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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 14 mars 2019, n° 17/05582

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Bazet, Mme Derniaux

TGI Versailles, ch. 1, du 29 juin 2017, …

29 juin 2017

FAITS ET PROCEDURE

La société Cinquimmo a acquis une chambre de service avec jardin située [...], lot n° 2, cadastré section AA n° 46 en deux parties, la première partie de Mme T. épouse P. selon acte notarié en date du 2 août 2002 et la seconde partie de M. Pascal P. selon acte notarié du 9 octobre 2002.

Par jugement du 17 mars 2008, le tribunal de commerce de Meaux a placé la société Cinquimmo en liquidation judiciaire par extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte par jugement du 17 mai 2004 contre M. P. et a désigné la SCP A. & H. en qualité de mandataire judiciaire.

Cette dernière a mis en oeuvre la vente sur adjudication de ce bien, et était représentée à l'occasion de cette vente par la SCP M.-P. et associés, avocats.

Par jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Meaux le 17 janvier 2013, M. Jamel S. et son épouse, Mme Linda Y., ont été déclarés adjudicataires de ce bien pour le prix de 91 000 euros.

Le jugement a été publié à la conservation des hypothèques, l'état de collocation a été établi et déposé au greffedu tribunal de commerce de Meaux le 17 octobre2013 tandis qu'un certificat de non contestation de l'état de collocation a été délivré le 24 février 2014.

Par acte d'huissier délivré le 25 juillet 2014, M. et Mme S. ont assigné la SCP A. & H. prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Cinquimmo devant le tribunal de grande instance de Versailles en nullité de la vente.

Par acte du 6 mars2015, la SCP A. & H. a assigné la SCP M.P. et associés en garantie.

Enfin, par acte du 31 mars2016, M. et Mme S. ont assigné la SCP A. H. à titre personnel en intervention forcée.

Par jugement du 29 juin 2017, le tribunal a :

- rejeté les demandes de M. et Mme S.,

- constaté que les appels en garantie sont sans objet,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme S. aux dépens.

Par acte du 20 juillet2017, M. et Mme S. ont interjeté appel de cette décision et demandent à la cour, par dernières écritures du 8 janvier 2019, de :

- prononcer la nullité du jugement d'adjudication rendu le 17 janvier 2013 par le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Meaux, publié le 4 avril 2013 au service de la publicité foncière de Versailles,

- prononcer la nullité de la vente sur adjudication portant sur le bien sis [...],

- condamner la SCP A. & H. in solidum avec la SCP M.P. et associés à leur verser la somme de 120 503,09 euros correspondant aux frais et charges consécutifs à la vente payés par eux, outre les intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2013,

- condamner les mêmes à leur verser la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et financier subis par eux,

- ordonner la publication du 'jugement' à intervenir auprès du service de la publicité de Versailles,

à titre subsidiaire,

- condamner la SCP A. et H. et in solidum la SCP Erin M. Corinne P. et associés, à leur verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et financier subis par eux,

en tout état de cause,

- condamner les mêmes in solidum à leur verser une indemnité de procédure de 10 000 euros ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 6 février 2018, la SCP M.P. et associés demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- subsidiairement, juger qu'elle n'a pas commis de faute et débouter en conséquence la SCP A. & H. de son appel en garantie,

- condamner tous succombants au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 19 décembre 2017, la SCP A. & H., en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la SCI Cinquimmo, demande à la cour de:

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé,

- condamner M. et Mme S. au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

à titre subsidiaire,

- déclarer les demandes financières présentées contre la SCP A. et H. es qualité irrecevables,

- débouter M. et Mme S. des demandes financières présentées à titre principal et subsidiaire,

- dire la SCP Philippe A. et Denis H. es qualité recevable et bien fondée en sa demande en garantie dirigée contre la SCP M.- P. et associés,

- condamner la SCP. M.-P. et associés à garantir intégralement la SCP A. & H. es qualité de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elle en principal, intérêts, frais et dépens,

- condamner la même au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

Dans ses conclusions signifiées le 19 décembre 2017, la SCP A.-H. à titre personnel, demande à la cour de :

- déclarer irrecevable toute demande de nature contractuelle à son encontre,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- débouter M. et Mme S. de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

Subsidiairement,

- condamner la SCP M.P. et associés à la garantir intégralement de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elle,

En tout état de cause,

- condamner M. et Mme S. et subsidiairement la SCP M.P. et associés, au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 janvier 2019.

SUR QUOI, LA COUR

Le tribunal a rappelé que l'erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu'elle tombe sur les qualités essentielles de la chose qui en est l'objet mais qu'il n'en est ainsi que si elle est excusable, précisant que lorsque celui qui s'est trompé avait en sa possession ou aurait pu aisément se procurer tous les éléments nécessaires à la connaissance de cette réalité, l'erreur était inexcusable et n'était pas susceptible d'entraîner la nullité de la convention.

Le tribunal a jugé que le bien acquis par M. et Mme S. correspondait à un lot privatif pour 28 m2 et à une partie commune à usage privatif pour les WC et douche, à partager avec un autre copropriétaire. Il a observé que si la désignation du bien dans le cahier des charges mentionnait une chambre de service d'environ 34 m² sans distinction entre partie privative et partie commune, le bien était plus amplement désigné au procès-verbal de description "joint au présent" et que ce procès-verbal de description établi par Me T., huissier de justice, mentionnait que le bien était distribué en parties communes à usage privatif ' dégagement...WC...douche séparée... et parties privatives'. Les premiers juges ont souligné que l'huissier avait en outre relevé ce qu'il avait appelé une particularité, selon laquelle une porte permettait d'accéder à une partie commune dont le lot en cause semblait avoir la jouissance exclusive en vertu du règlement de copropriété "dont un extrait un annexé au présent acte", termes également soulignés.

Le tribunal en a déduit que même si le cahier des charges ne comportait pas lui-même la distinction entre partie commune et partie privative, il renvoyait au procès-verbal de

description qui était quant à lui parfaitement clair à cet égard, procès-verbal qui renvoyait par ailleurs au règlement de copropriété dont un extrait était annexé. Il a jugé que M. et Mme S. avaient été en possession de ces pièces et avaient, en toute hypothèse, les informations leur permettant de vérifier la réalité de la contenance et de la nature du bien qu'ils entendaient acquérir, de sorte qu'ils ne pouvaient sérieusement soutenir qu'ils n'avaient pas à vérifier les informations du cahier des charges alors qu'ils s'étaient manifestement contentés de la lecture de ce document, lequel pourtant renvoyait au procès-verbal de description, seul document qui leur aurait permis d'avoir une description précise du bien.

Le tribunal a jugé que dans ces conditions, M. et Mme S. n'étaient pas fondés à se prévaloir d'une erreur sur la contenance, pas plus que d'une erreur sur la nature du bien, la vente ayant bien porté sur une partie privative et l'usage privatif d'une partie commune, et non sur une partie commune, qu'en tout état de cause la SCP A. & H. n'aurait pu vendre.

M. et Mme S. avaient formé à titre subsidiaire une demande indemnitaire à hauteur de 50 000 euros dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à leur demande en annulation de la vente, que le tribunal a rejetée au motif que dés lors que l'erreur n'était pas retenue puisqu'ils disposaient des informations suffisantes dans les actes, aucune faute n'était démontrée à l'égard de la SCP A. & H. et de la SCP M.P. et associés.

Les appelants soutiennent qu'ils ont été trompés par la description du bien vendu, qui présentait les parties communes comme faisant partie intégrante du bien vendu, le bien vendu étant décrit comme le lot de copropriété n° 2 composé de parties communes a usage privatif d'une part et de parties privatives d'autre part, le tout pour une superficie de 35,03m2. Ils soulignent que la superficie indiquée dans les actes préparatoires à la vente résulte de l'addition de la superficie des parties privatives et de celle des parties communes à usage privatif alors que l'indication de la superficie exigée par la loi dite 'Carrez' ne concerne que les parties privatives des lots.

M. et Mme S. font valoir que la SCP A. & H. a ainsi poursuivi la vente aux enchères à la fois des parties privatives et des parties communes alors que le droit de jouissance privatif des parties communes n'est pas un droit de propriété et ne peut donc constituer la partie privative d'un lot. Ils soutiennent qu'ils n'auraient pas acheté ce bien s'ils avaient su qu'il ne disposait pas de WC et salle de douche, lesquels doivent être partagés avec les voisins, que leur consentement a été vicié par l'erreur contenue dans le cahier des conditions de vente quant à la superficie du bien, affirmant que leur action en nullité se fonde sur l'erreur sur la substance du bien vendu, à savoir sa superficie et sa consistance et non sur le fondement d'une garantie de contenance.

M. et Mme S. affirment par ailleurs que le procès-verbal de description est loin de permettre d'avoir la description fiable du bien vendu évoquée par le tribunal et qu'ainsi leur erreur est excusée par le manquement à son devoir d'information du poursuivant.

Ils soutiennent également que la vente est nulle car elle portait partiellement sur la chose d'autrui et que les parties communes affectées à l'usage privatif d'un lot demeurent des parties communes, lesquelles ne peuvent être vendues qu'avec l'accord des copropriétaires ayant voté leur aliénation par assemblée générale des copropriétaires.

La SCP A. & H., en sa qualité de liquidateur et en son nom personnel, réplique que le cahier des conditions de vente enregistré au greffe contenait le procès-verbal de description dressé par l'huissier mandaté ainsi que la requête et l'ordonnance autorisant la vente, et que ce procès-verbal comporte une description sans équivoque de la consistance du bien vendu, présenté comme une 'chambre de service' et non un studio. Elle ajoute qu'en s'abstenant de prendre les précautions élémentaires comme la lecture attentive du cahier des conditions de vente, la visite du bien vendu et la consultation du règlement de copropriété, les acquéreurs ont commis une faute de négligence qui doit entraîner le refus de l'annulation demandée.

La SCP A. & H. ajoute que la Cour de Cassation a jugé quela loi du 18 décembre1996 dite loi Carrez n'était pas applicable en cas de vente forcée et en cas de vente sur adjudication et que M. et Mme S. poursuivent bien l'annulation de la vente pour erreur sur la contenance du bien vendu.

La SCP M.P. et associés fait pour sa part valoir que tant le procès-verbal de description que la publicité parue dans le journal d'annonces légales mettent en évidence la division du bien dont la vente est poursuivie en deux parties distinctes, l'une constituée de parties privatives, l'autre constituée de parties communes à usage privatif, c'est à dire d'un droit d'usage privatif de parties communes. Elle souligne que M. et Mme S. avaient la possibilité de s'informer plus avant en consultant le cahier des conditions de la vente et ses annexes qui leur ont été communiqués à leur demande par l'avocat poursuivant le 12 décembre 2012 et qui, contrairement à ce que ceux-ci affirment, contenaient également les coordonnées du syndic ainsi qu'un extrait du règlement de copropriété relatif à la distinction entre parties communes et parties privatives.

* * *

Aux termes de l'article 1110 du code civil, dans sa version applicable lors de l'adjudication du bien, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. Il est de principe que pour entraîner la nullité de la vente, l'erreur commise ne doit pas être inexcusable.

A cet égard, la cour relève que les appelants s'abstiennent de répondre aux observations des intimés qui font valoir qu'ils n'ont pas visité le bien. Cette visite, qui pouvait s'effectuer le 10 janvier 2013 ainsi que le précisait l'annonce, relève pourtant de la plus élémentaire des diligences incombant à un acquéreur et aurait permis à M. et Mme S. d'apprécier par eux mêmes la consistance du bien à vendre et ses particularités.

Il convient également de rappeler qu'un jugement d'adjudication ne constitue pas un contrat réalisant ou constatant une vente et qu'ainsi les dispositions dela loi du 18 décembre1996 dite loi Carrez sont sans application aux ventes sur poursuites de saisie immobilière, de sorte que les développements que lui consacrent les appelants sont sans portée.

L'annonce parue aux Annonces Légales le 12 décembre 2012 mentionne en caractères très apparents que le bien dont la vente est poursuivie est une 'chambre de service' ce qui, même pour un profane, ne se confond pas avec un studio. Il y est indiqué :

' Chambre de service située commune de Fontenay le Fleury (78) :

Désignation :

Rez de jardin, face droite en entrant dans le hall, parties communes à usage privatif : petit dégagement, WC, douche séparée. Parties privatives : petit dégagement sur la gauche, salle de douche, coin cuisine, pièce attenante et pièce principale.

Jardinet'.

Le cahier des conditions de vente, enregistré au greffedu tribunal de grande instance de Meaux le 8 février2012, mentionne que le bien est une chambre de service de 34m² environ et qu'il est plus amplement désigné au procès-verbal de description joint à l'acte.

Ce procès-verbal de description dressé par Me T. le 19 janvier 2012 est ainsi libellé :

'Les locaux dont s'agit dépendent d'un immeuble en copropriété situé [...], rez-de-jardin, face droite en rentrant dans le hall à Fontenay Le Fleury (Yvelines).

Les lieux sont entièrement vides et visiblement abandonnés.

Particularité (souligné dans l'acte) :

Les biens constituent le lot de copropriété n° 2.

Une porte palière permet d'accéder à une partie commune dont le lot de copropriété n°2 semble avoir une jouissance exclusive et ce, en vertu du règlement de copropriété en date du consultable chez et auquel il faudra se référer et dont un extrait est annexé au présent acte (souligné dans l'acte).

Il est distribué comme suit :

Parties communes à usage privatif : un petit dégagement avec carrelage au sol, peintures sur les murs et au plafond.

Sur la droite un wc avec cuvette anglaise avec chasse d'eau à dosseret. La peinture des murs et du plafond est hors d'usage, carrelage au sol. Une douche séparée est aménagée en placard avec un carrelage au sol, présence d'un récepteur de douche visible sous l'aménagement de placard, peinture sur les murs et au plafond.

Cette partie est éclairée par l'éclairage des parties communes.

Parties privatives :

Une porte séparative permet d'accéder à un petit dégagement avec carrelage au sol, peinture sur les murs et au plafond.

Un tableau disjoncteur, l'électricité est coupée.

Un interphone (..)'.

Ainsi l'annonce et le procès-verbal de description ne permettent pas de se méprendre sur le fait que le bien se divise en deux parties, l'une constituée de parties privatives et l'autre de parties communes sur lesquelles s'exerce un droit d'usage privatif.

S'il est exact que la surface indiquée au cahier des conditions de vente est erronée (35 m² au lieu de 28m²) puisqu'ont été additionnées à tort les surfaces des parties privatives et communes, il sera observé d'une part que l'article 2 du cahier des conditions de vente informe l'acquéreur qu'il ne pourra prétendre à aucune diminution de prix, ni aucune garantie ou indemnité contre le poursuivant ou le débiteur pour une erreur dans la désignation, la consistance ou la contenance du bien et d'autre part que cette superficie était donnée à titre indicatif ('environ') les dispositions dela loi du 18 décembre1996 n'étant pas applicables.

Il est par ailleurs inexact de prétendre, comme le font les appelants, que des parties communes leur ont été vendues, ce que n'aurait pu faire le poursuivant, la vente portant, outre les parties privatives, sur le droit d'usage privatif d'une partie commune.

C'est donc à bon droit et à la faveur de motifs pertinents méritant adoption par la cour que les premiers juges ont rejeté l'ensemble des demandes formées par M. et Mme S., tant à titre principal qu'à titre subsidiaire

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

M. et Mme S., qui succombent, seront condamnés aux dépens d'appel avec recouvrement direct. Ils verseront une indemnité de procédure de 2000 euros à la SCP A. & H. et la SCP M.P. et associés chacune.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. et Mme S. à payer à la SCP A. & H. et la SCP M.P. et associés la somme de 2000 euros chacune en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel,

Condamne M. et Mme S. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévuesau deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.