Cass. soc., 4 novembre 2021, n° 19-25.676
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 16 septembre 2019), M. [O], capitaine de 2e grade, a été détaché par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie auprès de l'établissement public du Grand Port maritime de la Guadeloupe (le GPMG), suivant contrat du 20 janvier 2014 à effet du 1er février suivant, pour y exercer les fonctions de commandant du port, sous l'autorité du président du directoire, directeur général.
2. Le 21 mars 2016, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir une compensation à l'absence de logement de fonction et paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à faire juger que de parses fonctions de commandant du GPMG, il avait droit au bénéfice d'un logement de fonction par nécessité absolue de service et, partant, à une indemnisation, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles L. 5312-16 et R. 5312-7 du code des transports que lorsqu'un grand port maritime est substitué à un port maritime relevant de l'Etat, l'Etat et, le cas échéant, le port autonome ou l'établissement public délégataire lui remettent les biens immeubles et meubles nécessaires à l'exercice de ses missions autres que ceux relevant du domaine public maritime naturel et du domaine public fluvial naturel, que cette remise est gratuite et ne donne lieu à paiement d'aucune indemnité, ni d'aucun droit, taxe, salaire ou honoraires, que le grand port maritime est substitué de plein droit à l'Etat et, le cas échéant, au port autonome ou à l'établissement public délégataire, dans tous les droits et obligations attachés aux biens remis et aux activités transférées, en particulier dans le service des emprunts contractés par le port autonome ou le délégataire pour le financement de l'activité déléguée et de ses participations aux travaux maritimes ; que le GPMG s'étant substitué au Port autonome de la Guadeloupe, le logement de fonction affecté au commandant du port dont était propriétaire le Port autonome, selon les délibérations des 18 juin 2003 et 29 avril 2004, avait été remis de plein droit au GPMG lors de la prise d'effet du contrat de travail de M. [O] comme commandant du port; qu'en refusant à celui-ci le bénéfice de ce logement, motif pris de dispositions légales applicables aux seuls biens dépendant du domaine public de l'Etat, la cour d'appel a violé par refus d'application les textes susvisés ;
2°/ qu'il résulte de l'article R. 2124-64 du code général de la propriété des personnes publiques que dans les immeubles dépendant de son domaine public, l'Etat peut accorder à ses agents civils ou militaires une concession de logement par nécessité absolue de service ou une convention d'occupation précaire avec astreinte ; qu'en faisant application des dispositions de ce texte à un bien immobilier qui ne faisait pas partie du domaine public de l'Etat, la villa qui était affectée au logement de fonction du commandant du port, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, le salarié, commandant du GPMG, avait fait valoir que se substituant au Port autonome de la Guadeloupe, ce port était devenu un grand port maritime au sens de la loi n° 2012-260 par l'effet de la loi 22 février 2012 suivi du décret n° 2012-1103 du 1er octobre 2012, entré en vigueur le 1er janvier 2013, que le directoire était responsable de la gestion des biens immobiliers du grand port maritime, qu'au vu d'un arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 25 juin 2015 prononcé au bénéfice du prédécesseur du salarié, le président du directoire qui était tenu par les délibérations des 18 juin 2003 et 29 avril 2004 prévoyant un logement de fonction au bénéfice du commandant du port, par courrier du 27 janvier 2016, avait accepté d'attribuer un tel logement à M. [O] tout en lui indiquant que faute d'acceptation du logement proposé dans les 15 jours, il serait pris acte de la renonciation à ses droits ; qu'étaient offerts en preuve l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, les délibérations des 18 juin 2003 et 29 avril 2004 et le courrier du 27 janvier 2016 ; que ces conclusions faisant état à l'appui de la demande, d'un droit acquis lors de l'embauche du salarié du 1er février 2014, étaient péremptoires ; qu'en s'abstenant d'y répondre en envisageant l'acceptation implicite d'un droit par le GPMG et l'absence de renonciation expresse à un droit par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que, quant au droit à un logement de fonction, dans ses conclusions d'appel, le salarié avait également invité les juges du fond à distinguer la situation du commandant du grand port maritime de la Guyane telle qu'elle résultait de l'arrêté du 30 novembre 2015 fixant les listes de fonctions des établissements publics du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ouvrant droit à un logement de fonction qui avait prévu un logement de fonction au bénéfice de ce commandant, de sa propre situation qui résultait des délibérations des 18 juin 2003 et 29 avril 2004 du Port autonome de la Guadeloupe auquel s'était substitué le GPMG le 1er janvier 2013 soit avant la prise d'effet de son contrat de travail de droit privé le 1er février 2014 ; que ces conclusions étaient péremptoires dès lors qu'elles distinguaient une situation réglementaire d'une situation contractuelle ; qu'en considérant de façon inopérante et sans répondre à ces conclusions, que le commandant du GPMG n'était pas visé par les dispositions dérogatoires de l'article 2 de l'arrêté du 30 novembre 2015 prises en faveur du seul commandant du Grand port maritime de la Guyane, la cour d'appel a violé derechef l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'aux termes de l'article 2 du contrat de travail de droit privé entre le GPMG et le salarié, commandant du port, "aucune indemnité de logement n'est attribuée à l'intéressé" ; qu'en considérant que cette disposition excluait toute possibilité de logement de fonction, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les écrits de la cause ;
6°/ qu'après avoir constaté qu'aux termes de l'article 2 du contrat de travail de droit privé entre le GPMG et le salarié, commandant du port, "aucune indemnité de logement n'est attribuée à l'intéressé", la cour d'appel devait rechercher si cette stipulation s'inscrivait dans le cadre du droit à un logement de fonction en faveur du commandant du port, résultant des délibérations des 18 juin 2003 et 29 avril 2004 du Port autonome de la Guadeloupe relative aux logements de fonction, relevant des biens du port, transférés de plein droit au GPMG à compter du 1er janvier 2013 ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 ancien du code civil, ensemble encore l'article L. 5312-16 du code des transports. »
Réponse de la Cour
4. D'abord, il ne ressort ni des énonciations de l'arrêt ni des conclusions du salarié que celui-ci ait soutenu que les biens immeubles transférés gratuitement au GPMG lors de sa substitution au port autonome de la Guadeloupe, suivant décret du n° 2012-1103 du 1er octobre 2012 entré en vigueur le 1er janvier 2013, ne relèvent pas du domaine public de celui-ci. Sous le couvert de griefs de violation de la loi, le moyen pris en ses deux premières branches soulève un moyen nouveau, mélangé de fait et de droit.
5. Ensuite, la cour d'appel, qui a constaté que le décret n° 2012-752 du 9 mai 2012 avait profondément remanié l'octroi des logements de fonction en disposant qu'un établissement public, tel que le GPMG, ne peut plus accorder un logement pour nécessité absolue de service sans que cela soit prévu par un arrêté ministériel, a pu en déduire, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que le salarié ne pouvait se prévaloir d'un droit acquis dès lors que la législation avait évolué avant son arrivée, ce qui n'était pas le cas pour son prédécesseur entré en fonction le 15 septembre 2010.
6. Enfin, la cour d'appel a relevé, sans dénaturation du contrat de travail du salarié et sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que celui-ci ne mentionnait nullement l'octroi d'un logement de fonction et prévoyait expressément qu'aucune indemnité de logement ne lui était attribuée.
7. Le moyen, irrecevable en ses deux premières branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « qu'en matière de harcèlement moral, les juges doivent se prononcer sur l'intégralité des éléments invoqués par le salarié et les prendre en compte dans leur ensemble, y compris les documents médicaux pour dire si ces éléments laissent présumer l'existence du harcèlement moral ; qu'après avoir pris en considération un certain nombre des éléments invoqués par le salarié, la cour d'appel a, pour chacun d'entre eux, successivement considéré qu'ils n'étaient pas prouvés (s'agissant des demandes "illégales" de la hiérarchie : "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant du positionnement de la capitainerie dans l'organigramme : "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant de l'impossibilité d'exercer les fonctions d'agent de sûreté portuaire : "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant de la tenue de réunions de sûreté en l'absence de M. [O] : "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant de la mise sous tutelle en matière de gestion des navires "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant des entraves aux fonctions syndicales "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant de la demande d'audition par le CHSCT "il s'ensuit que le grief n'est pas fondé", s'agissant de l'entretien d'évaluation annuelle : "s'il est regrettable que le responsable hiérarchique ait cru devoir faire figurer dans le compte rendu des éléments non discutés lors de l'entretien, ce fait ponctuel ne peut à lui seul être considéré comme constitutif de harcèlement moral", s'agissant du discrédit porté sur la personne du commandant du port en public : "il s'ensuit que faute de preuve le grief n'est pas fondé") ; qu'en exigeant pour chacun des éléments qui avaient été pris séparément, qu'ils soient fondés et donc établis, là où il convenait de les considérer dans leur ensemble pour déterminer s'ils étaient constitutifs d'une présomption de harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
10. Pour débouter le salarié de sa demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt, après avoir examiné un à un les différents griefs articulés par le salarié et apprécié le bien-fondé de chacun, retient qu'il résulte de l'analyse de l'ensemble des faits repris que ceux-ci ne sont pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du blâme infligé le 11 mars 2016, alors « que les décisions rendues en matière de référé n'ont pas d'autorité de la chose jugée au principal ; que pour rejeter la demande du salarié en annulation du blâme qui lui avait été infligé sans qu'il ait été régulièrement convoqué à un entretien préalable, constitutif d'une sanction disciplinaire, la cour d'appel a considéré que l'intéressé avait contesté ce blâme devant la formation des référés mais que par ordonnance confirmée en appel ses demandes avaient été rejetées et que son pourvoi n'avait pas abouti, de sorte qu'elle ne pouvait aujourd'hui considérer cette sanction comme injustifiée ; qu'en se fondant sur des décisions qui n'avaient pas autorité de la chose jugée au principal la cour d'appel a violé l'article 488 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 488 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.
14. Pour débouter le salarié de sa demande en annulation du blâme qui lui avait été infligé, l'arrêt retient que le salarié a contesté ce blâme devant la formation de référé du conseil de prud'hommes, que par ordonnance du 2 mai 2016, confirmée en appel, ses demandes ont été rejetées et que le pourvoi en cassation n'a pas abouti. Il en déduit que la cour ne peut aujourd'hui considérer cette sanction comme injustifiée.
15. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de statuer sur la demande dont elle était saisie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. [O] en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, en annulation du blâme qui lui a été infligé et en paiement d'une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 16 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;
Condamne le Grand Port maritime de la Guadeloupe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Grand Port maritime de la Guadeloupe à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.