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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 1, 8 juin 2010, n° 08/15557

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grandpierre

Conseillers :

Mme Horbette, Mme Gueguen

Avoués :

SCP Arnaudy - Baechlin, SCP Duboscq - Pellerin

Avocats :

Me Bornstein, Me Distel

TGI Paris, du 11 juin 2008, n° 05/13648

11 juin 2008

Afin de pouvoir apprécier le montant des prêts qu'il est susceptible d'accorder sur gages corporels, le Crédit Municipal de Paris (le CMP) fait appel à des commissaires-priseurs chargés de lui fournir une évaluation. Depuis 2000 ils se sont réunis au sein d'un Groupement d'intérêt économique des commissaires-priseurs appréciateurs (le GIE). Dans les cas dans lesquels la dette n'est pas remboursée au CMP, le GIE est chargé de procéder à la vente des objets gagés après autorisation reçue du président du tribunal. Lorsque le prix obtenu de la vente est inférieur au prix estimé et insuffisant pour rembourser le prêt, les commissaires-priseurs du GIE engagent leur responsabilité pécuniaire envers le CMP sur la différence.

Mme M. veuve C. (Mme C.) est devenue membre de ce GIE le 15 juin 2003 ; elle a usé de sa faculté de retrait le 4 décembre 2004.

Un litige est né entre elle, le GIE et ses membres au sujet de sa participation aux résultats de l'année 2004 au cours de laquelle, à la suite d'une estimation de cinq oeuvres du peintre M., la vente n'a pas permis de couvrir le montant du prêt et le GIE a constitué une provision d'un montant de 300 000 € pour pouvoir faire jouer sa garantie envers le CMP. Mme C. conteste la comptabilisation de cette provision, décidée lors d'une assemblée générale du 17 juin 2005, ainsi que de deux autres provisions, dans les comptes du GIE et lui réclame, au titre de sa participation, la somme de 51 746,65 € , en prétendant que ces écritures et leur approbation ont été faites en fraude de ses droits.

Par jugement du 11 juin 2008, le tribunal de grande instance de Paris a :

déclaré Mme C. irrecevable en ses demandes dirigées contre Mme R. et MM. F., G. et C., personnes physiques composant le GIE,

dit que l'écriture comptable relative à l'inscription dans les comptes de l'année 2004 de la somme de 300 000 € et la résolution l'ayant approuvée lui sont inopposables,

dit que l'écriture comptable relative à l'inscription dans les comptes de l'année 2004 des sommes de 71 141 € et 30 212 € au passif et la résolution l'ayant approuvée lui sont inopposables,

condamné le GIE à payer à Mme C. la somme de 56 058,37 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et celle de 1 500 € à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,

Vu l'appel de ce jugement par le GIE, Mme R. et MM. G. et C. en date du 30 juillet 2008,

Vu leurs dernières conclusions déposées le 5 mars 2010 selon lesquelles ils demandent l'infirmation du jugement et la restitution par Mme C. des sommes de 67 588,64 € versées ainsi que sa condamnation à rembourser 7 000 € à Mme R. et MM. G. et C. chacun, le tout avec intérêts au taux légal à compter du règlement ou d'avril 2005, la capitalisation des intérêts et sa condamnation à payer à chacun 1 000 € et au GIE 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions déposées le 22 mars 2010 par lesquelles Mme C., au visa des articles 1153 du code civil, L. 251-5 du code de commerce, 5, 11 et 14 du contrat constitutif du GIE et par application du principe Fraus omnia corrumpit, poursuit l’infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de Mme R. et MM. F., G. et C. mais sa confirmation en ce qu'il lui a déclaré inopposables les écritures relatives à une provision pour risques et pour litiges de 300 000 € , à des charges diverses de gestion courante de 71 141,52 € , à une perte de créance irrécouvrable de 30 212,77 € et les résolutions prises lors de l'assemblée générale du 17 juin 2005 approuvant les comptes de l'exercice 2004,

a fixé sa créance à la somme de 56 058,37 € en principal assorti des intérêts,

lui a alloué des dommages et intérêts mais pour les porter à 20 000 € ,

lui a alloué une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile mais pour la porter à 10 000 € ,

et en conséquence la condamnation solidaire des appelants au paiement de ces sommes,

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'action à l'encontre des appelants :

Considérant tout d'abord que le GIE, Mme R., MM. G. et C. (les appelants) soutiennent l'irrecevabilité des demandes formées contre les membres du GIE, comme le tribunal l'a retenu, au motif que l'article L. 251-6 du code de commerce précise que, si les membres d'un groupement sont tenus des dettes de celui-ci sur leur patrimoine propre, les créanciers dudit groupement ne peuvent poursuivre ses membres qu'à la condition de l'avoir préalablement vainement mis en demeure, que ce principe est de plus rappelé à l'article 11 alinéa 7 du contrat constitutif du GIE en date du 12 juillet 2000 ;

Considérant que Mme C. lui rétorque que son assignation du GIE vaut mise en demeure selon l'article 1153 du code civil et que les membres de celui-ci sont donc bien tenus comme lui ;

Considérant cependant que, ainsi que l'a exactement jugé le tribunal, Mme C. ne justifie pas avoir vainement mis en demeure les membres du GIE de sorte que sa décision déclarante irrecevables les demandes formées à l'encontre des membres du GIE sera confirmée ;

Au fond :

Considérant que les appelants font valoir que le tribunal a tiré à tort d'une injonction de l'administration fiscale de réintégrer à l'actif des comptes du GIE la somme de 300 000 € , la conséquence que cette provision était irrégulière, alors que ses statuts prévoient qu'il tient une comptabilité de nature commerciale et qu'en ce cas des provisions étaient justifiées si elles correspondaient à des risques et charges précisés ; qu'ils expliquent que la notion de provision commerciale et comptable est distincte de celle de provision fiscale et que le fait que la provision ne soit pas déductible n'interdit pas, pour autant, de la constituer ; qu'en l'espèce la provision devait être constituée en application des règles comptables et qu'elle était simple à évaluer au vu des résultats de la première adjudication qui montrait que le montant du prêt ne serait pas atteint ; que les événements qui ont suivi ont confirmé ce fait et que le contrôleur des comptes du GIE a imposé la constitution de la provision pour pouvoir certifier les comptes ; que le GIE a bien été contraint, ensuite, au titre de sa garantie, de rembourser au CMP la somme de 339 459,49 € ;

Considérant que Mme C. soutient à cet égard que le GIE n'était pas tenu à garantie pour cette somme, l'article 28 du règlement général du CMP n'ayant aucun fondement réglementaire et les dessins de M. ayant donné lieu à une estimation qui n'était pas conforme aux conditions posées, qu'en outre l'assureur du GIE devait sa garantie et qu'enfin aucun baisse du marché de l'art à cette époque n'a pu affecter la vente de ces dessins ; que le GIE est un groupement civil qui doit tenir une comptabilité civile en la forme commerciale de sorte qu'il n'était pas tenu à la constitution d'une provision qui est frauduleuse car elle excède la garantie due ;

Considérant que, sans s'attacher aux développements inopérants de Mme C. relatifs à la licéité de l'existence même du CMP et des textes qui le régissent ou aux obligations et pratiques du GIE ou encore aux méthodes d'évaluation des dessins en cause, il y a lieu de retenir qu'aucune des ventes litigieuses n'a eu lieu au cours de l'exercice 2004 ce qui n'est pas contesté, alors

que c'est sur cet exercice qu'a été constituée la provision pour risque afférente à ces ventes ;

Que la licéité et la pertinence de cette provision n'ont pas été, comme elle le soutient, critiquées par l'administration fiscale en tant que telles mais seulement en ce que la provision portait sur une charge de l'année 2004 alors que les dessins n'ont été vendus que postérieurement, cette déduction fiscale n'étant, selon la lettre des services fiscaux du 23 janvier 2007, possible qu'une fois la dette certaine dans son principe et dans son montant' ;

Considérant qu'il en résulte que, alors que les statuts du GIE comme l'article 28 du décret du 30 décembre 1936 ou l'article L 251-1 du code de commerce, permettaient l'adoption d'une comptabilité de nature commerciale et la possibilité de constituer des provisions pour faire face à des risques ou des charges futures, encore faut-il que ces provisions correspondent à des événements déjà survenus ou dont la survenance est hautement probable mais dont la date ou le quantum reste indéterminé ;

Qu'en l'espèce il n'est pas démontré par le GIE que, durant l'exercice 2004, des événements de cette nature se soient révélés quant aux dessins de M., l'ensemble des pièces versées relatives à une mauvaise estimation datant de 2005 (lettres du directeur du CMP en mars, du contrôleur des comptes du GIE en juin, nouvelle estimation en février) et le retrait faute d'enchères le 27 novembre 2004 étant insuffisant, de sorte qu'il n'était pas possible, en 2004, d'envisager la mévente justifiant la provision ;

Considérant que, pour ces motifs, cette provision, dont rien ne permet de la qualifier de frauduleuse , ne devait pas être incluse dans l'exercice 2004 mais dans celui de 2005, de sorte que Mme C. est fondée à réclamer sa participation aux bénéfices et l'évaluation de ses parts sans tenir compte de cette provision ;

Que, pour ces mêmes motifs, l'ensemble des argumentations développées de part et d'autre relatives à la couverture de l'assurance, limitée à la responsabilité civile professionnelle, à des fraudes supposées, aux variations du marché de l'art, au versement effectif de sommes dues au CMP en application de la garantie du GIE, devient inopérant ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme C. l'écriture comptable relative à l'inscription dans les comptes du GIE de l'année 2004 de la provision de 300 000 € ainsi que la délibération l'ayant approuvée ;

Considérant, s'agissant des deux autres sommes provisionnées pour 71 141 € et 30 212 € , que, contrairement à ce qu'ont connu les premiers juges, le GIE verse aux débats les pièces de sa comptabilité relatives aux pertes subies par lui au cours de l'année 2004 faisant apparaître les sommes contestées ainsi que les lettres du CMP en réclamant le paiement ; qu'il ne s'agit donc pas, comme l'insinue Mme C., de frais de gestion, mais bien de pertes subies lors de ventes ayant eu lieu au cours de l'exercice, n'ayant pas donné de résultats conformes aux estimations et entraînant par là même la garantie due par le GIE au CMP, c'est à dire son paiement ; que le jugement, qui a déclaré ces inscriptions inopposables à Mme C. sera infirmé de ce chef ;

Considérant enfin, s'agissant des sommes de 7 000 € versés individuellement par Mme R., MM. G. et C., qu'elles l'ont été en toute connaissance de cause sur l'invitation du président de la compagnie des commissaires priseurs par avance sur les sommes dues à Mme C. sur sa part dans les comptes de l'année 2004 ; que si elles ont vocation à s'imputer sur les sommes qui lui sont finalement dues, elles ne peuvent être considérées comme indues , leur débiteur final concernant seulement les membres du GIE et celui-ci mais non Mme C. ;

Considérant qu'aucune somme, notamment supplémentaire à titre de dommages et intérêts n'est

justifiée par Mme C. ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que le présent arrêt constituant le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement partiellement infirmé, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution ;

Considérant qu'au vu de la décision qui fait droit partiellement aux demandes respectives des parties et les déboute dans la même mesure, elles conserveront chacune la charge de leurs propres dépens ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré inopposables à Mme C. la provision de 300 000 € et la résolution de l'assemblée générale l'approuvant, en ce qu'il a dit qu'elle avait droit à 18,52% du bénéfice de l'année 2004, représentant ses 30 parts, diminué de l'acompte déjà perçu de 21 000 €, en ce qu'elle avait droit au remboursement de ses parts à concurrence de 381 € , et en ce qu'il lui a alloué des indemnités de procédure,

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau des autres chefs,

Condamne le GIE à payer à Mme C. la somme de 37 287,55 € (trente-sept mille deux cent quatre-vingt-sept euros et cinquante-cinq centimes) augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

Déboute les parties de l'ensemble de leurs autres demandes,

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.