CA Aix-en-Provence, 1re et 9e ch. réunies, 2 décembre 2021, n° 20/11691
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pèches Gourmands (SARL), Délices d'Autrefois (SAS)
Défendeur :
Sogelease (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thomassin
Conseillers :
Mme Pochic, Mme Tarin-Testot
Faits, procédure et prétentions des parties
Selon contrat daté du 22 juin 2011, la SASU Sogelease France a consenti à la SARL Pêchés Gourmands un crédit -bail portant sur un four rotatif et une machine pour production de biscuits.
Par ordonnance sur requête rendue le 3 novembre 2016 et signifiée à la société Pêchés Gourmands le 23 novembre 2016, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Toulon, au visa de l'article R.222-11 du code des procédures civiles d'exécution , a ordonné à cette société de remettre ledit matériel au crédit-bailleur, lequel a par ailleurs, obtenu du tribunal de commerce de Toulon une ordonnance portant injonction de payer des loyers échus impayés, rendue le 15 novembre 2016 signifiée le 12 décembre 2016 à la société Pêchés Gourmands qui y a formé opposition.
Par jugement du 5 novembre 2018, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce, a reçu cette opposition mais l'a déclarée infondée et essentiellement :
- constaté la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail le 30 septembre 2016 ;
- condamné la société Pêchés Gourmands à payer à la société Sogelease les sommes suivantes:
- 10 935,08 euros TTC au titre des loyers impayés et des intérêts dûs jusqu'au 30 septembre 2016 ;
- 3 919,86 euros HT au titre de l'indemnité de résiliation requalifiée en clause pénale;
- 857,70 euros au titre de l'option d'achat de fin de contrat ;
outre intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2016 ;
- accordé à la société Pêchés Gourmands un délai de 24 mois pour s'acquitter de sa dette ;
- dit qu'à défaut de paiement à bonne date d'une seule de ces mensualités, la totalité des sommes restant dues deviendrait immédiatement exigible ;
- dit que le premier versement devrait avoir lieu dans les trente jours à réception de la signification du jugement.
L'appel de cette décision formé par la société Sogelease est actuellement pendant devant la présente cour.
En vertu de l'ordonnance sur requête rendue le 3 novembre 2016 par le juge de l'exécution non frappée d'opposition, la société Sogelease a fait délivrer à la société Pêchés Gourmands par exploit du 6 février 2019, un commandement aux fins de saisie-appréhension.
Par assignation du 25 avril 2019, la société Délices D'Autrefois, se présentant comme le distributeur exclusif de la société Pêchés Gourmands et M. Romain P., le responsable production de cette dernière, ont formé tierce opposition à l'encontre de l'ordonnance sur requête du 3 novembre 2016 dont ils ont demandé la rétractation et l'annulation.
La société Pêchés Gourmands est intervenue volontairement à la procédure en s'associant aux prétentions des demandeurs, auxquelles la société Sogelease s'est opposée.
Par jugement du 17 novembre 2020 dont appel, le juge de l'exécution a :
' déclaré recevable l'intervention volontaire accessoire de la société Pêchés Gourmands ;
' déclaré irrecevable l'action exercée par la voie de la tierce opposition par M. P. et la société Délices D'Autrefois ;
' rappelé qu'en application de l'article 330 du code de procédure civile, l' irrecevabilité frappant l'action de M. P. et la societé Délices D'Autrefois s'étend à l'intervention volontaire accessoire de la société Pêchés Gourmands ;
' condamné M. P. et la société Délices D'Autrefois à payer à la société Sogelease la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
' rejeté les autres demandes.
Pour déclarer la tierce opposition irrecevable, le magistrat a retenu que conformément aux dispositions de l'article 496 du code de procédure civile, le seul recours ouvert pour contester une ordonnance faisant droit à la requête est le recours en rétractation ouvert à tout intéressé et non la tierce opposition.
M. P. , la société Délices D'Autrefois et la société Pêchés Gourmands ont interjeté appel de cette décision dans les quinze jours de sa notification, par déclaration du 27 novembre 2020 visant l'ensemble des chefs du dispositif du jugement.
Aux termes de leurs écritures transmises au greffe le 4 février 2021 et signifiées à l'intimée le 5 février suivant, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé de leurs moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, ils demandent à la cour :
- de les accueillir en leurs écritures et les dire bien fondés en leurs prétentions ;
- rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires ;
- déclarer par voie de conséquence, la société Sogelease irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter ;
- réformer en tous points et en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Pêchés Gourmands ;
- déclaré irrecevable la demande en rétractation des personnes intéressées, M. P., et la société Delices D'Autrefois ;
En conséquence,
- recevoir M. P., la société Délices D'Autrefois en leur demande en rétractation de l'ordonnance querellée ;
- recevoir la société Pêchés Gourmands en son intervention volontaire fait sienne les conclusions, argumentations, demandes et prétentions de M. P. et de la société Délices D'Autrefois ;
- juger que M. P. , la société Délices D'Autrefois justifient, au sens de l'article 583 du code de procédure civile, de leur qualité de tiers et de leur intérêt à former une demande en rétractation à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de l'exécution en date du 3 novembre 2016 ;
- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue par le juge de l'exécution en date du 3 novembre 2016 sur l'intégralité de ses chefs qui sont tous préjudiciables aux requérants ;
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- juger que l'ordonnance en date du 3 novembre 2016 est nulle en l'état du défaut de motivation et de signification de la requête et des pièces à la société Pêchés Gourmands en application des dispositions prévues par l'article 495 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire
- juger que la société Pêchés Gourmands bénéficie actuellement des dispositions de l'article 1343-5 du code civil en vertu du jugement en date du 5 novembre 2018 rendu par le tribunal de commerce de Toulon ;
- juger que ce jugement en date du 5 novembre 2018 fait actuellement l'objet d'une instance pendante devant la cour d'appel d'Aix en Provence ;
En toutes hypothèses :
- constater l'inexistence de la créance revendiquée par la société Sogelease ou l'absence de tout risque pour son recouvrement ;
- juger nul et de nul effet l'acte d'indisponibilité et les actes de saisie-appréhension résultant de l'ordonnance en date du 3 novembre 2016 rendue par le juge de l'exécution et le commandement de payer en date du 6 février 2019 ;
- ordonner par voie de conséquence, mainlevée immédiate de la saisie appréhension ordonnée par le juge de l'exécution le 3 novembre 2016 et du commandement de payer signifié le 6 février 2019 au bénéfice de la société Sogelease ;
- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance, et dire que Maître Christophe V. pourra recouvrer directement ceux dont il aura fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code procédure civile.
Au soutien de leurs demandes la société Délices d'Autrefois et M. P. font valoir essentiellement que :
- à tort le premier juge, sur le fondement de l'article 496 du code de procédure civile, a déclaré irrecevable leur demande de rétractation alors que l'acte de signification de l'ordonnance sur requête ne prévoit nullement la possibilité pour un tiers intéressé de se prévaloir d'un recours contre cette saisie, et ne précise aucun fondement juridique textuel de telle sorte que tant le débiteur que les tiers intéressés ne sont pas en mesure de vérifier les informations et modalités de recours applicables ;
- il existe donc un réel grief pour les tiers intéressés, dont la seule possibilité de contestation ne peut être effectuée que par le biais d'une demande en rétraction peu important l'intitulé de leur assignation ;
- ils sont recevables à agir en rétractation de l'ordonnance sur requête du 3 novembre 2016 n'étant pas partie ni représentés à cette décision qui leur est préjudiciable dans la mesure où le risque de confiscation du matériel de production de la société Pêchés Gourmands entraînera pour la société Délices d'Autrefois, son distributeur exclusif, une perte d'exploitation et pour M. P., salarié de la société Pêchés Gourmands, un risque de licenciement ;
- ils n'ont sciemment pas été appelés à la cause par le crédit-bailleur et n'ont pu faire valoir leurs moyens de défense qui auraient pu faire obstacle à l'ordonnance litigieuse ;
- l'intitulé de leur assignation en « tierce opposition » importe peu puisqu'ils ont bien saisi le juge ayant rendu l'ordonnance sur requête, pour en demander la rétractation ;
- au fond, cette ordonnance est nulle puisqu'elle n'est pas revêtue de la formule exécutoire en sorte que le commandement aux fins de saisie appréhension délivré le 6 février 2019 est irrégulier ;
- ladite ordonnance n'est pas motivée et l'acte de signification de cette décision ne comporte pas la précision de ce qu'une copie de la requête et pièces invoquées par la société Sogelease à l'appui de sa demande a été remis à la société Pêchés Gourmands ;
- aucune dénonce de la sommation effectuée le 6 février 2019 n'a été adressée à la société Pêchés Gourmands en application des dispositions de l'article R 222-7 du code des procédures civiles d'exécution et en méconnaissance des dispositions de l'article R.222-8 dudit code, la société Sogelease n'a pas saisi le juge de l'exécution dans le délai d'un mois de la signification de la sommation, rendant de plein droit caduc le commandement de restituer délivré le 6 février 2019
- à titre subsidiaire, la société Pêchés Gourmands a obtenu par jugement du tribunal de commerce en date du 5 novembre 2018 des délais de paiement sur 24 mois, ainsi toute restitution au mépris de ce moratoire, revient à violer les mesures prévues par décision de la juridiction consulaire ;
- enfin en raison de l'appel de ce jugement du 5 novembre 2018, le caractère certain, liquide et exigible de la créance invoquée par la société Sogelease n'est donc toujours pas définitif à ce jour et justifie d'une contestation sérieuse à l'encontre de la tentative de saisie appréhension sollicitée par cette dernière.
La société Sogelease citée, dans le délai prévu par l'article 905-1 alinéa 1er du code de procédure civile, par acte d'huissier délivré le 5 février 2021 à personne se déclarant habilitée, n'a pas constitué avocat.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 14 septembre 2021.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
En application de l'article 473 alinéa 2 du code de procédure civile le présent arrêt sera réputé contradictoire.
La recevabilité de l'intervention volontaire accessoire de la société Pêchés Gourmands n'est pas critiquée en dépit du dispositif contradictoire des écritures des appelantes qui demandent à la fois la réformation du jugement entrepris de ce chef et sollicitent de la cour de recevoir cette société en son intervention volontaire ;
C'est exactement que le premier juge saisi par assignation intitulée « assignation aux fins de tierce opposition » a retenu que l'ordonnance sur requête devait être contestée par la voie de la procédure de rétractation prévue par l'article 497 du code de procédure civile.
S'il est vrai qu'en dépit de l'intitulé de leur assignation la société Délices d'Autrefois et M. P. ont sollicité la rétractation de l'ordonnance sur requête rendue par le juge de l'exécution le 3 novembre 2016, cette ordonnance signifiée à la société Pêchés Gourmands le 23 novembre 2016 qui n'a pas été frappée d'opposition, produit en vertu des dispositions de l'article R.222-15 du code des procédures civiles d'exécution, les effets d'un jugement contradictoire en dernier ressort, en sorte que la demande de rétractation de l'ordonnance est irrecevable.
Par ailleurs, la rétractation vise à instaurer la discussion contradictoire de la procédure ouverte par la requête pour en discuter le bien fondé, et non à contester la régularité formelle de l'ordonnance qu'il appartenait à la société Pêchés Gourmands de critiquer en formant opposition ce qu'elle s'est abstenu de faire.
Par ailleurs, c'est à cette dernière, et non la société Délices d'Autrefois et M. P. , qu'il appartenait de contester le commandement aux fins de saisie appréhension qui a été délivré le 6 février 2019 en excipant de l'absence alléguée de formule exécutoire apposée sur cette ordonnance.
Surabondamment, il sera rappelé que la procédure de l'ordonnance sur requête est par principe non contradictoire ainsi qu'il résulte de l'article R121-23 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution selon lequel le juge de l'exécution statue par ordonnance sur requête dans les cas spécifiés par la loi ou lorsque les circonstances exigent qu'une mesure urgente ne soit pas prise contradictoirement, et de l'article 493 du code de procédure civile selon lequel l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
Le simple visa de la requête en tête de l'ordonnance querellée vaut adoption implicite des motifs de celle-ci et satisfaisait aux exigences de l'article 495 du code de procédure civile qui dispose que l'ordonnance sur requête est motivée, étant en outre observé qu'il ressort de l'acte de signification de l'ordonnance rendue le 3 novembre 2016, communiqué par les appelantes, qu'était jointe à l'ordonnance copie de la requête présentée au juge de l'exécution par la société Sogelease.
D'autre part, les articles R.222-2, R.222-4, R.222-7, R.222-8 et R.222-10 du code des procédures civiles d'exécution visés par les appelantes s'appliquent aux mesures d'appréhension faites en vertu d'un titre exécutoire et non, comme en l'espèce, à l'appréhension faite sur injonction du juge, régie par les article R.222-11 à R.222-16 du même code.
Enfin, le moyen tiré du défaut d'exigibilité de la créance de Sogelease en raison des délais de paiement accordés à la société Pêchés Gourmands par jugement du 5 novembre 2018 est inopérant dans le cadre d'une contestation de saisie-appréhension du matériel objet du crédit bail consenti à cette société, dont au surplus la résiliation de plein droit au 30 septembre 2016 a été constatée par ce même jugement.
Il s'en suit la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.
Succombant en leur recours, les appelantes supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après en avoir délibéré, par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. Romain P., la SAS Délices d'Autrefois et la SARL Pêchés Gourmands aux dépens d'appel.