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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 7 juin 2019, n° 18/03141

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ecoflex (SARL)

Défendeur :

ERC Harranger (SAS), Entreprise de Construction et Bâtiment du Littoral (SAS), Immobilière Atlantic Aménagement (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mme Dotte-Charvy, Mme Gelot-Barbier

TGI Nantes, du 20 avr. 2018

20 avril 2018

FAITS et PROCÉDURE :

La Sa d'Hlm Immobilière Atlantic Aménagement a confié aux Sas Entreprise Rochelaise de Construction Harranger et Entreprise de Construction et Bâtiment du Littoral (les sociétés ERC Harranger et ECBL) la réalisation d'un projet d'aménagement de trois bâtiments de logements pour étudiants à Lagord (17140).

Les sociétés ERC Harranger et ECBL ont, le 12 mai 2017, chacune conclu un contrat de sous-traitance avec la S.A.R.L. Écoflex portant sur la fourniture et la pose de modules de salles de bains préfabriqués complets, soit 120 modules concernant la société ERC Harranger pour équiper deux bâtiments moyennant un montant total de 373 800 euros HT, après signature d'un avenant le 15 mai 2017, et 80 modules concernant la société ECBL pour équiper le troisième bâtiment moyennant un montant total de 249 200 euros HT, également après signature d'un avenant le 15 mai 2017.

Suite à un litige entre les parties, la société Écoflex a fait assigner par actes des 22 décembre 2017 et 02 janvier 2018 les sociétés ERC Harranger et ECBL devant le tribunal de commerce de La Rochelle aux fins de voir prononcer la nullité des contrats de sous-traitance aux torts exclusifs de ces dernières, surseoir à statuer s'agissant de ses préjudices consécutivement au prononcé des nullités et ordonner une expertise.

Les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement ont obtenu sur leur requête une ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes en date du 18 avril 2018, assortie de l'exécution provisoire, ordonnant à la société Écoflex de procéder à la délivrance et la livraison immédiate de modules de salles de bains et autres équipements sanitaires, à première présentation par huissier de ladite ordonnance au lieu où sont stockés les biens, et lui ordonnant également de procéder au chargement des biens sur les camions affrétés par les requérants.

L'ordonnance a été signifiée le 20 avril 2018 à la société Écoflex et a été exécutée le jour-même.

Autorisée le 20 avril 2018 par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nantes, la société Écoflex a fait assigner le jour-même les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement ainsi que la Sas Transports S.-C. devant le juge de l'exécution statuant comme en référé à l'audience du lundi 23 avril 2018 à 9 heures aux fins d'obtenir à titre principal la rétractation de l'ordonnance sur requête du 18 avril 2018 et son rejet, et à défaut de voir dire que les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement devront conserver les biens enlevés sans les installer, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour et par matériel dont l'incorporation serait constatée, la décision à intervenir étant commune et opposable à la société Transports S.-C..

Les sociétés ECBL, Immobilière Atlantic Aménagement et Transports S.-C. n'ont pas comparu, et par ordonnance réputée contradictoire en date du 25 avril 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes a :

- débouté la société Écoflex de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmé l'ordonnance du 18 avril 2018 dans toutes ses dispositions ;

- débouté la société ERC Harranger de sa demande de dommages et intérêts ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Écoflex aux entiers dépens et à payer à la société ERC Harranger la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Écoflex a formé appel contre cette décision le 11 mai 2018.

L'appelante a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ouverte par jugement du 19 septembre 2018 ; la Scp D.-C. ès qualités de mandataire judiciaire est intervenue volontairement à la procédure d'appel et demande à la cour de :

- débouter les intimées de l'intégralité de leurs prétentions ;

- réformer l'ordonnance en date du 25 avril 2018 ;

- rétracter l'ordonnance en date du 18 avril 2018 ;

- rejeter purement et simplement la requête présentée par les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement ;

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la société Transports S.-C. ;

- condamner les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement in solidum à verser à maître D., ès qualités de liquidateur de la société Écoflex, une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement demandent quant à elles à la cour de :

- débouter la société Écoflex de son appel et le dire irrecevable et mal fondé ;

- valider les ordonnances des 18 et 25 avril 2018 et les dire bien fondées ;

- valider la saisie effectuée par maître L. ;

- condamner la société Écoflex au paiement de la somme de 5 000 euros pour procédure abusive, et à défaut fixer la créance de cette somme à la liquidation judiciaire de l'appelante ;

- condamner la société Écoflex au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à défaut fixer la créance de cette somme à la liquidation judiciaire de l'appelante.

La société Transports S.-C. n'a pas constitué avocat devant la cour.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la Scp D.-C. ès qualités le 11 mars 2019, et pour les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement le 21 mars 2019.

La clôture de l'instruction prononcée par ordonnance en date du 14 février 2019 a été reportée au 22 mars 2019, avant l'ouverture des débats, à la demande conjointe des parties pour accueillir leurs dernières conclusions.

SUR CE :

Sur les irrecevabilités :

Les intimées soutiennent que l'appel serait irrecevable au visa de l'article 496 du code de procédure civile, en faisant valoir qu'en réalité cet article vise l'assignation en rétractation qui a été en l'espèce utilisée alors qu'il n'est aucunement prévu par le Code de Procédure Civile que le défendeur qui voit écarté sa demande en rétractation puisse former appel à l'encontre de cette ordonnance, la voie de l'appel étant réservée à l'hypothèse où la requête initiale est rejetée.

Or, et comme l'appelante le fait à juste titre remarquer, l'appel prévu par l'article 496 (alinéa 1) concerne les ordonnances rendues non contradictoirement lorsqu'il n'a pas été fait droit à la requête.

En l'espèce, la société Écoflex a obtenu du président du tribunal de grande instance l'autorisation de faire assigner les requérantes devant le juge de l'exécution statuant comme en référé aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête du 20 avril 2018, requête à laquelle il avait été fait droit, et ce conformément à l'alinéa 2 de l'article 496.

La société Écoflex n'a pas formé appel contre l'ordonnance sur requête du 20 avril 2018 mais contre l'ordonnance du 25 avril 2018, rendue contradictoirement sur son assignation aux fins de rétractation et par conséquent contentieuse en application de l'article 497 du code de procédure civile ; ce faisant l'appel est recevable.

Les intimées soutiennent ensuite l'irrecevabilité de l'appel en ce que la société Écoflex soulèverait devant la cour un moyen inopérant et de plus nouveau, lequel serait irrecevable conformément aux dispositions des articles 563, 564 et 565 du code de procédure civile qui prohibent les prétentions nouvelles en appel.

L'appelante soutient en effet que l'ordonnance sur requête du 18 avril 2018 était assortie à tort de l'exécution provisoire et a été rendue en violation des dispositions régissant la procédure d'appréhension sur injonction du juge de l'exécution.

Selon les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement, ce moyen est totalement inopérant dans la mesure où le juge de l'exécution prononce des décisions de justice qui sont par essence assortie de l'exécution provisoire et que si la société Écoflex entendait contester les mesures de l'ordonnance sur requête litigieuse, il lui appartenait de faire opposition comme le prévoient certains textes et non pas de choisir délibérément de saisir le Juge par voie d'assignation...; elles rajoutent qu'il pourrait être valablement retenu que le choix procédural de saisir le juge de l'exécution en rétractation interdirait ensuite à la société Écoflex de soulever une difficulté car elle aurait éventuellement du former une opposition, et qu'à défaut d'avoir utilisé cette voie de droit, elle serait irrecevable à prétendre en appel soulever le moyen car elle est sensée avoir renoncé à l'appel...

L'article 563 cité par les intimées précise justement que les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux pour justifier en appel leurs prétentions soumises au premier juge ; en tout état de cause le bien-fondé de ce moyen sera examiné ci-après, la recevabilité de l'appel n'étant pas subordonnée à celle des demandes.

Sur la régularité de la procédure sur requête :

Après avoir cité les articles R. 222-11 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, afférents à l'appréhension sur injonction du juge, l'appelante fait valoir que l'ordonnance du 18 avril 2018 a été rendue en totale méconnaissance et en violation de ces textes car :

- elle indique être assortie de l'exécution provisoire, ce que la procédure ne prévoit pas, et ordonne à la société Écoflex de procéder à la délivrance des biens visés sur première présentation par l'huissier ;

- la signification ne fait aucune sommation d'avoir à remettre les biens aux requérantes dans un délai de quinze jours ou d'avoir, dans le même délai, à former opposition contre l'ordonnance faute de quoi celle-ci deviendrait exécutoire ;

- en l'espèce, ce délai de quinze jours pendant lequel opposition peut être formée ou pendant lequel le détenteur des biens a la faculté de procéder volontairement à la remise des biens n'a pas été respecté, et les biens ont été appréhendés le jour-même de la signification.

Selon la société Écoflex, le juge de l'exécution devait rétracter l'ordonnance sur requête du 18 avril 2012 après que la demande lui en a été faite dans le cadre de l'assignation qu'elle avait fait délivrer, ce que le juge de l'exécution a refusé suivant ordonnance du 25 avril 2018 dont appel, et la cour ne pourra, selon elle, que réformer l'ordonnance du 25 avril 2018, rétracter purement et simplement l'ordonnance du 18 avril 2018 et ordonner aux intimées de lui restituer les biens saisis.

Sur ce, l'ordonnance critiquée rendue par le juge de l'exécution sur requête le 18 avril 2018, au visa des articles L. 122-1 et R. 222-11 du code des procédures civiles d'exécution, ordonne à la société Écoflex de procéder à la délivrance et la livraison immédiate de divers biens, de s'exécuter à la première présentation par huissier, lequel est autorisé à se faire assister de la force publique si besoin est et d'un serrurier, de procéder au chargement des biens sur les camions affrétés par les requérants, et enfin est assortie de l'exécution provisoire, en totale méconnaissance des pouvoirs du juge de l'exécution en matière de saisie-appréhension sur injonction du juge comme le fait valoir l'appelante.

De plus, l'ordonnance précise qu'elle sera signifiée à la diligence de l'exposant, avec tous ses effets de droit, et qu'une opposition pourra être formée contre celle-ci dans un délai de quinze jours à compter de sa signification, reprenant ainsi partiellement le 2° de l'article R. 222-13 du code des procédures civiles d'exécution.

En effet, aux termes des dispositions de cet article, la signification de l'ordonnance portant injonction de délivrer ou de restituer, rendue sur requête par le juge de l'exécution à défaut de titre exécutoire pour appréhender des meubles, doit contenir, à peine de nullité, sommation d'avoir, dans un délai de quinze jours :

1° Soit à transporter à ses frais le bien désigné en un lieu et dans les conditions indiquées ;

2° Soit, si le détenteur du bien a des moyens de défense à faire valoir, à former opposition au greffe du juge qui a rendu l'ordonnance, par déclaration contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, faute de quoi l'ordonnance est rendue exécutoire.

Or l'acte de signification de l'ordonnance sur requête dressé le 20 avril 2018 ne comporte que la mention suivante :

Vous rappelant que l'article 496 du code de procédure civile est ainsi conçu : 'S'il n'est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel. Le délai d'appel est de quinze jours. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.

S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.'

Par conséquent les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement sont particulièrement mal fondées à reprocher à la société Écoflex, dans le cadre des irrecevabilités de l'appel qu'elles ont cru devoir soulever, d'avoir 'choisi délibérément' de saisir le juge de l'exécution par voie d'assignation alors qu'il lui appartenait de faire opposition, et que ce choix procédural interdirait ensuite à la société Écoflex de soulever 'une difficulté' en appel.

La société Écoflex faisait valoir dans son assignation aux fins de rétractation et sommation d'avoir à ne pas installer les biens enlevés, des moyens de fond afférents aux relations commerciales entre les parties auxquels le juge de l'exécution n'a pas fait droit, confirmant l'ordonnance du 18 avril 2018 dans toutes ses dispositions.

Devant la cour, la société Écoflex conclut à la réformation de l'ordonnance du 25 avril 2018, la rétractation de l'ordonnance sur requête du 18 avril 2018, et au rejet de la requête, aux motifs de la violation ci-dessus examinée des dispositions régissant la procédure d'appréhension sur injonction du juge, mais également d'une caducité de la saisie-appréhension au visa de l'article R. 222-14 du code des procédures civiles d'exécution et enfin du mal-fondé des prétentions des sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement ; si dans le corps de ses écritures l'appelante demande à la cour d'ordonner aux intimées de lui restituer les biens saisis le 20 avril 2018, cette demande de restitution n'est pas reprise dans le dispositif de ses conclusions.

Aussi, sur l'unique motif pris de la violation des dispositions régissant la procédure d'appréhension sur injonction du juge et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens, l'ordonnance dont appel sera infirmée en toutes ses dispositions, sauf en ce que la société ERC Harranger a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive à hauteur de 5 000 euros, et la rétractation de l'ordonnance du 20 avril 2018 sera ordonnée.

La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, reprise en appel par les intimées, sera rejetée compte tenu de l'infirmation.

Il n'y a pas lieu de déclarer l'arrêt commun et opposable à la société Transports S.-C..

Sur les dépens et les frais :

Les sociétés ERC Harranger, ECBL et Immobilière Atlantic Aménagement seront tenues aux dépens de première instance et d'appel, et déboutées de leurs demandes de frais irrépétibles ; les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait droit à la demande de l'appelante sur ce chef.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Rejette les moyens d'irrecevabilité ;

Infirme l'ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes en date du 25 avril 2018 dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce que la Sas Entreprise Rochelaise de Construction Harranger (la société ERC Harranger) a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau sur les autres dispositions ;

Ordonne la rétractation de l'ordonnance en date du 18 avril 2018 rendue par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes sur requête des Sa d'Hlm Immobilière Atlantic Aménagement, Sas Entreprise Rochelaise de Construction Harranger (ERC Harranger) et Sas Entreprise de Construction et Bâtiment du Littoral (ECBL) et rejette la requête ;

Condamne in solidum les Sa d'Hlm Immobilière Atlantic Aménagement, Sas Entreprise Rochelaise de Construction Harranger (ERC Harranger) et Sas Entreprise de Construction et Bâtiment du Littoral (ECBL) aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute les parties de toutes autres demandes.