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Décisions

Cass. 2e civ., 24 septembre 2015, n° 14-20.514

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Liénard

Avocats :

Me Le Prado, SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Foussard et Froger, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP de Chaisemartin et Courjon

Rennes, du 3 juin 2014

3 juin 2014

Attendu, selon les arrêts attaqués (Rennes, 3 juin 2014, RG n° 13/ 01781 et n° 13/ 06409), que la société Deca France & Co, ayant pour actionnaires les sociétés Gremald et Bagmac, M. X... et Mme Y..., a, sur les conseils de la société Grant Thornton Corporate Finances confié une opération de restructuration à des sociétés, aux droits desquelles vient la société CM-CIC Investissement, impliquant plusieurs opérations, notamment l'acquisition d'un groupe de sociétés, la constitution d'une nouvelle société pour laquelle M. Z... a été désigné commissaire aux apports et la société Ernst & Young commissaire aux comptes, et le refinancement de sa dette par la banque populaire atlantique (la BPA), dont la société BPCE Sadir est l'organe central ; que, par ordonnance de référé du 21 février 2013 rendue sur l'assignation de la société Deca et de ses actionnaires, un président d'un tribunal de grande instance a mis hors de cause la BPCE et accueilli la demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'expertise formée par la société Deca France & Co, M. X..., Mme Y..., la société Bagmac et la société Gremald, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le fondement juridique d'une action future, par hypothèse incertaine, soit d'ores et déjà déterminé par celui qui demande la mesure d'instruction ; qu'en retenant néanmoins que la mesure d'instruction sollicitée ne pouvait avoir pour objet de vérifier si une situation donnée pourrait donner lieu à une action dont le ou les fondements juridiques possibles restaient à déterminer, la cour d'appel, qui a ajouté au texte susvisé une condition qu'il ne prévoit pas, a violé ce dernier ;

2°/ que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas de celui qui demande la mesure d'instruction la démonstration du bien-fondé d'une action future, ni donc celle de ses chances de succès ; qu'en retenant néanmoins que la mesure d'instruction sollicitée ne pouvait tendre qu'à l'établissement ou à la conservation de la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ayant des chances de succès, la cour d'appel, qui a de nouveau ajouté au texte susvisé une condition qu'il ne prévoit pas, a violé ce dernier ;

3°/ que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le défendeur à l'instance en référé soit le défendeur au futur procès potentiel ; qu'il n'est donc pas nécessaire que le demandeur en référé démontre l'existence d'un procès potentiel au principal à l'égard de chacun des défendeurs à l'instance en référé ; qu'en retenant au contraire la nécessité de ce que la mesure d'instruction sollicitée en référé ait trait à des faits imputables à chacun des défendeurs à l'instance en référé et susceptibles de fonder à son encontre un procès au principal, la cour d'appel a de nouveau violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant retenu l'existence de différentes opérations autonomes économiquement et juridiquement et écarté l'analyse globale de la situation ayant conduit le premier juge à admettre une mission d'expertise extrêmement large et générale, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a rejeté la demande d'expertise formée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, qui ne suppose pas la démonstration du bien-fondé d'une action future, telle une action en responsabilité, n'exige donc pas de celui qui sollicite la mesure d'instruction qu'il invoque des circonstances justifiant la responsabilité de la personne visée ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée par la société Deca France & Co et ses actionnaires, sur la considération que ces derniers n'auraient pas invoqué de circonstances justifiant la responsabilité de la BPA, visée par la demande, la cour d'appel a exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et, méconnaissant son office, elle a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'en tout état de cause, l'obligation de conseil d'un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur n'est pas exclue par la seule circonstance que ce dernier a soumis un dossier soigneusement élaboré, a été entouré de professionnels de compétence notoire et s'est présenté comme particulièrement expérimenté dans la réalisation des opérations financées ; qu'en se fondant néanmoins, pour exclure l'existence d'une obligation de conseil de la BPA, établissement de crédit, à l'égard de la société Deca France, emprunteur, sur la circonstance que cette société avait été entourée de professionnels de compétence notoire et s'était présentée comme particulièrement expérimentée dans la réalisation des opérations financées, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la conformité du crédit aux conditions du marché n'était pas critiquée, que ni le commissaire aux comptes, ni le commissaire aux apports, ni la BPA, ni la Caisse d'épargne n'étaient intervenus dans la négociation du contrat financé, et qu'il n'était invoqué aucune circonstance particulière susceptible d'engager la responsabilité de la BPA, laquelle ne peut résulter du seul grief avancé, tenant à une décision d'octroi du crédit dans un délai anormalement bref, la cour d'appel a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, souverainement écarté l'existence d'un motif légitime ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, qui ne suppose pas la démonstration du bien-fondé d'une action future, telle une action en responsabilité contre un commissaire aux apports, n'exige donc pas du demandeur à la mesure d'instruction d'établir les obligations de ce professionnel ni la teneur des manquements de celui-ci auxdites obligations ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée par la société Deca France & Co et ses actionnaires, sur la considération que la détermination des obligations juridiques incombant au commissaire aux apports relevait du seul pouvoir du juge du principal et excédait la compétence d'un expert et que « seules les conséquences d'une éventuelle faute préalablement établie pouva ie nt le cas échéant ¿ justifier » une expertise, la cour d'appel a exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et, méconnaissant son office, elle a violé le texte susvisé ;

2°/ que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas non plus du demandeur à la mesure d'instruction d'expliquer en quoi une éventuelle erreur dudit commissaire aux apports aurait pu lui porter préjudice ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée par la société Deca France & Co et ses actionnaires, sur la considération que ces derniers n'auraient pas expliqué en quoi une éventuelle erreur dudit commissaire aux apports aurait pu leur porter préjudice et, en particulier, en quoi une évaluation moins élevée des actions reçues aurait pu avoir une incidence favorable sur la rentabilité et la trésorerie de cette société, la cour d'appel a de plus fort exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que le commissaire aux apports avait validé en mai 2008 la valeur des actions fixée par un protocole d'accord entre les demandeurs le 8 février 2008 et, d'autre part, qu'aucun préjudice ne pouvait résulter de l'évolution de la valeur vénale de ces actions, acquises en 2006, circonstance indépendante de l'évaluation du commissaire aux apports, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, souverainement décidé que la mesure d'instruction était inutile ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en sa dernière branche, du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'en se fondant, pour exclure l'utilité de la mesure d'investigation sollicitée à l'égard du commissaire aux comptes, sur la considération de ce que les conditions et la teneur de l'intervention de celui-ci étaient d'ores et déjà établies, quand il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les dernières écritures d'appel des demandeurs en référé, si une mesure d'investigation pouvait contribuer à établir une faute du commissaire aux comptes dans l'exercice de sa mission, appréciation qui ne pouvait pas se réduire à une simple constatation des termes de ladite mission, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que l'intervention du commissaire aux comptes était postérieure à la constitution de la société Newco dans laquelle il n'avait joué aucun rôle puisque sa mission consistait à émettre un avis sur la sincérité des comptes présentés à l'assemblée générale du 9 juin 2008 et, d'autre part, que l'attestation du 23 juillet 2009 du commissaire aux comptes était dépourvue de tout lien de causalité possible avec les opérations réalisées un an plus tôt, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, sans avoir à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, souverainement décidé que la mesure d'instruction était inutile ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, qui ne suppose pas la démonstration du bien-fondé d'une action future, telle une action en responsabilité contre un établissement de crédit, n'exige donc pas de celui qui sollicite la mesure d'instruction qu'il invoque des circonstances justifiant la responsabilité dudit établissement de crédit ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée par la société Deca France & Co et ses actionnaires, sur la considération que ces derniers n'auraient pas été fondés à reprocher à la BPA un renchérissement du coût du crédit et sur le caractère prétendument inopérant de griefs pris du montant excessif du prêt, de la rapidité de l'octroi du crédit, de la syndication limitée de la dette, du caractère onéreux du contrat de couverture de taux, de l'absence de détection de la surévaluation par l'emprunteur de ses actifs et de l'absence de financement de l'acquisition de certaines sociétés, la cour d'appel a exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et, méconnaissant son office, elle a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la matérialité des faits concernant les conditions d'octroi du crédit était déjà établie de manière non contestée par des pièces communiquées, la cour d'appel a souverainement décidé que la mesure d'instruction était inutile ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen du pourvoi n° N 14-20. 514 :

Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, qui ne suppose pas la démonstration du bien-fondé d'une action future, telle une action en responsabilité contre un établissement de crédit, n'exige donc pas de celui qui sollicite la mesure d'instruction qu'il démontre la faute dudit établissement de crédit ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée par madame Y..., sur la considération que cette dernière ne démontrerait pas le caractère fautif de l'octroi du prêt litigieux par la Caisse d'épargne, la cour d'appel a exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et, méconnaissant son office, elle a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant relevé que ni les conditions de négociation, ni les stipulations du prêt litigieux ne faisaient l'objet de grief particulier de sorte qu'aucune mission pertinente pour la solution d'un litige potentiel ne pouvait être dévolue à l'expert, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, souverainement décidé que la demande d'expertise ne se fondait pas sur un motif légitime ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° P 14-20. 515 :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la BPCE alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas de celui qui demande la mesure d'instruction la démonstration du bien-fondé d'une action future ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la prétendue absence de motif légitime d'ordonner l'expertise demandée à l'égard de la BPCE par la société Deca France & Co et ses actionnaires, sur la considération que ces derniers ne justifiaient pas d'un droit à l'obtention d'un contrat ou au renouvellement d'un contrat parvenu à son terme, la cour d'appel a exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal et, méconnaissant son office, elle a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'en se fondant sur la considération que la BPCE n'était ni responsable, ni garante de la BPA, la cour d'appel, qui a de plus fort exigé des demandeurs à la mesure d'instruction in futurum la démonstration du bien-fondé d'une éventuelle action au principal, a derechef violé l'article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que la BPCE, qui n'était pas partie aux opérations de restructuration et de financement critiquées, n'était pas l'autorité de tutelle de la BPA dont elle n'était ni responsable ni garante et, d'autre part, que le déréférencement et la résiliation de contrats de nettoyage ne trouvaient leur cause dans aucun contrat en cours avec la BPCE, la cour d'appel a souverainement décidé qu'aucun motif légitime ne justifiait l'expertise sollicitée à l'égard de la BPCE ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième et quatrième branches du troisième moyen, et sur la seconde branche du quatrième moyen, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.