Cass. 1re civ., 6 décembre 2007, n° 05-18.795
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Rapporteur :
M. Jessel
Avocat général :
M. Domingo
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu que des poursuites disciplinaires ont été engagées contre M. Valere X..., avocat au barreau de Paris, pour avoir, d'une part, exercé les fonctions de président et d'administrateur délégué de la société Pivert, société luxembourgeoise, en méconnaissance des incompatibilités prévues à l'article 111 du décret du 27 novembre 1991 et, d'autre part, poursuivi, comme dirigeant de cette société détenant des parts du capital de la SCI Levalbon, des objectifs antagonistes de ceux de l'un de ses clients, M.Y..., qu'il conseillait dans le règlement d'une succession ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Valere X... reproche à l'arrêt attaqué (Paris,30 juin 2005) d'avoir rejeté l'exception de nullité de la procédure qui était invoquée, alors, selon le moyen, que la procédure disciplinaire est nulle lorsque l'avocat poursuivi n'a pas eu, en temps utile, communication du dossier d'instruction ; que, par ailleurs, il résulte de l'article 30. 5. 12 du règlement intérieur du barreau de Paris, disposition spéciale qui déroge aux règles générales du nouveau code de procédure civile que, lorsqu'en matière disciplinaire les débats ont été déclarés clos, ils ne peuvent être rouverts que si la formation disciplinaire est informée de la survenance d'un fait nouveau ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel, qui a expressément relevé que l'avocat poursuivi n'avait pas disposé d'un temps suffisant pour préparer sa défense, ne pouvait entériner le procédé consistant à ordonner, par deux fois, la réouverture des débats, en dehors de tout élément nouveau, dans l'unique but de purger les vices de la procédure ; qu'en rejetant l'exception de nullité, la cour d'appel a violé les articles 16 du nouveau code de procédure civile, ainsi que 29. 5. 4 et 30. 5. 12 du règlement intérieur du barreau de Paris ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'avocat poursuivi n'avait pas reçu communication des pièces du dossier en temps utile, la cour d'appel en a exactement déduit qu'afin de permettre à l'intéressé d'organiser sa défense, les débats devaient être rouverts en application de l'article 444 du nouveau code de procédure civile auquel n'ont pas pour objet de déroger les dispositions du règlement intérieur du barreau de Paris autorisant la réouverture des débats en cas de survenance d'un fait nouveau en cours de délibéré ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses six branches :
Attendu que M. Valere X... fait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné disciplinairement, alors, selon le moyen :
1° / que l'article 111 du décret du 27 novembre 1991 et l'article 6. 16. 7 P du règlement intérieur ne visent que les sociétés correspondant à la législation française ; que, posant une interdiction sanctionnée disciplinairement, ces textes ne peuvent être que d'interprétation stricte ; qu'en étendant l'interdiction aux sociétés de droit étranger, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés ;
2° / que l'incompatibilité posée par l'article 111 du décret du 27 novembre 1991 et l'article 6. 16. 7.P du règlement intérieur du barreau de Paris ne joue pas lorsque la société dirigée par l'avocat a pour objet la gestion d'intérêts familiaux ; que la prise de participation, notamment dans une SCI réalisant des opérations immobilières, est une forme de placement correspondant, lorsque les associés de la société sont tous membres d'une même famille, à la gestion d'intérêts familiaux, nonobstant le caractère éventuellement « prometteur » de ces opérations qui ne lui enlève pas la nature d'investissement familial ; qu'en constatant expressément que la SA Pivert avait pour seuls actionnaires les membres de la famille de M. Valere X..., que son objet était la prise de participation et toutes autres formes de placement, et qu'elle avait pris une participation dans la SCI Levalbon procédant à des opérations de promotion immobilière, tout en retenant l'infraction à la règle d'incompatibilité au motif inopérant du caractère " prometteur " de l'opération de lotissement que la SCI Levalbon projetait de réaliser, la cour d'appel a violé les articles 111 du décret du 27 novembre 1991 et 6. 16. 7.P du règlement intérieur du barreau de Paris ;
3° / qu'en tout état de cause, la notion de gestion d'intérêts familiaux n'exclut pas que la société familiale dirigée par un avocat puisse avoir pour but la valorisation du patrimoine familial, c'est-à-dire poursuivre un intérêt patrimonial ; qu'en retenant l'infraction à la règle d'incompatibilité, au motif erroné qu'en projetant de participer, dans le cadre de la SA Pivert ayant une participation dans la SCI Levalbon, à une opération de lotissement « prometteuse », M. Valere X... avait montré son intention de gestion de la SA Pivert dans un intérêt commercial et non familial, la cour d'appel a violé les articles 111 du 27 novembre 1991 et 6. 16. 7.P du règlement intérieur du barreau de Paris ;
4° / que ne constitue pas un manquement à la probité et à la délicatesse le fait pour l'avocat de proposer à son client un projet d'opération de lotissement dans le cadre d'une association avec une SCI dans laquelle l'avocat a des intérêts par l'intermédiaire d'une société de participation familiale, ce projet poursuivant des intérêts communs ; qu'en retenant néanmoins, à l'encontre de M. Valere X..., un manquement à la probité et à la délicatesse pour avoir poursuivi, dans le cadre de ce projet, des objectifs antagonistes de ceux de son client, la cour d'appel a violé les articles 183 du décret du 27 novembre 1991 et 1. 3 du règlement du barreau de Paris ;
5° / qu'en se bornant, pour retenir un manquement de l'avocat à la probité et à la délicatesse, à affirmer qu'en proposant à M.Y... le projet d'opération de lotissement M. Valere X... avait poursuivi des intérêts antagonistes de ceux de son client, sans analyser ce projet et sans préciser en quoi il aurait été contraire aux intérêts de M.Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 183 du décret du 27 novembre 1991 et 1. 3 du règlement intérieur du barreau de Paris ;
6° / qu'enfin, en se bornant, pour conclure à un manquement de l'avocat à la probité et à la délicatesse, à reprendre les seules affirmations de M.Y... qui prétendait qu'il n'aurait jamais chargé l'avocat d'étudier un projet de lotissement, et que l'avocat aurait tenté d'empêcher l'obtention par lui du prêt pour l'acquisition des parts de la SCI du Bois Taillis et fait pression sur lui pour qu'il accepte le projet de lotissement proposé, sans s'expliquer sur l'argumentation de l'avocat qui faisait valoir que son client lui avait demandé d'étudier la valorisation de son héritage, que le projet proposé entrait dans cette mission, et que le client restait libre d'acquérir les parts de la SCI, ce qu'il a d'ailleurs fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 183 du décret du 27 novembre 1991 et 1. 3 du règlement intérieur du barreau de Paris ;
Mais attendu, d'abord, que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le régime des incompatibilités prévu à l'article 111 du décret du 27 novembre 1991 faisant interdiction à l'avocat français d'exercer certaines fonctions au sein des sociétés énumérées par ce texte, était applicable aux fonctions similaires exercées au sein de sociétés étrangères de même forme ; qu'ensuite, l'arrêt confirmatif attaqué, par motifs propres et adoptés, constate que la société Pivert, constituée par M. Valere X... avec des proches parents et dont il était le dirigeant, était titulaire d'une fraction seulement du capital de la société Levalbon majoritairement détenu par des associés étrangers à la famille de l'avocat, de sorte que les intérêts ainsi gérés ne pouvaient être tenus pour strictement familiaux ; qu'enfin, après avoir relevé que M. Valere X... avait, à des fins personnelles, conseillé une opération de lotissement à M.Y..., lequel avait pour seul projet de racheter les parts de sa soeur au sein de la SCI du Bois Taillis aux termes d'une promesse de vente encore en vigueur à l'époque de l'intervention de l'avocat et recommandé la SCI Levalbon pour la réalisation de l'opération préconisée, sans révéler à son client que par sociétés interposées, il était personnellement intéressé dans l'affaire, trompant ainsi la confiance placée en lui, le juge du fond en a exactement déduit que l'avocat avait ainsi manqué à ses devoirs de délicatesse, de probité et de loyauté ; que le moyen, en aucune de ses branches, ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.