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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 23 mars 2010, n° 09/11770

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB (Sté)

Défendeur :

SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE DITE COPIE FRANCE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BOURQUARD

Conseillers :

Mme DAVID, Mme MAUNAND

Avoués :

SCP GARNIER, SCP ARNAUDY - BAECHLIN

Avocats :

Me SOUBELET-CAROIT, Me CHATEL

TGI PARIS, du 18 mai 2009

18 mai 2009

La rémunération pour copie privée a été instaurée en faveur des auteurs, artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes par l'article 31 de la loi du 3 juillet 1985 devenu l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle. Sont redevables de cette rémunération le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires, au sens le l'article 256 bis ' 1 3° du code général des impôts, de supports d'enregistrements utilisables pour la reproduction à usage privé, d''uvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes lors de la mise en circulation en France de ces supports.

Les sociétés SORECOP et COPIE France, sociétés civiles ont été créées en application de la loi du 3 juillet 1985 avec pour objet la perception et la répartition, conformément à l'article L 311-6 du code de la propriété intellectuelle, de la rémunération pour copie sonore (SORECOP) et audiovisuelle (COPIE France).

Le montant de la rémunération due au titre de la copie privée sur supports analogiques ainsi que ses modalités de paiement ont été fixées par décision rendue le 30 juin 1986 par la commission instituée par l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

Cette commission a par ailleurs, selon décisions,

N° 7 du 20 juillet 2006, fixé la rémunération pour copies privées afférentes aux mémoires et disques durs intégrés à un baladeur ou à un appareil de salon dédiés à la fois à l'enregistrement numériques des phonogrammes et vidéogrammes, aux mémoires et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur ou un décodeur comportant une fonctionnalité d'enregistrement numérique de vidéogramme ou un baladeur dédié à l'enregistrement de vidéogramme,

N° 8 du 9 juillet 2007 (Jo du 9 septembre 2007) fixé la rémunération pour copie privée des cartes mémoires non dédiées,

N° 10 du 27 février 2008 applicable à partir du 1er mai (JO du 3 avril 2008) fixé celle des mémoires et disques durs intégrés à un appareil de téléphone mobile combinant la fonction téléphone et une fonction baladeur,

N° 11 du 17 décembre 2008 entrée en vigueur le 1er janvier 2009 (JO du 21 décembre 2009) confirmé les tarifs ainsi fixés.

Par décision du 11 juillet 2008, le Conseil d'Etat a annulé la décision  7 de la commission au motif que l'assiette du calcul de la rémunération tenait compte des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes mais dit que cette décision n'avait pas d'effet rétroactif et ne prendrait effet que dans un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication « sous réserves des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre des actes pris sur son fondement ».

Les sociétés SORECOP et COPIE France ont, par acte du 4 mars 2009, assigné la société SONY ERICSON MOBILE COMMUNICATION en paiement provisionnel des sommes de,

- 128 604, 48 € TTC à la société SORECOP pour la période du mai à novembre 2008,

- 191 065 € TTC à la société COPIE France pour la période de juillet à novembre 2008,

Subsidiairement, de voir ordonner le séquestre desdites sommes dans l'attente d'une décision définitive en ordonnant la restitution devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance rendue le 18 mai 2009, a :

Condamné la société SONY ERICSON MOBILE COMMUNICATION à payer à la SORECOP la somme provisionnelle de 128 604, 48 € TTC pour la période de mai à novembre 2008 et à la société COPIE France celle de 191 065 € TTC pour la période allant de juillet à novembre 2008 et l'a condamnée à payer à chacune une indemnité de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Appelante de cette décision, la société SONY ERICSON MOBILE COMMUNICATIONS AB, aux termes de ses écritures déposées le 26 janvier 2010 , conclut en son infirmation étant dit que le premier juge ne tire pas les conséquences de ses propres constats et ne fonde pas l'obligation financière mise à sa charge, que la créance litigieuse est illicite et par là insusceptible d'être recouvrée, que les sociétés SORECOP et COPIE France ne fondent pas la créance dont elles demandent le paiement et en particulier sont irrecevables et infondées à invoquer un enrichissement sans cause pour en justifier et que leurs créances se heurtent à de très nombreuses et très sérieuses contestations et elle demande qu'elles soient déboutées de leur demandes de provision,

A titre subsidiaire, elle sollicite la désignation de tout tiers en qualité de séquestre judiciaire entre les mains desquelles elle remettra la somme correspondant à la créance litigieuse.

En tout hypothèse, elle demande que les intimés soient condamnées à lui verser une indemnité de 12 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les sociétés SORECOP et COPIE France, aux termes de leurs écritures déposées le 4 février 2010 , concluent, vu les articles 808, 809 du code de procédure civile et 1371 du code civil, à la confirmation de la décision et demandent que l'appelante soit condamnée à leur payer à chacune une indemnité de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'au soutien de son recours l'appelante se prévaut du caractère illicite de la créance revendiquée par les sociétés SORECOP et COPIE France,

Qu'elle fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir, alors qu'elle admettait que les décisions  8 et 10 avaient été prises en considération des mêmes éléments que la décision  7, [annulée par le Conseil d'Etat], de sorte que les recours formés à leur encontre avaient des chances sérieuses d'aboutir et donc admis qu'elles emportaient rémunération de copies illicites, fait droit à la demande de provision,

Qu'elle soutient que ce même constat d'illicéité est désormais unanime comme expressément exprimé par la commission copie privée elle-même, auteur des décisions en cause, le ministère de la culture, ministère de tutelle de la commission, les sociétés SORECOP et COPIE France (qui dans le cadre de recours en annulation de la décision  8 admettent que celle-ci risque d'être considérée comme entachée d'illégalité), le juge des référés administratif et le juge des référés judiciaire l'ayant admis, qu'elles estiment que cette illicéité exclut catégoriquement que la créance puisse être qualifiée de rémunération pour copie privée au sens des article L 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et puisse être judiciairement consacrée ;

Qu'elle fait également valoir que cette créance est illicite au regard des principes généraux du droit civil en ce qu'elle inclut des copies illicites, contrefaisantes au sens des articles L 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, qu'il est impossible de dissocier la part licite de celle illicite de la créance litigieuse qui du fait de son indivisibilité est insusceptible de tout recouvrement ; que cette créance ne saurait être qualifiée de rémunération pour copie privée eu égard à son illicéité au regard du code de la propriété intellectuelle ;

Qu'elle se prévaut également du caractère illicite de la créance au regard du critère objectif de légalité consacré par l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 juillet 2008 ayant autorité absolue de la chose jugée en ce qu'il a consacré un critère objectif de légalité de la rémunération pour copies privée dont les justiciables et les juridictions doivent tenir compte ;

Qu'elle estime que cette illicéité entraîne le caractère incertain de la créance qui comporte pour partie une rémunération considérée comme illégale et qu'elle est donc insusceptible de recouvrement ;

Qu'elle soutient en second lieu que la créance revendiquée est dépourvue de tout fondement ; qu'elle fait grief à la juridiction des référés d'avoir raisonné sur les seuls effets d'une annulation de la créance litigieuse en omettant préalablement de statuer sur l'existence de cette créance, qu'elle lui reproche également de s'être mépris sur les effets d'une annulation des décisions  8 et 10 et d'avoir nié sont droit et plus largement celui des industriels redevables de la rémunération de contester la licéité de la créance qui leur est opposée et d'avoir statué en équité et non en droit.

Que les sociétés SORECOP et COPIE France soutiennent en réplique que l'allocation par provision des rémunérations qu'elles sollicitent est indispensable à la continuité du mécanisme de rémunération pour copie privée, que le Conseil d'Etat a entendu le préserver en modulant les effets de la nullité prononcée de la décision  7 dans l'objectif de prévenir « des demandes de remboursement ou de versements complémentaires dont la généralisation serait susceptible d'affecter profondément la continuité du dispositif prévu par les articles L 122-5 et L 311-1 du code de la propriété intellectuelle », que le juge des référés administratif a refusé de suspendre les effets de la décision  8 et le juge des référés civil a refusé la demande de séquestre sollicitée par des sociétés concurrentes à SONY ; qu'elles estiment qu'un tel débat est hors sujet devant la juridiction des référés dès lors qu'elles poursuivent le recouvrement de créance calculées sur les décisions  8 et 10 parfaitement valables et non sur la décision  7 annulée ;

Que l'appelante fait également valoir que les sociétés SORECOP et COPIE France ne fondent nullement leur créance, qu'elles éludent tout débat sur la licéité de celle-ci et se fondent sur le caractère exécutoire des décisions  8 et 10, qu'elles ne peuvent tirer utilement argument de la dérogation au principe de rétroactivité décidé par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 11 juillet 2008 dès lors que les décisions  8 et 10 violent le principe de la légalité de la rémunération pour copie privée opposable à tous, que la dérogation au principe de la rétroactivité ne constitue pas un blanc seing à la perpétuation de l'illégalité et que le droit positif interne exclut qu'une créance illicite puisse être judiciairement sanctionnée ;

Que les sociétés SORECOP et COPIE France estiment pour leur part qu'à défaut d'annulation prononcée par le Conseil d'Etat ou de suspension d'exécution ordonnée par le juge des référés, les décisions  8 et 10 sont valides et pleinement exécutoires, que les recours qui sont actuellement pendant à leur encontre devant le Conseil d'Etat ne les remet pas en cause tant que cette juridiction ne s'est pas prononcée, que le juges des référés a refusé à deux reprises d'en suspendre les effets , qu'elle estime que la société SONY préjuge de la décision du Conseil d'Etat, qu'elle ne peut soutenir que le critère de licéité de la rémunération pour copie privée retenu par cette haute juridiction dans son arrêt du 11 juillet 2008 s'imposerait erga omnes et conférerait à cet arrêt valeur d'arrêt de règlement alors qu'il reste limité à la chose jugée ;

Et considérant qu'aux termes de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, la juridiction des référés « dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable peut accorder une provision au créancier » ; que s'il revient aux intimées, qui réclament l'allocation de cette provision, d'établir l'existence de la créance dont elles se prévalent, il appartient à l'appelante de démontrer que cette créance est sérieusement contestable ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la rémunération pour copie privée, dont il est demandé paiement à titre provisionnel, a pour unique objet de compenser pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs la perte de revenus engendrées par l'usage qui est fait sans leur autorisation de copies d''uvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées ; que le caractère alimentaire de cette rémunération n'est pas sujet à contestation ;

Qu'il est constant que les rémunérations dont il est réclamé paiement sont fondées sur les décisions numéros 8 du 9 juillet 2007 fixant la rémunération pour copie privée des cartes mémoires non dédiées et 10 du 27 février 2008, applicable à partir du 1er mai suivant, fixant celle des mémoires et disques durs intégrés à un appareil de téléphone mobile combinant la fonction téléphone et une fonction baladeur ;

Qu'il est certes constant que par décision du 11 juillet 2008, le Conseil d'Etat a annulé la décision  7 de la commission au motif que l'assiette du calcul de la rémunération tenait compte des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes mais dit que cette décision n'avait pas d'effet rétroactif et ne prendrait effet que dans un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication « sous réserves des actions contentieuses engagées à la date de la présentes décision contre des actes pris sur son fondement » ;

Mais considérant que que l'argumentation développée par l'appelante sur l'illicéité des décisions 8 et 10 qui découlerait de l'annulation de la décision  7 par le Conseil d'Etat et les conséquences qui, selon elle, s'en suivraient ne suffisent pas à caractériser l'existence de contestations sérieuses mettant obstacle à l'allocation d'une provision en référé dès lors que même si les décisions 8 et 10 font actuellement l'objet de recours pendants devant la juridiction administrative aux fins d'annulation, même à supposer que ces recours aient de fortes chances d'aboutir, l'ensemble de ces circonstances n'affectent pas leur existence et leur validité propres et que tant que la juridiction administrative ne s'est pas prononcée et ne les a pas annulées, ces décisions demeurent pleinement valables et doivent donc recevoir application ;

Que c'est d'ailleurs en leur application que l'appelante a répercuté auprès des clients distributeurs et ces derniers sur les consommateurs finaux, le prix de la rémunération ;

Que dans ces conditions, il convient d'estimer que les intimés justifient au sens de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable en son principe et non discutée en son montant à l'égard de l'appelante et que c'est à juste titre que l'ordonnance a fait droit à leurs demandes de provision ;

Qu'il convient et sans y avoir lieu d'examiner plus avant l'argumentation soulevée par les parties, de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Que l'équité commande d'allouer aux intimées une indemnité complémentaire en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'appelante qui succombe dans ses prétentions dot supporter les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise,

Condamne la société SONY ERICSON MOBILE COMMUNICATIONS AB à payer aux sociétés SORECOP et COPIE France une indemnité complémentaire en cause d'appel de 8 000 € à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SONY ERICSON MOBILE COMMUNICATIONS AB aux entiers dépens et autorise les avoués de la cause à les recouvrer comme il est prescrit à l'article 699 du code de procédure civile.