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Décisions

Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-11.911

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

M. Badi

Avocat général :

M. Jobard

Avocat :

SCP Delaporte et Briard

Saint-Denis de La Réunion, ch. civ., du …

18 novembre 1997

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCI A... (la société), créée en 1990 dans le but de réaliser une opération de promotion immobilière et ayant M. A... comme gérant, a conclu avec M. Y..., exper-comptable, et M. X..., architecte, une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée ; qu'à la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société, le liquidateur, prétendant que ces derniers avaient dirigé en fait la société, les a assignés en paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que MM. X... et Y... font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'ils avaient été dirigeants de fait de la société et de les avoir condamnés, in solidum, en conséquence, à payer au liquidateur la somme de 2 000 000 de francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la direction de fait se caractérise par des éléments démontrant l'exercice d'une activité positive de direction accomplie en toute liberté et indépendance ; qu'en énonçant que MM. X... et Y... devaient se voir reconnaître la qualité de dirigeants de fait dès lors qu'aux termes de la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée signée le 2 août 1990, ceux-ci "avaient accepté les fonctions de conseil administratif, financier, fiscal, technique et juridique et s'étaient engagés à assurer le montage financier et juridique de l'opération, à assurer le contrôle et la coordination de la commercialisation, à effectuer toutes les opérations utiles et nécessaires à la bonne marche et à la réalisation du programme immobilier", sans rechercher si, en vertu de cette convention, MM. X... et Y... auraient reçu le pouvoir d'exercer en toute liberté et indépendance une activité de direction de la société sans avoir à en référer à leur mandant, M. A..., gérant de droit de la société, en particulier pour tous les choix de gestion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier1985 ; alors, d'autre part, que la direction de fait se caractérise par des éléments démontrant l'exercice d'une activité positive de direction accomplie en toute liberté et indépendance ; qu'en énonçant que MM. X... et Y... devaient se voir reconnaître la qualité de dirigeants de fait dès lors que "Gérard A..., profane en matière de construction et de promotion immobilière, signait ce que les professionnels en la matière dont il s'était entouré lui demandaient de signer", sans rechercher, bien qu'y ayant été invitée, si MM. X... et Y... n'étaient pas restés totalement étrangers aux opérations de commercialisation des appartements, celles-ci ayant été confiées par M. A..., de sa seule autorité, à un agent immobilier, et qu'ainsi, la société étant une société de construction-vente, MM. X... et Y..., dont la seule mission consistait à mettre en oeuvre tous le moyens adéquats pour respecter le programme de construction, ne pouvaient être qualifiés de dirigeants de fait de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, qu'ayant relevé que M. A..., gérant de droit de la société, disposait seul de la signature sociale, la cour d'appel ne pouvait reconnaître à MM. X... et Y... la qualité de dirigeants de fait au motif qu'ils avaient accompli à plusieurs reprises des actes de gestion, sans dire en quoi ces actes s'inscrivaient dans une direction de fait de la société exercée en pleine liberté et indépendance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que MM. X... et Y... se sont passés, à de multiples reprises, de la signature du gérant pour procéder à des réglements bancaires, faire intervenir des entreprises sur le chantier, embaucher du personnel ou se consentir des avantages financiers réciproques ; qu'en l'état de ces seules constatations, la cour d'appel, qui a retenu que MM. X... et Y... avaient, en fait, dirigé la société, a légalement justifié sa décision ; que le moyen est sans fondement ;

Mais sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Vu l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, pour condamner in solidum MM. X... et Y... à payer au liquidateur de la société la somme de 2 000 000 de francs, l'arrêt retient que le montage financier de l'opération n'était pas assuré, que le contrôle des opérations de construction n'a pas été assuré, la copropriété se retouvant "avec un immeuble qui n'a pas la conformité, certains travaux n'ayant pas été exécutés tandis que le maître d'oeuvre a donné mainlevée des réserves", que le marché forfaitaire et non révisable a été largement dépassé sans que la procédure prévue dans une telle hypothèse ait été respectée, que des travaux ont été facturés comme supplémentaires, bien que figurant dans le marché initial, que plusieurs entreprises sont intervenues sans ordre de marché préalable, que le refus du certificat de conformité a retardé la vente de l'mmeuble et entraîné un préjudice financier de 1 604 125 francs pour les seuls locaux professionnels ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, dès lors qu'elle relevait que la société avait conclu avec MM. X... et Y... une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée, sans rechercher si les fautes retenues à l'encontre de ces personnes indépendantes d'une mauvaise exécution de cette convention constituaient des fautes de gestion commises dans leur direction de fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum MM. X... et Y... à payer la somme de 2 000 000 de francs, l'arrêt rendu le 18 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée.