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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 22 mars 2018, n° 16/04970

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Montaigne Capital (SAS)

Défendeur :

Itesoft (SA), CDML (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Rochette, M. Gagnaux

T. com. Nîmes, du 18 oct. 2016, n° 2015J…

18 octobre 2016

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 30 novembre 2016 par la s.a.s Montaigne Capital à l'encontre du jugement prononcé le 18 octobre 2016 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2015 J484.

Vu les dernières conclusions déposées le 23 juin 2017 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions déposées le 25 avril 2017 par M.L., M.G. et M.J. intimés, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions déposées le 27 avril 2017 par la société anonyme Itesoft, la sarl Cdml, M et Mme C.

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 14 décembre 2017 en date du 12 juillet 2017.

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés depuis 1984, la société Itesoft est spécialisée dans la dématérialisation des documents et elle commercialise notamment des logiciels permettant aux entreprises d'optimiser notamment les échanges de documents dématérialisés.

Elle a été introduite en bourse en février 2002 et le 20 avril 2014, la répartition du capital entre actionnaires et des droits de vote était la suivante:

-Didier c. et apparentés: 449'000 actions représentant 7,88 % du capital, 898'000 droits de vote représentant 9,33 % de ces droits

-sarl Cdml détenue à 100 % par M. C. : 3 173 585 55 actions représentant 55,71 % du capital, 6'347'170 de votes représentant 65,98 % de ces droits,

- M.L. : 306' 235 actions représentant 5,38 % du capital, 530'420 droits de vote représentant 5,50 % de ces droits,

- M.P. : 280'980 actions représentant 4,93 % du capital, 369'730 droits de vote représentant 3,84 % de ces droits,

-salariés au nominatif : 149'050 actions représentant 2,62 % du capital, et 273'600 droits de vote représentant 2,84 % des droits,

-actions autocontrôle : 136'223 actions représentant 2,39 % du capital sans droit de vote

- public : 1'201'307 actions représentant 21,09 % du capital et 1'201'307 droits de vote représentant 12,49 % des droits.

Elle a déployé deux activités, l'une historique appelée Freemind consistant à offrir des solutions logicielles pour dématérialiser et automatiser tous les processus de l'entreprise fondés sur les flux de documents d'affaires et la seconde appelée Yooz et lancée en 2010, proposant sur un modèle économique par abonnement et sous forme de services Internet, une solution de dématérialisation de documents accessibles aux PME et aux experts-comptables.

La s.a.s Montaigne Capital est une société de gestion du fonds Montaigne Capital Convictions France créée en 2010 et elle investit principalement dans des sociétés cotées françaises, de petites et moyennes capitalisations. En juin 2014, elle a acheté 45'000 actions issues du capital flottant de la société Itesoft au prix de 3,28 euros soit un total de 147'600 €.

Par acte des 29 et 30 décembre 2014, la société Itesoft a cédé l'activité Yooz pour la somme de 2 millions d'euros, à la s.a.s Yooz représentée par son président la Cdlm elle-même représentée par M.C..

La s.a.s Montaigne Capital qui s'était étonnée et enquis des raisons de cette cession dont le projet avait été annoncée dans un communiqué de presse et commenté dans une revue spécialisées a estimé n'avoir jamais eu de réponses satisfaisantes à ses interrogations.

Pa courrier recommandé du 3 février 2015, elle a mis en demeure M.C. et Itesoft d'annuler la décision de cession et par courrier en réponse, la société Itesoft s'y est refusée.

Par exploit du 9 octobre 2015, la s.a.s Montaigne Capital a fait assigner la société Itesoft, la s.a.r.l Cdml, Messieurs C., J., L. et G. et Mme A./C. devant le tribunal de commerce de Nîmes qui, par jugement du 18 octobre 2016 a :

-rejeté l'abus de majorité demandée par la s.a.s Montaigne Capital

-validé la décision du conseil d'administration d'Itesoft en date du 9 décembre 2014 et la délibération de l'assemblée générale des actionnaires en date du 2 juin 2015,

-dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts,

- laissé aux soins d'Itesoft de publier et de faire état auprès des marchés financiers de cette décision,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-condamné la s.a.s Montaigne Capital à payer aux défendeurs la somme de 3500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

- condamné la s.a.s Montaigne Capital aux dépens de l'instance que le tribunal a liquidés et taxés à la somme de 222,48 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la décision, ainsi que tous autres frais et accessoires

La s.a.s Montaigne Capital a relevé appel de ce jugement pour voir au visa des articles 1382, 1833 et 1844'10 du Code civil :

-dire et juger que les administrateurs et actionnaires majoritaires de la société Itesoft ont commis un abus de majorité entre le 9 décembre 2014 et le 2 juin 2015,

-en conséquence, annuler la décision du conseil d'administration d'Itesoft en date du 9 décembre 2014 et la délibération de l'assemblée générale des actionnaires en date du 2 juin 2015 en ce qu'elles ont appauvri l'opération de cession des actifs Yooz à la société Cdml,

-condamner solidairement la société Cdml, Messieurs C., J., L., G. et Mme A. à lui payer la somme forfaitaire de 50'000 €, somme à parfaire au titre des dommages intérêts en réparation de son préjudice,

- condamner les mêmes à lui payer la somme de 25'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La s.a Itesoft, la sarl Cdml, M et Mme C. forment appel incident pour voir :

-dire et juger l'appel diligenté par la s.a.s Montaigne Capital infondé

-confirmer le jugement rendu le 18 octobre 2016 en toutes ses dispositions,

-ainsi, constater que les éléments constitutifs de l'abus de majorité ne sont pas réunis en l'espèce,

-dire et juger que la cession de l'activité Yooz n'a pas été faite contrairement à l'intérêt social et ni dans l'unique dessin de favoriser des membres de la majorité au détriment des membres de la minorité,

-dire et juger que la décision du conseil d'administration et de l'assemblée générale autorisant et validant la cession de ladite activité ont été prises dans l'intérêt de la société Itesoft, de ses salariés et de ses actionnaires,

-dire et juger valable la vente de l'activité Yooz réalisé par acte des 29 et 30 décembre 2014,

-en conséquence de rejeter l'intégralité des demandes, fins et prétentions de la société Montaigne capital

-y ajoutant, constater que la société Montaigne Capital ne sollicite pas l'annulation de l'acte de cession intervenu entre Itesoft et Yooz les 29 et 30 décembre 2014,

-valider comme réalisé dans le respect de l'intérêt social de la société Itesoft la cession de la branche d'activité Yooz constatée par acte des 29 et 30 décembre 2014,

-ordonner la publication pendant 3 mois du dispositif de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site Internet de la société montagne capital http://:www.montaigne-capital.com:

-condamner la s.a.s Montaigne Capital à faire publier dans les journaux financiers suivants (les Échos, Investir et le Figaro) un encart de dimension « quart de page » contenant le dispositif de la décision à intervenir,

-condamner la s.a.s Montaigne Capital au paiement de la somme de 50'000 € à la société Itesoft outre 10 000 euros à chacun, M. c., Mme A., et la société Cdml, pour le préjudice de jouissance subi par eux au titre de la procédure

-condamner la société Montaigne Capital à payer à chacun des intimés concluants la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

M.L., M. J., et M.G. forment appel incident pour voir :

-confirmer le jugement rendu le 18 octobre 2016 pour le tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'il a débouté la société Montaigne Capital de toutes ses demandes, fins et prétentions et condamner cette dernière à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à chacun des défendeurs

-y ajoutant, condamner la société Montaigne Capital à leur payer la somme de 20'000 €sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur le moyen d'irrecevabilité de l'action engagée contre les administrateurs

M.L., M. J., et M.G. rappellent que la recevabilité de l'action individuelle de l'actionnaire contre l'administrateur ou contre les dirigeants de la société n'est recevable que s'il a subi personnellement un préjudice, distinct de celui éventuellement subi par la société et qu'à ce titre la perte de la valeur des titres n'est qu'un corollaire du dommage éventuellement causé à ladite société et qu'il n'a aucun caractère personnel.

La s.a.s Montaigne Capital soutient l'application du droit commun de la responsabilité délictuelle autorisant un actionnaire minoritaire victime d'un abus de majorité de réclamer aux auteurs de l'abus, le paiement de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice.

L'article L. 225'251 du code de commerce pose le principe de la responsabilité des administrateurs, individuellement ou solidairement entre eux selon le cas envers la société ou envers les tiers en raison notamment des fautes commises dans leur gestion et en raison d'infractions aux dispositions législatives, réglementaires et statutaires.

Et au visa de l'article L. 225'252 du code de commerce l'actionnaire ne peut agir contre l'administrateur que pour obtenir réparation d'un préjudice subi personnellement, distinct de celui subi par la société.

Il lui incombe néanmoins de démontrer une faute et un tel préjudice. Et la faute invoquée étant un abus de majorité, il convient d'examiner le grief et dans un second temps le cas échéant, l'existence d'un préjudice réparable distinct de celui éventuellement subi par la société.

Sur le rejet de l'action dirigée à l'encontre d'une décision du conseil d'administration

M.L., M. J., et M.G. soutiennent ensuite que la décision du conseil d'administration n'est pas une décision collective annulable sur le fondement de l'abus de majorité qui ne pourrait être reprochée qu'à l'encontre d'un actionnaire majoritaire et nullement contre un administrateur au titre d'une décision prise par le conseil d'administration

L'appelante répond que les actes préparatoires ou consécutifs de l'abus doivent être annulés quand ils participent d'une fraude ou d'un abus de droit , et qu'une décision prise par le conseil d'administration d'une société peut être également annulée sur le fondement de l'abus de droit .

L'abus de majorité sanctionne les délibérations prises contrairement l'intérêt de la société et dans l'unique dessin de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité. À ce titre, il s'applique indistinctement à toutes délibérations quelque soit l'organe en cause.

En l'espèce, la délibération du conseil d'administration en date du 9 décembre 2014, a été rendue au regard des dispositions relatives aux conventions réglementées imposant son autorisation. Elle participe donc de la régularité future de la décision de l'assemblée générale.

Il est donc inopérant au regard de cette règle et de ce constat de soutenir que l'action engagée sur le fondement de l'abus de majorité ne peut pas être dirigée à l'encontre d'une décision du conseil d'administration pour abus de majorité .

Sur l'abus de majorité

La s.a.s Montaigne Capital soutient que les conditions cumulatives de l'abus de majorité sont bien réunies en faisant valoir que la cession de Yooz avait fait perdre à Itesoft un actif florissant, à un prix dérisoire, fixé sans mise en concurrence ni recherche de maximisation avec pour conséquence de fermer à Itesoft un marché essentiel ( la technologie Saas) et de la priver également de l'augmentation exponentielle du chiffre d'affaires de Yooz qui contrebalançait la stagnation de celui de l'activité Freemind et dont le marché était des plus prometteurs. Elle soutient ensuite que l'acquisition de l'activité Yooz permettait à M.C., actionnaire majoritaire détenant 60 % de la société Itesolft via la holding Cdml de contrôler intégralement l'activité Yooz après avoir bénéficié d'une double opération de sous-valorisation de l'actif Yooz, en concluant sur une valeur d'Itesoft qui ne progresse plus que de + 36 % en bourse.

La s.a Itesoft, la s.a.r.l Cdml, M.C. et Mme C. A. répondent qu'il s'agit de simples affirmations nullement prouvées en expliquant que l'activité YOOZ n'avait pas eu la croissance escomptée et qu'elle se révélait plus couteuse que prévu car elle nécessitait l'injection régulière de cash flows pour financer sa croissance. Son prix avait été arrêté par expert qui avait écarté trois méthodes de valorisation pour n'utiliser que la méthode DCFqui reflétait au plus près la réalité et qui avait permis d'établir une valeur sur la base d'un prévisionnel comptable et financier de l'activité de 2014 à 2019.

Les autres intimés soutiennent que la délibération du conseil d'administration avait été adoptée en connaissance de cause et répondait tout à la fois à un souci de bonne gestion et à l'intérêt de la société comme de ses actionnaires, affirmant n'avoir à aucun moment subi la moindre pression de M.C.. Ils contestent que leur responsabilité puisse être recherchée au titre de la délibération de l'assemblée générale puisque M.J. et M.L. n'avaient pas pris part au vote et que M.G. n'est qu'un actionnaire minoritaire. Ils contestent en tout état de cause le grief d'abus de majorité en présence d'une décision conforme à l'intérêt social tant du point de vue de sa régularité formelle que de son objectif.

L'abus de majorité est caractérisé en présence d'une résolution ayant été prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessin de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. La charge de la preuve de cet abus pèse sur le minoritaire qui prend l'initiative de l'action en nullité. Il doit établir que la décision est contraire à l'intérêt social et à ce titre, la simple incertitude sur sa conformité audit intérêt ne suffit pas. Il doit ensuite démontrer qu'elle a été prise dans l'unique dessin de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.

Il est ensuite constant que le choix effectué par une majorité peut se justifier par des considérations d'opportunité et des justifications économiques qui si elles sont établies n'ont pas à être remises en question par le juge.

Sur l'atteinte à intérêt social en raison de la cession d'un actif florissant

La cession de l'activité Yooz à une société nouvelle constituée par Cdml dont M. C. est l'unique actionnaire, pour un prix de 2 millions d'euros, a donné lieu à :

- accord du comité d'entreprise donné par procès-verbal du 20 novembre 2014,

- approbation unanime du conseil d'administration réuni le 09 décembre 2014 auquel assistaient M.C., Président, M. G., M.L., M. J., Administrateurs, M.P. et M. P., Délégués du CE, Mme D. et Jourdanney, Commissaires aux comptes, M. L., Directeur Général, M. D., Directeur Administratif et M. T., du Cabinet In Extenso expert comptable, M.C. n'ayant pas participé au vote,

- approbation unanime des votants à l'assemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire des actionnaires le 02 juin 2015, M.C. et la Cdml n'ayant pas participé au vote.

Il convient à ce stade de constater que l'accord du comité d'entreprise n'a jamais été remis en cause et l'argument tenant à l'octroi d'une prime exceptionnelle accordée en contrepartie de cet assentiment n'est pas suffisant pour permettre de retenir qu'il aurait été donné sans examen de l'impact de ce projet sur Itesoft.

Il a été expliqué aux membres du Conseil d'Administration que le projet consistait dans le « rachat, par une société créée à cet effet et dont la dénomination sociale est Yooz, des actifs et des passifs de l'activité Yooz, incluant la BU Yooz ainsi que les technologies et projets de recherche et de développements qui y sont associés » et qu'il avait été préparé en raison du constat de la coexistence de deux activités qui limitaient le « potentiel de croissance et de développement de leurs projets propres » et dégradait également 'la lisibilité des résultats pour le marché'. La création de deux activités distinctes a été présentée comme devant permettre la création de cultures et d'identités fortes pour chacune des activités pour « une meilleure visibilité sur le marché et une meilleure utilisation des atouts de chaque activité pour un développement ambitieux ».

La méthode de valorisation retenue leur a été exposée par l'expert comptable qui a rappelé que Itesoft avait deux activités distinctes, Fremind 'ayant une rentabilité élevée' alors que la seconde 'nécessitait des fonds importants pour financer ses technologies et son implantation commerciale' et qui a expliqué pourquoi seule la méthode DCF avait été retenue.

Ainsi la raison déterminante présidant à ce projet telle qu'exposée et tenant au poids financier de Yooz sur Itesoft, n'a pas été contestée par les membres du conseil d'administration, les intimés concernés ayant des compétences et une expérience en matière de finance et de gestion d'entreprise qui ne sont pas remises en cause . Le conseil d'administration l'a approuvé à l'unanimité, M.C. n'ayant pas participé au vote.

Ce projet a ensuite donné lieu à deux communiqués de presse des 31 octobre et 11 décembre 2014, relayés le premier par la presse spécialisée (pièce 4 des intimés ) qui s'en est effectivement étonnée au regard de la 'complémentarité des deux offres' ( Fremind et Yooz) . Et tout en rappelant que Yooz était en forte croissance, elle confirmait des pertes de 2,7 M€ pour conclure : 'la lisibilité et la valorisation d'Itesoft sera simplifiée mais le groupe perd un relais de croissance fort'.

Nonobstant cette analyse publique, les actionnaires minoritaires, présents ou représentés lors de l'assemblée générale du 02 juin 2015, n'ont pas discuté la pertinence du projet au regard de l'intérêt de la société. Approuvant chaque année les comptes de la société, il s'en déduit qu'ils avaient une parfaite connaissance de son état financier et qu'ils ont appréhendé en connaissance de cause le poids de l'activité Yooz sur Itesoft en considération duquel ce projet leur a été présenté . Ils ont voté à l'unanimité en faveur de la résolution correspondante sans que M.C. et la Cdml représentant 7,88 % et 55,71 % du capital social ne participent à ce vote.

Ainsi aucune des instances de la société n'a remis en cause le projet ni davantage la régularité et la liberté de votes obtenus dans les différentes instances. La s.a.s Montaigne Capital représentant 0,79 % du capital agit seule sans s'être adjoint d'autres actionnaires minoritaires qui n'auraient pas participé au vote.

Cette approbation unanime des votants présents ou représentés laisse conclure que le projet n'a pas été ressenti comme un moyen de vider Itesoft de sa substance et que sa concrétisation n'a pas été analysée a posteriori comme une manoeuvre aboutissant à la dépouiller d'un actif florissant.

Et force est de constater que le marché boursier a bien réagi à cette opération puisque le prix de l'action de Itesoft est passé de 3,10 euros en juillet 2014 à 4 euros en décembre 2014, pour retomber à 3,6 euros en octobre 2015 et que la société a ensuite été en mesure d'acquérir en 2015 l'activité 4W dans un objectif de complémentarité

Sur l'atteinte à l'intérêt social en raison du prix de la cession

- au regard de la valorisation de l'activité Yooz

La s.a.s Montaigne Capital discute la méthode de valorisation de l'activité Yooz mais également l'analyse faite de son coût sur Itesoft en rappelant qu'à l'origine cette activité avait été présentée comme un relais de croissance et que son avenir était tenu pour des plus prometteurs. Pour illustrer qu'il s'agissait d'une réalité et le fait que Itesoft en était dépouillée, elle soutient dans un premier temps que le prévisionnel communiqué par la société à l'expert comptable a été sous évalué pour présenter dans un second temps, une projection de croissance à partir d'un chiffre d'affaires embarqué qu'elle justifie par le système de facturation du mode Saas (non encaissable immédiatement mais lissé sur le temps) et par la perspective d'un nombre de nouveaux contrats signés dans l'année qui 'devrait' être proportionnel aux dépenses en Sales & Marketing de l'année, pour conclure, sur la base des chiffres obtenus, qu'il devenait impossible que la croissance tombe de 40 % à 2% en 2 ans.

S'agissant de la méthode de valorisation de l'activité Yooz retenue par l'expert, deux des administrateurs présents au conseil d'administration, M. G. et M.L. ont exprimé l'avis qu'elle était la plus appropriée . Ils n'ont pas été contredits par les commissaires aux comptes de la société et les représentants du comité d'entreprise qui ont estimé que la valorisation obtenue ne leur paraissait pas sous-évaluée.

Les premiers juges ont à juste titre considéré que la valorisation proposée par la s.a.s Montaigne Capital obtenue par la moyenne de trois méthodes dites des Comparables boursiers, des transactions dans le secteur et des multiples de rentabilité/Dcf donnait des résultats trop éloignés les uns des autres pour être assemblés ( respectivement 18,3 M€, 8,7 M€ et 27,5 M€) , les deux premières méthodes se heurtant de surcroît à l'obligation de trouver un échantillon de sociétés présentant suffisamment de similitudes avec l'activité Yooz du point de vue de son activité, de sa taille et de sa croissance. Or en l'espèce, l'activité de Yooz a toujours été présentée comme particulièrement innovante et il n'est pas justifié qu'elle aurait un quelconque concurrent à qui se comparer dont les données utiles pour les besoins d'une telle comparaison seraient connues. Les trois exemples de comparaison se rapportent à des sociétés ayant des activités innovantes mais différentes ( conception d'infrastructures logicielles pour la diffusion de vidéos en direct, fabrication d'objets connectés, fabrication de capteurs intelligents)

Il est constant ensuite que la méthode DCF est utilisée pour la valorisation des sociétés innovantes, souvent déficitaires les premières années d'existence et pour qui l'actualisation des bénéfices n'a donc pas de sens.

Ensuite, les projections établies par la s.a.s Montaigne Capital sur la base d'un chiffre d'affaires embarqué ne sont pas étayées du moindre commencement de preuve s'agissant notamment du système de facturation invoqué et de la perspective présentée sans certitude d'un nombre de contrats à venir. Et le grief d'un prévisionnel faussé par la direction ne repose également que sur une affirmation.

De son côté, la Cdml, présidente et unique actionnaire de la société Yooz constituée pour la reprise de l'activité correspondante a résumé dans un document du 21 mars 2017, les chiffres significatifs des comptes annuels de ladite société accompagnés d'une attestation du commissaire aux comptes qui n'a eu aucune observation à formuler sur la concordance des informations figurant dans ce document avec la comptabilité.

Ils établissent ainsi qu'il sera vu infra la contre performance de l'activité cédée et contredisent l'argument selon lequel Yooz était un actif florissant ou prometteur mais confirment la nécessite d'injecter un cash flow important pour la soutenir .

Il convient donc de conclure que la cession n'était pas dans ses raisons, ses objectifs et méthodes de valorisation contraire à l'intérêt social de l'entreprise.

- au regard des modalités de paiement du prix

* L'acte de cession a été signé les 29 et 30 décembre 2014 au prix de 2 millions d'euros ventilés à hauteur de 1'944'080 € pour les éléments incorporels et 55'920 € pour les éléments corporels, le prix étant payable par compensation avec les passifs repris (notamment contrats Oséo/Dod) pour un montant de 1'835'252 euros, le solde étant payable par virement avant le 31 mars 2015.€.

La s.a.s Montaigne Capital soutient en substance que la dette à l'égard d'Oseo de 1 835 252 euros cédée au titre du passif ne concerne pas l'activité Yooz et qu'il s'agit de surcroit d'une dette fictive puisque l'avance qu'elle réalise ne sera remboursable que sous la condition d'atteindre un plancher de chiffre d'affaires du projet financé supérieur ou égal à 20 millions, son remboursement étant donc conditionné à des résultats que Yooz n'aurait jamais atteints, soulignant que Oséo n'avait pas été appelé à donner son consentement à ce changement de débiteur.

Par acte sous-seing privé du 23 décembre 2010, intitulé 'contrat bénéficiaire d'avance remboursable', Oséo Innovation a consenti à Itesolft une aide de 2 159 120 euros payable par versements annuels, le dernier en date du 01 juillet 2015 pour un montant de 323.868 euros. Elle a été accordée au titre de la participation d'Oséo au projet d'innovation stratégique industrielle 'Dod' et prévoyait un remboursement de la somme de 2 482 000 euros dès l'atteinte d'un montant cumulé de chiffre d'affaires HT égal ou supérieur à 20 000 000 euros dit' chiffre d'affaires de déclenchement' et selon un échéancier progressif sur 5 ans.

Itesoft justifie de la signature le 09 juin 2015, d'un avenant à ce 'Contrat bénéficiaire d'avance remboursable. Aide Projet d'Innovation Stratégique industrielle Dod' entre Bpi Financement venant aux droits de Oseo Innovation, par lequel la société Yooz, solidairement avec la société Cdml est substituée en lieu et place d'Itesoft, de sorte que le dernier argument de la s.a.s Montaigne Capital sur le défaut de consentement d'Oseo manque en fait.

Cet avenant est effectivement le seul document précisant explicitement que le projet Dod, s'inscrit dans l'activité Yooz mais il n'est pas établi que cette indication serait erronée ou mensongère. Selon le communiqué du 11 avril 2011 d'Itesoft invoqué par la s.a.s Montaigne Capital, cette aide tendait à financer 'un projet d'innovation technologique sans précédent dans la dématérialisation des documents' à savoir le programme Dod, lui même présenté come une nouvelle génération d'offre de dématérialisation de documents à destination des PME et TPE . Il s'agit à l'évidence d'une activité similaire à l'activité Yooz qui est présentée comme une solution de dématérialisation des documents accessibles aux PME. Il n'est donc pas exclu que cette aide a servi au financement au moins partiel de l'activité Yooz présentée unanimement comme une technologie innovante.

Quoiqu'il en soit, le fait que cette dette soit transmise au cessionnaire est favorable à Itesoft puisqu'elle aurait dû la rembourser dans les conditions prévues au contrat, la s.a.s Montaigne Capital s'abstenant de démontrer par une quelconque analyse comment elle aurait pu en être exonérée au regard des conditions de remboursement et de ses chiffres d'affaires.

Et l'obligation de remboursement par la société Yooz n'est pas davantage exclue puisqu'elle dépend d'un seuil de chiffre d'affaires cumulé atteignant 20 000 000 d'euros. Or ce chiffre d'affaires s'établit en 2015/2016 sur une moyenne de 2,8 millions d'euros de sorte l'obligation de remboursement sera effective sous 7 à 8 années sauf déconfiture que les arguments de la s.a.s Montaigne Capital sur les potentialités de Yooz tendent à exclure.

Il ne peut donc être retenu qu'il s'agirait d'une dette fictive et le fait que la société Yooz recoive la dernière tranche d'aide d'Oseo est conforme à sa substitution à Itesoft.

Ainsi la s.a.s Montaigne Capital est mal fondée à prétendre que le prix de cession s'établirait finalement à la somme de 165 000 euros représentant la différence entre le prix de cession convenu et la somme à rembourser à Oseo.

Sur le grief d'une cession effectuée dans l'unique dessein de favoriser l'actionnaire majoritaire

Il convient d'observer en premier lieu que les actionnaires minoritaires présents ou représentés à l'assemblée générale ont voté en faveur du projet de cession.

Les intimés produisent ensuite le document précité du 21 mars 2017 établi par la Cdml, présidente et unique actionnaire de la société Yooz constituée pour la reprise de l'activité correspondante, résumant les chiffres significatifs des comptes annuels de ladite société donnant:

- au titre de l'exercice 2015, un chiffre d'affaires de 2.814 K€,une perte d'exploitation de 2 228 K€, une perte nette de 1 443 K€ et des capitaux propres négatifs d'une valeur de 1343 K€ avec un compte courant d'associé unique ( Cdml) élevant à 1353 K€ ,

- au titre de l'exercice 2016, un chiffre d'affaires de 3 818 K€ et une perte d'exploitation de 1 330 K€ et une perte nette de 806 K€ , des capitaux propres négatifs d'une valeur de 2 419 K€ avec un compte courant d'associé unique élevant à 2 252 K€

Ces chiffres établissent ainsi la contre performance de l'activité cédée et contredisent l'argument selon lequel Yooz était un actif florissant ou prometteur cédé dans l'unique intérêt de l'actionnaire majoritaire. Ils confirment la nécessite d'injecter un cash flow important pour la soutenir constitué en l'espèce par un apport en compte courant d'associé par l'associé unique Cdml .

Ainsi, même si M.C. a, via la Cdml, pris le contrôle intégral de l'activité Yooz, il n'en demeure pas moins qu'il revient à la société constituée à cette effet d'injecter le cash flow nécessaire au soutien de sa croissance.

Il ne peut être retenu dans ces conditions que la cession aurait été faite dans l'unique dessein de favoriser l'unique actionnaire Cdml

Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes tendant au titre de l'abus de majorité à l'annulation des délibérations du conseil d'administration et de l'assemblée générale comme à l'octroi de dommages intérêts en l'absence d'un tel abus et par conséquence de faute, la cour ne pouvant que se limiter à constater l'absence d'abus de majorité sans être tenue de valider les décisions, les délibérations et actes de cession qui se suffisent en eux-mêmes.

Sur les demandes reconventionnelles

Faisant valoir que la démarche de la société Montaigne Capital avait donné une image particulièrement négative à la société Itesoft et à ses administrateurs, la s.a Itesoft, la sarl Cdml, M et Mme C. demandent que l'appelante soit condamnée à publier sur la page d'accueil de son propre site Internet pendant 3 mois le dispositif de l'arrêt à intervenir outre l'allocation de dommages et intérêts que Messieurs L., Guillemain et J. réclament également pour les mêmes motifs.

Mais, l'impact de la procédure engagée par l'appelante sur l'image de la société et sur la réputation de ses membre et administrateurs n'est absolument pas démontrée et l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits ne constituant pas en soi une faute caractérisant un abus du droit d' agir en justice ni une quelconque résistance abusive, en l'absence de justification d'un préjudice spécifique, il convient de rejeter la demande reconventionnelle d'indemnisation formée à ce titre par l'ensemble des intimés.

Sur les frais de l'instance :

La s.a.s Montaigne Capital , qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la s.a Itesoft, la sarl Cdml, M et Mme C. la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera également condamnée au paiement de la même somme au bénéfice de M. L., M.G. et M.J..

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'abus de majorité et débouté la s.a.s Montaigne Capital de ses demandes tendant à l'annulation des délibérations du conseil d'administration et de l'assemblée générale comme à l'octroi de dommages intérêts

Déboute les intimés de leurs demande reconventionnelles en dommages intérêts.

Rejette les autres demandes plus amples ou contraires.

Dit que la s.a.s Montaigne Capital supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la s.a Itesoft, la sarl Cdml, M et Mme C. d'une part et à Messieurs L., G. et J. d'autre part une somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.