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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 septembre 2015, n° 15/08443

PARIS

Arrêt

CA Paris n° 15/08443

18 septembre 2015

Vu l'assignation en contestation d'une créance de rémunération délivrée le 16 janvier 2009 à la requête de la société Packard Bell France (aux droits de laquelle se trouve, à la suite d'une fusion absorption, la société Acer Computer France [ci-après : Acer] qui a notamment pour activité le commerce de gros d'ordinateurs, d'équipements informatiques, de périphériques et de logiciels) et à l'encontre de la Société de Perception et de Répartition des Droits la société civile Copie France (qui a fusionné avec la SPRD Sorecop en juillet 2011) ayant notamment pour objet de percevoir, au nom de ses associés dont elle reçoit délégation à titre exclusif et du fait de l'exception légale de copie privée au droit de reproduction des titulaires de droits d'auteur et de droits voisins, la rémunération due au titre de l'exercice de la copie privée et sonore que prévoit l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle,

Vu le jugement contradictoire rendu le 15 mai 2012 par le tribunal de grande instance de Paris qui a, pour l'essentiel, constaté que la créance alléguée par les sociétés de perception au titre de deux décisions (n° 8 et 9) étaient privées de fondement juridique du fait de leur annulation par le Conseil d'Etat le 17 décembre 2010, condamné en conséquence cette société de perception à restitution à hauteur de leur montant d'ores et déjà acquitté, mais dit que la société Acer était tenue au paiement des sommes dues au titre de la rémunération de mai à décembre 2008 en ordonnant la compensation de ces deux sommes et en condamnant la société Acer au paiement du reliquat,

Vu l'appel interjeté par la société par actions simplifiée Acer Computer France,

Vu le mémoire reçu par RPVA le 15 avril 2015 par lequel la société par actions simplifiée Acer Computer France demande à la cour :

de prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L 311-1 et L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle pour violation de l'article 34 de la Constitution et des articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 auxquels il est porté atteinte,

de constater que lesdits articles sont applicables au litige,

de constater que la question soulevée porte sur des dispositions qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

de constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

de transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité suivante afin de procéder à son examen en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions contestées, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera :

« Les articles L 311-1 et L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle ne violent-ils pas l'article 34 de la Constitution et les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce que le défaut d'encadrement par le législateur de la détermination de la rémunération légale de l'article L 311-1 du code sus-visé porte atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre des débiteurs de cette rémunération légale ' »,

Vu les conclusions en réponse aux conclusions de procédure aux fins de rejet notifiées le 18 juin 2015 par la société Acer Computer France SAS, laquelle, modifiant ses demandes, prie la cour :

de prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle pour violation de l'article 34 de la Constitution et des articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 auxquels il est porté atteinte,

de constater que l'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle est applicable au litige,

de constater que la question soulevée porte sur une disposition législative qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

de constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

de transmettre à la Cour de cassation, sans délai, la question prioritaire de constitutionnalité suivante afin de procéder à son examen en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions contestées, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera :

« L'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle ne viole-t-il pas l'article 34 de la Constitution et les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce que le défaut d'encadrement par le législateur de la détermination de la rémunération légale de l'article L 311-1 du code porte atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre des débiteurs de cette rémunération légale ' »,

Vu les dernières écritures en défense à la question prioritaire de constitutionnalité notifiées le 22 juin 2015 par la Société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore, dite Copie France, par laquelle elle demande à la cour :

de constater que la société Acer Computer France reconnaît limiter sa question prioritaire de constitutionnalité aux seules dispositions de l'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle,

de constater que la seule disposition législative contestée (à savoir l'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle) n'est pas applicable au litige,

de constater que la question prioritaire suggérée par la société Acer Computer France est dépourvue de caractère sérieux,

en conséquence, de dire n'y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation pour renvoi au Conseil constitutionnel,

de réserver les dépens,

Vu l'avis écrit du Ministère Public daté du 15 juin 2015 , communiqué aux parties à cette date et développé à l'audience qui conclut que si sont satisfaites les conditions de la transmission de la question à la Cour prévues aux articles 23-2 (1e et 2e) de l'ordonnance du 07 novembre 1958 modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution, tel n'est pas le cas de celle tenant au caractère sérieux prévu à l'article 23-2 (3e), concluant pour l'essentiel qu'eu égard aux finalités poursuivies par les dispositions de l'article L 311-1 précité, à savoir : la compensation des pertes subies par les ayants-droit qui sont générées par la liberté de copie dont les développements sont imprévisibles, le législateur a décidé que les supports éligibles à la rémunération pour copie privée sont désignés par une commission ad hoc ainsi que le montant des sommes à prélever sur ces matériels, qu'il a prévu un encadrement des modalités d'intervention de cette commission par la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée dont procèdent certaines des dispositions des articles L 311-1 et L 311-5 précités et que dans la mesure où l'article 6 (I) de cette loi a été déclaré conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel  2012-263 du 20 juillet 2012, les modalités d'intervention de cette commission ont été implicitement validées,

SUR CE,

Sur la procédure

Considérant qu'au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, la société Copie France, selon conclusions de procédure notifiées le 23 juin 2015 , poursuit le rejet des nouvelles conclusions responsives qui lui ont été notifiées ce même 23 juin 2015 à 13 heures 15, soit à quelques heures des plaidoiries fixées au 24 juin 2015 à 10 heures 30 si bien qu'elle a été dans l'impossibilité de les examiner utilement ;

Qu'elle rappelle le contexte procédural dans lequel s'inscrit cette notification, à savoir que le 27 novembre 2014, l'affaire au fond avait été fixée pour être plaidée le 24 juin 2015 , que le 15 avril 2015 , la société Acer a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité, que la 28 avril 2015 le conseiller de la mise en état a fixé un calendrier spécifique en lui demandant de conclure avant le 11 juin 2015 (ce qu'elle a fait le 10 juin 2015 ) et en fixant la date de plaidoiries au 24 juin 2015 , que le 18 juin 2015 , la société Acer lui a signifié de nouvelles conclusions, quelques minutes avant une audience de mise en état, qu'elle-même a été autorisée par le conseiller de la mise en état à y apporter réplique avant le 22 juin 2015 (ce qu'elle a fait à cette date, à 19 heures 08) et que la notification de conclusions par son adversaire le 23 juin 2015 n'a pas été autorisée ;

Qu'en réplique, la société Acer, précisant que la question qu'elle pose fait suite à trois arrêts rendus le 07 octobre 2014 par une autre formation de la cour d'appel dans des litiges très similaires (opposant la société Copie France aux sociétés Motorola, Nokia et Sony) et à l'invocation de ces décisions dans les conclusions au fond de son adversaire (en novembre 2014 et mars 2015 ), soutient que cette dernière doit être déboutée de sa demande de rejet aux motifs qu'elle a pris le risque de ces ultimes échanges en ne répondant à sa demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité du 15 avril 2015 que le 10 juin 2015 , qu'elle a répondu, le 18 juin 2015 , auxdites conclusions en réplique comportant 25 pages et qu'il lui est apparu nécessaire d'en faire de même, dans l'urgence, à réception des dernières conclusions qui lui ont été notifiées le 22 juin 2015 et qui comportaient dix pages supplémentaires ;

Considérant, ceci rappelé, qu'aux termes de l'article 126-4 du code de procédure civile , « le juge statue sans délai (') sur la question prioritaire de constitutionnalité (...) » si bien qu'en saisissant la cour de cette question, la société Acer avait nécessairement connaissance du bref délai dans lequel l'affaire serait instruite et plaidée ;

Qu'il apparaît que la société Copie France a sollicité et obtenu l'autorisation de répliquer, par d'ultimes conclusions notifiées le 22 juin 2015 , aux conclusions de la société Acer notifiées le 18 juin 2015 et que cette dernière, notifiant à nouveau, sans y avoir été autorisée par un calendrier de procédure, des conclusions moins de 24 heures avant l'audience - fussent-ce, comme elle l'expose, des écritures comportant deux pages supplémentaires y inclus l'avis du Ministère public - n'a pas permis à son adversaire d'en prendre connaissance utilement, ainsi que la société Copie Privée le fait valoir, au mépris du principe du contradictoire ;

Que la société Copie France est, par conséquent, fondée en sa demande tendant à voir rejeter les conclusions notifiées le 23 juin 2015 par la société Acer ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Considérant qu'en application de la loi organique  2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution, lorsqu'il est soutenu, à l'occasion d'une instance en cours, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ;

Que l'article 126-2 du code de procédure civile issu du décret du 16 février 2010 édicte, à peine d'irrecevabilité, les conditions de forme que doit revêtir le moyen tendant à cette fin, tout comme la forme des éventuelles observations des parties au litige ;

Que la transmission de la question, qui doit porter sur une disposition législative et sur sa conformité à un droit ou une liberté garantis par la Constitution, suppose la réunion des trois conditions suivantes et qu'il appartient au requérant d'établir :

- que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

- que cette disposition n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances,

- et que la question n'est pas dépourvue de sérieux ;

Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité

Considérant que le mémoire présenté par la société Acer a été reçu par transmission électronique le 15 avril 2015 ;

Qu'il satisfait aux conditions formelles prescrites puisqu'il se présente comme un écrit distinct et motivé, à l'instar des observations des parties adverses sur la question prioritaire de constitutionnalité susceptibles, comme telles, d'être jointes à l'éventuelle transmission de la question à la Cour de cassation ;

Que la question ainsi posée est, par conséquent, recevable en la forme ;

Sur les conditions de la transmission

Sur la nécessité d'une disposition législative applicable au litige

Considérant que pour affirmer que la question prioritaire de constitutionnalité ne satisfait pas à cette condition, la société Copie France fait valoir que l'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle selon lequel, en sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2011 :

'Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants et importateurs des supports mentionnés au premier alinéa de l'article L 311-4 et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs. »

ne constitue aucunement le fondement juridique des demandes dont la présente cour d'appel se trouve saisie puisque la demande principale porte sur la contestation des factures établies à son égard en application des décisions  8 et  9 prises par la commission de la copie privée, ceci au motif que la créance revendiquée serait réputée n'avoir jamais existé, ainsi que sur sa propre demande reconventionnelle tendant au paiement d'une indemnité compensatrice en application de l'article L 311-1 du même code qui doit être interprété à la lumière de la directive 2001/29 CE du 22 mai 2001 ainsi que des articles 544 et 545 du code civil ;

Que s'il est vrai, ajoute-t-elle, que pour fixer le quantum de la créance litigieuse, elle invite la cour à se référer à des décisions ultérieures de la commission copie privée, en particulier la décision  15 adoptée en exécution de l'article L 311-5 alinéa 1er, il ne s'agit que d'une référence aux barèmes appliqués présentée comme un élément utile mais non exclusif pour permettre l'appréciation du montant de la compensation équitable qu'elle sollicite et qu'en toute hypothèse, les travaux de cette commission demeurent une référence pertinente sur le plan économique et factuel pour la détermination de l'indemnité compensatrice à laquelle la société Copie France a droit si bien que, de quelque point de vue que l'on se place, une éventuelle inconstitutionnalité de cet article serait dépourvue de toute incidence sur la solution du litige ;

Mais considérant que le législateur a confié à une commission administrative prévue à l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle dite « commission copie privée » la mission de déterminer les supports éligibles à la rémunération de l'article L 311-1 du même code ainsi que d'en fixer le montant selon les modalités des articles L 311-3 et L 311-4 et que les décisions administratives ainsi adoptées constituent le fondement juridique des factures (ou « notes de débit ») émises par la société Copie France, comme le rappelle en préambule la société Acer ;

Que la société Acer oppose à juste titre à la société Copie Privée ses propres conclusions au fond notifiées le 05 mars 2015 selon lesquelles, notamment, « les rémunérations fixées par cette nouvelle décision (i. e. la décision  15) ' dont la légalité a été tout récemment confirmée par le Conseil d'Etat aux termes d'un arrêt en date du 19 novembre 2014 ' apparaissent à ce jour comme des éléments de référence également pour apprécier le montant de la compensation équitable que les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont en droit de revendiquer afin de préserver leurs droits, même si la période contentieuse est antérieure à la période de référence de cette décision  15 » ;

Qu'elle en déduit tout aussi justement qu'une censure constitutionnelle des modalités de fixation de la rémunération pour copie privée par la commission administrative en charge de l'adoption des décisions administratives fixant les barèmes de cette rémunération légale aurait une incidence directe sur le quantum de la demande que forme la société Copie France dans ses prétentions au fond ;

Qu'il en résulte que la réponse donnée à la question prioritaire de constitutionnalité est de nature à exercer une influence sur la solution du litige et que la société Copie France échoue en son moyen ;

Sur l'exigence selon laquelle la disposition contestée n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances

Considérant que les parties s'accordent à considérer qu'est satisfaite cette condition de transmission de la question dont s'agit ;

Que le caractère nouveau de la question ainsi posée ne s'oppose donc pas à sa transmission ;

Sur la condition tenant au caractère sérieux de la question

Considérant que la société Acer soutient que, contrairement à ce qu'affirme la société Copie France, la question qu'elle pose présente un caractère sérieux ; que, sur le fondement de l'article 34 de la Constitution, elle invoque le grief tiré de l'incompétence négative du législateur qui n'a pas épuisé sa compétence en matière d'exercice des droits et libertés fondamentaux ;

Qu'elle affirme, d'abord, que la rémunération légale de l'article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle fixée selon les modalités de l'article L 311-5 alinéa 1er du même code relève incontestablement du domaine législatif ;

Qu'elle fait ensuite valoir que le législateur n'a pas correctement exercé cette compétence exclusive ; qu'il a confié à la commission administrative prévue à l'article L 311-5 alinéa 1er le soin de déterminer les « types de supports, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci » et que, quand bien même ces supports seraient précisés à l'article L 311-4 alinéa premier dudit code, par ce renvoi insuffisamment encadré, il a donné à cette commission administrative une latitude excessive, notamment dans la détermination de la rémunération légale y afférente ;

Qu'elle en veut pour preuve le constat de l'annulation par le Conseil d'Etat de six décisions de cette commission sur un total de quinze ou le caractère incompréhensible des différentes méthodologies envisagées par la commission pour déterminer la rémunération pour copie privée, expliquant ces dysfonctionnements par une absence d'arbitrage en amont ; que les conséquences de cette insuffisance d'encadrement du pouvoir réglementaire, en particulier quant au taux de la compensation, se matérialisent, selon elle, par le constat d'une fixation unilatérale de la rémunération pour copie privée par le collège des ayants droit, par une véritable « inflation » de celle-ci depuis 1985 sans que l'on puisse sérieusement soutenir que les pratiques de copie privée auraient évolué dans de telles proportions et par une récente prise de conscience des pouvoirs publics ;

Qu'elle soutient enfin que le fait, pour le législateur, d'être resté en-deçà de sa compétence affecte des droits et libertés garantis par la Constitution ; que tel est le cas du droit de propriété (garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen) et de la liberté d'entreprendre (garantie par son article 4) ;

Que, s'agissant de l'atteinte au droit de propriété, elle affirme que le défaut d'encadrement incriminé expose les créanciers de cette rémunération (industriels ou consommateurs) à se voir imposer une créance qualifiée de «rémunération pour copie privée » indue au regard de la compensation financière qui devrait être effectivement payée (comme en attestent les différents constats chiffrés de l'étude menée par l'UFC Que choisir ou une récente mission parlementaire) et qui ne peut donc trouver de justification si bien qu'il y a, à son sens, atteinte au principe de juste équilibre entre les droits des créanciers et des débiteurs de cette rémunération légale ; qu'elle juge inopérants les moyens tirés, notamment, de l'existence d'un contrôle juridictionnel et des décisions d'annulation rendues que lui opposent la société Copie France ;

Que, s'agissant de l'atteinte à la liberté d'entreprendre, elle affirme que ce défaut d'encadrement porte une atteinte injustifiée à l'activité des industriels concernés dont l'équilibre économique est perturbé du fait que le niveau particulièrement élevé de cette rémunération sur certains supports influe sur leur stratégie commerciale en les contraignant à renoncer à la commercialisation de certains produits (dont le prix de vente inclut cette rémunération) sur le territoire national ou en les exposant au phénomène du « marché gris » qui conduit le consommateur à acquérir ces produits dans les Etats membres où la rémunération pour copie privée est moindre ;

Considérant, ceci exposé, que, comme le rappelle la société Copie France, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où celle-ci affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

Qu'au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 , il y a lieu de considérer, indépendamment de toute appréciation portée sur le fonctionnement et les travaux de la « commission copie privée » vainement invoqués pour juger du sérieux d'une question prioritaire de constitutionnalité, que les dispositions du premier alinéa de l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle qui confient à une commission administrative la charge de déterminer « les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci » n'ont pas pour effet de porter atteinte au droit de propriété que ces articles 2 et 17 garantissent ;

Qu'en effet, en instaurant une commission composée pour moitié de représentants des bénéficiaires de la rémunération pour copie privée, pour un quart de représentants des fabricants ou importateurs des supports concernés et pour un dernier quart de représentants des consommateurs, le législateur a paré au risque d'arbitraire dans la fixation d'une compensation équitable en assurant un juste équilibre entre les créanciers et les débiteurs directs et indirects concernés ;

Qu'il n'a pas davantage méconnu l'étendue de sa compétence normative en laissant à cette commission administrative le soin de définir, au risque de voir imposer aux débiteurs des normes qui seraient contraires à la Constitution, les critères à prendre en considération ; qu'à cet égard, la société Copie France fait justement valoir que le législateur a clairement défini l'objet de la rémunération pour copie privée (article L 311-1), ses débiteurs et ses bénéficiaires (L 311-4 et L 311-7), son mode de collecte (L 311-6), son assiette telle qu'elle ressort de l'adoption de la loi du 20 décembre 2011 (articles L 311-1, L 311-4 et L 311-8 qui prévoit des exclusions), ceci dans un contexte de rapide évolution des techniques et des supports induisant une nécessaire actualisation, outre les principes généraux applicables pour l'évaluation du taux de cette rémunération (L 311-3 et L 311-4) et encore affinés depuis l'adoption de la loi du 20 décembre 2011 qui avait pour objet de mettre en conformité le système français de la rémunération pour copie privée avec la Cour de justice de l'Union européenne ;

Qu'au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 , force est de considérer que les dispositions du premier alinéa de l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle n'ont pas, non plus, pour effet ou pour objet de porter atteinte à l'exercice de la liberté d'entreprendre, définie par le Conseil constitutionnel (QPC 2012-385) comme comprenant « non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou cette activité », ainsi que rappelé par la société Copie France ;

Qu'en effet, il est acquis que des motifs d'intérêt général, telles la nécessité d'indemniser les ayants droit du préjudice résultant de l'atteinte portée à leur monopole du fait de l'exception de copie privée ou la volonté de permettre la pérennisation de la création et du spectacle vivant, sont de nature à justifier les atteintes qui peuvent être portées à la liberté dans l'exercice d'une activité économique que garantit cet article 4 et qu'en prévoyant, comme il l'a fait de manière claire et précise, l'encadrement sus-évoqué de la fixation de la rémunération due aux ayants droit, le législateur n'a pas failli à son obligation d'assurer pleinement sa compétence normative ;

Qu'il s'induit de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Acer ne satisfait à la condition de sérieux requise pour sa transmission et qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à sa demande ;

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les conclusions notifiées le 23 juin 2015 par la société Acer Computer France SAS ;

Dit qu'est recevable en la forme mais dépourvue de sérieux la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Acer Computer France SAS, à savoir :

« L'article L 311-5 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle ne viole-t-il pas l'article 34 de la Constitution et les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce que le défaut d'encadrement par le législateur de la détermination de la rémunération légale de l'article L 311-1 du code porte atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre des débiteurs de cette rémunération légale ' » ;

Dit, en conséquence, n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation ;

Condamne la société Acer Computer France SAS aux dépens de la présente instance.