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Décisions

Cass. com., 6 juillet 2022, n° 20-14.532

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Lion

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Piwnica et Molinié

Grenoble, du 19 nov. 2019

19 novembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 novembre 2019), la société Express découpe Domène (la société), dont M. [H] était le gérant, a été mise en redressement judiciaire le 15 juillet 2008, puis en liquidation judiciaire le 16 septembre 2008. La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif le 13 décembre 2016.

2. Le 25 août 2017, le comptable public responsable du service des impôts des entreprises de [Localité 4] (le comptable public) a assigné M. [H], sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, afin qu'il soit déclaré solidairement responsable, avec la société, de la dette fiscale de cette dernière au titre de la TVA due pour les années 2006 à 2008.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le comptable public fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action au motif qu'elle est atteinte par la prescription, alors « que le dirigeant de la société peut être rendu responsable du paiement des impositions et pénalités de la société sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales tant que l'action en recouvrement contre cette société n'est pas elle-même prescrite ; qu'en opposant que le principe de la solidarité du dirigeant n'étant pas de droit mais devant être établi par une décision de justice, les causes d'interruption et de suspension de la prescription à l'encontre de la société débitrice principale, liées notamment à la procédure collective, ne pouvaient être invoquées quand ces causes d'interruption et de suspension peuvent légalement être invoquées par l'administration, la cour d'appel a violé l'article L. 267, ensemble l'article L. 274 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 267 et L. 274 du livre des procédures fiscales :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que, sous réserve d'être introduite dans un délai satisfaisant, l'action en responsabilité solidaire du dirigeant d'une société, ouverte au comptable public, peut être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement de la dette fiscale de la société ne sont pas atteintes par la prescription.

5. Pour déclarer prescrite l'action du comptable public à l'encontre de M. [H], l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le principe de la solidarité du dirigeant n'étant pas de droit mais devant être établi par une décision de justice, les causes d'interruption et de suspension de la prescription à l'encontre de la société débitrice principale, liées notamment à la procédure collective, ne sont pas opposables au dirigeant. Il retient que le droit d'action du comptable public à l'encontre de M. [H] n'a pas été suspendu par la procédure collective suivie contre la société et que son action a été intentée plus de quatre années après la possibilité de mise en recouvrement contre M. [H].

6. En statuant ainsi, après avoir constaté que la prescription quadriennale de l'action en recouvrement de la créance que l'administration fiscale détenait contre la société, qui avait été interrompue, avait recommencé à courir pour une nouvelle période de quatre ans à compter du 13 décembre 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le comptable public fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en responsabilité solidaire du dirigeant ne peut être engagée qu'au cas où le recouvrement est impossible auprès de la société débitrice ; qu'afin de respecter cette condition légale, le comptable public doit, en conséquence, s'assurer auprès du mandataire judiciaire, lorsqu'une procédure collective a été ouverte à l'encontre de [la société], s'il existe des perspectives de recouvrement lors de la réalisation de l'actif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions du comptable qui faisait valoir dans ses écritures que le mandataire liquidateur, régulièrement interrogé par le comptable, avait, dans sa dernière réponse du 21 juin 2016, attesté qu'il serait en mesure de lui verser un dividende, effectivement versé, pour un montant de 43 311,16 euros le 8 février 2017, violant l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 267 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

8. Vu les articles L. 267 du livre des procédures fiscales et 455 du code de procédure civile :

9. Il résulte du premier de ces textes que le comptable public doit engager l'action en responsabilité solidaire du dirigeant dans un délai satisfaisant à compter du constat de l'impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société.

10. Selon le second, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

11. Pour dire que le comptable public n'avait pas agi contre M. [H] dans un délai satisfaisant, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le comptable public avait été informé, dès le mois de septembre 2008, par le rapport de l'administrateur du redressement judiciaire de la société, de la situation largement obérée de celle-ci et retient qu'au vu des informations contenues dans ce rapport et du fait que M. [H] avait été condamné, le 5 juillet 2010, à combler partiellement le passif à hauteur de 300 000 euros, somme ramenée à 150 000 euros par un arrêt du 20 juin 2013, le comptable public était en mesure de savoir que le recouvrement de sa créance, admise au passif de la société le 30 juin 2009 pour un montant de 592 036 euros, ne pouvait être envisagé. Il en déduit que son action, engagée le 25 août 2017, est tardive.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du comptable public, qui soutenait que le mandataire liquidateur, régulièrement interrogé, avait, dans sa dernière réponse du 21 juin 2016, attesté qu'il serait en mesure de verser à l'administration un dividende, ce qui l'avait empêché d'engager l'action fondée sur l'article L. 267, faute de connaître le solde de la créance fiscale et faute de savoir si cette créance serait apurée par réalisation de l'actif de la société, et qui précisait qu'un tel dividende lui avait été versé à concurrence de la somme de 43 311 euros le 8 février 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette l'exception d'irrecevabilité fondée sur le non-respect, par le comptable public responsable du service des impôts des entreprises de [Localité 4], des dispositions de l'article 56 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.