun risquerait d'être divisé sur le plan juridique, division qui devrait précisément être supprimée au moyen d'une structure juridique uniforme. Ainsi, l'interprétation et l'application du règlement ne devraient en aucun cas s'inspirer uniquement du droit allemand.
15 Le gouvernement allemand et la Commission considèrent qu'une réponse négative doit être apportée à la question posée. Le gouvernement allemand relève notamment que l'article 5, sous a), du règlement détermine uniquement la manière dont la forme juridique du GEIE doit être mentionnée dans la dénomination et ne prévoit rien quant au contenu de la dénomination du groupement. La réglementation applicable au contenu de la dénomination du groupement relèverait par conséquent du seul droit national. Cela résulterait directement de l'article 2, paragraphe 1, du règlement.
16 La Commission rappelle que, sous réserve des dispositions du règlement, c'est le droit interne de l'Etat membre dans lequel le groupement a son siège qui, conformément à l'article 2, paragraphe 1, est applicable. Selon elle, la dénomination d'un groupement relève du domaine d'application du droit national.
17 Elle observe que la thèse selon laquelle l'expression " à moins que ces mots ou ce sigle ne figurent déjà dans la dénomination " signifierait que le règlement offre nécessairement la possibilité d'une dénomination purement descriptive de l'objet de l'entreprise n'est pas convaincante. Cette thèse renverrait à des dispositions de droit national pour interpréter une disposition de droit communautaire, alors que celui-ci doit être interprété de façon indépendante et ne peut être influencé par les réglementations nécessairement divergentes des différents États membres.
18 La Commission ajoute que la liberté laissée par le règlement quant à la dénomination des GEIE est confirmée par son article 1er, paragraphe 3, selon lequel les États membres déterminent si les groupements immatriculés à leurs registres ont ou non la personnalité juridique.
19 Il y a lieu de constater que, ainsi que l'ont indiqué le gouvernement allemand et la Commission, l'interprétation de l'article 5, sous a), telle que proposée par EITO, ne peut être admise.
20 En effet, il résulte de l'article 2, paragraphe 1, du règlement que, sous réserve des dispositions du règlement, la loi applicable est la loi interne de l'État du siège fixé par le contrat de groupement.
21 Or, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 5 de ses conclusions, l'article 5, sous a), du règlement exige seulement que soit inséré dans la dénomination d'un GEIE soit le terme " groupement européen d'intérêt économique ", soit le sigle " GEIE ". Cette disposition a pour objectif que le groupement puisse être identifié et distingué dans ses rapports avec les tiers au moyen de la référence au type associatif institué par le règlement. Cette disposition ne pose, en revanche, aucune autre exigence quant au contenu de la dénomination du groupement. En particulier, la partie de phrase " à moins que ces mots ou ce sigle ne figurent déjà dans la dénomination " ne vise qu'à éviter, le cas échéant, des répétitions inutiles.
22 Le règlement prévoit ainsi que la dénomination d'un GEIE doit comporter les mots " groupement européen d'intérêt économique " ou le sigle " GEIE ", mais ne concerne pas, en revanche, le contenu de cette dénomination. Il s'ensuit que des exigences à cet égard peuvent, conformément à l'article 2, paragraphe 1, du règlement, être imposées par les dispositions de droit interne applicables dans l'État membre dans lequel le groupement a son siège.
23 Il convient dès lors de répondre que l'article 5, sous a), du règlement doit être interprété en ce sens que la dénomination d'un GEIE doit nécessairement comporter les mots " groupement européen d'intérêt économique " ou le sigle " GEIE ", tandis que les autres éléments qui doivent figurer dans sa dénomination peuvent être imposés par les dispositions de droit interne applicables dans l'État membre dans lequel ledit groupement a son siège.
Sur les dépens
24 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main, par ordonnance du 9 décembre 1996, dit pour droit :
L'article 5, sous a), du règlement (CEE) no 2137/85 du Conseil, du 25 juillet 1985, relatif à l'institution d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE), doit être interprété en ce sens que la dénomination d'un groupement européen d'intérêt économique doit nécessairement comporter les mots " groupement européen d'intérêt économique " ou le sigle " GEIE ", tandis que les autres éléments qui doivent figurer dans sa dénomination peuvent être imposés par les dispositions de droit interne applicables dans l'État membre dans lequel ledit groupement a son siège.