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Décisions

Cass. com., 23 mai 1995, n° 93-12.112

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Lassalle

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Cossa, Me Choucroy

Paris, 3e ch., sect. B, du 13 nov. 1992

13 novembre 1992

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société anonyme Miramond Le Disez (la société MLD) a été mise en redressement judiciaire le 3 mars 1988 puis en liquidation judiciaire ;

que, sur saisine d'office, le Tribunal a prononcé l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou toute personne morale, pour une durée de dix ans, à l'encontre de M. Y..., administrateur puis, à compter du 7 janvier 1988, président du conseil d'administration de la société, et pour une durée de cinq ans à l'encontre de Mme Martine X..., administrateur depuis la même date ;

qu'il a en outre condamné solidairement M. Y..., Mme Martine X... et M. A... à payer les dettes sociales à concurrence de 1 million de francs ;

Sur le second moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que M. Y... et Mme Martine X... font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement les condamnant au paiement de partie des dettes sociales, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il ne résultait ni du jugement entrepris ni des conclusions d'appel du liquidateur judiciaire que M. Y... ait été domicilié ... dans l'appartement occupé par Mme Martine X... ;

que la cour d'appel a violé l'article 7 du nouveau Code de procédure civile ;

alors, d'autre part, que dans leurs conclusions d'appel, M. Y... et Mme X... avaient fait valoir que, suivant le rapport d'expertise de gestion, la cession de l'immeuble social était justifiée ;

que, comme l'avaient constaté les premiers juges, la valeur locative n'était pas excessive et que le paiement de la facture de 335 126,30 francs correspondait à des travaux de remise en état de la toiture effectués non après mais avant la vente ;

qu'en déclarant qu'une faute de gestion avait été commise à l'occasion de la cession de cet actif, puis de sa location, sans répondre à des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

alors, en outre, que la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ;

qu'en déclarant d'un côté, que lors de son accession aux fonctions de président directeur général, le 10 novembre 1987, M. Y... avait renoncé à percevoir la rémunération qui s'attachait à cette responsabilité et avait ramené le coût du contrat de prestation informatique qui bénéficiait à la société ACCAM dont M. A... était le président directeur général de la somme de 1,2 millions de francs à celle de 440 000 francs par an et, d'un autre côté, que les dirigeants ne justifiaient d'aucune mesure concrète autre que la cession de l'immeuble visant à améliorer la situation sociale, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

alors, au surplus que, après avoir constaté que plusieurs événements conjoncturels intervenus à partir du dernier trimestre 1987 avaient porté le passif de la société d'une somme qui s'élevait à 1 558 850,45 francs le 7 janvier 1988 à une somme de 20 286 954,00 francs lors du dépôt de bilan effectué le 26 février 1988, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître la portée légale de ses propres constatations, déduire l'insuffisance d'actif des faits prévus par les articles 182, 3 et 4 , de la loi du 25 janvier 1985 ;

qu'en statuant de la sorte, elle a violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

et alors enfin, que et en toute hypothèse, l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 n'est applicable qu'à "tout dirigeant de droit ou de fait, rémunéré ou non", d'une personne morale ;

qu'ayant constaté que Mme Martine X... n'a été administrateur de la société MLD qu'à compter du 7 janvier 1988, tandis que le dépôt de bilan est intervenu le 26 février 1988, et n'ayant relevé aucun fait spécifiquement commis au cours de la période écoulée entre ses deux dates, la cour d'appel ne pouvait retenir la responsabilité de cette dernière qu'à la condition de constater sa qualité de dirigeant de fait, laquelle ne pouvait résulter de la seule circonstance qu'elle avait été auparavant directeur général de l'entreprise ;

que faute d'avoir constaté que Mme Martine X... était dirigeant de fait de la société au cours de la période pendant laquelle ont été commis les faits retenus comme constituant des fautes de gestion, notamment ceux entrant dans les prévisions de l'article 182, 3 et 4 , de la loi du 25 janvier 1985, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 180 de cette loi ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que l'exploitation avait été déficitaire de manière continue depuis 1984 ;

qu'en 1985, la société avait subi une perte de 240 000 francs ;

que, dans son rapport sur l'exercice clos au 31 décembre 1985, le commissaire aux comptes avait appelé, à nouveau, l'attention des dirigeants sur la situation délicate dans laquelle se trouvait la société dont les ressources ne couvraient pas le coût des investissements et des remboursements d'emprunts et dont le fonds de roulement continuait à se détériorer ;

que ce fonds avait encore baissé en 1986, qu'il était devenu inexistant en 1987 et que les pertes s'étaient élevées alors à 1 720 000 francs ;

qu'elle a aussi relevé que le loyer de l'appartement de fonction de Mme Martine X... avait été payé du 15 octobre 1987 au 14 mars 1988 par la société MDL malgré la décision du conseil d'administration du 16 mai 1986 de ne plus faire bénéficier Mme X... de cet appartement ;

que le prix du loyer versé par la société MDL à la société 3 G pour la jouissance de l'immeuble cédé à celle-ci était plus élevé que la valeur locative retenue pour la détermination du prix de cession ;

que l'expert avait tenu compte, dans l'évaluation de ce prix, des travaux de remise en état de la toiture et que la société MDL a payé à la société 3 G, à titre de dépôt de garantie, une somme supérieure à celle fixée au bail ;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel dont la décision ne peut être atteinte par la critique de la première branche visant un motif surabondant ni par celle, inopérante, de la cinquième branche, le directeur général étant dirigeant de droit de la société, a pu, sans se contredire, dès lors que les mesures d'économie n'avaient pas accompagné la cession de l'immeuble social mais lui étaient postérieures de plusieurs mois, retenir les fautes de gestion de M. Y... et de Mme Martine X... ayant contribué à l'insuffisance d'actif et n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 en les condamnant à payer, solidairement avec M. A..., partie des dettes sociales ;

que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 182, 188 et 192 de la loi du 25 janvier 1985, ce dernier texte dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu qu'il résulte du deuxième de ces textes que la faillite personnelle est seule encourue par le dirigeant d'une personne morale qui a commis l'un des actes mentionnés au premier ;

Attendu que l'arrêt a confirmé la décision d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou toute personne morale prononcée par le Tribunal à l'encontre de M. Y... et de Mme Martine X..., sur le fondement de l'article 188, pour avoir fait des biens ou du crédit de la société MDL un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnellles et pour avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la société, tous actes mentionnés à l'article 182 de la loi ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la sanction de ces actes est la faillite personnelle et non l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale et toute personne morale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement prononçant contre M. Y... et Mme Martine X... épouse Z... l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou toute personne morale pour dix ans et cinq ans, l'arrêt rendu le 13 novembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.