Cass. com., 6 juin 2000, n° 96-21.134
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Tricot
Avocat général :
Mme Piniot
Avocat :
SCP Delaporte et Briard
Attendu, selon l'arrêt déféré (Poitiers, 10 septembre 1996), qu'après la mise en règlement judiciaire de la société anonyme Société des bois et matériaux de l'Atlantique (la SBMA), le 19 septembre 1985, et la conversion de la procédure collective en liquidation des biens, le 20 février 1986, les syndics ont demandé que la société anonyme Becob (la Becob) soit condamnée, en sa qualité de dirigeant de fait de la SBMA, à payer les dettes sociales de cette dernière, par application de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; que la cour d'appel a accueilli la demande ;
Sur le premier moyen, pris en ses sept branches :
Attendu que la Becob reproche à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait la qualité de dirigeant de fait de la SBMA, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en application des articles 119 et 124 de la loi du 24 juillet 1966, la société anonyme est dirigée par un directoire qui est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société ; qu'il résulte des constatations de l arrêt que M. A... a occupé la fonction de président du directoire de la SBMA à compter du 23 octobre 1981 jusqu au 31 août 1984, date à laquelle, à la suite de la transformation de la SBMA en société anonyme administrée par un conseil d administration, il a occupé la fonction de président-directeur général de la société SBMA ; qu'il résulte encore des constatations de l arrêt que M. A... "assumait pleinement les fonctions d un président de filiale", qu il "avait la signature et le pouvoir de négocier avec les banquiers" et qu il avait "été à l'origine de certains projets de développement" ; qu'en énonçant néanmoins que "la société Becob détenait tous les pouvoirs de la société SBMA" tandis que seul le conseil de surveillance de la SBMA était constitué de représentants de la Becob, la cour d appel na pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles 119, 124 et 128 de la loi du 24 juillet 1966, ainsi que de l'article 113 de cette même loi ; alors, d'autre part, que la qualité de dirigeant de fait est reconnue à celui qui exerce une activité positive de gestion et de direction, en toute souveraineté et indépendance, et détient à ces fins les différents documents comptables, sociaux et bancaires nécessaires aux prises de décision ; que, pour reconnaître à la Becob la qualité de dirigeant de fait de la SBMA, la cour d appel a énoncé qu il n est pas démontré que M. A... "avait la maîtrise des opérations sans concours et autorisation du groupe", que son "autonomie nétait certaine que pour les actes de gestion de la vie courante" et que la SBMA "n était pas totalement maîtresse de sa trésorerie et de son personnel", circonstances desquelles il résultait simplement que la Becob entendait exercer un contrôle sur les actes positifs de gestion et de direction de M. A... qui, aux termes mêmes de l arrêt, "assurait pleinement les fonctions d un président de filiale", était "à l origine de certains projets de développement", disposait d une "autonomie certaine pour les actes de gestion de la vie courante" et "avait la signature et le pouvoir de négocier avec les banquiers" ; qu'en reconnaissant ainsi que M. A... disposait du "pouvoir du président-directeur général dans une société anonyme", la Becob ne pouvant alors exercer qu une mission de contrôle et de suggestions, la cour d appel ne pouvait reconnaître à celle-ci la qualité de dirigeant de fait de la SBMA ; qu'en statuant ainsi, la cour d appel na pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, en outre, qu'en retenant comme acte positif de gestion le fait qu en 1982, la SBMA avait accepté de pratiquer au profit de la Becob un prélèvement de 5 400 000 francs sur ses excédents de trésorerie, sans rechercher, bien qu y ayant été expressément invitée, si cette avance de fonds navait pas été consentie moyennant un taux de rendement de 12,5 %, particulièrement favorable à la SBMA, et si M. A... n avait pas conservé la
faculté de réclamer à tout moment les fonds ainsi avancés, ce qu il n avait pas manqué de faire, en pleine liberté, dans un premier temps dès l année 1983, puis en juillet 1984 pour le solde de l avance, ce dont il résultait nécessairement que cette opération constituait un simple acte de gestion dont la SBMA avait conservé la maîtrise, la cour d appel a privé sa décision de base légale au regard de l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, encore, qu'il appartient à l assemblée générale extraordinaire des actionnaires de voter la dissolution anticipée de la société et de procéder à la désignation concomitante du liquidateur amiable ; qu'ayant relevé que la dissolution de la SBMA avait été décidée lors de l assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui s était tenue le 18 juillet 1985, la cour d appel ne pouvait déduire de la divergence de vue initiale de M. A... quant à la nécessité de procéder à cette dissolution, l existence d un acte positif de gestion qui aurait émané de la Becob, dès lors que la décision de dissolution résultait d une résolution votée dans le strict cadre légal par l organe délibérant de la SBMA, et ceci à l unanimité des actionnaires présents, dont précisément M. A... ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d appel a, de nouveau, violé l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, de surcroît, qu'aux termes de la note adressée le 12 janvier 1982, il était précisé que "nous avons défini ensemble des ratios minima en matière de bilans pour l importation, pour la vente diffuse. L application de ces règles nous a conduit à opérer sur le deuxième semestre 81 des virements d excédents de Sinbpla à Babonneau négoce pour 3 212 000 francs, à la SBMA pour 958 000 francs, remboursables à échéance du 25 décembre 1981. Dans l attente d une restructuration définitive de nos organisations, il conviendrait, comme nous en avons convenu par téléphone ce jour, de reconduire cette mesure" ; qu'en énonçant qu aux termes de cette note, la Becob "donne instruction pour que certains excédents de trésorerie soient versés à d autres filiales", tandis qu il s agissait d un accord librement négocié entre la Becob et la SBMA, la cour d appel a dénaturé la note du 12 janvier 1982 et violé l article 1134 du Code civil ; alors, au surplus, qu'en qualifiant d actes positifs de gestion les informations contenues dans les notes des 25 et 29 mai 1984, 28 juin 1984, 13 juillet 1984 et 27 août 1984, sans rechercher, bien qu'y ayant été expressément invitée, si l intervention de la Becob ne s inscrivait pas dans le cadre d une convention d assistance technique aux termes de laquelle, moyennant le paiement d une redevance contractuelle, la SBMA pouvait bénéficier d une aide comptable s inscrivant dans la politique d harmonisation des stratégies financières de chacune des sociétés du groupe, ce dont il résultait nécessairement qu une telle convention était exclusive de toute qualification de dirigeant de fait, la cour d appel a privé sa décision de base légale au regard de l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; et alors, enfin, que les suggestions et recommandations ne sont pas assimilables à des instructions de nature à caractériser une gérance de fait ; qu'il résulte des constatations de l arrêt que la note du 21 février 1984 réclamait simplement "les propositions d investissements sur lesquelles nous aurons à statuer", que la note du 29 janvier 1985 exigeait de M. A... "certains renseignements" et lui rappelait
"la nécessité de ne pas augmenter la masse salariale de la société SBMA", et que les notes des 20 février 1985, 7 mai 1985, 13 mai 1985 et 24 mai 1985 "faisaient état" simplement de diverses modalités de financement ; qu'au vu de ces constatations qui ne visaient que des suggestions, recommandations ou demandes de renseignement, la cour d appel ne pouvait déduire l existence d actes positifs de gestion émanant de la Becob, sans violer l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que le capital de la SBMA était détenu à près de 100 % par la Becob, par l'intermédiaire d'une société Finadis, société-mère de la SBMA et filiale de la Becob, la cour d'appel a relevé, sans encourir le grief de dénaturation, que la SBMA ne disposait d'une autonomie que pour les actes de gestion de la vie courante et que la Becob avait contraint la SBMA à transférer des factures de manière rétroactive, à modifier ses comptes, à changer de politique salariale, à prélever des excédents de trésorerie au profit d'autres sociétés du groupe en violation de ses statuts et à procéder, contre l'avis initial du dirigeant de la SBMA, M. A..., à la liquidation amiable de la société ainsi qu'à la fermeture de l'entreprise ; que, par ces seules constatations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer les recherches inopérantes dont font état les troisième et sixième branches, a légalement justifié la décision par laquelle elle a retenu que la Becob avait dirigé, en fait, la SBMA ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses six branches :
Attendu que la Becob reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en affirmant que "les décisions financières suggérées puis imposées par la Becob sont à l origine des difficultés connues par la SBMA", sans rechercher, bien qu y ayant été invitée, s il ne résultait pas des conclusions du rapport d expertise que, "dans cette affaire, la part des éléments conjoncturels qui ont entraîné les pertes de chiffre d affaires et les réductions de taux de marge, est essentielle dans les difficultés de la SBMA, que le groupe auquel elle appartient n a pas surmonté", et que, loin d encourager une politique coûteuse d investissement, la Becob, "en période de conjoncture difficile", avait parfois exhorté M. A... à une gestion plus prudente", l absence de faute de la Becob étant dès lors ainsi établie, la cour d appel a privé sa décision de base légale au regard de l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, d'autre part, qu'aux termes du rapport d expertise, "les dettes des filiales, dont SBMA avait acquis ou souscrit les titres qui, initialement, constituaient des dettes à l égard de la Becob ou Finadis, ont été ultérieurement remboursées à la SBMA, au plus tard en mai 1985" ;
qu en énonçant qu aux termes de ce rapport, "la Becob a remboursé dans un délai trop tardif le prélèvement de trésorerie effectué deux ans plus tôt, ainsi que le note l expert", tandis que le rapport ne faisait aucune reférence au prélèvement effectué en 1982 et qui avait été remboursé partiellement par la Becob en 1983, puis, pour le solde restant, en juillet 1984, dès que la demande en avait été faite par la SBMA, et qu il n° y était fait référence qu aux seules dettes des filiales dont la SBMA avait acquis ou souscrit les titres, la cour d appel a dénaturé le rapport d expertise et violé l article 1134 du Code civil ; alors, en outre, qu'en retenant comme fautif le prélèvement de la somme de 5 400 000 francs opéré en 1982 sur la trésorerie de la SBMA, sans rechercher si cette avance de fonds n avait pas été réalisée moyennant un taux d intérêt fort avantageux de 12,5 % et n était pas restituable à tout moment sur simple demande de la SBMA, ce dont il résultait nécessairement que l opération ne pouvait générer aucun préjudice à la SBMA, la cour d appel a privé sa décision de base légale au regard de l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, encore, qu'en retenant comme fautives les avances financières consenties par les sociétés Becob et Finadis à la SBMA, au seul motif qu elles étaient consenties moyennant le paiement de redevances, sans dire en quoi la charge de frais de gestion ainsi supportée par la SBMA aurait présenté un caractère excessif dès lors qu en tout état de cause, les difficultés de trésorerie rencontrées par la SBMA supposaient un recours à l emprunt, la cour d appel a privé de nouveau sa décision de base légale au regard de l article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, de surcroît, que, dans le rapport, l expert a énoncé simplement : "En revanche, la décision de fermer l entreprise a eu une conséquence majeure : la clientèle était perdue pour la société qui constatait des pertes supplémentaires" ; qu en affirmant que l expert avait exposé, dans son rapport, que l absence d audit préalable à la décision de dissolution anticipée de la société SBMA avait constitué une faute grave de gestion, la cour d appel a dénaturé le rapport d expertise et violé l article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, que le liquidateur représente la société dissoute et se trouve investi des pouvoirs les plus étendus, dans les limites de l article 412 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu en imputant à faute à la Becob des faits postérieurs à la date de dissolution de la société SBMA et de désignation en qualité de liquidateur amiable, survenue le 18 juillet 1985, la cour d appel a violé l article 99 de la loi du 13 juillet 1967, et les articles 390 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu, exactement, qu'en application de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967, la responsabilité du dirigeant, en cas d'insuffisance d'actif, se trouve engagée de plein droit et que, pour s'en dégager, il lui appartient d'établir qu'il a apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires ; qu'abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le pourvoi, la cour d'appel, qui n'a pas encouru les griefs de dénaturation invoqués par les deuxième et cinquième branches, a fait ressortir que cette preuve n'était pas rapportée par la Becob dès lors que cette société ne démontrait pas que les éléments conjoncturels, dont fait état la première branche, avaient été la cause exclusive de l'insuffisance d'actif ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.