Livv
Décisions

Cass. com., 8 juin 1999, n° 96-22.342

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Badi

Avocat général :

M. Jobard

Avocat :

SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin

Grenoble, ch. urg., du 24 sept. 1996

24 septembre 1996

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, qu'après la mise en redressement judiciaire de la société X... fauteuils roulants (société BFR), le 14 juin 1991 avec fixation de la date de cessation des paiements au 21 avril 1991, et liquidation judiciaire, le liquidateur a assigné M. Y..., qui avait démissionné de ses fonctions de directeur général le 7 novembre 1989 et de celles d'administrateur le 6 février 1990, et M. X..., qui avait démissionné de ses fonctions de président du conseil d'administration le 25 mai 1990, en paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; que la cour d'appel a accueilli cette demande ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné, en sa qualité d'ancien administrateur et directeur général de la société BFR, solidairement avec M. X... et un dirigeant de fait M. A..., à combler l'insuffisance d'actif à concurrence d'une somme de 300 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que pour apprécier si le directeur général, qui ne fait qu'assister le président, a commis des fautes de gestion justifiant sa condamnation au paiement de tout ou partie des dettes sociales, il faut rechercher quels pouvoirs -éventuellement limités- lui ont été attribués par le conseil d'administration et s'il a manqué à ses obligations dans l'exercice de ces pouvoirs, peu important qu'au regard des tiers il soit présumé avoir eu les mêmes attributions que le président ; qu'en se retranchant derrière la circonstance qu'étant directeur général il avait les mêmes pouvoirs que le président du conseil d'administration, la cour d'appel a violé les articles 115 et 117 de la loi du 24 juillet 1966 ainsi que l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, d'autre part, que seules les personnes assujetties à l'immatriculation au registre du commerce ne peuvent opposer aux tiers les faits et actes qui, bien que sujets à mention, n'y ont pas été publiés ; que, la personne morale étant exclusivement soumise à cette formalité, le dirigeant social

-et, à plus forte raison, celui qui a démissionné de ses fonctions- ne peut se voir opposer le défaut d'une inscription modificative ; qu'en faisant du défaut d'inscription modificative au registre du commerce le fondement de la condamnation de M. Y..., la cour d'appel a violé les articles 8 de la loi du 24 juillet 1966, 22 et 66 du décret du 30 mai 1984 ainsi que l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, en outre, qu'il appartient au représentant légal en exercice de la personne morale, non au dirigeant social démissionnaire, de requérir l'inscription modificative au registre du commerce ; qu'en imputant à faute à M. Y... le défaut de cette formalité et en le condamnant pour cette raison à payer une partie du passif social, la cour d'appel a violé les articles 27 du décret du 30 mai 1984 et 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, que le dirigeant social ne peut être condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif que s'il est constaté une faute dans la gestion de l'entreprise ayant

contribué à cette insuffisance d'actif, laquelle n'est pas assimilable au seul déficit ; qu'en l'état de ses énonciations qui établissent, non pas que M. Y... aurait commis une faute de gestion, mais seulement qu'il n'ignorait pas que la société était en péril grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que l'arrêt relève également que dès le 30 octobre 1989, M. Y... connaissait parfaitement la situation gravement compromise de la société puisqu'à cette date il demandait la réunion d'un conseil d'administration et écrivait au commissaire aux comptes que le chiffre d'affaires était dérisoire par rapport aux prévisions, que les charges étaient démesurées et les liquidités bancaires inexistantes, que s'il a provoqué des réunions du conseil d'administration le 9 novembre 1989, il ne s'est nullement opposé à la poursuite de l'activité de la société, la sachant déficitaire et sans perspective précise de redressement ; qu'en l'état de ces seules constatations et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la deuxième branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer une partie du passif de la société BFR, solidairement avec le directeur général et le dirigeant de fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que selon les dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, seules les fautes de gestion commises par le dirigeant de droit ou de fait, et qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société, peuvent permettre au juge de faire suppporter les dettes de la personne morale par ledit dirigeant ; qu'en l'espèce il est incontesté que M. X... avait cessé ses fonctions de président directeur général le 25 mai 1990 pour devenir, à compter de cette date, salarié de la société BFR ; que la cour d'appel n'a pas caractérisé, à compter de cette date, l'existence d'éléments constitutifs d'une direction de fait mais qu'en revanche l'existence d'un contrat de travail, dont la validité a été reconnue par la juridiction prudhomale, établit l'état de subordination du salarié à l'égard des dirigeants de la société, état incompatible avec la qualité de dirigeant attribuée au salarié par la cour d'appel qui a ainsi violé les dispositions de l'article précité ; alors, d'autre part, que pour condamner le dirigeant social il est nécessaire de relever à sa charge l'existence d'une faute ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société ; qu'en l'espèce, pour la période antérieure au 25 mai 1990, la cour d'appel impute à faute au président directeur général de n'avoir pas réagi de façon précise à l'annonce, par le directeur général et le commissaire aux comptes, de ce que la société se trouvait "dans la première phase de la procédure d'alerte" ; que de tels éléments sont insuffisants à carcatériser, à la charge du dirigeant social, la faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, que pour être sanctionnée, la faute reprochée au dirigeant doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif de la personne morale

; qu'en l'espèce, la cour d'appel a imputé à faute au salarié de n'avoir pris aucune disposition précise et concrète pour que cesse l'activité de l'entreprise tandis qu'il était informé qu'à la date du 30 septembre 1990 le passif excédait largement l'actif ; que ce comportement, à l'époque où M. X... était salarié, ne caractérise nullement la faute grave d'un dirigeant ayant contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en le déclarant néanmoins tenu d'une partie du passif social, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que M. X... connaissait, bien avant sa lettre de démission, la situation catastrophique de l'entreprise en raison de la lettre du 30 octobre 1989 adressée par M. Y... et de celle du 9 novembre 1989 émanant du commissaire aux comptes qui s'interrogeait sur les possibilités de survie de l'entreprise, lui demandait des explications claires et l'informait "que ceci constituait la première phase de la procédure d'alerte", l'arrêt retient qu'il n'a recherché que son profit personnel ou la sauvegarde de ses propres intérêts au détriment de ceux de la société et qu'il n'a fait qu'aggraver la situation gravement déficitaire de celle-ci ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations retenant que M. X... avait commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 en statuant comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.