CC, 20 juillet 2012, n° 2012-263 QPC
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
1. Considérant qu'aux termes du I de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée : « Jusqu'à l'entrée en vigueur de la plus proche décision de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle et au plus tard jusqu'au dernier jour du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi, sont applicables à la rémunération pour copie privée les règles, telles que modifiées par les dispositions de l'article L. 311-8 du même code dans sa rédaction issue de la présente loi, qui sont prévues par la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission précitée, publiée au Journal officiel du 21 décembre 2008, dans sa rédaction issue des décisions n° 12 du 20 septembre 2010, publiée au Journal officiel du 26 octobre 2010, et n° 13 du 12 janvier 2011, publiée au Journal officiel du 28 janvier 2011 » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en prolongeant l'existence des règles qui avaient été annulées par le Conseil d'État, les dispositions contestées procèdent à une validation en méconnaissance des principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel effectif ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
4. Considérant que par la décision susvisée du 17 juin 2011, le Conseil d'État a annulé la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, aux motifs « qu'en décidant que l'ensemble des supports, à l'exception de ceux acquis par les personnes légalement exonérées de la rémunération pour copie privée par les dispositions de l'article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d'exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, la décision attaquée a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne » ; que l'effet de l'annulation prononcée a été reporté à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication ;
5. Considérant, en premier lieu, que la rémunération pour copie privée a pour objet d'assurer une compensation aux titulaires de droits d'auteur ou de droits voisins en contrepartie de la reproduction par les usagers, pour leur usage privé, des œuvres et autres objets de droits voisins protégés ; qu'elle contribue en outre, selon une proportion fixée par l'article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle, au financement d'actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes ;
6. Considérant qu'en reportant de six mois l'effet de l'annulation qu'il avait prononcée, le Conseil d'État a entendu permettre que de nouvelles règles relatives à l'assiette de la rémunération pour copie privée puissent être adoptées avant que cette annulation ne prenne effet ; qu'il a estimé que « la disparition rétroactive de la décision attaquée ferait revivre des règles antérieurement en vigueur qui ne soumettent à la rémunération pour copie privée qu'une fraction des matériels susceptibles de servir à l'exercice du droit de copie privée, qui incluent les copies illégales dans l'assiette de la rémunération et qui ne réservent pas la possibilité d'exempter les usages professionnels ; que, d'une part, une annulation rétroactive serait à l'origine des plus graves incertitudes quant à la situation et aux droits des ayants droit comme des entreprises contributrices ; que, d'autre part, elle pourrait provoquer des demandes de remboursement ou de versements complémentaires dont la généralisation serait susceptible d'affecter profondément la continuité du dispositif prévu par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'enfin, la gravité de la méconnaissance des exigences du droit de l'Union affectant les délibérations antérieures étant supérieure à celle de la délibération attaquée, cette circonstance, ajoutée aux difficultés d'exécution qui porteraient atteinte à l'existence même du système de rémunération du droit de copie privée régi par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 crée, en application du principe de sécurité juridique, reconnu par le droit de l'Union, une nécessité impérieuse de différer pour une période de 6 mois l'effet de la présente décision » ;
7. Considérant que les dispositions contestées ont été adoptées avant l'expiration du délai fixé par le Conseil d'État, alors que la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle n'avait pas été en mesure d'établir en temps utile le nouveau barème de rémunération du droit de copie privée ; qu'elles ont pour objet, en fixant des règles transitoires dans l'attente d'une nouvelle décision de la commission et pendant un délai qui ne peut en tout état de cause excéder douze mois, d'éviter que l'annulation prononcée par le Conseil d'État ne produise les effets que ce dernier avait entendu prévenir en reportant les effets de cette annulation ; que, par suite, les dispositions contestées poursuivent un but d'intérêt général suffisant ;
8. Considérant, en second lieu, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a validé les règles annulées en tant qu'elles sont modifiées « par les dispositions de l'article L. 311-8 du même code dans sa rédaction issue de la présente loi » ; que le II de cet article L. 311-8, issu de la loi du 20 décembre 2011 susvisée, dispose : « La rémunération pour copie privée n'est pas due non plus pour les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée » ; qu'ainsi, d'une part, les dispositions contestées ont validé les règles annulées par le Conseil d'État, tout en mettant fin au motif qui avait conduit à cette annulation ; que, d'autre part, cette validation n'a pas pour objet de faire obstacle à ce que ces règles puissent être contestées devant le juge administratif pour d'autres motifs ; que, par suite, ces dispositions, qui ont strictement défini la portée de la validation, ne contredisent pas les décisions de justice ayant force de chose jugée ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être rejeté ; que le I de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 susvisée, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le I de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privé est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.