Cass. 2e civ., 7 janvier 2010, n° 08-19.129
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loriferne
Rapporteur :
Mme Robineau
Avocat général :
M. Marotte
Avocats :
Me Ricard, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Monod et Colin, SCP de Chaisemartin et Courjon
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'avaries survenues aux moteurs de navires et bateaux de plaisance, attachés à Saint-Martin, la société AGF a assigné en référé, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Boat multi services, son assuré, vendeur du carburant, la Société antillaise des pétroles Chevron (la SAPC), fournisseur du carburant, la société Port Lonvilliers, exploitant le port de plaisance, site de la situation des cuves de gazole, et la société Caraïbes équipements pétroliers, chargée de la vérification des cuves ; que, par ordonnance du 21 avril 2004, M. X... a été désigné en qualité d'expert avec mission de fournir tous éléments permettant d'apprécier les responsabilités encourues et de donner son avis sur les divers chefs de préjudice subis ; que, par ordonnances successives, la mission d'expertise a été étendue à d'autres entreprises intervenant sur le site, à des exploitants de navires, fabricants de moteurs, concessionnaires et assureurs ; qu'au vu du rapport préliminaire déposé le 20 juillet 2006, la SAPC et la société Port Lonvilliers ont demandé la récusation de l'expert en soutenant qu'il n'avait pas respecté son devoir d'impartialité ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° Y 08-70. 065 :
Attendu que la société Port Lonvilliers fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de communication du dossier d'inscription de l'expert, alors, selon le moyen, qu'un expert peut être récusé en cas de partialité ou de manquements aux devoirs de sa charge ; que le dossier d'inscription d'un expert comprend des renseignements relatifs à sa qualification, dont l'inexactitude ou l'insuffisance peuvent montrer qu'il a manqué aux devoirs de sa charge ; qu'en estimant que la communication de ce dossier était impossible, quand elle pouvait apporter des éléments permettant de déterminer si la requête en récusation était bien fondée, la qualité de partie de l'expert étant indifférente, la cour d'appel a violé les articles 138, 234, 235 et 341 du code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice du pouvoir laissé par la loi à sa discrétion d'ordonner ou non la production d'un élément de preuve que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° G 08-19. 129 et le deuxième moyen du pourvoi n° Y 08-70. 065, pris en ses deuxième à cinquième branches :
Attendu que la SPAC et la société Port Lonvilliers font grief à l'arrêt de rejeter la requête tendant à la récusation de M. X..., alors, selon le moyen :
1° / que l'inimitié manifestée à l'égard de l'avocat ou de l'expert privé qu'une partie a mandaté pour l'assister dans le cadre d'opérations d'expertise constitue une cause de récusation de l'expert chargé de ces opérations ; qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré de l'inimitié exprimé par l'expert à l'égard de la SAPC soit directement soit au travers de son avocat et de son expert privé, que les remarques formulées de manière trop vive par l'expert et les interpellations de ses conseils n'étaient pas dirigées contre elle-même, la cour d'appel a violé les articles 234 et 341 du code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ensemble les articles 1989 et 1991 du code civil ;
2° / que l'inimitié entre l'expert et l'une des parties, telle qu'elle est prévue par l'article 341 du code de procédure civile auquel renvoie l'article 234 du même code, constitue une cause péremptoire de récusation, distincte de celle consistant dans le doute pesant sur l'impartialité de l'expert ; qu'en se fondant, pour écarter le même moyen, sur la circonstance que les remarques trop vives formulées par l'expert et l'interpellation des conseils de la SAPC ne remettraient pas en cause la légitimité et l'impartialité des conclusions de l'expert, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;
3° / que la SAPC faisait valoir qu'en constituant délibérément avocat devant la cour d'appel, M. X... s'était comporté comme une partie à l'instance en récusation bien qu'il n'en ait pas la qualité, qu'il s'était placé en situation de procès vis-à-vis d'elle, ce qui est une cause péremptoire de récusation, et qu'en tout état de cause, cette constitution était incompatible avec l'impartialité attendue d'un expert judiciaire ; qu'en ne recherchant pas si la prise de position adoptée par l'expert ne justifiait pas sa récusation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile et de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4° / que la SAPC invoquait, comme cause de récusation, le manquement de l'expert à son obligation d'impartialité, en lui reprochant d'avoir entretenu une confusion volontaire entre elle-même (SAPT devenue SAPC) et la société de droit américain Texaco Caribean Inc., bien qu'elles fussent deux entités juridiques parfaitement distinctes, en la dénigrant cependant qu'il encensait certaines autres parties au litige, et en modifiant de manière radicale son appréciation de l'état des cuves et de celui des installations de la station-service, sous la dictée de certaines des parties et sans vérification technique sérieuse ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
5° / que la SAPC faisait également valoir que l'expert avait manqué à ses devoirs les plus élémentaires, édictés par les articles 237 et 238 du code de procédure civile, en admettant la participation aux opérations d'expertise de personnes qui n'avaient pas été attraites dans la procédure, en prenant position sur des questions juridiques et en se prononçant sur des questions non comprises dans sa mission, comme, par exemple, le prix du gazole pratiqué par la société Boat multi services ; qu'en ne se prononçant pas sur cette cause de récusation, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6° / qu'un expert doit être récusé lorsqu'il manque à son obligation d'impartialité ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'expert n'avait pas repris purement et simplement les dires de certaines parties, montrant ainsi sa partialité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
7° / qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'expert n'avait pas fait volte-face de façon incompréhensible entre avril et novembre 2004, désignant brusquement trois responsables, dont la société Port Lonvilliers, sans raison, ce qui montrait son parti pris, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
8° / qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'expert n'avait pas refusé, de façon réitérée, de procéder à des vérifications techniques la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
9° / qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'expert n'avait pas commis des erreurs juridiques répétées, allant toutes dans un sens défavorable à la société Port Lonvilliers et montrant donc sa partialité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que l'expert n'était pas partie à l'instance en récusation, qu'il incombait au demandeur de prouver des faits précis, que la critique des qualités techniques de l'expert ou des erreurs d'appréciation ne pouvaient fonder la demande et que, si l'expert avait répondu parfois trop vivement aux observations et interpellations des conseils des sociétés, les remarques n'avaient jamais été dirigées contre les parties elles-mêmes, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et répondant aux conclusions, en a déduit l'absence d'éléments de nature à mettre en cause l'impartialité de l'expert ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° G 08-19. 129 et le deuxième moyen du pourvoi n° Y 08-70. 065, pris en sa première branche :
Vu les articles 66, 234 et 235 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour admettre la constitution d'un avocat pour représenter le technicien et le dépôt par lui de conclusions, la cour d'appel retient que si, s'agissant d'une requête en récusation, l'expert ne saurait être partie à l'instance, il n'en demeure pas moins qu'il peut intervenir aux débats " en qualité d'intervenant " et faire valoir ses observations par l'intermédiaire de son conseil ;
Qu'en statuant ainsi alors que le technicien n'est pas partie à la procédure en récusation formée à son encontre et que l'intervention a pour objet de rendre un tiers partie au procès, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen des pourvois n° G 08-19. 129 et n° Y 08-70. 065 :
Vu les articles 329 et 330 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour déclarer recevables les interventions des sociétés Alidade, Generali assurances, SIAT, Mutuelles du Mans, Marine Time, Havane, CFDP assurances, AGF IART et GESS, de MM. Y... et Z... et de la direction interrégionale des douanes et droits indirects Antilles Guyane, la cour d'appel retient que l'instance en récusation est une instance incidente dont dépend l'issue du litige principal, que les différentes parties au procès principal ainsi que les parties auxquelles les opérations d'expertise ont été étendues, ont un intérêt évident à intervenir à une instance au cours de laquelle la récusation d'un expert est sollicitée et que la demande est notamment susceptible de retarder l'issue des débats voire de mettre à néant des opérations d'expertise ayant duré de nombreux mois ;
Qu'en statuant ainsi, alors que seul le requérant à la récusation est partie à la procédure de récusation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que l'expert n'était pas partie au procès, déclaré irrecevable la demande de communication du dossier de l'expert, déclaré recevable mais mal fondée la demande en récusation de l'expert, l'a rejetée et a condamné la société Port Lonvilliers et la SAPC aux dépens, l'arrêt rendu le 21 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi.